Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
DES_1/DES13
Marceline DESBORDES-VALMORE
POÉSIES
1830
IDYLLES
PHILIS
Presse-toi, vieux berger, | tout annonce l’orage. 6+6 a
Le vent courbe les blés, | détruit la fleur sauvage ; 6+6 a
Un murmure plaintif | circule au fond des bois, 6+6 a
Et l’écho me répond | en attristant ma voix. 6+6 a
5 De ton chien prévoyant | la garde est plus austère, 6+6 a
Il rôde, en haletant, | d’un air triste et sévère ; 6+6 a
Du fond de la vallée | il ramène un agneau 6+6 a
Et le chasse en grondant | jusqu’au sein du troupeau. 6+6 a
L’ouragan tourbillonne | et ravage la plaine. 6+6 a
10 L’éclair poursuit l’éclair, | il tonne, il va pleuvoir, 6+6 b
Tout s’efface ; il fait nuit | longtemps avant le soir ; 6+6 b
Et le toit de Philis | ne se voit plus qu’à peine. 6+6 a
Laisse-moi te guider. | Si tu ne peux courir, 6+6 a
Je soutiendrai tes pas. | Ne crains point ma jeunesse ; 6+6 b
15 J’ai déjà quatorze ans ; | j’honore la vieillesse, 6+6 b
Et je suis assez grand, | du moins, pour la chérir. 6+6 a
La petite Philis | t’ouvrira sa chaumière ; 6+6 a
Son père m’a vu naître, | il m’appelle son fils. 6+6 b
Peut-être qu’autrefois | tu connaissais sa mère ; 6+6 a
20 Elle n’est plus… mais viens, | tu connaîtras Philis ! 6+6 b
Oui, berger, c’est Philis | qui m’a dit tout à l’heure : 6+6 a
« Olivier, le ciel gronde ; | on s’enferme au hameau. 6+6 b
Nous sommes à l’abri, | mais au pied du coteau 6+6 b
Je vois un vieux berger ; | qu’il vienne en ma demeure ! 6+6 a
25 Regarde sur son front | voler ses cheveux blancs ; 6+6 a
Comme il lève les yeux | vers le ciel en colère ! 6+6 b
Il se met à genoux… | C’est qu’il a des enfants, 6+6 a
Et qu’il demande au ciel | de leur garder un père ! » 6+6 b
Et Philis de mes mains | a retiré sa main, 6+6 a
30 Et jusqu’au fond du cœur | j’ai cru sentir ses larmes, 6+6 b
Et j’ai couru vers toi. | Mais, au bout du chemin, 6+6 a
Tu verras s’il est doux | de calmer ses alarmes. 6+6 b
Berger, voilà Philis ! | — Elle nous tend les bras : 6+6 a
Vois comme son sourire | est mêlé de tristesse ! 6+6 b
35 Elle songe à sa mère | et pleure de tendresse ; 6+6 b
Sa mère lui sourit… | mais ne lui répond pas ! 6+6 a
Entrons. — Le vieux berger | rêve à ton doux langage, 6+6 a
Philis ; il te regarde, | il est moins abattu. 6+6 b
On est calme avec toi, | même au bruit de l’orage. 6+6 a
40 Ô Philis ! on est bien | auprès de la vertu ! 6+6 b
Tandis que ses moutons, | sous la feuillée obscure, 6+6 a
Arrachent à la terre | une humide verdure, 6+6 a
Je lui raconterai, | pour charmer ta frayeur, 6+6 a
Le plus beau de mes jours, | le jour où je t’ai vue. 6+6 b
45 Si tu crains d’un éclair | la lueur imprévue, 6+6 b
Tant que je parlerai, | cache-toi sur mon cœur. 6+6 a
Cache-toi… Ma Philis | n’avait pas dix années, 6+6 a
Quand le hasard lia | nos âmes étonnées. 6+6 a
Je l’aimai plus que moi, | plus que mon cher agneau 6+6 a
