Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DAU_1/DAU19
Alphonse DAUDET
LES AMOUREUSES
POEMES ET FANTAISIES
1858
LA DOUBLE CONVERSION
LA DOUBLE CONVERSION
I
C’est un dimanche, — au jour tombant, — 8 a
Place Royale, et sur un banc, 8 a
A gauche, en entrant par la grille, 8 c
Que le jeune André rencontra 8 d
5 La petite juive Sarah 8 d
Et qu’en eux l’amour opéra. 8 d
Qui dit juive dit belle fille, 8 c
Et pourtant n’en dit pas assez 8 f
Sur cette chair dorée et ferme, 8 g
10 Sur ces cils longs et retroussés 8 f
Qui s’allongent quand l’œil se ferme ; 8 g
Ces cheveux roux si bien tressés, 8 h
Ces pieds mignons si mal chaussés, 8 h
Et la double pêche qu’enferme 8 g
15 Le plus naturel des corsets ; 8 h
Bref, sur toute la portraiture 8 j
De la charmante créature 8 j
Dont André fut assez heureux 8 k
Pour être aimé, — quoique amoureux. 8 k
20 En un rien, la chose fut faite : 8 l
Mieux que moi vous savez comment 8 a
Se passe un pareil tête-à-tête ; 8 l
L’amoureux est toujours très bête, 8 l
On le trouve toujours charmant ; 8 a
25 Il pousse un soupir, — elle un autre. 8 m
« — Quel est ton nom ? — Quel est le vôtre ? 8 m
« — Je m’appelle André. — Moi, Sarah. » 8 d
Chacun se rapproche en cachette, 8 l
Chacun cherche ce qu’il dira 8 d
30 Et qui des deux commencera. 8 d
C’est le premier coup de fourchette. 8 l
il est toujours silencieux. 8 k
Les amants se parlent des yeux 8 k
Et ne s’en comprennent que mieux 8 k
35 — A franc regard âme loyale. 8 n
Or, ce soir-là, place Royale, 8 n
On se comprit du premier coup, 8 o
Et partant, l’on s’aima beaucoup. 8 o
A quelques pas du joli groupe 8 p
40 Formé par nos deux amoureux, 8 k
Se jouait un air langoureux, 8 k
Que la musique de la troupe 8 p
Semblait choisir exprès pour eux. 8 k
Du haut des toits, du haut des branches, 8 q
45 Un tas d’oiseaux, — mis en gaie 8 f
Par l’aspect d’un beau soir d’été, — 8 f
Chantaient, chacun de son côté. 8 f
Au bas, le public des dimanches, 8 q
Luisant d’aise et de propreté, 8 f
50 Allait, venait en liberté : 8 f
— Fillettes en cornettes blanches, 8 q
Bons bourgeois remplis de santé, 8 f
Puis de grosses mères bien franches, 8 q
Puis des amants en quantité. 8 f
55 Frais tableaux ! spectacle enchanté ! 8 f
Quel cœur n’auriez-vous dilaté ! 8 f
Pour ma part, et dans le grand nombre, 8 r
J’en sais deux qui n’y tinrent pas ; 8 s
L’air était frais, la nuit plus sombre, 8 r
60 La musique jouait très bas… 8 s
Leurs mains se cherchèrent dans l’ombre, 8 r
Leurs yeux cessèrent de jaser 8 f
Et l’on entendit un baiser. 8 f
II
En amour les heures vont vite ; 8 t
65 On n’a pas le temps de se voir 8 u
Qu’il faut se quitter sans savoir 8 u
Comment on pourra se revoir. 8 u
« Adieu, cher. — A bientôt, petite. » 8 t
Et par des chemins différents 8 v
70 Nos pauvres amis, tout pleurants, 8 v
S’en retournent chez leurs parents. 8 v
En passant le coin de la rue 8 w
Saint-Antoine, André s’assura 8 d
Que sa mie était disparue ; 8 w
75 Puis, ne voyant rien, il rentra, 8 d
Le cœur gros et plein de Sarah. 8 e
Son père allait se mettre à table 8 x
Comme il arrivait : « Assieds-toi, 8 e
« Mon garçon, et fais comme moi. » 8 y
