Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
DEL_2/DEL7
Jacques DELILLE
L'Homme des champs
ou
Les Géorgiques françaises
1800
TROISIÈME CHANT
Que j'aime le mortel, noble dans ses penchans, 6+6 a
Qui cultive à la fois son esprit et ses champs ! 6+6 a
Lui seul jouit de tout. Dans sa triste ignorance 6+6 b
Le vulgaire voit tout avec indifférence : 6+6 b
5 Des desseins du grand être atteignant la hauteur, 6+6 a
Il ne sait point monter de l'ouvrage à l'auteur. 6+6 a
Non, ce n'est pas pour lui qu'en ses tableaux si vastes 6+6 b
Le grand peintre forma d'harmonieux contrastes. 6+6 b
Il ne sait pas comment, dans ses secrets canaux, 6+6 a
10 De la racine au tronc, du tronc jusqu'aux rameaux, 6+6 a
Des rameaux au feuillage accourt la sève errante ; 6+6 b
Comment naît des cristaux la masse transparente, 6+6 b
L'union, les reflets et le jeu des couleurs. 6+6 a
Étranger à ses bois, étranger à ses fleurs, 6+6 a
15 Il ne sait point leurs noms, leurs vertus, leur famille. 6+6 b
D'une grossière main il prend dans la charmille 6+6 b
Ses fils au rossignol, au printemps ses concerts. 6+6 a
Le sage seul, instruit des lois de l'univers, 6+6 a
Sait gter dans les champs une volupté pure : 6+6 b
20 C'est pour l'ami des arts qu'existe la nature. 6+6 b
Vous donc, quand des travaux ou des soins importans 6+6 a
Du bonheur domestique ont rempli les instans, 6+6 a
Cherchez autour de vous de riches connoissances 6+6 b
Qui, charmant vos loisirs, doublent vos jouissances. 6+6 b
25 Trois règnes à vos yeux étalent leurs secrets. 6+6 a
Un maître doit toujours connoître ses sujets : 6+6 a
Observez les trésors que la nature assemble. 6+6 b
Venez ; marchons, voyons, et jouissons ensemble. 6+6 b
Dans ces aspects divers que de variété ! 6+6 a
30 Là tout est élégance, harmonie et beauté. 6+6 a
C'est la molle épaisseur de la fraîche verdure ; 6+6 b
C'est de mille ruisseaux le caressant murmure, 6+6 b
Des coteaux arrondis, des bois majestueux 6+6 a
Et des antres rians l'abri voluptueux. 6+6 a
35 Ici d'affreux débris, des crévasses affreuses, 6+6 b
Des ravages du temps empreintes désastreuses ; 6+6 b
Un sable infructueux, aux vents abandonné ; 6+6 a
Des rebelles torrens le cours désordonné ; 6+6 a
La ronce, la bruyère et la mousse sauvage, 6+6 b
40 Et d'un sol dévasté l'épouvantable image. 6+6 b
Partout des biens, des maux, des fléaux, des bienfaits ! 6+6 a
Pour en interpréter les causes, les effets, 6+6 a
Vous n'aurez point recours à ce double génie, 6+6 b
Dont l'un veut le désordre, et l'autre l'harmonie : 6+6 b
45 Pour vous développer ces mystères profonds, 6+6 a
Venez, le vrai génie est celui des Buffons. 6+6 a
Autrefois, disent-ils, un terrible déluge, 6+6 b
Laissant l'onde sans frein et l'homme sans refuge, 6+6 b
Répandit, confondit en une vaste mer, 6+6 a
50 Et les eaux de la terre et les torrens de l'air ; 6+6 a
Où s'élevoient des monts, étendit des campagnes ; 6+6 b
Où furent des vallons, éleva des montagnes ; 6+6 b
Joignit deux continens dans les mêmes tombeaux ; 6+6 a
Du globe déchi dispersa les lambeaux ; 6+6 a
55 Lança l'eau sur la terre et la terre dans l'onde, 6+6 b
Et roula le chaos sur les débris du monde. 6+6 b
De là ces grands amas dans la terre enfermés, 6+6 a
Ces bois, noirs alimens des volcans enflammés, 6+6 a
Et ces énormes lits, ces couches intestines, 6+6 b
60 Qui d'un monde sur l'autre entassent les ruines. 6+6 b
Ailleurs d'autres dépôts se présentent à vous, 6+6 a
Formés plus lentement par des moyens plus doux. 6+6 a
Les fleuves, nous dit-on, dans leurs errantes courses, 6+6 b
En apportant aux mers les tributs de leurs sources, 6+6 b
65 Entrnèrent des corps l'un à l'autre étrangers, 6+6 a
Quelques-uns plus pesans, les autres plus légers. 6+6 a
Les uns au fond de l'eau tout à coup se plongèrent ; 6+6 b
Quelque temps suspendus les autres surnagèrent, 6+6 b
De là précipités dans l'humide séjour, 6+6 a
70 Sur ces premiers dépôts s'assirent à leur tour. 6+6 a
Des couches de limon sur eux se répandirent, 6+6 b
Sur ces lits étendus d'autres lits s'étendirent ; 6+6 b
Des arbustes sur eux gravèrent leurs rameaux, 6+6 a
Non brisés par des chocs, non dissous par les eaux, 6+6 a
75 Mais dans leur forme pure. En vain leurs caractères 6+6 b
Semblent offrir aux yeux des plantes étrangères, 6+6 b
Que des fleuves, des lacs et des mers en courroux 6+6 a
Le roulement affreux apporta parmi nous : 6+6 a
Leurs traits inaltérés, les couches plus profondes 6+6 b
