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| = césure
DES_1/DES170
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES INÉDITES
MÉLANGES
UN JOUR DE DEUIL
La mère
Rentrons, mes chers enfants ; | de la foule éplorée 6+6 a
Laissons les flots émus | s’écouler loin de nous. 6+6 b
D’une grande douleur | je me sens déchirée : 6+6 a
Notre France est en deuil, | mettez-vous à genoux. 6+6 b
L’enfant
5 Que d’hommes, ô ma mère, | ont passé tout à l’heure ! 6+6 a
De la même tristesse | ils paraissaient souffrir. 6+6 b
D’où vient que tout le monde pleure ? 8 a
Est-ce un roi qui vient de mourir ? 8 b
La mère
C’est un homme, ô mon fils ! | un génie adorable, 6+6 a
10 L’amour d’un peuple immense | et son plus ferme appui ; 6+6 b
C’est de tout notre espoir | la perte irréparable ; 6+6 a
C’est notre gloire éteinte, | elle était toute en lui. 6+6 b
L’enfant
Ô ma mère !
La mère
Ô douleur ! | ô lugubre journée ! 6+6 a
Voyez-vous, mes enfants, | la cité consternée ? 6+6 a
15 Tout un peuple en cortège, | et tous nos toits en deuil, 6+6 a
Et tous ces bras unis | pour porter un cercueil ? 6+6 a
L’enfant
Nous ne les voyons plus ! |
La mère
Non ; sous de sombres voiles 6+6 a
La nuit comme la mort | les dérobe à nos yeux ; 6+6 b
Non, le ciel attristé | ne montre point d’étoiles, 6+6 a
20 Mais des sanglots lointains | dirigent nos adieux. 6+6 b
Ainsi des rois de l’air | les cohortes hardies 6+6 a
Ont suivi dans l’orage | un aigle insurmonté ; 6+6 b
Impatient des cieux | et de la liberté, 6+6 b
Si la foudre a brûlé | ses ailes agrandies, 6+6 a
25 Il tombe ; et, d’un long cri | proclamant leur douleur, 6+6 a
Les bataillons troublés | s’abattent, se confondent ; 6+6 b
Des échos orageux | les soupirs leur répondent, 6+6 b
Et le deuil de la terre | encense leur malheur. 6+6 a
Comme elle a retenti | cette mort éloquente ! 6+6 a
30 Quel cœur n’a tressailli | de son dernier soupir ? 6+6 b
Quelle calamité frappante ! 8 a
Quel courage assez dur | pour ne la point sentir ? 6+6 b
Inclinez-vous, priez | devant cette ombre auguste ! 6+6 a
Tous ses jours sont écrits | dans ce funeste jour. 6+6 b
35 Ah ! jugez si sa voix | était la voix du juste, 6+6 a
Puisqu’elle a pénétré | dans notre humble séjour ! 6+6 b
L’enfant
Vous l’avez donc connu ? |
La mère
Jamais de sa présence 6+6 a
Mes regards attendris | n’ont goûté la douceur. 6+6 b
Il attirait, absent, | notre reconnaissance, 6+6 a
40 Et de son nom lui seul | ignorait la splendeur. 6+6 b
Au sein de sa gloire éclatante 8 a
Son âme n’était pas contente ; 8 a
Il n’obtenait jamais | ce qu’imploraient ses vœux. 6+6 a
Ses vœux étaient si purs ! | son âme était si belle ! 6+6 b
45 L’esprit qu’il combattait | lui restait si rebelle ! 6+6 b
Esprit d’un meilleur monde, | il va nous plaindre aux cieux. 6+6 a
L’enfant
Mère, étiez-vous moins pauvre ? |
La mère
Oui ! j’avais l’espérance ; 6+6 a
J’en palpitais pour vous, | pour notre belle France ; 6+6 a
Enfants ! je vous voyais | libres dans l’avenir. 6+6 a
50 Il n’est plus, rien n’est plus ; | qu’allez-vous devenir ? 6+6 a
L’enfant
Pour qui faut-il prier ? |
La mère
Pour ceux qui lui survivent, 6+6 a
Ceux qu’à la terre encor | de chers liens captivent ; 6+6 a
