Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_1/DES145
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES DIVERSES
LES DEUX ABEILLES
À MON ONCLE
Au fond d’une vallée | où s’éveillaient les fleurs, 6+6 a
On vit légèrement | descendre deux abeilles ; 6+6 b
Elles cherchaient des yeux | ces fleurs, tendres merveilles, 6+6 b
Où l’aurore en passant | avait laissé des pleurs. 6+6 a
5 L’herbe brillait | de perles arrosée ; 4+6 a
L’horizon bleu, | les gouttes de rosée, 4+6 a
Sur la colline | une ardente clarté, 4+6 a
Tout annonçait | un jour brûlant d’été, 4+6 a
Tout l’attestait ; | car un jardin rustique 4+6 a
10 Répandait à l’entour | des deux errantes sœurs 6+6 b
De frais parfums, | d’attrayantes douceurs, 4+6 b
Et d’un souffle embaumé | la langueur sympathique. 6+6 a
Toutes deux ont franchi | l’enclos vert du jardin : 6+6 a
« Voyez ! » dit la plus vive, | elle était frêle et blonde, 6+6 b
15 « Voyez que de trésors ! | ce n’est rien que jasmin, 6+6 a
Lilas, rose, et je crois | toutes les fleurs du monde. » 6+6 b
Cette folle suivait | son volage désir, 6+6 a
Aux suaves bouquets | se suspendait à peine, 6+6 b
Prodiguant ses baisers | jusqu’à manquer d’haleine, 6+6 b
20 Disant : « Demain le miel, | aujourd’hui le plaisir ! » 6+6 a
L’autre, plus posément, | savourait les délices 6+6 a
Du banquet préparé | pour les filles de l’air, 6+6 b
Et, prévoyante | aux besoins de l’hiver, 4+6 b
Pour la ruche épuisée | en gardait les prémices. 6+6 a
25 Leurs ailes en tremblaient ; | mais un globe fatal, 6+6 a
Suspendu dans les fleurs | sous la méridienne, 6+6 b
Semble de l’ambroisie | offrir le doux régal 6+6 a
À la jeune épicurienne. 8 b
Sous ce cristal frappé | de tous les feux du ciel, 6+6 a
30 S’échauffe et fermente le miel, 8 a
Innocente liqueur | pour l’homme préparée, 6+6 a
Mais qui donne la mort | à la mouche dorée ; 6+6 a
Sa force s’y consume, | et sa raison s’y perd. 6+6 a
L’abîme transparent | par malheur est ouvert ; 6+6 a
35 L’imprudente n’y voit | qu’un don de la fortune ; 6+6 a
Sa sœur, qui l’en détourne, | est presqu’une importune, 6+6 a
Et, malgré ses conseils, | elle court s’y plonger : 6+6 a
Quand on veut le bonheur, | en voit-on le danger ? 6+6 a
« Par quel charme imposteur | vous êtes asservie, 6+6 a
40 Dit l’autre en soupirant ; | vous me faites pitié ; 6+6 b
Quittez ce doux breuvage, | au nom de l’amitié, 6+6 b
Peut-être, hélas ! | au nom de votre vie ! 4+6 a
Vous ne m’écoutez pas. | Je reviendrai ce soir. 6+6 a
Ô ma sœur ! le travail | est utile à notre âge. 6+6 b
45 Puissé-je ne pas voir | bientôt, chère volage, 6+6 b
Ce que je tremble de prévoir. » 8 a
Elle retourne aux fleurs | avec inquiétude. 6+6 a
Ce beau jour lui paraît | plus lent qu’un autre jour ; 6+6 b
Tout suc lui semble amer, | et sa sollicitude 6+6 a
50 Implore, et croit du soir | avancer le retour. 6+6 b
Enfin à l’horizon | le soleil va s’éteindre ; 6+6 a
Elle vole à sa sœur, | et, tout près de l’atteindre, 6+6 a
L’appelle en la grondant | d’un ton craintif et doux : 6+6 a
« Allons, il se fait tard ; | me voici, venez-vous ? 6+6 a
55 Il n’est plus temps, ma sœur, | je suis trop accablée ; 6+6 a
Je ne puis plus | me sauver de ce lieu. 4+6 b
Je vous regarde encor, | mais ma vue est troublée ; 6+6 a
Mon corps brûle et languit ; | venez me dire adieu, 6+6 b
Je ne puis me mouvoir. | Un grand feu me dévore : 6+6 a
60 Mes ailes, je le sens, | ne peuvent m’emporter ; 6+6 b
Voyez comme je suis ! | mais soyez bonne encore ; 6+6 a
Si mon crime (il est grand ! |) ne peut se racheter, 6+6 b
Ne me haïssez pas, | je n’étais pas méchante : 6+6 a
La volupté trompeuse | égarait ma raison ; 6+6 b
65 Ce breuvage mortel | dont l’ardeur nous enchante, 6+6 a
Que je l’aimais, ma sœur ! | et c’était un poison ! 6+6 b
Je me repens, et je succombe. 8 a
Sous une fleur creusez ma tombe. 8 a
Adieu ! Pourquoi le ciel | créa-t-il le désir, 6+6 a
70 S’il a caché | la mort dans le plaisir ? » 4+6 a
Elle ne parle plus. | Ses ailes s’étendirent, 6+6 a
Ses petits pieds | doucement se raidirent ; 4+6 a
Et sa sœur gémissante | eut peine à s’envoler. 6+6 a
Ce tableau d’un long deuil | accabla sa mémoire ; 6+6 b
75 Elle fut toujours triste, | et jamais, dit l’histoire, 6+6 b
Même au sein du travail | ne put se consoler. 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6+6, 4+6
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