80 André s’assit. « Ah çà ! pourquoi 8 y
« Rentres-tu si tard et si coi ? » 8 y
André se tut. « Quel détestable 8 x
« Enfant tu fais ! » André pâlit. 8 z
Se leva, recula sa chaise. 8 a
85 Et, prétextant un grand malaise, 8 a
Dit bonsoir et fut à son lit. 8 z
« Voilà qui n’est pas ordinaire ! » 8 b
Grommela d’un ton débonnaire 8 b
Le père André tout interdit ; 8 z
90 Et de ce coup il en perdit 8 z
L’entrain, la soif et l’appétit. 8 z
C’était bien la crème des hommes 8 c
Que ce père André : soixante ans, 8 v
La verdeur d’un mois de printemps, 8 v
95 De la gaieté, toutes ses dents, 8 v
Et rien de ces vieillards rogommes, 8 c
Très sévères, très exigeants, 8 v
Qui détestent les jeunes gens. 8 v
Ancien brigadier aux gendarmes, 8 d
100 Sa bonne mine sous les armes, 8 d
Son mollet ferme, son teint frais, 8 i
Tout cela, — quelque temps après 8 i
Qu’il fut retiré du service, — 8 e
Lui valut la place de suisse 8 e
105 A Saint-Louis dans le Marais. 8 i
Riche d’un revenu fort mince, 8 f
Il vivait là, très retiré, 8 f
En bas blancs, en habit doré. 8 f
En culotte courte, adoré 8 f
110 De son fils et de son curé ; 8 f
Au total, heureux comme un prince. 8 f
Mais, ce soir-là, voyant André 8 f
Si triste, si désespéré, 8 f
Il en eut le cœur déchiré, 8 f
115 Et, quand il se fut assuré, 8 f
En bonne mère vigilante, 8 g
Qu’André n’était pas endormi, 8 h
Il vint prendre sa main brûlante, 8 g
Et, d’une voix quasi tremblante, 8 g
120 Il lui dit : « Qu’as-tu, mon ami ? » 8 h
L’enfant soupirait en silence… 8 i
« Tu souffres ? Où donc souffres-tu ? 8 j
« As-tu pris froid ? t’a-t-on battu ? » 8 j
Lors, voyant son père éperdu, 8 j
125 Notre André se fit violence 8 i
Et convint, sans plus de détour, 8 k
Qu’il souffrait d’un grand mal d’amour. 8 k
A cette fuis, ce fut au tour 8 k
Du bon suisse de ne rien dire. 8 l
130 Il était là, — se demandant 8 a
S’il devait se fâcher ou rire. 8 l
Mais se taire était plus prudent, 8 a
Il se taisait : — en attendant, 8 a
L’autre allail son train, prétendant 8 a
135 Qu’après tout, on était en âge, 8 m
A vingt ans, d’entrer en ménage, 8 m
Et qu’en un pareil accident 8 a
Le plus vite était le plus sage ; 8 m
Surtout qu’il ne s’agissait pas 8 s
140 D’un de ces amours de passage, 8 m
Où le cœur se moque tout bas 8 s
Des sottises que fait la tête, 8 l
Mais bien d’un de ces sentiments 8 v
Implacables, quoique charmants, 8 v
145 Qui vous assaillent par moments 8 v
Comme un sort que quelqu’un vous jette. 8 l
Puis, passant aux et cœtera 8 d
Que l’on devine et que j’abrège, 8 n
André s’agita, pérora, 8 d
150 Fit les cent coups, cria, pleura, 8 d
Le tout en l’honneur de Sarah. 8 d
Davantage, que vous dirai-je ? 8 n
Le suisse se laissa toucher 8 f
Par cette éloquente tendresse 8 a
155 Et voulut, — mais sans se fâcher, — 8 f
Que son fils lui donnât l’adresse 8 a
Et tous les noms de sa maîtresse. 8 a
Promettant, dès le lendemain, 8 o
De se rendre à l’aube chez elle 8 p
160 Pour voir à demander sa main 8 o
Aux parents de la demoiselle. 8 p
Une fois cela bien promis. 8 q
Tous deux furent vite endormis. 8 q
III
Le lendemain, avant la messe, 8 a
165 Le suisse, selon sa promesse, 8 a