50 Que j’offris à Philis | et qu’elle trouvait beau. 6+6 a
C’était un jour de fête, | et cet agneau volage 6+6 a
S’enfuit, malgré mes cris, | loin de notre village. 6+6 a
Sous ce bouquet de houx, | qui cache une maison, 6+6 a
L’agneau vint se jeter… | Hélas ! qu’il eut raison ! 6+6 a
55 J’y rencontrai Philis ; | je crus la reconnaître ; 6+6 a
Je crus l’avoir aimée | avant même de naître ; 6+6 a
Je sentis que mon cœur | s’enfuyait vers le sien, 6+6 a
Et je vis dans ses yeux | qu’elle attendait le mien. 6+6 a
Elle avait à ses pieds | sa guirlande effeuillée ; 6+6 a
60 Elle pleurait… C’était | une rose mouillée. 6+6 a
Saisi de sa douleur, | je ne pouvais parler ; 6+6 a
Je ne pouvais la joindre, | hélas ! ni m’en aller. 6+6 a
Son œil noir dans les pleurs | brillait comme une étoile, 6+6 a
Ou comme un doux rayon | quand il pleut au soleil. 6+6 b
65 On eût dit que mes yeux | se dégageaient d’un voile 6+6 a
Et que ce doux regard | enchantait mon réveil ! 6+6 b
J’oubliai mon hameau, | mes parents, ma chaumière ; 6+6 a
Mon âme pour la voir | venait sous ma paupière. 6+6 a
J’oubliai de punir | l’agneau capricieux, 6+6 a
70 Je regardais Philis, | et je voyais les cieux. 6+6 a
« Qui t’alarme, lui dis-je, | ô petite bergère ? 6+6 a
As-tu peur d’un bélier | caché dans la bruyère ? 6+6 a
Ou quelque méchant pâtre, | en grossissant sa voix, 6+6 a
Ose-t-il t’empêcher | de courir dans les bois ? 6+6 a
75 Je voudrais… Je voudrais | savoir comme on t’appelle. 6+6 a
Moi, je suis Olivier. | — Je suis Philis, dit-elle. 6+6 a
Je n’ai vu qu’un agneau | qu’appelait un enfant, 6+6 a
Et je n’ai pas eu peur | à la voix d’un méchant. 6+6 a
Mais, en cueillant des fleurs | pour couronner ma tête, 6+6 a
80 Je disais : Ce fut donc | encore un jour de fête, 6+6 a
Puisqu’on m’avait parée | avec de blancs atours, 6+6 a
Que ma mère en priant | s’endormit pour toujours. 6+6 a
Elle avait demandé | le pasteur du village. 6+6 a
Le pasteur avait dit : | « Espérance et courage ! » 6+6 a
85 Il bénit son sommeil, | et, pleurant avec nous, 6+6 a
Parlait bas à mon père | immobile à genoux. 6+6 a
Les bergers pour la voir | entouraient la chaumière. 6+6 a
Son nom, qu’ils aimaient tous, | unissait leur prière. 6+6 a
Sous le même rideau | je voulus me cacher ; 6+6 a
90 Mon père, en gémissant, | put seul m’en détacher. 6+6 a
Vers le soir, dans son lit | un ange vint la prendre ; 6+6 a
Il emporta ma mère, | et je la vis descendre 6+6 a
À travers le sentier | qu’éclairaient deux flambeaux. 6+6 a
On chantait, mais ce chant | m’arrachait des sanglots. 6+6 a
95 Je lui tendais les bras | du haut de la montagne, 6+6 a
Quand je vis des hiboux | voler dans la campagne. 6+6 a
Je n’osai plus crier : | ma voix me faisait peur. 6+6 a
Son nom, qui m’étouffait, | s’enferma dans mon cœur. 6+6 a
L’ombre m’enveloppa : | le reste, je l’ignore. 6+6 a
100 On me trouva plongée | en un profond sommeil. 6+6 b
Hélas ! dans ce sommeil | on pleure, on aime encore. 6+6 a