80 Des lits que de la mer ont arrêtés les ondes ; 6+6 b
Souvent deux minces lits, léger travail des eaux, 6+6 a
L'un sur l'autre sculptés par les mêmes rameaux ; 6+6 a
Tout d'une cause lente annonce aux yeux l'ouvrage. 6+6 b
Ainsi, sans recourir à tout ce grand ravage, 6+6 b
85 Le sage ne voit plus que des effets constans, 6+6 a
Le cours de la nature et la marche du temps. 6+6 a
Mais j'aperçois d'ici les débris d'un village : 6+6 b
D'un désastre fameux tout annonce l'image. 6+6 b
Quels malheurs l'ont produit ? Avançons, consultons 6+6 a
90 Les lieux et les vieillards de ces tristes cantons. 6+6 a
Dans les concavités de ces roches profondes, 6+6 b
Où des fleuves futurs l'air déposoit les ondes, 6+6 b
L'eau, parmi les rochers se filtrant lentement, 6+6 a
De ces grands réservoirs mina le fondement. 6+6 a
95 Les voûtes, tout à coup à grand bruit écroues, 6+6 b
Remplirent ces bassins, et les eaux refoues, 6+6 b
Se soulevant en masse et brisant leurs remparts, 6+6 a
Avec les bois, les rocs et leurs débris épars, 6+6 a
Des hameaux, des cités trnèrent les ruines. 6+6 b
100 Leur cours se lit encore au creux de ces ravines, 6+6 b
Et l'hermite du lieu, sur un décombre assis, 6+6 a
Aux voyageurs encore en fait de longs récits. 6+6 a
Ailleurs ces noirs sommets dans le fond des campagnes 6+6 b
Versèrent tout à coup leurs liquides montagnes, 6+6 b
105 Et le débordement de leurs bruyantes eaux 6+6 a
Forma de nouveaux lacs et des courans nouveaux. 6+6 a
Voyez-vous ce mont chauve et dépouillé de terre, 6+6 b
À qui fait l'aquilon une éternelle guerre ? 6+6 b
L'olympe pluvieux, de son front escarpé 6+6 a
110 Détachant le limon par ses eaux détrempé, 6+6 a
L'emporta dans les champs, et de sa cime nue 6+6 b
Laissa les noirs sommets se perdre dans la nue : 6+6 b
L'œil s'afflige à l'aspect de ses rochers hideux. 6+6 a
Poursuivons, descendons de ces sauvages lieux ; 6+6 a
115 Des terrains variés marquons la différence. 6+6 b
Voyons comment le sol, dont la simple substance, 6+6 b
Sur les monts primitifs où les dieux l'ont jeté, 6+6 a
Conserve, vierge encor, toute sa pureté, 6+6 a
S'altère en descendant des montagnes aux plaines. 6+6 b
120 De nuance en nuance et de veines en veines 6+6 b
L'observateur le suit d'un regard curieux. 6+6 a
Tantôt de l'ouragan c'est le cours furieux. 6+6 a
Terrible, il prend son vol, et dans des flots de poudre 6+6 b
Part, conduisant la nuit, la tempête et la foudre ; 6+6 b
125 Balaie, en se jouant, et forêt et cité ; 6+6 a
Refoule dans son lit le fleuve épouvanté ; 6+6 a
Jusqu'au sommet des monts lance la mer profonde, 6+6 b
Et tourmente en courant les airs, la terre et l'onde : 6+6 b
De là sous d'autres champs ces champs ensevelis, 6+6 a
130 Ces monts changeant de place, et ces fleuves de lits ; 6+6 a
Et la terre sans fruits, sans fleurs et sans verdure, 6+6 b
Pleure en habits de deuil sa riante parure. 6+6 b
Non moins impétueux et non moins dévorans, 6+6 a
Les feux ont leur tempête et l'Etna ses torrens. 6+6 a
135 La terre dans son sein, épouvantable gouffre, 6+6 b
Nourrit de noirs amas de bitume et de soufre, 6+6 b
Enflamme l'air et l'onde, et de ses propres flancs 6+6 a
Sur ses fruits et ses fleurs vomit des flots bouillans : 6+6 a
Emblème trop frappant des ardeurs turbulentes, 6+6 b
140 Dans le volcan de l'âme incessamment brûlantes, 6+6 b
Et qui, sortant soudain de l'abyme des cœurs, 6+6 a
Dévorent de la vie et les fruits et les fleurs. 6+6 a
Ces rocs tout calcinés, cette terre noirâtre, 6+6 b
Tout d'un grand incendie annonce le théâtre. 6+6 b
145 Là grondoit un volcan : ses feux sont assoupis ; 6+6 a
Flore y donne des fleurs et Cérès des épis. 6+6 a
Sur l'un de ses côtés son désastre s'efface, 6+6 b
Mais la pente opposée en garde encor la trace. 6+6 b
C'est ici que la lave en longs torrens coula ; 6+6 a
150 Voici le lit profond où le fleuve roula, 6+6 a
Et plus loin à longs flots sa masse répandue 6+6 b
Se refroidit soudain et resta suspendue. 6+6 b
Dans ce désastre affreux quels fleuves ont tari ! 6+6 a
Quels sommets ont croulé, quels peuples ont péri ! 6+6 a
155 Les vieux âges l'ont su, l'âge présent l'ignore ; 6+6 b
Mais de ce grand fléau la terreur dure encore. 6+6 b
Un jour, peut-être, un jour, les peuples de ces lieux 6+6 a
Que l'horrible volcan inonda de ses feux, 6+6 a
Heurtant avec le soc des restes de murailles, 6+6 b
160 Découvriront ce gouffre, et, creusant ses entrailles, 6+6 b
Contempleront au loin avec étonnement 6+6 a
