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| = césure
DES_1/DES171
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES INÉDITES
MÉLANGES
LE PETIT OISELEUR
CONTE D’ENFANT
La mère
Vous voilà bien riant, mon amour ! quelle joie ! 6+6 a
Comme un petit chasseur, traînez-vous quelque proie ? 6+6 a
Sous ce fragile osier cachez-vous un trésor ? 6+6 a
L’enfant
C’est un oiseau du ciel ; il a des plumes d’or. 6+6 a
5 Il reposait son vol au bord de la fontaine ; 6+6 a
J’ai retenu longtemps mes pas et mon haleine ; 6+6 a
Quand il a secoué son plumage plein d’eau, 6+6 a
J’ai saisi ses ailes mouillées, 8 b
Et le voilà blotti dans les fleurs effeuillées. 6+6 b
10 Regardez qu’il est bien, ma mère, et qu’il est beau ! 6+6 a
La mère
Oui, je l’entends gémir.
L’enfant
Non, mère ! c’est qu’il chante. 6+6 a
La mère
Vous croyez, mon amour ? Sa chanson est touchante. 6+6 a
L’enfant
Je crois qu’il est content, puisqu’il est dans les fleurs ; 6+6 a
Il les aime. Son nid est sous l’amandier rose, 6+6 b
15 Cet arbre au fruit de lait que la fontaine arrose ; 6+6 b
C’est là qu’il dérobait ses brillantes couleurs. 6+6 a
La mère
Y demeurait-il seul ?
L’enfant
Ses enfants sont au gîte : 6+6 a
C’était pour les revoir qu’il se baignait si vite. 6+6 a
Mais je n’ai point de peur, ils ne sauraient bouger : 6+6 a
20 Ils n’ont pas une plume et n’ont rien à manger. 6+6 a
La mère
Que vont-ils devenir ?
L’enfant
J’agrandirai la cage ; 6+6 a
J’en ferai dans l’hiver un semblant de bocage ; 6+6 a
Et j’aurai mille oiseaux qui chanteront toujours. 6+6 a
Que de musiciens pour amuser mes jours ! 6+6 a
25 Quel bonheur de nourrir tant de joyeux esclaves ! 6+6 a
À peine ils sentiront leurs légères entraves. 6+6 a
Ô ma mère ! j’y cours.
La mère
Arrêtez… Il fait nuit ; 6+6 a
Quelque chose de triste entoure ce réduit ; 6+6 a
Restez ! de noirs soldats les farouches cohortes 6+6 a
30 Au coucher du soleil ont assailli nos portes. 6+6 a
Ne vous éloignez pas, ne quittez plus mon sein ; 6+6 a
De vous saisir peut-être ils avaient le dessein. 6+6 a
L’enfant
Des soldats ? et beaucoup, ma mère ? et pour me prendre ? 6+6 a
La mère
Vous, charme de ma vie, et pour ne plus vous rendre. 6+6 a
L’enfant
Que feront-ils de moi ?
La mère
35 Qui le sait ? Un captif, 6+6 a
Un orphelin, peut-être ; un prisonnier plaintif. 6+6 a
L’enfant
Sauvez-moi !
La mère
Priez Dieu, c’est en lui que j’espère, 6+6 a
Loin de nous les cruels emmènent votre père, 6+6 a
Ce père si content quand il vous embrassait ! 6+6 a
40 Ce gardien de vos jours et qui les nourrissait ! 6+6 a
L’enfant
Mon père prisonnier ?
La mère
C’est le roi qui l’ordonne. 6+6 a
L’enfant
Qu’est-ce qu’un roi ?
La mère
Puissant par l’amour ou l’effroi, 6+6 b
Un maître s’il punit, presque un dieu s’il pardonne. 6+6 a
L’enfant
Ah ! laissez-moi sortir : je veux parler au roi ; 6+6 b
Mon père va mourir !