Vous prend son gilet de velours 8 r
Boutonné d’argent sur la hanche, 8 s
Sa redingote à brandebourgs, 8 r
Ses bas fins, sa culotte blanche. 8 s
170 Des manières à l’unisson, 8 t
Et, de cette noble façon, 8 t
(layne le quartier où demeure 8 u
L’amoureuse de son garçon. 8 t
Quoiqu’il fût encor de bonne heure, 8 u
175 Paris, depuis longtemps levé, 8 f
Avait à peu près achevé 8 f
La toilette de son pavé ; 8 f
On ouvrait déjà les boutiques, 8 v
On entendait se quereller 8 f
180 Les porteurs et les domestiques, 8 v
Les grandes charrettes rouler, 8 f
Les chiens et les enfants hurler. 8 f
Pensez que notre ancien gendarme 8 w
Ne savait guère à qui parler 8 f
185 Au milieu de tout ce vacarme, 8 w
Quand, — devant le temple des Juifs, 8 q
Le bec en trompe, les yeux vifs, 8 q
Laide à ravir, sale à merveille, 8 x
Il vit une petite vieille 8 x
190 Qui balayait dévotement 8 a
Le portique du monument. 8 a
Notre suisse, au premier moment, 8 a
Se demanda si décemment 8 a
Il était d’un bon catholique 8 y
195 De parler à cette hérétique ; 8 y
Mais, — son curé n’étant pas là, — 8 d
L’homme d’Église s’envola, 8 d
Et c’est le père qui parla. 8 d
Or, quels ne furent pas sa rage, 8 m
200 Son horreur, son saisissement, 8 a
Quand, — après maint renseignement, 8 a
Maint caquet et maint commérage 8 m
Sur ce qui touchait à Sarah, — 8 d
La bedelle lui déclara 8 d
205 Que c’était proprement sa fille. 8 c
« Mais, saçrebleu ! je ne veux pas 8 s
« D’une juive dans ma famille ! » 8 c
Dit-il en reculant d’un pas. 8 s
« Que le Dieu d’Israël m’écrase, 8 z
210 « Fit la vieille, si j’entends rien 8 o
« A ce que veut dire la phrase 8 z
« De cet insolent de chrétien ! 8 o
« — Apprenez que je suis d’Église, 8 e
« Reprit le vieux, et sachez bien 8 o
215 « Que je crèverai comme un chien 8 o
« Avant que mon cœur s’en dédise : 8 e
« André peut faire la sottise 8 e
« D’épouser une juive ; mais 8 i
« Je ne la recevrai jamais. 8 i
220 « — Sarah chez vous ! Dieu m’en préserve ! 8 a
« — Il suffit ; mais si quelque jour 8 k
« Je la trouve à rôder autour 8 k
« De mon garçon, je lui réserve 8 a
« Quelques coups de cravache pour 8 k
225 « La dégoûter de son amour. 8 k
« — Soit ! mais si votre fils s’avise 8 e
« De passer par devant chez nous, 8 b
« Il pourra, quoiqu’il soit d’Église, 8 e
« Recevoir quelques mauvais coups.» 8 b
230 L’entretien allait de la sorte 8 c
Et n’allait pas mal, comme on voit ; 8 d
Déjà les vilains de l’endroit 8 d
S’attroupaient autour de la porte, 8 c
Quand le suisse eut le bon esprit 8 z
235 De s’évader, dont bien lui prit ; 8 z
Car la vieille avait de la tête 8 l
Et passait pour être sujette 8 l
A se servir de temps en temps 8 v
De ses ongles et de ses dents. 8 v
240 Sur quoi, faute de combattants 8 v
La bataille étant terminée, 8 e
Suisse, bedelle et curieux, 8 k
Chacun retourna furieux 8 k
Aux saints travaux de la journée. 8 e
IV
245 Or, le soir de ce même jour, 8 k
Nos deux enfants, à qui l’amour 8 k
Avait enseigné plus d’un tour, 8 k
Gagnèrent le coin le plus sombre, 8 r
De la place Royale, — et là. 8 d
250 Sous un porche humide, dans l’ombre, 8 r
Eut lieu rentretien que voilà : 8 d
ANDRÉ.