Des hommes et des arts ce profond monument ; 6+6 a
Cet aspect si nouveau des demeures antiques ; 6+6 b
Ces cirques, ces palais, ces temples, ces portiques ; 6+6 b
165 Ces gymnases du sage autrefois fréquentés, 6+6 a
D'hommes qui semblent vivre encor tout habités : 6+6 a
Simulacres légers, prêts à tomber en poudre, 6+6 b
Tous gardant l'attitude où les surprit la foudre ; 6+6 b
L'un enlevant son fils, l'autre emportant son or, 6+6 a
170 Cet autre ses écrits, son plus riche trésor ; 6+6 a
Celui-ci dans ses mains tient son dieu tutélaire ; 6+6 b
L'autre, non moins pieux, s'est chargé de son père ; 6+6 b
L'autre, paré de fleurs et la coupe à la main, 6+6 a
A vu sa dernière heure et son dernier festin. 6+6 a
175 Gloire, honneur à Buffon, qui, pour guider nos sages, 6+6 b
Éleva sept fanaux sur l'océan des âges, 6+6 b
Et, noble historien de l'antique univers, 6+6 a
Nous peignit à grands traits ces changemens divers ! 6+6 a
Mais il quitta trop peu sa retraite profonde : 6+6 b
180 Des bosquets de Monbar Buffon jugeoit le monde ; 6+6 b
À des yeux étrangers se confiant en vain, 6+6 a
Il vit peu par lui-même, et, tel qu'un souverain, 6+6 a
De loin et sur la foi d'une vaine peinture 6+6 b
Par ses ambassadeurs courtisa la nature. 6+6 b
185 Ô ma chère patrie ! ô champs délicieux 6+6 a
Où les fastes du temps frappent partout les yeux ! 6+6 a
Oh ! S'il eût parcouru cette belle Limagne, 6+6 b
Qu'il eût joui de voir dans la même campagne 6+6 b
Trois âges de volcans que distinguent entr'eux 6+6 a
190 Leurs courans, leurs foyers, et des siècles nombreux ! 6+6 a
La mer couvrit les uns par des couches profondes, 6+6 b
D'autres ont recouvert le vieux séjour des ondes. 6+6 b
L'un d'une côte à l'autre étendit ses torrens ; 6+6 a
L'autre en fleuve de feu versa ses flots errans 6+6 a
195 Dans ces fonds qu'a creusés la longue main des âges. 6+6 b
En voyant du passé ces sublimes images, 6+6 b
Ces grands foyers éteints dans des siècles divers, 6+6 a
Des mers sur des volcans, des volcans sur des mers, 6+6 a
Vers l'antique chaos notre âme est repoussée, 6+6 b
200 Et des âges sans fin pèsent sur la pene. 6+6 b
Mais sans quitter vos monts et vos vallons chéris, 6+6 a
Voyez d'un marbre u le plus mince débris : 6+6 a
Quel riche monument ! De quelle grande histoire 6+6 b
Ses révolutions conservent la mémoire ! 6+6 b
205 Composé des dépôts de l'empire animé, 6+6 a
Par la destruction ce marbre fut formé. 6+6 a
Pour créer les débris dont les eaux le pétrirent, 6+6 b
De générations quelles foules périrent ! 6+6 b
Combien de temps sur lui l'océan a coulé ! 6+6 a
210 Que de temps dans leur sein les vagues l'ont roulé ! 6+6 a
En descendant des monts dans ses profonds abymes, 6+6 b
L'océan autrefois le laissa sur leurs cimes ; 6+6 b
L'orage dans les mers de nouveau le porta ; 6+6 a
De nouveau sur ses bords la mer le rejeta, 6+6 a
215 Le reprit, le rendit : ainsi, rongé par l'âge, 6+6 b
Il endura les vents et les flots et l'orage. 6+6 b
Enfin, de ces grands monts humble contemporain, 6+6 a
Ce marbre fut un roc, ce roc n'est plus qu'un grain ; 6+6 a
Mais, fils du temps, de l'air, de la terre et de l'onde, 6+6 b
220 L'histoire de ce grain est l'histoire du monde. 6+6 b
Et quelle source encor d'études, de plaisirs, 6+6 a
Va de pensers sans nombre occuper vos loisirs, 6+6 a
Si la mer elle-même et ses vastes domaines 6+6 b
Vous offrent de plus près leurs riches phénomènes ! 6+6 b
225 Ô mer, terrible mer, quel homme à ton aspect 6+6 a
Ne se sent pas saisi de crainte et de respect ! 6+6 a
De quelle impression tu frappas mon enfance ! 6+6 b
Mais alors je ne vis que ton espace immense : 6+6 b
Combien l'homme et ses arts t'agrandissent encor ! 6+6 a
230 Là le génie humain prit son plus noble essor. 6+6 a
Tous ces nombreux vaisseaux suspendus sur ses ondes 6+6 b
Sont le nœud des états, les courriers des deux mondes. 6+6 b
Comme elle à son aspect vos pensers sont profonds. 6+6 a
Tantôt vous demandez à ces gouffres sans fonds 6+6 a
235 Les débris disparus des nations guerrières, 6+6 b
Leur or, leurs bataillons et leurs flottes entières : 6+6 b
Tantôt, avec Linnée enfoncé sous les eaux, 6+6 a
Vous cherchez ces forêts de fucus, de roseaux, 6+6 a
De la flore des mers invisible héritage, 6+6 b
240 Qui ne viennent à nous qu'apportés par l'orage ; 6+6 b
Éponges, polypiers, madrépores, coraux, 6+6 a
Des insectes des mers miraculeux travaux. 6+6 a
