Métrique en Ligne
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DEL_1/DEL3
Jacques DELILLE
Les Jardins
ou
L’Art d’embellir les paysages
1782
CHANT TROISIÈME
Je chantais les jardins, les vergers et les bois, 6+6 a
Quand le cri de Bellone a retenti trois fois. 6+6 a
À ces cris, arrachés des foyers de leurs pères, 6+6 b
Nos guerriers ont vo sur des mers étrangères, 6+6 b
5 Et Mars a de Vénus déserté les bosquets. 6+6 a
Dieux des champs, dieux amis de l’innocente paix, 6+6 a
Ne craignez rien. Louis, au lieu de vous détruire, 6+6 b
Veut sur des bords lointains étendre votre empire ; 6+6 b
Il veut qu’un peuple ami, trop longtemps opprimé, 6+6 a
10 Recueille en paix le grain que ses mains ont semé. 6+6 a
Et vous, jeunes guerriers qu’admire un autre monde, 6+6 b
Je ne puis vers Yorck, sur les gouffres de l’onde 6+6 b
Suivre votre valeur ; mais pour votre retour 6+6 a
Ma muse des jardins embellit le séjour. 6+6 a
15 Déjà j’ordonne aux fleurs de croître pour vos têtes ; 6+6 b
Pour vous de myrtes verts des couronnes sont prêtes. 6+6 b
Je prépare pour vous le murmure des eaux, 6+6 a
Les tapis des gazons, les abris des berceaux, 6+6 a
Où mollement assis, oubliant les alarmes, 6+6 b
20 Tranquilles vous direz la gloire de nos armes, 6+6 b
Tandis qu’entre la crainte et l’espoir suspendus, 6+6 a
Vos enfants frémiront d’un danger qui n’est plus. 6+6 a
Achevons cependant d’orner ces frais asiles. 6+6 b
Jadis dans nos jardins les fables infertiles, 6+6 b
25 Tristes, secs, et du jour réfléchissant les feux, 6+6 a
Importunaient les pieds et fatiguaient les yeux. 6+6 a
Tout était nu, brûlant ; mais enfin l’Angleterre 6+6 b
Nous apprit l’art d’orner et d’habiller la terre. 6+6 b
Soignez donc ces gazons déployés sur son sein. 6+6 a
30 Sans cesse l’arrosoir ou la faux à la main, 6+6 a
Désaltérez leur soif, tondez leur chevelure. 6+6 b
Que le roulant cylindre en foule la verdure. 6+6 b
Que toujours bien choisis, bien unis, bien serrés, 6+6 a
De l’herbe usurpatrice avec soin délivrés, 6+6 a
35 Du plus tendre duvet ils gardent la finesse ; 6+6 b
Et quelquefois enfin réparez leur vieillesse. 6+6 b
Réservez toutefois aux lieux moins éloignés 6+6 a
Ce luxe de verdure et ces gazons soignés. 6+6 a
Du reste composez une riche pâture, 6+6 b
40 Et que vos seuls troupeaux en fassent la culture. 6+6 b
Ainsi vous formerez des nourrissons nombreux, 6+6 a
Des engrais pour vos champs, des tableaux pour vos yeux. 6+6 a
Ne rougissez donc point, quoique l’orgueil en gronde, 6+6 b
D’ouvrir vos parcs au bœuf, à la vache féconde, 6+6 b
45 Qui ne dégrade plus ni vos parcs, ni mes vers. 6+6 a
Mais c’est peu de créer ces vastes tapis verts ; 6+6 a
Il en faut avec goût savoir choisir les formes. 6+6 b
Craignez pour eux l’ennui des cadres uniformes. 6+6 b
En d’insipides ronds, ou d’ennuyeux carrés, 6+6 a
50 Je ne veux point les voir tristement resserrés. 6+6 a
Un air de liberté fait leur première grâce. 6+6 b
Que tantôt dans les bois, dont l’ombre les embrasse, 6+6 b
D’un air mystérieux ils aillent se cacher, 6+6 a
Et que tantôt les bois les reviennent chercher. 6+6 a
55 Telle est d’un beau gazon la forme simple et pure. 6+6 b