Sarah, Sarah, je suis bien triste ! 8 f
SARAH.
Je suis bien malheureuse, André ! 8 f
ANDRÉ.
Ce matin, mon père est rentré 8 f
255 Tout ému, tout encoléré, 8 f
Et m’a nettement déclaré, 8 f
Devant mon oncle l’organiste, 8 f
Qu’il allait rompre pour toujours 8 r
Le fil doré de nos amours. 8 r
260 Sarah, Sarah, je suis bien triste ! 8 f
SARAH.
Ce matin, ma mère, en rentrant, 8 a
M’a fait, — le déjeuner durant, — 8 a
Une scène très douloureuse : 8 g
Des pleurs, des menaces, des cris ! 8 q
265 En fin de compte, j’ai compris 8 q
Qu’il faut oublier à tout prix 8 q
L’homme dont j’ai le cœur épris, 8 q
André, je suis bien malheureuse ! 8 g
ANDRÉ.
Ah ! chère, pourquoi veulent-ils 8 q
270 Qu’un amour fort comme le nôtre 8 m
S’arrête à des détails subtils 8 q
D’oremus et de patenôtre ? 8 m
SARAH.
André, je voug demande un peu 8 i
Ce que cela fait au bon Dieu, 8 i
275 Quand deux cœurs battent l’un pour l’autre. 8 m
Que l’un soit blanc et l’autre bleu ? 8 i
ANDRÉ.
Regarde les oiseaux, parbleu ! 8 i
Qui de nous voudrait faire entendre 8 j
Aux fameux pigeons amoureux 8 k
280 Qu’ils ne pourraient s’unir entre eux 8 k
Et s’aimer entre eux d’amour tendre, 8 j
Pour ce respectable motif 8 k
Qu’un chrétien n’aime pas un juif ? 8 k
Vous vous moquez bien de ces choses, 8 l
285 Amoureux blancs à pattes roses ; 8 l
Pour être heureux, que vous faut-il ? 8 m
Trois grains d’amour, un grain de mil 8 m
En voilà pour toute la vie ! 8 n
Hein ? qu’en dis-tu ?
(Il l’embrasse.)
SARAH.
Je les envie, 8 n
290 Mais si j’imite ces oiseaux, 8 o
Maman me cassera les os. 8 o
ANDRÉ.
C’est vrai ; j’oubliais que mon père 8 b
Assommera son cher André 8 f
Plutôt que de lui laisser faire 8 b
295 Un mariage contre son gré. 8 f
SARAH.
Tu vois bien que c’est impossible ; 8 q
Même obstacle des deux côtés ; 8 h
Mère dure, père irascible, 8 q
Père et mère très entêtés. 8 h
300 Va ! séparons notre souffrance ; 8 i
Nous n’avons plus qu’une espérance, 8 i
— Bien triste, hélas ! — c’est de guérir 8 r
De notre mal ou d’en mourir. 8 r
(Elle pleure.)
(Long silence.)
ANDRÉ, tout à coup.
Il nous reste une chose à faire. 8 b
SARAH, vivement.
305 Nous avons encore un moyen. 8 o
ANDRÉ.
Mignonne, si tu m’aimes bien, 8 o
Nous pouvons nous tirer d’affaire. 8 b
SARAH.
Pourquoi ne te fais-tu pas juif ? 8 k
ANDRÉ, en même temps.
Si tu te faisais catholique ? 8 y
SARAH, vexée.
310 Je trouve ton moyen bien vif. 8 k
ANDRÉ, piqué.
Le tien me paraît bien… biblique. 8 y
SARAH.
Qu’entendez-vous par là, mon cher ? 8 s
ANDRÉ.
Par là, mignonne, j’entends dire 8 l
Que ce serait payer trop cher 8 s
315 L’heureux moment que je désire. 8 l
SARAH.