Que de fleuves obscurs y dérobent leur source ! 6+6 b
Que de fleuves fameux y terminent leur course ! 6+6 b
245 Tantôt avec effroi vous y suivez de l'œil 6+6 a
Ces monstres qui de loin semblent un vaste écueil. 6+6 a
Souvent avec Buffon vos yeux y viennent lire 6+6 b
Les révolutions de ce bruyant empire, 6+6 b
Ses courans, ses reflux, ces grands événemens 6+6 a
250 Qui de l'axe incli suivent les mouvemens ; 6+6 a
Tous ces volcans éteints, qui du sein de la terre 6+6 b
Jadis alloient aux cieux défier le tonnerre ; 6+6 b
Ceux dont le foyer brûle au sein des flots amers, 6+6 a
Ceux dont la voûte ardente est la base des mers, 6+6 a
255 Et qui peut-être un jour sur les eaux écumantes 6+6 b
Vomiront des rochers et des îles fumantes. 6+6 b
Peindrai-je ces vieux caps, sur les ondes pendans ; 6+6 a
Ces golfes qu'à leur tour rongent les flots grondans ; 6+6 a
Ces monts ensevelis sous ces voûtes obscures, 6+6 b
260 Les Alpes d'autrefois et les Alpes futures ; 6+6 b
Tandis que ces vallons, ces monts que voit le jour, 6+6 a
Dans les profondes eaux vont rentrer à leur tour ? 6+6 a
Échanges éternels de la terre et de l'onde, 6+6 b
Qui semblent lentement se disputer le monde ! 6+6 b
265 Ainsi l'ancre s'attache où paissoient les troupeaux ; 6+6 a
Ainsi roulent des chars où voguoient des vaisseaux ! 6+6 a
Et le monde, vieilli par la mer qui voyage, 6+6 b
Dans l'abyme des temps s'en va cacher son âge. 6+6 b
Après les vastes mers et leurs mouvans tableaux, 6+6 a
270 Vous aimerez à voir les fleuves, les ruisseaux ; 6+6 a
Non point ceux qu'ont chantés tous ces rimeurs si fades 6+6 b
De qui les vers usés ont vieilli leurs nayades, 6+6 b
Mais ceux de qui les eaux présentent à vos yeux 6+6 a
Des effets nobles, grands, rares ou curieux. 6+6 a
275 Tantôt dans son berceau vous recherchez leur source ; 6+6 b
Tantôt dans ses replis vous observez leur course, 6+6 b
Comme, d'un bord à l'autre errans en longs détours, 6+6 a
D'angles creux ou saillans chacun marque son cours. 6+6 a
Dirai-je ces ruisseaux, ces sources, ces fontaines, 6+6 b
280 Qui de nos corps souffrans adoucissent les peines ? 6+6 b
Là, de votre canton doux et tristes tableaux, 6+6 a
La joie et la douleur, les plaisirs et les maux, 6+6 a
Vous font chaque printemps leur visite annuelle : 6+6 b
Là, mêlant leur gté, leur plainte mutuelle, 6+6 b
285 Viennent de tous côtés, exacts au rendez-vous, 6+6 a
Des vieillards éclopés, un jeune essaim de foux. 6+6 a
Dans le même salon là viennent se confondre 6+6 b
La belle vaporeuse et le triste hypocondre : 6+6 b
Lise y vient de son teint rafrchir les couleurs ; 6+6 a
290 Le guerrier, de sa plaie adoucir les douleurs ; 6+6 a
Le gourmand, de sa table expier les délices. 6+6 b
Au dieu de la san tous font leurs sacrifices. 6+6 b
Tous, lassant de leurs maux valets, amis, voisins, 6+6 a
Veulent être guéris, mais surtout être plaints. 6+6 a
295 Le matin voit errer l'essaim mélancolique ; 6+6 b
Le soir, le jeu, le bal, les festins, la musique, 6+6 b
Mêlent à mille maux mille plaisirs divers : 6+6 a
On croit voir l'élysée au milieu des enfers. 6+6 a
Mais laissant là la foule et ses bruyantes scènes, 6+6 b
300 Reprenons notre course autour de vos domaines, 6+6 b
Et du palais magique où se rendent les eaux 6+6 a
Ensemble remontons aux lieux de leurs berceaux, 6+6 a
Vers ces monts, de vos champs dominateurs antiques. 6+6 b
Quels sublimes aspects, quels tableaux romantiques ! 6+6 b
305 Sur ces vastes rochers, confusément épars, 6+6 a
Je crois voir le génie appeler tous les arts. 6+6 a
Le peintre y vient chercher, sous des teintes sans nombre, 6+6 b
Les jets de la lumière et les masses de l'ombre : 6+6 b
Le poëte y conçoit de plus sublimes chants : 6+6 a
310 Le sage y voit des mœurs les spectacles touchans. 6+6 a
Des siècles autour d'eux ont passé comme une heure, 6+6 b
Et l'aigle et l'homme libre en aiment la demeure ; 6+6 b
Et vous, vous y venez, d'un œil observateur, 6+6 a
Admirer dans ses plans l'éternel créateur. 6+6 a
315 Là le temps a tra les annales du monde. 6+6 b
Vous distinguez ces monts, lents ouvrages de l'onde ; 6+6 b
Ceux que des feux soudains ont lancés dans les airs, 6+6 a
Et les monts primitifs nés avec l'univers ; 6+6 a
Leurs lits si variés, leur couche verticale, 6+6 b
320 Leurs terrains inclinés, leur forme horizontale ; 6+6 b
Du hasard et du temps travail mystérieux ! 6+6 a
Tantôt vous parcourez d'un regard curieux 6+6 a
De leurs rochers pendans l'informe amphithéâtre, 6+6 b