Voulez-vous mieux l’orner ? Imitez la nature. 6+6 b
Elle émaille les prés des plus riches couleurs. 6+6 a
Hâtez-vous ; vos jardins vous demandent des fleurs. 6+6 a
Fleurs charmantes ! par vous la nature est plus belle ; 6+6 b
60 Dans ses brillants tableaux l’art vous prend pour modèle ; 6+6 b
Simples tributs du cœur, vos dons sont chaque jour 6+6 a
Offerts par l’amitié, hasardés par l’amour. 6+6 a
D’embellir la beau vous obtenez la gloire ; 6+6 b
Le laurier vous permet de parer la victoire ; 6+6 b
65 Plus d’un hameau vous donne en prix à la pudeur. 6+6 a
L’autel même où de Dieu repose la grandeur, 6+6 a
Se parfume au printemps de vos douces offrandes, 6+6 b
Et la religion sourit à vos guirlandes. 6+6 b
Mais c’est dans nos jardins qu’est votre heureux séjour. 6+6 a
70 Filles de la rosée et de l’astre du jour, 6+6 a
Venez donc de nos champs décorer le théâtre. 6+6 b
N’attendez pas pourtant qu’amateur idolâtre, 6+6 b
Au lieu de vous jeter par touffes, par bouquets, 6+6 a
J’aille de lits en lits, de parquets en parquets, 6+6 a
75 De chaque fleur nouvelle attendre la naissance, 6+6 b
Observer ses couleurs, épier leur nuance. 6+6 b
Je sais que dans Harlem plus d’un triste amateur 6+6 a
Au fond de ses jardins s’enferme avec sa fleur, 6+6 a
Pour voir sa renoncule avant l’aube s’éveille, 6+6 b
80 D’une anémone unique adore la merveille, 6+6 b
Ou, d’un rival heureux enviant le secret, 6+6 a
Achète au poids de l’or les taches d’un œillet. 6+6 a
Laissez-lui sa manie et son amour bizarre ; 6+6 b
Qu’il possède en jaloux et jouisse en avare. 6+6 b
85 Sans obéir aux lois d’un art capricieux, 6+6 a
Fleurs, parure des champs et délices des yeux, 6+6 a
De vos riches couleurs venez peindre la terre. 6+6 b
Venez : mais n’allez pas dans les buis d’un parterre 6+6 b
Renfermer vos appas tristement relégués. 6+6 a
90 Que vos heureux trésors soient partout prodigués. 6+6 a
Tantôt de ces tapis émaillez la verdure ; 6+6 b
Tantôt de ces sentiers égayez la bordure. 6+6 b
Formez-vous en bouquets ; entourez ces berceaux ; 6+6 a
En méandres brillants courez au bord des eaux, 6+6 a
95 Ou tapissez ces murs, ou dans cette corbeille 6+6 b
Du choix de vos parfums embarrassez l’abeille. 6+6 b
Que Rapin, vous suivant dans toutes les saisons, 6+6 a
Décrive tous vos traits, rappelle tous vos noms ; 6+6 a
À de si longs détails le dieu du goût s’oppose. 6+6 b
100 Mais qui peut refuser un hommage à la rose, 6+6 b
La rose, dont Vénus compose ses bosquets, 6+6 a
Le printemps sa guirlande, et l’amour ses bouquets, 6+6 a
Qu’Anacréon chanta, qui formait avec grâce 6+6 b
Dans les jours de festin la couronne d’Horace ? 6+6 b
105 Mais ce riant sujet plaît trop à mes pinceaux, 6+6 a
Destinés à tracer de plus mâles tableaux. 6+6 a
Ô vous, dont je foulais les pelouses fleuries, 6+6 b
Adieu, charmants bosquets, adieu, vertes prairies ; 6+6 b
Ces masses de rochers confusément épars 6+6 a
110 Sur leur informe aspect appellent mes regards. 6+6 a
De nos jardins voués à la monotonie 6+6 b
Leur sublime âpre jadis était bannie. 6+6 b
Depuis qu’enfin le peintre y prescrivant des lois, 6+6 a
Sur l’arpenteur timide a repris tous ses droits, 6+6 a