Et m’expliquerez-vous pourquoi 8 y
Vous me refuseriez vous-même 8 t
Ce que vous exigez de moi ? 8 y
ANDRÉ.
Pourquoi ? — Parce que je vous aime, 8 t
320 Et que nous gagnerons ainsi. 8 h
En y mettant un peu du vôtre, 8 m
Mon bonheur en ce monde-ci, 8 h
Et votre salut dans un autre. 8 m
SARAH, avec un sourire.
Mais, cher homme, ce que je veux 8 k
325 Reviendrait au même, il me semble ; 8 u
Au lieu de nous sauver tous deux. 8 k
Nous pourrions nous damner ensemble ; 8 u
Ce disant, la blonde Sarah 8 d
Fit une pause, se serra 8 d
330 Contre son petit catholique ; 8 y
Puis, comme dernier argument, 8 a
Qui n’admettait pas de réplique, 8 y
Elle frôla légèrement 8 a
Ainsi que d’une aile de mouche, 8 v
335 Du coin parfumé de sa bouche, 8 v
La lèvre en feu de son amant. 8 a
De caresse en enlacement, 8 a
Et d’enlacement en caresse, 8 a
Au surplus, comme une maîtresse 8 a
340 Prêche toujours mieux qu’un rabbin, 8 o
Notre André cherchait, mais en vain, 8 o
Ce qu’il pourrait bien lui répondre 8 w
Et sentait ses croyances fondre 8 w
Comme la neige dans la main. 8 o
345 Heureusement pour sa famille 8 c
Et pour l’honneur de sa maison, 8 t
Son cœur de chrétien eut raison 8 t
Des yeux de cette belle fille, 8 c
Où s’était logé le démon ; 8 t
350 Et sa foi n’étant qu’endormie, 8 n
Il vous prit les mains de sa mie 8 n
Et lui fit un très long sermon. 8 t
Il lui parla du catéchisme, 8 x
De la Vierge et de saint Joseph, 8 y
355 Du Christ, des dogmes et du schisme 8 x
Et d’un tas d’autres choses ; bref, 8 y
Il vanta la force et les charmes 8 d
De son Église et du vrai Dieu 8 i
Avec tant d’âme et tant de feu, 8 i
360 Que le diable en eût pris les armes. 8 d
Mais Sarah ne s’en émut point 8 a
Et de sa voix sonore et fraîche 8 b
Elle entama le second point 8 a
De la conférence et du prêche. 8 b
365 Comme exorde, elle sut, d’abord, 8 c
Lui peindre de couleurs très vives 8 d
Le grand type des races juives, 8 d
Et ce peuple héroïque et fort 8 c
Qui souffrit tant de fois la mort 8 e
370 Pour sa Bible et son coffre-fort. 8 e
Et suivit sa route éternelle, 8 p
Toujours chassé, toujours haï, 8 h
Une main vers le Sinaï 8 h
Et l’autre sur son escarcelle ; 8 p
375 Puis elle voulut voir un peu 8 i
S’il avait jamais lu la Bible, 8 q
Dans le vrai texte, dans l’hébreu, 8 i
Ajoutant qu’il est impossible 8 q
De causer dogme en pareil cas 8 s
380 Avec qui ne vous comprend pas. 8 s
Ceci dit, elle mit sa tête 8 l
Sur l’épaule de son ami, 8 h
Ouvrit d’un doigt sa gorgerette 8 l
Où quelque chose avait frémi ; 8 h
385 Puis, fermant les yeux à demi, 8 h
Resta là, tranquille et muette 8 l
Comme un rossignol endormi. 8 h
Mais André s’entêta comme elle. 8 p
Et, reprenant tout l’entretien, 8 o
390 Défendit le dogme chrétien 8 o
Sans reculer d’une semelle ; 8 p
Sur ce, caresses et querelles 8 p
Recommencèrent de plus belle. 8 p
Pour finir, il advint qu’après 8 i
395 Cette scène si chaleureuse 8 g
De théologie amoureuse, 8 g
Chacun d’eux en fut pour ses frais ; 8 i
Et que, lorsqu’ils se retirèrent, 8 g