Pour ses jeunes rameaux | qui croissaient près de lui ; 6+6 a
Pour sa moitié mourante | et qui n’a plus d’appui ! 6+6 a
55 Vous l’avez vu passer | sur un plus beau rivage : 6+6 a
De ses jours courageux | prolongeant les hasards, 6+6 b
Il allait d’un ciel pur | essayer les regards. 6+6 b
Oh ! rappelez-vous bien | les traits de son visage ! 6+6 a
La pâleur de son front | faisait déjà frémir 6+6 a
60 Tous les cœurs qu’à présent | vous entendez gémir. 6+6 a
Sur ses pas chancelants | quelle foule empressée ! 6+6 a
Que d’amour ! sa grande âme | en était oppressée. 6+6 a
N’oubliez pas ce jour, | le plus beau de vos jours ; 6+6 a
Nourrissez-en mes pleurs, | et parlez-m’en toujours ! 6+6 a
L’enfant
65 Toujours je m’en souviens, | ma mère : sur la rive, 6+6 a
Mon père qui courait | m’élevait dans ses bras ; 6+6 b
L’homme qu’on adorait | n’avait point de soldats, 6+6 b
Il avait ses enfants, | et l’on criait : « Qu’il vive ! 6+6 a
Qu’il vive ! il est l’ami | du pauvre vertueux ! » 6+6 a
70 Moi, je criais aussi ; | car je voyais ses yeux 6+6 a
Répondre avec douceur | à ces âmes contentes, 6+6 a
Qui jetaient devant lui | leurs clameurs éclatantes. 6+6 a
On suivit son navire, | on le couvrit de fleurs ; 6+6 a
Il détourna ses yeux | comme en cachant des pleurs. 6+6 a
75 Partout des chants français | appelaient son sourire : 6+6 a
Son sourire était triste ; | il paraissait nous dire : 6+6 a
« Adieu ! vos vœux bientôt | me seront superflus. » 6+6 a
Ma mère ! et c’est donc lui | que je ne verrai plus ? 6+6 a
La mère
Pour la dernière fois | la France l’environne. 6+6 a
80 Riche, pauvre, tout pleure | à ce noble convoi ; 6+6 b
Le méchant devant lui | recule avec effroi, 6+6 b
Devant lui le bonheur | effeuille sa couronne. 6+6 a
Du haut d’un char léger | tristement descendus, 6+6 a
Pâlissant sous les fleurs | qui brillaient sur leur tête, 6+6 b
85 De jeunes fiancés | ont oublié leur fête, 6+6 b
Et dans le deuil public | ils marchent confondus. 6+6 a
Que sur tous, à cette heure, | une femme est à plaindre ! 6+6 a
Quel lien glorieux | se brise dans son cœur ! 6+6 b
Que de femmes naguère | enviaient son bonheur, 6+6 b
90 Et que le bonheur est à craindre ! 8 a
Dans sa gloire funèbre, | oh ! qu’elle doit souffrir ! 6+6 a
Au pied d’un lit désert | sa douleur s’est cachée : 6+6 b
C’est là que, gémissants, | ses enfants l’ont cherchée ; 6+6 b
C’est là que leurs sanglots | l’empêchent de mourir. 6+6 a
L’enfant
Ils sont donc orphelins ? |
La mère
95 On le voit à nos larmes. 6+6 a
Sur son corps immobile | on a posé ses armes, 6+6 a
Ses armes que pour nous | Dieu guida tant de fois, 6+6 a
Avant qu’en ses discours | Dieu répandît sa voix. 6+6 a
L’enfant
Ses enfants ! ses enfants ! |
La mère
La France est leur égide ; 6+6 a
100 Elle couve en son sein | ces fruits faibles encor ; 6+6 b
Ils n’ont que des lauriers, | leur patrie et point d’or. 6+6 b
L’ami du peuple est pauvre, | et sa gloire est rigide. 6+6 a
Nos maux étaient les siens, | nos biens seront les leurs ; 6+6 a
L’offrande jaillira | d’une source innocente ; 6+6 b
105 Et la France reconnaissante 8 b
N’a point de stériles douleurs. 8 a
mètre profils métriques : 8, 6+6
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