La mère
45 Eh quoi ! si jeune encore, 6+6 a
Savez-vous que l’on meurt loin de ceux qu’on adore ? 6+6 a
Qu’arraché de son toit votre appui va souffrir ? 6+6 a
Que sans la liberté l’on n’a plus qu’à mourir ? 6+6 a
Savez-vous qu’en prison la vie est bien amère ? 6+6 a
L’enfant
50 Oui, nous mourrons sans vous, et vous mourrez, ma mère. 6+6 a
Mais ce roi si méchant, qui l’a mis en couroux ? 6+6 a
La mère
Le roi n’est ni méchant ni cruel plus que vous, 6+6 a
Mon fils. Las de ses jeux, il vient troubler les nôtres ; 6+6 a
Libre, il a des captifs : n’avez-vous pas les vôtres ? 6+6 a
55 Dans une chambre étroite il vous renfermera, 6+6 a
Mais vous serez content, car il vous nourrira. 6+6 a
Pourquoi de vos sanglots déchirez-vous mon âme ? 6+6 a
Est-ce à vous, cher coupable, à murmurer le blâme ? 6+6 a
Nous sommes des oiseaux dans ses cages plongés. 6+6 a
60 Pourquoi de son plaisir serions-nous affligés, 6+6 a
Si, dans ses jeux de roi qu’on a fait légitimes, 6+6 a
De lumière et d’air pur il prive ses victimes ? 6+6 a
Où courez-vous ?
L’enfant
De l’air ! de l’air au prisonnier ! 6+6 a
Qu’il respire, ma mère, et qu’il vole, et qu’il vive ! 6+6 b
65 Oiseau ! des malheureux que n’es-tu le dernier ! 6+6 a
Je ne veux point d’esclave !
La mère
Ô clémence naïve ! 6+6 b
Embrassez-moi, mon fils, vous m’arrachez des pleurs : 6+6 a
Soyez libre vous-même, et calmez vos douleurs. 6+6 a
Quoi ! jusque dans mes bras votre frayeur palpite !… 6+6 a
70 Ah ! le cœur de l’oiseau palpitait-il moins vite, 6+6 a
Quand votre instinct cruel empêcha son essor ? 6+6 a
Enfant, sans vos chagrins quel eût été son sort ? 6+6 a
Vous ravissiez l’époux à l’épouse éperdue ; 6+6 a
Elle eût traîné sa plainte, et Dieu l’eût entendue ! 6+6 a
75 Et les petits tout nus, glacés dans votre main, 6+6 a
Auraient péri de froid, de langueur et de faim. 6+6 a
L’enfant
Ah ! je n’y songeais pas !
La mère
Maintenant tout respire, 6+6 a
Tout se calme et s’endort.
L’enfant
Et mon père ?
La mère
Il soupire, 6+6 a
Comme l’oiseau du ciel un moment arrêté ; 6+6 a
80 Mais Dieu, qui voit partout, veille à sa liberté. 6+6 a
L’enfant
Le roi le voudra-t-il ? nous rendra-t-il mon père ? 6+6 a
La mère
Oui, mon fils ! oui, mon bien ! maintenant je l’espère ; 6+6 a
Oui, s’il a des enfants comme les miens chéris, 6+6 a
Des jeunes suppliants il accueille les cris. 6+6 a
85 Un père a dans le cœur je ne sais quoi de tendre ; 6+6 a
Toutes les voix d’enfant savent s’y faire entendre. 6+6 a
L’enfant
Je veux le voir. Venez ! conduisez-moi vers lui. 6+6 a
La mère
Oui, mon amour, demain.
L’enfant
Pas demain, aujourd’hui. 6+6 a
La mère
Quoi ! votre chère enfance à cette heure exposée ?… 6+6 a
L’enfant
90 Je veux montrer au roi cette cage brisée ; 6+6 a
Je lui dirai : « Voyez ! je fus méchant aussi ; 6+6 a
Je ne le suis plus, Dieu merci ! 8 a
Au captif innocent j’ai rendu la volée, 6+6 a
Et sa famille consolée 8 a
95 À cette heure est au nid plus heureuse que nous ! 6+6 a
Le même arbre en ses fleurs les couvre et les rassemble : 6+6 b
Chaque famille ainsi doit s’endormir ensemble, 6+6 b
Et nous venons chercher mon père à vos genoux. » 6+6 a
La mère
Écoutez !… par l’appui de quelque voix divine, 6+6 a
100 On dirait que le roi vous plaint et vous devine ; 6+6 a
Car voici votre père, il a tout entendu : 6+6 a
Enfant ! Dieu vous absout, puisqu’il nous est rendu ! 6+6 a
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