115 Nos jardins plus hardis de ces effets s’emparent. 6+6 b
Mais de quelque beau que ces masses les parent, 6+6 b
Si le sol n’offre point ces blocs majestueux, 6+6 a
De la nature en vain rival présomptueux, 6+6 a
L’art en voudrait tenter une infidèle image. 6+6 b
120 Du haut des vrais rochers, sa demeure sauvage, 6+6 b
La nature se rit de ces rocs contrefaits, 6+6 a
D’un travail impuissant avortons imparfaits. 6+6 a
Loin de ces froids essais qu’un vain effort étale, 6+6 b
Aux champs de Midleton, aux monts de Dovedale, 6+6 b
125 Whateli, je te suis ; viens, j’y monte avec toi. 6+6 a
Que je m’y sens saisi d’un agréable effroi ! 6+6 a
Tous ces rocs variant leurs gigantesques cimes, 6+6 b
Vers le ciel élancés, roulés dans des abîmes, 6+6 b
L’un par l’autre appuyés, l’un sur l’autre étendus, 6+6 a
130 Quelquefois dans les airs hardiment suspendus, 6+6 a
Les uns taillés en tours, en arcades rustiques, 6+6 b
Quelques-uns à travers leurs noirâtres portiques 6+6 b
Du ciel dans le lointain laissant percer l’azur, 6+6 a
Des sources, des ruisseaux le cours brillant et pur, 6+6 a
135 Tout rappelle à l’esprit ces magiques retraites, 6+6 b
Ces romanesques lieux qu’ont chantés les poètes. 6+6 b
Heureux si ces grands traits embellissent vos champs ! 6+6 a
Mais dans votre tableau leurs tons seraient tranchants. 6+6 a
C’est là, c’est pour dompter leur inculte énergie, 6+6 b
140 Qu’il faut d’un enchanteur le charme et la magie. 6+6 b
Cet enchanteur, c’est l’art ; ces charmes, sont les bois. 6+6 a
Il parle ; les rochers s’ombragent à sa voix, 6+6 a
Et semblent s’applaudir de leur pompe étrangère. 6+6 b
Mais en ornant ainsi leur sécheresse austère, 6+6 b
145 Variez bien vos plants. Offrez aux spectateurs 6+6 a
Des contrastes de tons, de formes, de couleurs. 6+6 a
Que les plus beaux rochers sortent par intervalles. 6+6 b
N’interromprez-vous point ces masses trop égales ? 6+6 b
Cachez ou découvrez, variez à la fois 6+6 a
150 Les bois par les rochers, les rochers par les bois. 6+6 a
N’avez-vous pas encor, pour former leur parure, 6+6 b
Des arbustes rampants l’errante chevelure ? 6+6 b
J’aime à voir ces rameaux, ces souples rejetons, 6+6 a
Sur leurs arides flancs serpenter en festons. 6+6 a
155 J’aime à voir leur front chauve et leur tête sauvage 6+6 b
Se coiffer de verdure, et s’entourer d’ombrage. 6+6 b
C’est peu. Parmi ces rocs un vallon précieux, 6+6 a
Un terrain moins ingrat vient-il rire à vos yeux ? 6+6 a
Saisissez ce bienfait ; déployez à la vue 6+6 b
160 D’un sol favori la richesse imprévue. 6+6 b
C’est un contraste heureux ; c’est la stérili 6+6 a
Qui cède un coin de terre à la fertilité. 6+6 a
Ainsi vous subjuguez leur âpre caractère. 6+6 b
Mais quoi ! faut-il toujours les orner pour vous plaire ? 6+6 b
165 Non ; l’art qui doit toujours en adoucir l’horreur, 6+6 a
Leur permet quelquefois d’inspirer la terreur. 6+6 a
Lui-même il les seconde. Au bord d’un précipice 6+6 b
D’une simple cabane il pose l’édifice : 6+6 b
Le précipice encore en paraît agrandi. 6+6 a
170 Tantôt d’un roc à l’autre il jette un pont hardi. 6+6 a
À leur terrible aspect je tremble, et de leur cime 6+6 b
L’imagination me suspend sur l’abîme. 6+6 b
