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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_1/DES168
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES INÉDITES
MÉLANGES
LA VALLÉE DE LA SCARPE
Mon beau pays, mon frais berceau, 8 a
Air pur de ma verte contrée, 8 b
Lieux où mon enfance ignorée 8 b
Coulait comme un humble ruisseau ; 8 a
5 S’il me reste des jours, | m’en irai-je attendrie 6+6 a
Errer sur vos chemins | qui jettent tant de fleurs , 6+6 b
Replonger tous mes ans | dans une rêverie 6+6 a
Où l’âme n’entend plus | que ce seul mot : « Patrie ! » 6+6 a
Et ne répond que par des pleurs ? 8 b
10 Ciel !… un peu de ma vie | ira-t-elle, paisible, 6+6 a
Se perdre sur la Scarpe | au cristal argenté ? 6+6 b
Cette eau qui m’a portée, | innocente et sensible, 6+6 a
Frémira-t-elle un jour | sous mon sort agité ? 6+6 b
Entendrai-je au rivage, | encor cette harmonie, 6+6 a
15 Ce bruit de l’univers, | cette voie infinie, 6+6 a
Qui parlait sur ma tête | et chantait à la fois 6+6 a
Comme un peuple lointain | répondant à ma voix ? 6+6 a
Quand le dernier rayon | d’un jour qui va s’éteindre 6+6 a
Colore l’eau qui tremble | et qui porte au sommeil, 6+6 b
20 Ô mon premier miroir ! | ô mon plus doux soleil ! 6+6 b
Je vous vois… et jamais | je ne peux vous atteindre ! 6+6 a
Mais cette heure était belle, | et belle sa couleur : 6+6 a
Dans son doux souvenir | un moment reposée, 6+6 b
Elle passe à mon âme | ainsi que la rosée 6+6 b
25 Passe au fond d’une fleur. 6 a
D ’un repentir qui dort | elle suspend la chaîne ; 6+6 a
Pour la goûter en paix | le temps se meut à peine ; 6+6 a
Non, ce n’est pas la nuit, | non, ce n’est pas le jour : 6+6 a
C’est une douce fée, | et je la nomme : Amour ! 6+6 a
30 C’est l’heure où l’âme en vain | détrompée et flétrie 6+6 a
Rappelle en gémissant | l’âme qu’elle a chérie. 6+6 a
Oh ! qui n’a souhaité | redevenir enfant ! 6+6 a
Dans le fond de mon cœur | que je le suis souvent ! 6+6 a
Mais comme un jeune oiseau, | né sous un beau feuillage, 6+6 a
35 Fraîchement balancé | dans l’arbre paternel, 6+6 b
Supposait à sa vie | un printemps éternel, 6+6 b
Et qui voit accourir | l’hiver dans un orage, 6+6 a
J’ai vu tomber la feuille, | au vert pur et joyeux, 6+6 a
Dont le frémissement | plaisait à mon oreille ; 6+6 b
40 Du même arbre aujourd’hui | la fleur n’est plus pareille. 6+6 b
Le temps, déjà le temps | a-t-il touché mes yeux ? 6+6 a
Du moins, là-bas, dans l’ombre, | où par lui tout arrive 6+6 a
Si mes pas chancelants | tombent avant le soir, 6+6 b
Il est doux en fuyant | de regarder la rive 6+6 a
45 Où naguères l’on vint | jouer avec l’espoir. 6+6 b
Là, de la vague enfance | un regret qui sommeille 6+6 a
Dans les fleurs du passé | tout-à-coup se réveille ; 6+6 a
Il reparaît vivant | à nos yeux d’aujourd’hui ; 6+6 a
On tend les bras, on pleure | en passant devant lui ! 6+6 a
50 Ce tendre abattement | vous saisit-il, mon frère, 6+6 a
Le soir, quand vous passez | près du seuil de mon père ? 6+6 a
Croyez-vous voir mon père | assis, calme, rêveur ? 6+6 a
Dites-vous à quelqu’un : | « Elle était là, ma sœur ! » 6+6 a
Eh bien ! racontez-moi | ce qu’on fait dans nos plaines ; 6+6 a
55 Peignez-moi vos plaisirs, | vos jeux, surtout vos peines. 6+6 a
Dans l’église isolée… | où tu m’as dit adieu, 6+6 a
Mon frère, donne encore | à l’aveugle qui prie : 6+6 b
Dis que c’est pour ta sœur ; | dis, pour ta sœur chérie ; 6+6 b
Dis que ta sœur est triste, | et qu’il en parle à Dieu ! 6+6 a
60 Et le vieux prisonnier | de la haute tourelle 6+6 a
Respire-t-il encore | à travers les barreaux ? 6+6 b
Partage-t-il toujours | avec la tourterelle 6+6 a
Son pain, qu’avaient déjà | partagé ses bourreaux ? 6+6 b
Cette fille de l’air, | à la prison vouée, 6+6 a
65 Dont l’aile palpitante | appelait le captif, 6+6 b
Était-ce une âme aimante | au malheur envoyée ? 6+6 a
Était-ce l’espérance | au vol tendre et furtif ? 6+6 b
Oui ; si les vents du nord | chassaient l’oiseau débile, 6+6 a
L’œil perçant du captif | le cherchait jusqu’au soir : 6+6 b
70 De l’espace désert | voyageur immobile, 6+6 a
Il oubliait de vivre ; | il attendait l’espoir. 6+6 b
Car toujours jusqu’au terme | où nous devons atteindre, 6+6 a
Jusqu’au jour qui n’a plus | pour nous de lendemain, 6+6 b
Le flambeau de l’espoir | vacille sans s’éteindre, 6+6 a
75 Comme un rayon qui part | d’une immortelle main. 6+6 b
