Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
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Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
POÉSIES DIVERSES
LE PÉLICAN
OU LES DEUX MÈRES
Tout perdu dans le soin | de sa jeune famille, 6+6 a
Sur la vague qui passe, | et qui roule, et qui brille, 6+6 a
Un Pélican s’incline, | et saisit les poissons 6+6 a
Qu’il offre en espérance | à ses chers nourrissons. 6+6 a
5 Sans affaire, et livrée | à l’amour d’elle-même, 6+6 a
L’Autruche, en digérant, | vient le long du rocher. 6+6 b
Son repas est fini, | qu’aurait-elle à chercher ? 6+6 b
Elle porte tout ce qu’elle aime. 8 a
« Grand dieu ! d’où venez-vous ? |» dit-elle au tendre oiseau 6+6 a
10 Dont la poitrine | est ouverte et sanglante. 4+6 b
« Sortez-vous d’un combat, | d’un piège, d’un réseau ? 6+6 a
Le coup est-il mortel ? | j’en suis presque tremblante. 6+6 b
Parlez donc ! quelle flèche | ou quel ongle assassin 6+6 a
Vous déchira le sein ? 6 a
15 Vous faites peur. — C’est moi, | c’est un peu de ma vie, 6+6 a
Répond le Pélican | à sa pêche assidu. 6+6 b
Vous allez me porter envie : 8 a
Mes petits avaient faim : | mon sang n’est pas perdu, 6+6 b
Je l’ai versé pour eux. | — Quoi ! dit l’autre irritée, 6+6 a
20 Votre sang !… taisez-vous ! | on ne peut sans horreur 6+6 b
Supporter dans l’amour | cet excès de fureur ; 6+6 b
Il soulève, il repousse, | et j’en suis révoltée. 6+6 a
Vous perdez le bon sens, | vos petits vous tueront, 6+6 a
Et les oiseaux riront. 6 a
25 Laissez ces préjugés | aux tendres tourterelles. 6+6 a
L’amour est un besoin | qu’il est doux d’éprouver, 6+6 b
Mais je n’aurais point d’œufs | s’il fallait les couver. 6+6 b
Quel emploi, quel ennui | d’étendre ainsi les ailes, 6+6 a
De garder la maison, | d’y mourir de chaleur ! 6+6 a
30 L’hymen n’est donc pour vous | qu’un travail, un malheur ? 6+6 a
Se torturer le flanc, | s’appauvrir l’existence, 6+6 a
Mourir, pour satisfaire | à l’importune instance 6+6 a
De petits jeunes dévorants, 8 a
Dont les cris déchirants 6 a
35 Troublent et le somme et la veille ! 8 a
D’en parler seulement | je me blesse l’oreille. 6+6 a
Ce fanatisme fait pitié ; 8 a
Toutefois, s’il est temps, | écoutez l’amitié. 6+6 a
Mon exemple peut vous instruire. 8 a
40 Loin de couver, de me détruire, 8 a
Au hasard je laisse mes œufs : 8 a
Le ciel veille sur moi, | le ciel veille sur eux. 6+6 a
Je ne me charge pas | de ce soin haïssable. 6+6 a
Je suis mère pourtant, | je les couvre de sable. 6+6 a
45 Si la pluie et l’orage, | et les vents tour à tour, 6+6 a
Ne les écrasent pas | avant de naître au jour, 6+6 a
Si le Milan ne les dévore, 8 a
La chaleur du soleil | enfin les fait éclore ; 6+6 a
La nature en prend soin, | et tous les éléments 6+6 a
50 Composent mieux que moi | leurs premiers aliments. 6+6 a
Ils s’envolent alors | et vont chercher fortune. 6+6 a
Je n’ai pas supporté | leur enfance importune. 6+6 a
Ce qu’ils deviennent, je ne sais ; 8 a
Je me porte bien, c’est assez. 8 a
55 — Méchante ! ah ! méchante endurcie ! 8 a
De quel aveuglement | ton âme est obscurcie ! 6+6 a
Tu n’as donc d’une mère | obtenu que le nom ? 6+6 a
Va ! tu glaces mon cœur, | tu blesses ma raison. 6+6 a
Quoi ! te déshériter | des larmes d’une mère, 6+6 a
60 De ses tourments délicieux, 8 b
De ses plaisirs silencieux, 8 b
Où tout est volupté | bien que parfois amère ! 6+6 a
Quand je sens mes petits | s’agiter sous mon sein, 6+6 a
Quand leurs cris me disent : « J’ai faim ! » 8 a
65 Oh ! quel bonheur j’éprouve | à leur donner ma vie ! 6+6 a
Mais ma douce blessure | est promptement guérie. 6+6 a
On dirait que l’extrême amour 8 a
Renaît sans cesse de lui-même : 8 b
On le prodigue en vain, | comme le feu du jour, 6+6 a
70 Il se ranime encor | pour nourrir ce qu’il aime. 6+6 b
Va chercher tes enfants ; | tu me remercîras, 6+6 a
Si tu peux les trouver | et devenir sensible : 6+6 b
Ton sort, au milieu d’eux, | s’écoulera paisible. 6+6 b
Va ! ne crains plus la mort : | sois mère, tu vivras ! » 6+6 a
mètre profils métriques : 8, 6, 6+6, (4+6)
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