Je songe à tous ces bruits du peuple répétés, 6+6 a
De voyageurs perdus, d’amants précipités ; 6+6 a
175 Vieux récits, qui, charmant la foule émerveillée, 6+6 b
Des crédules hameaux abrègent la veillée, 6+6 b
Et que l’effroi du lieu persuade un moment. 6+6 a
Mais de ces grands effets n’usez que sobrement. 6+6 a
Notre cœur dans les champs à ces rudes secousses 6+6 b
180 Préfère un calme heureux, des émotions douces. 6+6 b
Moi-même, je le sens, de la cime des monts 6+6 a
J’ai besoin de descendre en mes riants vallons. 6+6 a
Je les ornai de fleurs, les couvris de bocages ; 6+6 b
Il est temps que des eaux roulent sous leurs ombrages. 6+6 b
185 Et bien ! si vos sommets jadis tout dépouillés 6+6 a
Sont, grâce à mes leçons, richement habillés, 6+6 a
Ô rochers ! ouvrez-moi vos sources souterraines : 6+6 b
Et vous, fleuves, ruisseaux, beaux lacs, claires fontaines, 6+6 b
Venez, portez partout la vie et la frcheur. 6+6 a
190 Ah ! qui peut remplacer votre aspect enchanteur ? 6+6 a
De près il nous amuse, et de loin nous invite ; 6+6 b
C’est le premier qu’on cherche, et le dernier qu’on quitte. 6+6 b
Vous fécondez les champs ; vous répétez les cieux ; 6+6 a
Vous enchantez l’oreille et vous charmez les yeux. 6+6 a
195 Venez : puissent mes vers, en suivant votre course, 6+6 b
Couler plus abondants encor que votre source, 6+6 b
Plus légers que les vents qui courbent vos roseaux, 6+6 a
Doux comme votre bruit, et purs comme vos eaux ! 6+6 a
Et vous qui dirigez ces ondes bienfaitrices, 6+6 b
200 Respectez leur penchant et même leurs caprices. 6+6 b
Dans la facili de ses libres détours, 6+6 a
Voyez l’eau de ses bords embrasser les contours. 6+6 a
De quel droit osez-vous, captivant sa souplesse, 6+6 b
De ses plis sinueux contraindre la mollesse ? 6+6 b
205 Que lui fait tout le marbre où vous l’emprisonnez ? 6+6 a
Voyez-vous, les cheveux aux vents abandonnés, 6+6 a
Sans contrainte, sans art, sans parure étrangère, 6+6 b
Marcher, courir, bondir la folâtre bergère ? 6+6 b
Sa grâce est dans l’aisance et dans la liberté. 6+6 a
210 Mais au fond d’un sérail contemplez la beauté : 6+6 a
En vain elle éblouit, vainement elle étale 6+6 b
De ses atours captifs la pompe orientale ; 6+6 b
Je ne sais quoi de triste, empreint dans tous ses traits, 6+6 a
Décèle la contrainte et flétrit ses attraits. 6+6 a
215 Que l’eau conserve donc la liberté qu’elle aime, 6+6 b
Ou changez en beau son esclavage même. 6+6 b
Ainsi malgré Morel, dont l’éloquente voix 6+6 a
De la simple nature a su plaider les droits, 6+6 a
J’aime ces jeux où l’onde en des canaux pressée 6+6 b
220 Part, s’échappe et jaillit avec force élane. 6+6 b
À l’aspect de ces flots qu’un art audacieux 6+6 a
Fait sortir de la terre et lance jusqu’aux cieux, 6+6 a
L’homme se dit : « c’est moi qui créai ces prodiges ». 6+6 b
L’homme admire son art dans ces brillants prestiges ; 6+6 b
225 Qu’ils soient donc déployés chez les grands et les rois. 6+6 a
Mais, je le dis encor ; loin le luxe bourgeois 6+6 a
Dont le jet d’eau honteux, n’osant quitter la terre, 6+6 b
S’élève à peine, et meurt à deux pieds du parterre. 6+6 b
C’est peu : tout doit répondre à ce riche ornement ; 6+6 a