L'ouvrage des volcans, le basalte noirâtre, 6+6 b
325 Le granit par les eaux lentement façonné, 6+6 a
Et les feuilles du schiste et le marbre veiné. 6+6 a
Vous fouillez dans leur sein, vous percez leur structure, 6+6 b
Vous y voyez empreints Dieu, l'homme et la nature : 6+6 b
La nature, tantôt riante en tous ses traits, 6+6 a
330 De verdure et de fleurs égayant ses attraits ; 6+6 a
Tantôt mâle, âpre et forte, et dédaignant les grâces, 6+6 b
Fière, et du vieux chaos gardant encor les traces. 6+6 b
Ici, modeste encore au sortir du berceau, 6+6 a
Glisse en minces filets un timide ruisseau ; 6+6 a
335 Là s'élance en grondant la cascade écumante ; 6+6 b
Là le zéphyr caresse, ou l'aquilon tourmente. 6+6 b
Vous y voyez unis des volcans, des vergers, 6+6 a
Et l'écho du tonnerre, et l'écho des bergers ; 6+6 a
Ici de frais vallons, une terre féconde ; 6+6 b
340 Là des rocs décharnés, vieux ossemens du monde ; 6+6 b
À leur pied le printemps, sur leurs fronts les hivers. 6+6 a
Salut, pompeux Jura ! Terrible Montanverts ! 6+6 a
De neiges, de glaçons, entassemens énormes ; 6+6 b
Du temple des frimats colonnades informes ! 6+6 b
345 Prismes éblouissans, dont les pans azurés, 6+6 a
Défiant le soleil dont ils sont colorés, 6+6 a
Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse, 6+6 b
Tandis que, triomphant sur son trône de glace, 6+6 b
L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour 6+6 a
350 Embellir son palais et décorer sa cour ! 6+6 a
Non, jamais, au milieu de ces grands phénomènes, 6+6 b
De ces tableaux touchans, de ces terribles scènes, 6+6 b
L'imagination ne laisse dans ces lieux 6+6 a
Ou languir la pensée ou reposer les yeux. 6+6 a
355 Malheureux cependant les mortels téméraires 6+6 b
Qui viennent visiter ces horreurs solitaires, 6+6 b
Si par un bruit prudent de tous ces noirs frimats 6+6 a
Leurs tubes enflammés n'interrogent l'amas ! 6+6 a
Souvent un grand effet naît d'une foible cause. 6+6 b
360 Souvent sur ces hauteurs l'oiseau qui se repose 6+6 b
Détache un grain de neige. À ce léger fardeau 6+6 a
Des grains dont il s'accroît se joint le poids nouveau ; 6+6 a
La neige autour de lui rapidement s'amasse ; 6+6 b
De moment en moment il augmente sa masse : 6+6 b
365 L'air en tremble, et soudain, s'écroulant à la fois, 6+6 a
Des hivers entassés l'épouvantable poids 6+6 a
Bondit de roc en roc, roule de cime en cime, 6+6 b
Et de sa chute immense ébranle au loin l'abyme. 6+6 b
Les hameaux sont détruits, et les bois emportés ; 6+6 a
370 On cherche en vain la place où furent les cités, 6+6 a
Et sous le vent lointain de ces Alpes qui tombent, 6+6 b
Avant d'être frappés, les voyageurs succombent. 6+6 b
Ainsi quand des excès, suivis d'excès nouveaux, 6+6 a
D'un état par degrés ont préparé les maux, 6+6 a
375 De malheur en malheur sa chute se consomme ; 6+6 b
Tyr n'est plus, Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome ! 6+6 b
Ô France, ô ma patrie ! ô séjour de douleurs ! 6+6 a
Mes yeux à ces pensers se sont mouillés de pleurs. 6+6 a
Vos pas sont-ils lassés de ces sites sauvages ? 6+6 b
380 Eh bien ! Redescendez dans ces frais paysages. 6+6 b
Là le long des vallons, au bord des clairs ruisseaux, 6+6 a
De fertiles vergers, d'aimables arbrisseaux, 6+6 a
Et des arbres pompeux et des fleurs odorantes, 6+6 b
Viennent vous étaler leurs races différentes. 6+6 b
385 Quel nouvel intérêt ils donnent à vos champs ! 6+6 a
Observez leurs couleurs, leurs formes, leurs penchans, 6+6 a
Leurs amours, leurs hymens, la greffe et ses prodiges ; 6+6 b
Comment, des sauvageons civilisant les tiges, 6+6 b
L'art corrige leurs fruits, leur prête des rameaux, 6+6 a
390 Et peuple ces vergers de citoyens nouveaux ; 6+6 a
Comment, dans les canaux où sa course s'achève, 6+6 b
Dans ses balancemens monte et descend la sève ; 6+6 b
Comment le suc, enfin, de la même liqueur 6+6 a
Forme le bois, la feuille, et le fruit et la fleur. 6+6 a
395 Et les humbles tribus, le peuple immense d'herbes 6+6 b
Qu'effleure l'ignorant de ses regards superbes, 6+6 b
N'ont-ils pas leurs beautés et leurs bienfaits divers ? 6+6 a
Le même dieu créa la mousse et l'univers. 6+6 a
De leurs secrets pouvoirs connoissez les mystères, 6+6 b
400 Leurs utiles vertus, leurs poisons salutaires. 6+6 b
Par eux autour de vous rien n'est inhabité, 6+6 a
Et même le désert n'est jamais sans beauté. 6+6 a
Souvent, pour visiter leurs riantes peuplades, 6+6 b
Vous dirigez vers eux vos douces promenades, 6+6 b
