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DES_1/DES165
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES INÉDITES
MÉLANGES
LE RETOUR CHEZ DÉLIE
C’est ici… Pardonnez, je respire avec peine ; 6+6 a
Mes genoux affaiblis me forcent à m’asseoir. 6+6 b
Ici, tous mes secrets vous cherchèrent un soir. 6+6 b
Oh ! que de souvenirs un souvenir ramène ! 6+6 a
5 Ô mémoire du cœur, vous garde-t-on toujours ? 6+6 a
Oui, le temps fane en vain les roses sur nos têtes ; 6+6 b
Le temps éteint toutes les fêtes : 8 b
Il n’éteint pas tous les amours ! 8 a
Trois étés de ces bois ont embaumé l’ombrage, 6+6 a
10 Depuis que, m’exilant sur des rives sans fleurs, 6+6 b
Je n’emportai que le triste courage, 4+6 a
En pleurant, de cacher mes pleurs. 8 b
Ne me reprochez plus ma fuite et mon silence ; 6+6 a
Ne pressez pas mon cœur plein de ces jours amers : 6+6 b
15 Hélas ! quand l’aquilon souffle avec violence, 6+6 a
L’alcyon qui s’envole est morne sur les mers. 6+6 b
Dans mon isolement j’enfermais ma pene ; 6+6 a
Des maux que je fuyais poursuivie et lassée, 6+6 a
D’avance je trnais les maux qui m’attendaient, 6+6 a
20 Et, quand vous m’accusiez, mes larmes répondaient. 6+6 a
Que les bords étrangers sont froids pour la souffrance ! 6+6 a
En vain de doux regards y plaignaient ma langueur, 6+6 b
En vain !… Tous les regards importunent le cœur, 6+6 b
Quand on n’y voit plus l’espérance. 8 a
25 Quel attrait déchirant me fait donc revenir ?… 6+6 a
Ah ! ne le nommez pas ! Souffrez que ma tristesse, 6+6 b
Qui ne veut rien du temps, mais qui craint sa vitesse, 6+6 b
S’arrête sur un souvenir. 8 a
C’est vous ! je vous revois, toujours belle, Délie ! 6+6 a
30 De mes siècles de pleurs à peine un seul moment 6+6 b
Semble avoir dans son vol touché ce front charmant, 6+6 b
Et du Dieu qui me hait vous êtes embellie. 6+6 a
Pour fixer le bonheur avez-vous un secret ? 6+6 a
Ne pouvez-vous pas me l’apprendre ? 8 b
35 Je croyais !… Du bonheur ce que j’ai su comprendre, 6+6 b
C’est qu’on en meurt par le regret. 8 a
Ne vous étonnez plus : en recevant la vie, 6+6 a
De tout ce qu’elle offrait je n’ai vu que l’amour ; 6+6 b
Mon cœur le respirait avec l’air et le jour. 6+6 b
40 À quelque chère idole en tous temps asservie, 6+6 a
Je tombais à genoux pour adorer des fleurs ; 6+6 a
Je me vouais surtout à la plus solitaire ; 6+6 b
Elle me semblait triste, et je sentais des pleurs 6+6 a
S’échapper de mon sein. Aimante avec mystère, 6+6 b
45 Je courais raconter à quelque humble arbrisseau 6+6 a
Ce que j’avais souffert du tourment de l’étude ; 6+6 b
Comme au fond de mon cœur dormait l’inquiétude, 6+6 b
Quand mes heures coulaient au bruit d’un clair ruisseau ! 6+6 a
Qu’ils étaient loin alors ces maîtres sans clémence 6+6 a
50 Qui ne m’apprenaient qu’à frémir ! 8 b
Que Dieu me semblait grand, dans cet espace immense 6+6 a
Où je n’entendais rien gémir ! 8 b
Le timbre dont l’horloge éveillait mes alarmes, 6+6 a
La leçon monotone et les regards grondeurs, 6+6 b
55 Et le livre muet imbibé de mes larmes, 6+6 a
Soleil ! tout se perdait dans tes pures splendeurs ! 6+6 b
Dérobée en furtive aux sévères entraves 6+6 a
De l’école où tremblaient mes compagnes esclaves, 6+6 a
J’étais libre, j’errais, je suspendais mes pas, 6+6 a
60 Je répondais… à qui ? je ne le savais pas ; 6+6 a
Mais un intime accent, toujours, toujours le même, 6+6 a
Me suivait, me parlait, me répétait : « Je t’aime ! » 6+6 a
Et d’avance, à ce mot en tous lieux entendu, 6+6 a
« Je t’aime ! » était le mot que j’avais répondu. 6+6 a
65 Ne riez pas, Délie ! écoutez ! de ma mère 6+6 a
Ayez pour un moment l’indulgente pitié ; 6+6 b
Elle ne riait pas de cette sève amère 6+6 a
Qui de son tendre fruit consumait la moitié. 6+6 b
Mère, elle m’entendait lorsqu’en ses bras penchée, 6+6 a
70 Mes yeux priaient ses yeux de prendre mon secret ; 6+6 b
Peut-être sa pitié, sur mon âme attachée, 6+6 a
Reconnaissait son âme où veillait un regret ; 6+6 b
Car mes jeunes amours n’avaient pas d’inconstance ; 6+6 a
Pour l’arbrisseau chéri j’appelais le printemps ; 6+6 b
75 S’il mourait, à mon existence 8 a
Un doux ombrage, un charme, allait manquer longtemps, 6+6 b