Et lui, voit-il encor | la froide sentinelle 6+6 a
Attachée en silence | au cercle de ses jours ? 6+6 b
D’une faute expiée | est-ce l’ombre éternelle ? 6+6 a
Sur ses rêves troublés | veille-t-elle toujours ? 6+6 b
80 Regarde-t-il encor | sous sa demeure sombre 6+6 a
Les fleurs ?… Libre du moins, | toi, tu les cueilleras ! 6+6 b
Oh ! que j’ai vu souvent | ses yeux luire dans l’ombre, 6+6 a
Étonnés qu’un enfant | vînt lui tendre les bras ! 6+6 b
Il me montrait ses mains | l’une à l’autre enchaînées ; 6+6 a
85 Je les voyais trembler, | pâles et décharnées. 6+6 a
Au poids de tant de fer | joignait-il un remord ? 6+6 a
Est-il heureux enfin ? | est-il libre ? est-il mort ? 6+6 a
Que j’ai pleuré sa vie ! | Ô Liberté céleste, 6+6 a
Sans toi, mon jeune cœur | étouffait dans mon sein ; 6+6 b
90 Je t’implorais au pied | de ce donjon funeste. 6+6 a
Un jour… as-tu, mon frère, | oublié ce dessein ? 6+6 b
De la déesse un jour | tu me montras l’image. 6+6 a
Ô Dieu ! qu’elle était belle ! | Arrivais-tu des cieux, 6+6 b
Liberté, pour ouvrir | et pour charmer les yeux ? 6+6 b
95 Dans nos temples d’alors | on te rendait hommage ; 6+6 a
Partout l’encens, les fleurs, | l’or mûri des moissons, 6+6 a
Les danses du jeune âge | et les jeunes chansons, 6+6 a
Partout l’étonnement, | le doux rire des Grâces, 6+6 a
Partout la foule émue | à genoux sur tes traces ! 6+6 a
100 Et je voulais courir, | pour le vieux prisonnier, 6+6 a
Te chercher par le monde | où l’on t’avait revue ; 6+6 b
Te demander pourquoi, | dans nos champs revenue, 6+6 b
À bénir ton retour | il était le dernier. 6+6 a
Doux crime d’un enfant ! | clémence aventureuse ! 6+6 a
105 Je t’aime, un jour entier | tu m’as rendue heureuse ! 6+6 a
Toi dont le cœur naïf | y prêta du secours, 6+6 a
Mon frère, dans mes vœux | reconnais-moi toujours. 6+6 a
Que jamais sur ta vie | une grille inflexible 6+6 a
N’étende son voile de fer ! 8 b
110 Sois libre ! et que le sort | content, s’il est possible, 6+6 a
N’ajoute plus tes maux | à ce que j’ai souffert ! 6+6 b
On m’arrêta fuyante ; | et, craintive, à ma mère 6+6 a
Je fus à jointes mains | conduite vers le soir. 6+6 b
Ô mère ! trop heureuse | encor de me revoir, 6+6 b
115 Sa tremblante leçon | ne me fut point amère ; 6+6 a
Car, de mon front coupable | en détachant les fleurs, 6+6 a
Pour cacher son sourire | elle baisa mes pleurs. 6+6 a
J’oubliai mon voyage, | et jamais ta souffrance, 6+6 a
Vieux captif ! et jamais | ton doux nom, Liberté ! 6+6 b
120 Et jamais ton pardon | de mon cœur regretté, 6+6 b
Ma mère ! et ton beau rêve | envolé, belle France ! 6+6 a
Et la leçon : « Ma fille, | où voulez-vous courir ? 6+6 a
Votre idole n’est pas | où vous pensez l’atteindre. 6+6 b
Un flambeau vous éclaire, | et vous alliez l’éteindre : 6+6 b
125 Ce flambeau, c’est ma vie, | et je n’ai qu’à mourir, 6+6 a
Si vous m’abandonnez. | Pour vous, chère ingénue, 6+6 a
Livrée à des regrets | que vous ne savez pas, 6+6 b
Sous le toit déserté, | faible et traînant vos pas, 6+6 b
Trop tard vous seriez revenue. 8 a
130 Vos yeux à peine ouverts | égareront vos jours, 6+6 a
Enfant, si près de moi | vous ne marchez toujours. 6+6 a
« La Liberté, ma fille, | est un ange qui vole. 6+6 a
Pour l’arrêter longtemps | là terre est trop frivole. 6+6 a
Trop d’encens lui déplaît, | trop de cris lui font peur ; 6+6 a
135 Elle étouffe en un temple, | et sa puissante haleine, 6+6 b
Qui cherche les parfums | et l’air pur de la plaine, 6+6 b
Rafraîchit en passant | le front du laboureur. 6+6 a
On dit qu’elle descend | rapide, inattendue ; 6+6 a
Que son aile sur nous | repose détendue… 6+6 a
140 Hélas ! où donc est-elle ? | En vain j’ouvre les yeux ; 6+6 a
En vain, dit-on : « Voyez ! |» Je ne la vois qu’aux cieux. 6+6 a
Loin, bien loin des palais, | au toit du pauvre même, 6+6 a
Où l’on travaille en paix, | où l’on prie, où l’on aime, 6+6 a
Où l’indigence obtient | une obole et des pleurs, 6+6 a
145 La déesse en silence | aime à jeter ses fleurs. 6+6 a
Les fleurs tombent sans bruit, | et de peur de l’envie, 6+6 a
On les effeuille à Dieu, | qui dit : « Cache ta vie. » 6+6 a
Ainsi priez, ma fille, | et marchez près de moi : 6+6 a
Un jour tout sera libre, | et Dieu seul sera roi. » 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6+6, (6)
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