Tous deux, furieux de partir 8 r
400 Sans avoir pu se convertir, 8 r
D’un commun accord se jurèrent 8 g
Sur leurs Dieux, qui n’en pouvaient mais, 8 i
De ne plus se revoir jamais. 8 i
V
Une fois loin de sa maîtresse, 8 a
405 Notre André, seul entre deux draps, 8 s
Se vit dans un grand embarras 8 s
Et dans une étrange détresse. 8 a
Quoique tout lui fit un devoir 8 u
De renoncer à la revoir, 8 u
410 Ce n’était plus en son pouvoir ; 8 u
Et loin de puiser du courage 8 m
Dans sa querelle avec Sarah, 8 d
Le pauvre enfant, — qui le croira ? — 8 d
Sentit qu’il l’aimait davantage ; 8 m
415 Aussi, comme il les regrettait, 8 h
Ses croyances de tout à l’heure ! 8 u
Aussi, comme il la détestait. 8 h
Qu’elle fût ou non la meilleure, 8 u
Cette Église dont il était ! 8 h
420 Il étouffait, il sanglotait. 8 h
« Va, ma belle petite juive, » 8 i
Criait-il en mordant ses draps, 8 s
« Va ! je t’aime, et quoi qu’il arrive, 8 i
« Je voudrai ce que tu voudras, 8 s
425 « Je serai ce que tu seras. 8 s
« Je ferai ce que tu feras. » 8 s
Mais Sarah ne répondait pas. 8 s
Dans la chambre attristée et noire, 8 j
On n’entendait que quelques rats 8 s
430 Grignotant le fond d’une armoire, 8 j
Le méchant tic tac entêté 8 f
D’un coucou faisant son service 8 e
En songeant à l’éternité, 8 f
Et les ronflements du vieux suisse 8 e
435 Dormant dans la salle à côté. 8 f
Or, tandis qu’on veille et qu’on pleure 8 u
Dans cette chrétienne demeure, 8 u
La même nuit, à la même heure, 8 u
Toujours pour le même motif, 8 k
440 On se désole au quartier juif ; 8 k
Et la fille de la bedelle, 8 p
Dans la crainte de réveiller 8 f
Sa mère couchée auprès d’elle, 8 p
Sanglote sous son oreiller. 8 f
VI
445 Au premier bonjour de l’aurore, 8 k
André, sur pied en un moment, 8 a
S’en alla trouver bravement 8 a
Son père qui dormait encore, 8 k
Et, s’asseyant à son chevet, 8 h
450 Les yeux rouges et le cœur triste, 8 f
Lui dit le dessein qu’il avait 8 h
De se faire séminariste 8 f
Pour se vouer dorénavant 8 a
Au service du Dieu vivant. 8 a
455 A cette étrange confidence, 8 i
Le suisse écarquilla les yeux, 8 k
Se signa, tourna de son mieux 8 k
Une phrase de circonstance 8 i
Sur les lois de la Providence ; 8 i
460 Puis, comme il tombait de sommeil, 8 l
S’en alla, ronflant de plus belle : 8 p
Voilà bien ce que l’on appelle 8 p
L’homme sage et de bon conseil. 8 l
Or, près de son lit et derrière 8 b
465 Un sarrau de calicot blanc, 8 a
Les bras fendus, le front branlant, 8 a
Un vieux christ sculpté sur bruyère 8 b
S’en allait tombant en poussière. 8 b
C’est à ses pieds qu’André, voulant 8 a
470 Noyer son mal dans la prière, 8 b
Vint s’agenouiller en tremblant 8 a
Et prier… non ! faire semblant ; 8 a
Car entre la face divine 8 m
Et notre amoureux, se glissait 8 h
475 Sa juive alerte et sans corset, 8 h
Silhouette coquette et fine 8 m
Devant qui tout disparaissait. 8 f
Sous cette influence amoureuse, 8 g
Le diable, un gaillard bien madré, 8 f
480 Eut, en un clin d’œil, engendré 8 f