405 Soit que vous parcouriez les coteaux de Marli, 6+6 a
Ou le riche Meudon, ou le frais Chantilli. 6+6 a
Et voulez-vous encore embellir le voyage ? 6+6 b
Qu'une troupe d'amis avec vous le partage : 6+6 b
La peine est plus légère et le plaisir plus doux. 6+6 a
410 Le jour vient, et la troupe arrive au rendez-vous. 6+6 a
Ce ne sont point ici de ces guerres barbares, 6+6 b
Où les accens du cor et le bruit des fanfares 6+6 b
Épouvantent de loin les hôtes des forêts. 6+6 a
Paissez, jeunes chevreuils, sous vos ombrages frais ; 6+6 a
415 Oiseaux, ne craignez rien : ces chasses innocentes 6+6 b
Ont pour objet les fleurs, les arbres et les plantes ; 6+6 b
Et des prés et des bois, et des champs et des monts 6+6 a
Le porte-feuille avide attend déjà les dons. 6+6 a
On part : l'air du matin, la frcheur de l'aurore 6+6 b
420 Appellent à l'envi les disciples de Flore. 6+6 b
Jussieu marche à leur tête ; il parcourt avec eux 6+6 a
Du règne végétal les nourrissons nombreux. 6+6 a
Pour tenter son savoir quelquefois leur malice 6+6 b
De plusieurs végétaux compose un tout factice. 6+6 b
425 Le sage l'aperçoit, sourit avec bonté, 6+6 a
Et rend à chaque plant son débris emprunté. 6+6 a
Chacun dans sa recherche à l'envi se signale ; 6+6 b
Étamine, pistil, et corolle et pétale, 6+6 b
On interroge tout. Parmi ces végétaux 6+6 a
430 Les uns vous sont connus, d'autres vous sont nouveaux 6+6 a
Vous voyez les premiers avec reconnoissance, 6+6 b
Vous voyez les seconds des yeux de l'espérance ; 6+6 b
L'un est un vieil ami qu'on aime à retrouver, 6+6 a
L'autre est un inconnu que l'on doit éprouver. 6+6 a
435 Et quel plaisir encor lorsque des objets rares, 6+6 b
Dont le sol, le climat et le ciel sont avares, 6+6 b
Rendus par votre attente encor plus précieux, 6+6 a
Par un heureux hasard se montrent à vos yeux ! 6+6 a
Voyez quand la pervenche, en nos champs ignoe, 6+6 b
440 Offre à Rousseau sa fleur si long-temps désie ! 6+6 b
La pervenche, grand dieu ! La pervenche ! Soudain 6+6 a
Il la couve des yeux ; il y porte la main, 6+6 a
Saisit sa douce proie : avec moins de tendresse 6+6 b
L'amant voit, reconnoît, adore sa mtresse. 6+6 b
445 Mais le besoin commande : un champêtre repas, 6+6 a
Pour ranimer leur force, a suspendu leurs pas ; 6+6 a
C'est au bord des ruisseaux, des sources, des cascades. 6+6 b
Bacchus se rafrchit dans les eaux des Nayades. 6+6 b
Des arbres pour lambris, pour tableaux l'horison, 6+6 a
450 Les oiseaux pour concert, pour table le gazon ! 6+6 a
Le laitage, les œufs, l'abricot, la cerise, 6+6 b
Et la fraise des bois, que leurs mains ont conquise, 6+6 b
Voilà leurs simples mets ; grâce à leurs doux travaux 6+6 a
Leur appétit insulte à tout l'art des méots. 6+6 a
455 On fête, on chante Flore et l'antique Cybèle, 6+6 b
Éternellement jeune, éternellement belle. 6+6 b
Leurs discours ne sont pas tous ces riens si vantés, 6+6 a
Par la mode introduits, par la mode emportés ; 6+6 a
Mais la grandeur d'un dieu, mais sa bonté féconde, 6+6 b
460 La nature immortelle et les secrets du monde. 6+6 b
La troupe enfin se lève ; on vole de nouveau 6+6 a
Des bois à la prairie, et des champs au coteau ; 6+6 a
Et le soir dans l'herbier, dont les feuilles sont prêtes, 6+6 b
Chacun vient en triomphe apporter ses conquêtes. 6+6 b
465 Aux plantes toutefois le destin n'a donné 6+6 a
Qu'une vie imparfaite, et qu'un instinct borné. 6+6 a
Moins étrangers à l'homme et plus près de son être, 6+6 b
Les animaux divers sont plus doux à connoître : 6+6 b
Les uns sont ses sujets, d'autres ses ennemis ; 6+6 a
470 Ceux-ci ses compagnons, et ceux-là ses amis. 6+6 a
Suivez, étudiez ces familles sans nombre : 6+6 b
Ceux que cachent les bois, qu'abrite un antre sombre ; 6+6 b
Ceux dont l'essaim léger perche sur des rameaux, 6+6 a
Les hôtes de vos cours, les hôtes des hameaux ; 6+6 a
475 Ceux qui peuplent les monts, qui vivent sous la terre ; 6+6 b
Ceux que vous combattez, qui vous livrent la guerre. 6+6 b
Étudiez leurs mœurs, leurs ruses, leurs combats, 6+6 a
Et surtout les degrés, si fins, si délicats, 6+6 a
Par qui l'instinct changeant de l'échelle vivante 6+6 b
480 Ou s'élève vers l'homme, ou descend vers la plante. 6+6 b
C'est peu ; pour vous donner un intérêt nouveau, 6+6 a
De ces vastes objets rassemblez le tableau. 6+6 a
Que d'un lieu prépa l'étroite enceinte assemble 6+6 b
Les trois règnes rivaux, étonnés d'être ensemble. 6+6 b
485 Que chacun ait ici ses tiroirs, ses cartons ; 6+6 a