230 Que tout prenne à l’entour un air d’enchantement. 6+6 a
Persuadez aux yeux que d’un coup de baguette 6+6 b
Une fée, en passant, s’est fait cette retraite. 6+6 b
Tel j’ai vu de Saint-Cloud le bocage enchanteur. 6+6 a
L’œil de son jet hardi mesure la hauteur ; 6+6 a
235 Aux eaux qui sur les eaux retombent et bondissent 6+6 b
Les bassins, les bosquets, les grottes applaudissent ; 6+6 b
Le gazon est plus vert, l’air plus frais ; les oiseaux 6+6 a
S’animent au doux bruit de la chute des eaux, 6+6 a
Et les bois inclinant leurs têtes arroes, 6+6 b
240 Semblent s’épanouir à ces fraîches roes. 6+6 b
Plus simple, plus champêtre, et non moins belle aux yeux, 6+6 a
La cascade ornera de plus sauvages lieux. 6+6 a
De près est admirée, et de loin entendue 6+6 b
Cette eau toujours tombante et toujours suspendue. 6+6 b
245 Variée, imposante, elle anime à la fois 6+6 a
Les rochers, et la terre, et les eaux, et les bois. 6+6 a
Employez donc cet art ; mais loin l’architecture 6+6 b
De ces tristes gradins, où tombant en mesure, 6+6 b
D’un mouvement égal, les flots précipités 6+6 a
250 Jusques dans leur fureur marchent à pas comptés. 6+6 a
La variété seule a le droit de vous plaire. 6+6 b
La cascade d’ailleurs a plus d’un caractère. 6+6 b
Il faut choisir. Tantôt d’un cours tumultueux 6+6 a
L’eau se précipitant dans son lit tortueux 6+6 a
255 Court, tombe et rejaillit, retombe, écume et gronde : 6+6 b
Tantôt avec lenteur développant son onde, 6+6 b
Sans colère, sans bruit un ruisseau doux et pur 6+6 a
S’épanche, se déploie en un voile d’azur. 6+6 a
L’œil aime à contempler ces frais amphithéâtres, 6+6 b
260 Et l’or des feux du jour sur les nappes bleuâtres, 6+6 b
Et le noir des rochers, et le vert des roseaux, 6+6 a
Et l’éclat argen de l’écume des eaux. 6+6 a
Consultez donc l’effet que votre art veut produire, 6+6 b
Et ces flots, toujours prompts à se laisser conduire, 6+6 b
265 Vont vous offrir, plus lents ou plus impétueux, 6+6 a
Des tableaux doux ou fiers, gais ou majestueux. 6+6 a
Tableaux toujours puissants ! eh ! qui n’a pas de l’onde 6+6 b
Éprouvé sur son cœur l’impression profonde ? 6+6 b
Toujours, soit qu’un courant vif et précipi 6+6 a
270 Sur des cailloux bondisse avec agilité ; 6+6 a
Soit que sur le limon une rivière lente 6+6 b
Déroule en paix les plis de son onde indolente ; 6+6 b
Soit qu’à travers des rocs un torrent en courroux 6+6 a
Se brise avec fracas ; triste ou gai, vif ou doux 6+6 a
275 Leur cours excite, apaise, ou menace, ou caresse. 6+6 b
De Vénus, nous dit-on, l’écharpe enchanteresse 6+6 b
Renfermait les amours, et les tendres désirs, 6+6 a
Et la joie, et l’espoir, précurseur des plaisirs. 6+6 a
Les eaux sont ta ceinture, ô divine Cybèle ! 6+6 b
280 Non moins impérieuse, elle renferme en elle 6+6 b
La gaieté, la tristesse, et le trouble et l’effroi. 6+6 a
Et ! qui l’a mieux connu, l’a mieux senti que moi ? 6+6 a
Souvent, je m’en souviens, lorsque les chagrins sombres, 6+6 b
Que de la nuit encore avaient noircis les ombres, 6+6 b
285 Accablaient ma pensée et flétrissaient mes sens, 6+6 a
Si d’un ruisseau voisin j’entendais les accents, 6+6 a
J’allais, je visitais ses consolantes ondes. 6+6 b