Et je ne chantais plus ; sa verdure fae 6+6 a
Ornait mon front pensif aux jeux bruyants du soir : 6+6 b
Ce n’étaient plus mes jeux ; de leurs cris consternée, 6+6 a
80 J’allais près de ma mère et languir et m’asseoir ; 6+6 b
Et ma mère, en berçant ma fièvre douloureuse, 6+6 a
Disait que l’arbrisseau reverdirait un jour. 6+6 b
Cette fièvre du cœur, c’était déjà l’amour, 6+6 b
Et je ne fus jamais à demi malheureuse. 6+6 a
85 Jugez quand ce fut lui ! quand j’entendis sa voix, 6+6 a
Cet accent retrouvé ! Que suis-je devenue, 6+6 b
Quand je vis mon idole à mes pieds reconnue, 6+6 b
Tous mes rêves épars ressaisis à la fois ? 6+6 a
J’osai me croire aimée : alors toute la terre 6+6 a
90 Tressaillit avec moi, me rapprocha des cieux. 6+6 b
Pour écouter longtemps je sus longtemps me taire, 6+6 a
Et je ne répondis qu’au regard de ses yeux : 6+6 b
J’osai le soutenir, et je perdis mon âme ; 6+6 a
Je ne me souvins plus, je n’attendis plus rien ; 6+6 b
95 L’univers, c’était lui ; lui m’appela son bien ; 6+6 b
Et tout s’anéantit dans notre double flamme. 6+6 a
Les voilà donc ces lieux où je donnai mes jours ! 6+6 a
Rien n’est changé… que lui, dans ce touchant asile ! 6+6 b
C’est le même parfum qui court dans l’air tranquille ! 6+6 b
100 Cette lampe y brûle toujours ! 8 a
Ô Délie ! est-ce que j’ai souri moi-même 6+6 a
À l’objet ado que m’offrait ce miroir ? 6+6 b
Qu’il est beau le miroir qui double ce qu’on aime ! 6+6 a
Ce portrait qui se meut, quel bonheur de le voir ! 6+6 b
105 Je marche où de ses pieds mes pieds pressaient l’empreinte ! 6+6 a
Que de fois, pour tromper l’embarras le plus doux, 6+6 b
Cette harpe, au hasard, parla seule entre nous ! 6+6 b
Mais ces lieux qu’à présent je parcours avec crainte, 6+6 a
Ces parfums, ces flambeaux, ces brillantes couleurs, 6+6 a
110 Ces contrastes de mes douleurs, 8 a
Ces messages riants qu’à vos pieds on envoie, 6+6 a
Tout parle, tout s’empreint d’une alarmante joie, 6+6 a
Et mon cœur… oui, mon cœur entend qu’il va venir : 6+6 a
Cruelle ! et vous vouliez encor me retenir ! 6+6 a
115 Vous me trompiez… Adieu ! Votre main caressante 6+6 a
Ne m’enchnera plus : je suis libre aujourd’hui. 6+6 b
En me réunissant à lui, 8 b
Croyez-vous n’inventer qu’une ruse innocente ? 6+6 a
Je n’ai donc pas souffert ? Regardez-moi ! L’amour 6+6 a
120 N’est donc qu’un mot frivole, un rêve, un badinage, 6+6 b
Un lien sans devoir égarant le jeune âge, 6+6 b
Qu’il brise et reprend tour à tour ? 8 a
Je ne sais ; mais, adieu ! Fière autant que sensible, 6+6 a
Dans l’effroi d’abaisser ma douleur à ses pieds, 6+6 b
125 J’ai fui ; laissez-moi fuir. Quoi ! pour cet inflexible, 6+6 a
C’est vous qui me priez ! 6 b
« Il le veut », dites-vous. Il veut ! toujours le même : 6+6 a
Voilà comme il régnait sur mes esprits confus ; 6+6 b
J’obéissais toujours, mais je disais : « Il m’aime ! » 6+6 a
130 Ose-t-on commander à ceux qu’on n’aime plus ? 6+6 b
Que veut-il ? Mon bonheur ? eh bien ! je suis heureuse. 6+6 a
Je suis calme, je suis… voyez ! je vis encor, 6+6 b
Dans le bruit de la fête apprenez-lui mon sort : 6+6 b
Ménagez bien son âme ; elle est si généreuse ! 6+6 a
135 Et si vous me nommez, choisirez-vous l’instant 6+6 a
Où quelque objet nouveau, brillant et sous les armes, 6+6 b
Fera battre et rêver son cœur déjà content, 6+6 a
Pour dire : « Elle est partie ! Oh ! que j’ai vu de larmes ! » 6+6 b
Si c’est lui qu’il faut plaindre, enfin, je le plaindrai ; 6+6 a
140 Mais, je le sens, jamais je ne le reverrai ! 6+6 a
Le revoir ! ô terreur ! l’entendre ! lui répondre ! 6+6 a
Reconnaître ses yeux qui m’ont donné la mort, 6+6 b
Les voir errer sur moi, sans trouble, sans remord ! 6+6 b
Balbutier son nom, m’égarer, me confondre ! 6+6 a
145 Le revoir ! ô douleur ! sans joie, à mon retour, 6+6 a
Interroger mes traits oubliés dans l’absence, 6+6 b
Et peut-être un moment douter, en ma présence, 6+6 b
S’il m’a connue un jour ! 6 a
Non ! laissez-moi m’enfuir. Que je doute moi-même 6+6 a
150 Si je l’ai vu jamais, si j’existe, si j’aime ! 6+6 a
Ah ! je ne le hais pas, je ne sais point haïr : 6+6 a
Mais, laissez-moi douter… mais laissez-moi m’enfuir ! 6+6 a
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