Que, divisés par classe, et rangés par cantons, 6+6 a
Ils offrent de plaisir une source féconde, 6+6 b
L'extrait de la nature et l'abrégé du monde. 6+6 b
Mais plutôt réprimez de trop vastes projets. 6+6 a
490 Contentez-vous d'abord d'étaler les objets 6+6 a
Dont le ciel a pour vous peuplé votre domaine, 6+6 b
Sur qui votre regard chaque jour se promène : 6+6 b
Nés dans vos propres champs, ils vous en plairont mieux. 6+6 a
Entre les minéraux présentez à nos yeux 6+6 a
495 Les terres et les sels, le soufre, le bitume ; 6+6 b
La pyrite, cachant le feu qui la consume ; 6+6 b
Les métaux colorés, et les brillans cristaux, 6+6 a
Nobles fils du rocher, aussi purs que ses eaux ; 6+6 a
L'argile à qui le feu donna l'éclat du verre, 6+6 b
500 Et les bois que les eaux ont transformés en pierre, 6+6 b
Soit qu'un limon durci les recouvre au dehors, 6+6 a
Soit que des sucs pierreux aient pénétré leurs corps ; 6+6 a
Enfin tous ces objets, combinaisons fécondes 6+6 b
De la flamme, de l'air, de la terre et de l'onde. 6+6 b
505 D'un œil plus curieux et plus avide encor 6+6 a
Du règne végétal je cherche le trésor. 6+6 a
Là, sont en cent tableaux, avec art mariées, 6+6 b
Du varec, fils des mers, les teintes variées ; 6+6 b
Le lichen parasite, aux chênes attaché ; 6+6 a
510 Le puissant agaric, qui du sang épanché 6+6 a
Arrête les ruisseaux, et dont le sein fidèle 6+6 b
Du caillou pétillant recueille l'étincelle ; 6+6 b
Le nénuphar, ami de l'humide séjour, 6+6 a
Destructeur des plaisirs et poison de l'amour, 6+6 a
515 Et ces rameaux vivans, ces plantes populeuses, 6+6 b
De deux règnes rivaux races miraculeuses. 6+6 b
Dans le monde vivant même variété ! 6+6 a
Le contraste surtout en fera la beauté. 6+6 a
Un même lieu voit l'aigle et la mouche légère, 6+6 b
520 Les oiseaux du climat, la caille passagère, 6+6 b
L'ours à la masse informe et le léger chevreuil, 6+6 a
Et la lente tortue et le vif écureuil ; 6+6 a
L'animal recouvert de son épaisse croûte, 6+6 b
Celui dont la coquille est arrondie en voûte ; 6+6 b
525 L'écaille du serpent, et celle du poisson, 6+6 a
Le poil uni du rat, les dards du hérisson ; 6+6 a
Le nautile, sur l'eau dirigeant sa gondole ; 6+6 b
La grue, au haut des airs naviguant sans boussole ; 6+6 b
Le perroquet, le singe, imitateurs adroits, 6+6 a
530 L'un des gestes de l'homme et l'autre de sa voix ; 6+6 a
Les peuples casaniers, les races vagabondes ; 6+6 b
L'équivoque habitant de la terre et des ondes, 6+6 b
Et les oiseaux rameurs, et les poissons ailés. 6+6 a
Vous-mêmes dans ces lieux vous serez appelés, 6+6 a
535 Vous le dernier degré de cette grande échelle, 6+6 b
Vous, insectes sans nombre, ou volans ou sans aile, 6+6 b
Qui rampez dans les champs, sucez les arbrisseaux, 6+6 a
Tourbillonnez dans l'air, ou jouez sur les eaux. 6+6 a
Là je place le ver, la nymphe, la chenille ; 6+6 b
540 Son fils, beau parvenu, honteux de sa famille ; 6+6 b
L'insecte de tout rang et de toutes couleurs, 6+6 a
L'habitant de la fange, et les hôtes des fleurs ; 6+6 a
Et ceux qui, se creusant un plus secret asile, 6+6 b
Des tumeurs d'une feuille ont fait leur domicile ; 6+6 b
545 Le ver rongeur des fruits, et le ver assassin, 6+6 a
En rubans animés vivant dans notre sein. 6+6 a
J'y veux voir de nos murs la tapissière agile, 6+6 b
La mouche qui bâtit, et la mouche qui file ; 6+6 b
Ceux qui d'un fil do composent leur tombeau, 6+6 a
550 Ceux dont l'amour dans l'ombre allume le flambeau ; 6+6 a
L'insecte dont un an borne la destie ; 6+6 b
Celui qui naît, jouit et meurt dans la journée, 6+6 b
Et dont la vie au moins n'a pas d'instans perdus. 6+6 a
Vous tous, dans l'univers en foule répandus, 6+6 a
555 Dont les races sans fin, sans fin se renouvellent, 6+6 b
Insectes, paroissez, vos cartons vous appellent. 6+6 b
Venez avec l'éclat de vos riches habits, 6+6 a
Vos aigrettes, vos fleurs, vos perles, vos rubis, 6+6 a
Et ces fourreaux brillans, et ces étuis fidèles, 6+6 b
560 Dont l'écaille défend la gaze de vos ailes ; 6+6 b
Ces prismes, ces miroirs, savamment travaillés ; 6+6 a
Ces yeux qu'avec tant d'art la nature a taillés, 6+6 a
Les uns semés sur vous en brillans microscopes, 6+6 b
D'autres se déployant en de longs télescopes. 6+6 b
565 Montrez-moi ces fuseaux, ces tarrières, ces dards, 6+6 a
Armes de vos combats, instrumens de vos arts, 6+6 a
Et les filets prudens de ces longues antennes, 6+6 b
Qui sondent devant vous les routes incertaines. 6+6 b