Le murmure, le frais de ses eaux vagabondes 6+6 b
Suspendaient mes chagrins, endormaient ma douleur, 6+6 a
290 Et la séréni renaissait dans mon cœur. 6+6 a
Tant du doux bruit des eaux l’influence est puissante ! 6+6 b
Pour prix de ce bienfait, toi, dont le cours m’enchante, 6+6 b
Ruisseau, permets que l’art, sans trop t’enorgueillir, 6+6 a
T’embellisse à nos yeux, si l’art peut t’embellir. 6+6 a
295 Un ruisseau siérait mal dans une vaste plaine ; 6+6 b
Son lit n’y tracerait qu’une ligne incertaine. 6+6 b
Modestes, au grand jour se montrant à regret, 6+6 a
Ses flots veulent baigner un bocage secret. 6+6 a
Son cours orne les bois ; les bois font ses délices. 6+6 b
300 Là, je puis à loisir suivre tous ses caprices, 6+6 b
Son embarras charmant, sa pente, ses replis, 6+6 a
Le courroux de ses flots par l’obstacle embellis. 6+6 a
Tantôt dans un lit creux, qu’un noir taillis ombrage, 6+6 b
Cachant son onde agreste et sa course sauvage, 6+6 b
305 Tantôt à plein canal présentant son miroir, 6+6 a
Je le vois sans l’entendre, ou l’entends sans le voir. 6+6 a
Là, ses flots amoureux vont embrasser des îles. 6+6 b
Plus loin, il se sépare en deux ruisseaux agiles, 6+6 b
Qui, se suivant l’un l’autre avec rapidité, 6+6 a
310 Disputent de vitesse et de limpidité ; 6+6 a
Puis, rejoignant tous deux le lit qui les rassemble, 6+6 b
Murmurent enchantés de voyager ensemble. 6+6 b
Ainsi, toujours errant de détour en détour, 6+6 a
Muet, bruyant, paisible, inquiet tour-à-tour, 6+6 a
315 Sous mille aspects divers son cours se renouvelle. 6+6 b
Mais vers ses bords riants la rivière m’appelle. 6+6 b
Dans un champ plus ouvert, noble et pompeux tableau, 6+6 a
Son onde moins modeste en larges nappes d’eau 6+6 a
Roule, des feux du jour au loin étincelante. 6+6 b
320 Elle laisse au ruisseau sa gaieté pétulante, 6+6 b
Et son inquiétude et ses plis tortueux. 6+6 a
Son lit, en longs courants, des vallons sinueux 6+6 a
Suivra les doux contours et la molle courbure. 6+6 b
Si le ruisseau des bois emprunte sa parure, 6+6 b
325 La rivière aime aussi que des arbres divers, 6+6 a
Les pâles peupliers, les saules demi-verts, 6+6 a
Ornent souvent son cours. Quelle source féconde 6+6 b
De scènes, d’accidents ! Là, j’aime à voir dans l’onde 6+6 b
Se renverser leur cime, et leurs feuillages verts 6+6 a
330 Trembler du mouvement et des eaux et des airs. 6+6 a
Ici, le flot bruni fuit sous leur voûte obscure. 6+6 b
Là, le jour par filets pénètre leur verdure. 6+6 b
Tantôt dans le courant ils trempent leurs rameaux, 6+6 a
Et tantôt leur racine embarrasse les flots. 6+6 a
335 Souvent d’un bord à l’autre étendant leur feuillage, 6+6 b
Ils semblent s’élancer et changer de rivage. 6+6 b
Ainsi l’arbre et les eaux se prêtent leur secours : 6+6 a
L’onde rajeunit l’arbre, et l’arbre orne son cours ; 6+6 a
Et tous deux, s’alliant sous des formes sans nombre, 6+6 b
340 Font un échange aimable et de frcheur et d’ombre. 6+6 b
Sachez donc les unir ; ou si, dans de beaux lieux, 6+6 a
La nature sans vous fit cet hymen heureux, 6+6 a
Respectez-la. Malheur à qui ferait mieux qu’elle ! 6+6 b
Tel est, cher Watelet, mon cœur me le rappelle, 6+6 b
345 Tel est le simple asile où, suspendant son cours, 6+6 a