Dans le cerveau du pauvre André 8 f
Une réflexion affreuse : 8 g
Le pauvre enfant se demanda 8 d
Si l’on n’aurait pas, d’aventure, 8 j
485 Tronqué notre sainte Écriture : 8 j
Et comme sur ce vieux dada, 8 d
Qu’entre tous l’Église redoute, 8 n
On marche vite sur la route, 8 n
De la méfiance et du doute, 8 n
490 Il s’avoua que, somme toute, 8 n
Sarah pouvait avoir dit vrai, 8 f
Et qu’il n’était pas démontré 8 f
Que la religion chrétienne 8 p
Fût à la hauteur de la sienne. 8 p
495 Dans ce doute, il chercha d’abord 8 c
La lumière au fond de lui-même ; 8 t
Mais ne se sentant assez fort 8 c
Pour résoudre ce grand problème, 8 t
Il prit bravement son parti, 8 h
500 Et, du coup, le voilà parti 8 h
Chez un rabbin du voisinage, 8 m
Qui, sous sa barbe de mufti, 8 h
Cachait la mâchoire d’un sage. 8 m
Soudain, et comme il était près 8 i
505 De tourner la place Royale, 8 n
Devant Saint-Louis en Marais, 8 i
Son église paroissiale, 8 n
L’œil grand ouvert, le cou tendu, 8 j
Notre ami s’arrête éperdu : 8 j
510 Jambe fine et mollet dodu. 8 j
Cheveux roux et taille bien prise 8 e
Et tout le reste à l’avenant, 8 a
Sarah montait en trottinant 8 a
Les grands escaliers de l’église. 8 e
515 « Sarah ! je ne me trompe pas ! » 8 s
Dit-il en revenant d’un pas ; 8 s
Puis, toute réflexion faite, 8 l
Croyant que c’était seulement 8 a
L’effet d’un mirage d’amant, 8 a
520 Il reprit, en baissant la tête, 8 l
La voix rauque et l’œil obscurci : 8 h
» Que viendrait-elle faire ici ? 8 h
« Quand on aime, Dieu ! qu’on est bête ! » 8 l
Et, cachant ses yeux sous sa main, 8 o
525 Il continua son chemin 8 o
Vers la demeure du rabbin. 8 o
VII
Huit jours après cette visite, 8 t
Dont le lecteur, dans un moment, 8 a
Va connaître le dénoûment, 8 a
530 Sarah reçut de son amant 8 a
Ces mots au crayon :
« Venez vite 8 t
« Boulevard du Temple, on attend. » 8 a
Signé : « Votre ami. »
« Tiens ! c’est drôle ! > 8 r
Se dit la fillette en jetant 8 a
535 Son petit schall vert sur l’épaule ; 8 r
« J’allais juste en écrire autant ! » 8 a
Et, sur ce, la voilà trottant 8 a
Le long de la rue aux Orfèvres, 8 s
Le rire aux dents, l’amour aux lèvres. 8 s
540 Ce jour-là, jour inusité. 8 f
Il faisait un vrai temps d’été, 8 f
Et du Temple à la Madeleine 8 p
La vieille Lutèce était pleine 8 p
De soleil et d’activité. 8 f
545 Ce fut Sarah qui, la première, 8 b
Aperçut son amant planté 8 f
Sous un grand rayon de lumière, 8 b
L’œil brillant, le front rejeté 8 f
A quatre pouces en arrière, 8 b
550 Beau d’amour et beau de gaîté. 8 f
Elle en eut le cœur transporté, 8 f
Et. d’un coup, la petite chèvre, 8 t
S’en vint bondir à son côté, 8 f
Puis dans ses bras, puis sur sa lèvre… 8 t
555 Pas un mot ! rien que des baisers ! 8 h
— Ces premiers élans apaisés, 8 h
Pour ne pas rester exposés 8 h
Aux regards de la populace, 8 z
Nos amis vidèrent la place, 8 z
560 Et l’heureux couple s’en alla 8 d
Causer à quelques pas de là. 8 d
Après une longue semaine 8 p
D’abstinence et de gros chagrin, 8 o
Pensez que cela vaut la peine 8 p