Que j'observe de près ces clairons, ces tambours, 6+6 a
570 Signal de vos fureurs, signal de vos amours, 6+6 a
Qui guidoient vos héros dans les champs de la gloire, 6+6 b
Et sonnoient le danger, la charge et la victoire ; 6+6 b
Enfin tous ces ressorts, organes merveilleux, 6+6 a
Qui confondent des arts le savoir orgueilleux, 6+6 a
575 Chefs-d'œuvres d'une main en merveilles féconde, 6+6 b
Dont un seul prouve un dieu, dont un seul vaut un monde. 6+6 b
Tel est le triple empire à vos ordres soumis. 6+6 a
De nouveaux citoyens sans cesse y sont admis. 6+6 a
Cette ardeur d'acquérir que chaque jour augmente, 6+6 b
580 Vous embellira tout ; une pierre, une plante, 6+6 b
Un insecte qui vole, une fleur qui sourit, 6+6 a
Tout vous plaît, tout vous charme, et déjà votre esprit 6+6 a
Voit le rang, le gradin, la tablette fidèle, 6+6 b
Tout prêts à recevoir leur richesse nouvelle ; 6+6 b
585 Et peut-être en secret déjà vous flattez-vous 6+6 a
Du dépit d'un rival et d'un voisin jaloux. 6+6 a
Là les yeux sont charmés, la pensée est active ; 6+6 b
L'imagination n'y reste point oisive ; 6+6 b
Et, quand par les frimats vous êtes retenus, 6+6 a
590 Elle part, elle vole aux lieux, aux champs connus ; 6+6 a
Elle revoit le bois, le coteau, la prairie, 6+6 b
Où, s'offrant tout à coup à votre rêverie, 6+6 b
Une fleur, un arbuste, un caillou précieux 6+6 a
Vint suspendre vos pas, et vint frapper vos yeux. 6+6 a
595 Et lorsque vous quittez enfin votre retraite, 6+6 b
Combien des souvenirs l'illusion secrète 6+6 b
Des campagnes pour vous embellit le tableau ! 6+6 a
Là votre œil découvrit un insecte nouveau ; 6+6 a
Ici la mer, couvrant ou quittant son rivage, 6+6 b
600 Vous fit don d'un fucus, ou d'un beau coquillage : 6+6 b
Là sortit de la mine un riche échantillon ; 6+6 a
Ici, nouveau pour vous, un brillant papillon 6+6 a
Fut surpris sur ces fleurs, et votre main avide 6+6 b
De son règne incomplet courut remplir le vide. 6+6 b
605 Vous marchez : vos trésors, vos plaisirs sont par tout. 6+6 a
Cependant arrangez ces trésors avec goût ; 6+6 a
Que dans tous vos cartons un ordre heureux réside. 6+6 b
Qu'à vos compartimens avec grâce préside 6+6 b
La propreté, l'aimable et simple propreté, 6+6 a
610 Qui donne un air d'éclat même à la pauvreté. 6+6 a
Surtout des animaux consultez l'habitude ; 6+6 b
Conservez à chacun son air, son attitude, 6+6 b
Son maintien, son regard. Que l'oiseau semble encor, 6+6 a
Perché sur son rameau, méditer son essor. 6+6 a
615 Avec son air fripon montrez-nous la belette 6+6 b
À la mine allongée, à la taille fluette ; 6+6 b
Et, sournois dans son air, rusé dans son regard, 6+6 a
Qu'un projet d'embuscade occupe le renard. 6+6 a
Que la nature enfin soit partout embellie, 6+6 b
620 Et même après la mort y ressemble à la vie. 6+6 b
Laissez aux cabinets des villes et des rois 6+6 a
Ces corps où la nature a violé ses lois, 6+6 a
Ces fœtus monstrueux, ces corps à double tête, 6+6 b
La momie à la mort disputant sa conquête, 6+6 b
625 Et ces os de géant, et l'avorton hideux 6+6 a
Que l'être et le néant réclamèrent tous deux. 6+6 a
Mais si quelqu'oiseau cher, un chien, ami fidèle, 6+6 b
A distrait vos chagrins, vous a marqué son zèle, 6+6 b
Au lieu de lui donner ces honneurs du cercueil 6+6 a
630 Qui dégradent la tombe et profanent le deuil, 6+6 a
Faites-en dans ces lieux la simple apothéose : 6+6 b
Que dans votre élysée avec grâce il repose ! 6+6 b
C'est là qu'on veut le voir ; c'est là que tu vivrois, 6+6 a
Ô toi dont Lafontaine eût vanté les attraits, 6+6 a
635 Ô ma chère Raton, qui, rare en ton espèce, 6+6 b
Eus la grâce du chat et du chien la tendresse ; 6+6 b
Qui, fière avec douceur et fine avec bonté, 6+6 a
Ignoras l'égoïsme à ta race imputé. 6+6 a
Là je voudrois te voir, telle que je t'ai vue, 6+6 b
640 De ta molle fourrure élégamment vêtue, 6+6 b
Affectant l'air distrait, jouant l'air endormi, 6+6 a
Épier une mouche, ou le rat ennemi, 6+6 a
Si funeste aux auteurs, dont la dent téméraire 6+6 b
Ronge indifféremment Dubartas ou Voltaire ; 6+6 b
645 Ou telle que tu viens, minaudant avec art, 6+6 a
De mon sobre dîner solliciter ta part ; 6+6 a
Ou bien, le dos en voûte et la queue ondoyante, 6+6 b
Offrir ta douce hermine à ma main caressante, 6+6 b
Ou déranger gment par mille bonds divers 6+6 a
650 Et la plume et la main qui t'adressa ces vers. 6+6 a
Fin du troisième chant.
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