Pure comme tes mœurs, libre comme tes jours, 6+6 a
En canaux ombragés la Seine se partage, 6+6 b
Et visite en secret la retraite d’un sage. 6+6 b
Ton art la seconda ; non cet art imposteur, 6+6 a
350 Des lieux qu’il croit orner hardi profanateur. 6+6 a
Digne de voir, d’aimer, de sentir la nature, 6+6 b
Tu traitas sa beau comme une vierge pure 6+6 b
Qui rougit d’être nue, et craint les ornements. 6+6 a
Je crois voir le faux-goût gâter ces lieux charmants. 6+6 a
355 Ce moulin, dont le bruit nourrit la rêverie, 6+6 b
N’est qu’un son importun, qu’une meule qui crie ; 6+6 b
On l’écarte. Ces bords doucement contournés, 6+6 a
Par le fleuve lui-même en roulant façonnés, 6+6 a
S’alignent tristement. Au lieu de la verdure 6+6 b
360 Qui renferme le fleuve en sa molle ceinture, 6+6 b
L’eau dans des quais de pierre accuse sa prison ; 6+6 a
Le marbre fastueux outrage le gazon, 6+6 a
Et des arbres tondus la famille captive 6+6 b
Sur ces saules vieillis ose usurper la rive. 6+6 b
365 Barbares, arrêtez, et respectez ces lieux. 6+6 a
Et vous, fleuve charmant, vous, bois délicieux, 6+6 a
Si j’ai peint vos beautés, si dès mon premier âge 6+6 b
Je me plus à chanter les prés, l’onde et l’ombrage, 6+6 b
Beaux lieux, offrez longtemps à votre possesseur 6+6 a
370 L’image de la paix qui règne dans son cœur. 6+6 a
Autant que la rivière en sa molle souplesse 6+6 b
D’un rivage anguleux redoute la rudesse, 6+6 b
Autant les bords aigus, les longs enfoncements 6+6 a
Sont d’un lac étendu les plus beaux ornements. 6+6 a
375 Que la terre tantôt s’avance au sein des ondes ; 6+6 b
Tantôt qu’elle ouvre aux flots des retraites profondes ; 6+6 b
Et qu’ainsi s’appelant d’un mutuel amour, 6+6 a
Et la terre et les eaux se cherchent tour-à-tour. 6+6 a
Ces aspects variés amusent votre vue. 6+6 b
380 L’œil aime dans un lac une vaste étendue. 6+6 b
Cependant offrez-lui quelques points de repos. 6+6 a
Si vous n’interrompez l’immensité des flots, 6+6 a
Mes yeux sans intérêt glissent sur leur surface. 6+6 b
Ainsi, pour abréger leur insipide espace, 6+6 b
385 Ou qu’un frais bâtiment, des chaleurs respecté, 6+6 a
Se présente de loin dans les flots répété, 6+6 a
Ou bien, faites éclore une île de verdure. 6+6 b
Les îles sont des eaux la plus riche parure. 6+6 b
Ou relevez leurs bords, ou qu’en bouquets épars 6+6 a
390 Des masses d’arbres verts arrêtent vos regards. 6+6 a
Par un contraire effet si vous voulez l’étendre, 6+6 b
Aux bords trop exhaussés ordonnez de descendre ; 6+6 b
Ou reculez vos bois, ou commandez que l’eau 6+6 a
Se perde en un bosquet, tourne au pied d’un coteau. 6+6 a
395 À travers ces rideaux où l’eau fuit et se plonge, 6+6 b
L’imagination la suit et la prolonge. 6+6 b
Ainsi votre œil jouit de ce qu’il ne voit pas ; 6+6 a
Ainsi le goût savant prête à tout des appas, 6+6 a
Et des objets qu’il crée, et de ceux qu’il imite 6+6 b
400 Resserre, étend, découvre, ou cache la limite. 6+6 b
Or, maintenant que l’art dans ses jardins pompeux 6+6 a
Insulte à mes travaux, dans mes jardins heureux 6+6 a
Partout respire un air de liberté, de joie ; 6+6 b
La pelouse riante à son gré se déploie ; 6+6 b