Il en est un, dit-on, | sans amour, sans réveil ! 6+6 b
Depuis ce jour de fête, | on n’a pas vu ma mère ; 6+6 a
Au sentier, chaque soir, | elle appelle mon père ; 6+6 a
105 Mais, quand je veux savoir | s’il l’a vue en chemin, 6+6 a
Il soupire et me dit : | « Je la verrai demain ! » 6+6 a
Voilà, petit berger, | la cause de mes larmes. 6+6 a
À mon père attristé | je cache mes alarmes ; 6+6 a
Pour lui plaire, souvent | je me pare de fleurs, 6+6 a
110 Et j’apprends à sourire | en retenant mes pleurs. » 6+6 a
Son père l’écoutait | à travers la fenêtre ; 6+6 a
Je le pris pour le mien, | en le voyant paraître. 6+6 a
D’un air triste et content | il sourit à Philis, 6+6 a
Et depuis ce moment | il m’appela son fils. 6+6 a
115 L’agneau sautait près d’elle | et broutait sa couronne. 6+6 a
Hors de moi, je saisis | ce précieux larcin ; 6+6 b
En tremblant de plaisir, | je le mis dans mon sein. 6+6 b
« Si mon agneau te plaît, | prends-le, je te le donne, 6+6 a
Dis-je alors à Philis. | Chaque jour, chaque soir, 6+6 a
120 Si ton père y consent, | je reviendrai le voir. 6+6 a
Il semble qu’il demande | et choisit sa maîtresse ; 6+6 a
Comme il me caressait, | je vois qu’il te caresse. 6+6 a
Les nœuds pour l’arrêter | sont déjà superflus. 6+6 a
Tu lui parles, Philis, | il ne m’écoute plus ! » 6+6 a
125 Son père, en l’embrassant, | nous permit cet échange. 6+6 a
Il fallut m’en aller. | Je courus, sous la grange, 6+6 a
À mes tendres parents | raconter mon bonheur. 6+6 a
Je montrai la guirlande | encore sur mon cœur ; 6+6 a
Je parlais de Philis | et j’embrassais ma mère ; 6+6 a
130 Je brûlais que le jour | nous rendît sa lumière. 6+6 a
En respirant des fleurs | enfin je m’endormis, 6+6 a
Et mon rêve disait : | — Philis ! Philis ! Philis ! 6+6 a
Ce nom charme en tous lieux | mon oreille ravie ; 6+6 a
Il a frappé mon âme | et commencé ma vie ; 6+6 a
135 Mes lèvres, en dormant, | savent le prononcer, 6+6 a
Et, dans l’ombre, ma main | essaie à le tracer. 6+6 a
C’est pour l’unir au mien | que j’apprends à l’écrire… 6+6 a
Éveille-toi, Philis ! | je n’ai plus rien à dire. 6+6 a
Tu peux ouvrir les yeux, | le calme est de retour ; 6+6 a
140 Le soleil épuré | recommence un beau jour ; 6+6 a
Avant de les quitter, | il sèche nos campagnes, 6+6 a
Et de ses derniers feux | redore les montagnes. 6+6 a
Ô berger ! si le ciel | ici t’a fait venir, 6+6 a
C’est que le ciel nous aime, | et qu’il va nous bénir ! 6+6 a
145 Mais tes moutons joyeux | se jettent dans la plaine ; 6+6 a
La pluie et la poussière | ont pénétré leur laine ; 6+6 a
Demain, dans le ruisseau | qui baigne le vallon, 6+6 a
J’irai t’aider moi-même | à blanchir leur toison ; 6+6 a
J’irai… de ma Philis | tu vois venir le père ; 6+6 a
150 Elle court dans ses bras, | et l’atteint la première. 6+6 a
Ô berger, si jamais, | seul et loin de ton fils, 6+6 a
L’orage te surprend, | souviens-toi de Philis ! 6+6 a
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