565 De dénouer sa langue un brin. 8 o
Aussi nos gens allaient bon train : 8 o
« — Si tu savais… — Je vais te dire… 8 l
« — Voulez-vous m’écouter un peu ? 8 i
« — Laissez-moi parler, sacrebleu ! 8 i
570 « — Tu vas t’écrier ! — Tu vas rire ! 8 l
« — Puisqu’il faut que je le le dise. » 8 e
« — Eh bien ! si tu veux le savoir… 8 u
« — Dans quatre jours on me baptise ! 8 e
« — On me circoncit demain soir ! » 8 u
575 Oh ! non ! il eût fallu les voir 8 u
Tressaillir, changer de figure, 8 j
Ouvrir la bouche et ne pouvoir, 8 u
A ce rude coup de boutoir, 8 u
Que s’affaisser sur le trottoir ; 8 u
580 Ce n’est rien qu’on se les figure. 8 j
Ce furent comme deux boulets 8 h
Qui leur partaient en pleins mollets… 8 h
Quelques longs instants écoulés, 8 h
André prit enfin la parole ; 8 r
585 Après quoi, nos pauvres petits 8 q
S’expliquèrent à tour de rôle 8 r
Comment ils s’étaient convertis 8 q
Chacun à l’Église dont l’autre 8 m
S’était fait l’éloquent apôtre, 8 m
590 Ce qui les avait exposés 8 f
A ce fâcheux chassez-croisez : 8 f
Le jour même de l’entrevue 8 w
De son rabbin avec André, 8 f
Sarah montait chez le curé 8 f
595 De son catholique adoré, 8 f
Et c’est elle qu’il avait vue 8 w
Grimpant, à ses yeux éblouis, 8 q
Les escaliers de Saint-Louis. 8 q
Et maintenant, qu’allaient-ils faire ? 8 b
600 Que résoudre ? que devenir ? 8 r
Et par quel bout devait finir 8 r
Toute cette méchante affaire ? 8 b
A condition de changer 8 f
De rôle et de dialectique, 8 y
605 A cette heure et sans grand danger 8 f
Ils pouvaient encore échanger 8 f
Quelque botte théologique. 8 y
Mais ce jeu ne convenait plus 8 v
A leur âme désespérée ; 8 e
610 Et tous deux portés par le flux 8 v
De la populace affairée, 8 e
Ils s’en allaient sans savoir où, 8 x
Le long des boulevards en fête 8 l
Soudain André lève la tête, 8 l
615 Prend son élan, se jette au cou 8 x
De sa maîtresse, comme un fou, 8 x
Et lui dit d’une voix émue 8 w
Qui la charme et qui la remue : 8 w
« Oh ! puisque l’amour est si grand, 8 a
620 « Mignonne, qu’au fond de nos âmes 8 y
« Il fait table rase en entrant, 8 a
« Et qu’il y trône en conquérant 8 a
« Sur des débris et sur des flammes ; 8 y
« Puisque nous voyons aujourd’hui 8 h
625 « Que ni croyances ni systèmes 8 z
« Rien ne peut tenir contre lui, 8 h
« Puisque je t’aime et que tu m’aimes, 8 z
« Adonc pourquoi nous obstiner ? 8 f
« Laissons faire l’amour, mignonne, 8 a
630 « Et suivons l’élan qu’il nous donne. 8 a
« C’est à Dieu de nous pardonner, 8 f
« Si besoin est qu’on nous pardonne ; 8 a
« Donc, maîtresse, si tu m’en crois, 8 b
« Nous allons courir par les bois ; 8 b
635 « Et nous fuirons comme la peste 8 c
« La théologie et le reste. 8 c
« Le ciel est bleu, les arbres verts. 8 d
« Prenons notre course au travers 8 d
« Des champs de Bièvre ou de Chevreusc. 8 g
640 « Toute la terre est amoureuse, 8 g
« Viens-t’en nous aimer quelque part. » 8 f
« — Oui, mais ne rentrons pas trop tard ! » 8 f
mètre profil métrique : 8
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