405 Les bois indépendants relèvent leurs rameaux ; 6+6 a
Les fleurs bravent l’équerre, et l’arbre les ciseaux ; 6+6 a
L’onde chérit ses bords, la terre sa parure ; 6+6 b
Tout est beau, simple et grand : c’est l’art de la nature. 6+6 b
Mais ces eaux, mais leurs bords sont encore déserts. 6+6 a
410 Venez ; peuplons leur sein de citoyens divers. 6+6 a
Plaçons-y ces oiseaux qui, d’une rame agile, 6+6 b
Navigateurs ailés, fendent l’onde docile. 6+6 b
Au milieu d’eux s’élève et nage avec fierté 6+6 a
Le cygne au cou superbe, au plumage argenté, 6+6 a
415 Le cygne, à qui l’erreur prêta des chants aimables, 6+6 b
Et qui n’a pas besoin du mensonge des fables. 6+6 b
Pour animer les eaux, l’art encor n’a-t-il pas 6+6 a
Le flottant appareil des voiles et des mâts ? 6+6 a
Par la rame emportée, une barque légère 6+6 b
420 Laisse à peine, en fuyant, sa trace passagère : 6+6 b
Zéphyre de la toile enfle les plis mouvants, 6+6 a
Et chaque banderole est le jouet des vents. 6+6 a
Et si nos vieux romans, ou la fable, ou l’histoire, 6+6 b
D’un ruisseau, d’une source ont consacré la gloire ; 6+6 b
425 De leur antique honneur ces flots enorgueillis, 6+6 a
Par d’heureux souvenirs sont assez embellis. 6+6 a
Quel cœur, sans être ému, trouverait Aréthuse, 6+6 b
Alphée, ou le Lignon : toi surtout, toi, Vaucluse, 6+6 b
Vaucluse, heureux séjour, que sans enchantement 6+6 a
430 Ne peut voir nul poète, et surtout nul amant ? 6+6 a
Dans ce cercle de monts, qui, recourbant leur chaîne, 6+6 b
Nourrissent de leurs eaux ta source souterraine, 6+6 b
Sous la roche vtée, antre mystérieux, 6+6 a
Où ta nymphe, échappant aux regards curieux, 6+6 a
435 Dans un gouffre sans fond cache sa source obscure, 6+6 b
Combien j’aimais à voir ton eau, qui, toujours pure, 6+6 b
Tantôt dans son bassin renferme ses trésors, 6+6 a
Tantôt en bouillonnant s’élève, et de ses bords 6+6 a
Versant parmi des rocs ses vagues blanchissantes, 6+6 b
440 De cascade en cascade au loin rejaillissantes, 6+6 b
Tombe et roule à grand bruit ; puis, calmant son courroux, 6+6 a
Sur un lit plus égal répand des flots plus doux, 6+6 a
Et sous un ciel d’azur par vingt canaux féconde 6+6 b
Le plus riant vallon qu’éclaire l’œil du monde ! 6+6 b
445 Mais ces eaux, ce beau ciel, ce vallon enchanteur, 6+6 a
Moins que Pétrarque et Laure intéressaient mon cœur. 6+6 a
La voilà donc, disais-je, oui, voilà cette rive 6+6 b
Que Pétrarque charmait de sa lyre plaintive ! 6+6 b
Ici Pétrarque à Laure exprimant son amour, 6+6 a
450 Voyait naître trop tard, mourir trop tôt le jour. 6+6 a
Retrouverai-je encor sur ces rocs solitaires 6+6 b
De leurs chiffres unis les tendres caractères ? 6+6 b
Une grotte écartée avait frappé mes yeux. 6+6 a
Grotte sombre, dis-moi si tu les vis heureux, 6+6 a
455 M’écriais-je ! Un vieux tronc bordait-il le rivage ? 6+6 b
Laure avait repo sous son antique ombrage. 6+6 b
Je redemandais Laure à l’écho du vallon, 6+6 a
Et l’écho n’avait point oublié ce doux nom. 6+6 a
Partout mes yeux cherchaient, voyaient Pétrarque et Laure, 6+6 b
460 Et par eux ces beaux lieux s’embellissaient encore. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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