Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
DAM_1/DAM1
corpus Pamela Puntel
Frédéric DAMÉ
L'INVASION
1792-1870
1871
I
C'était un soir d'hiver. — J'avais treize ans alors. 6+6 a
Il faisait froid. Le vent gémissait au dehors 6+6 a
Et la neige tombait épaisse. Près de Pâtre, 6+6 b
Songeurs, les doigts tendus vers la flamme bleuâtre, 6+6 b
5 Ma mère, mon grand-père et moi, nous écoutions 6+6 a
La nature se tordre en ses convulsions. 6+6 a
Ma mère peu à peu s'assoupit. Mon grand-père, 6+6 b
L’œil fixé devant lui, silencieux, sévère, 6+6 b
Semblait prêter l'oreille à quelque bruit lointain. 6+6 a
10 Dormait-il ? — Rêvait-il ? — Je ne sais… Mais soudain, 6+6 a
Redressant son grand corps un peu courbé par l'âge 6+6 b
Et retournant vers moi son fier et doux visage, 6+6 b
Presque transfiguré, superbe, triomphant, 6+6 a
D'une voix qui tremblait il me dit :
« Mon enfant, 6+6 a
15 Nous étions en l'an mil sept cent quatre-vingt-douze. 6+6 b
J'habitais un hameau, du côté de Mulhouse, 6+6 b
Avec ma mère, seul, car mon père était mort. 6+6 a
Et nous vivions ainsi, contents de notre sort. 6+6 a
J'avais vingt ans. J'étais à cet âge où tout vibre 6+6 b
20 En notre être, où le cœur s'ouvre joyeux et libre. 6+6 b
Un jour, un bruit, parti du fond de l'horizon, 6+6 a
S'en vint jeter l'effroi dans notre humble maison : 6+6 a
« Fuyez !… les Prussiens envahissent nos plaines !… » 6+6 b
A ce cri tout le sang se glace dans nos veines ; 6+6 b
25 Mais une voix répond : « La Patrie en danger !… 6+6 a
Ouvriers, paysans ! debout pour la venger !… » 6+6 a
Alors oubliant tout, la faim et la souffrance, 6+6 b
D'un seul élan, d'un bout à l'autre de la France, 6+6 b
Un peuple de héros, sans souliers et sans pain, 6+6 a
30 S'élance à la frontière en se donnant la main. 6+6 a
Tous s'armaient et partaient : le fils avec le père, 6+6 b
Et jusques aux vieillards rajeunis par la guerre. 6+6 b
Ma mère pâlit. Moi, je me sentis frémir ; 6+6 a
J'aurais voulu rester et je voulais partir. 6+6 a
35 Mais elle résistait et me disait : « Demeure ! 6+6 b
Dis ? voudrais-tu par ton départ avancer l'heure 6−6 b
De ma mort ? Je suis vieille et j'ai besoin de toi ! » 6+6 a
Je lui répondais : « La France a besoin de moi ! » 6−6 a
Vainement… Quand un jour,— nous étions sur la porte, — 6+6 b
40 Voilà que tout à coup la brise nous apporte, 6+6 b
Grossi par les échos des forêts d'alentour, 6+6 a
L'air d'un hymne inouï de fureur et d'amour. 6+6 a
Les voix montaient dans l'air qui vibrait, troublant l'âme. 6+6 b
C'était d'abord l'accent attristé d'une femme ; 6+6 b
45 Disant, dans un baiser, au fils qui va partir, 6+6 a
Que ceux-là seuls sont grands qui savent bien mourir ; 6+6 a
Puis le cri d'un guerrier debout dans la bataille, 6+6 b
Agitant son drapeau troué par la mitraille. 6+6 b
C'était la voix des morts, des martyrs, des héros, 6+6 a
50 Contre la tyrannie envoyant leurs sanglots. 6+6 a
C'était la Liberté sortant de la fournaise. 6+6 b
C'était… je ne sais pas… c'était la Marseillaise !… 6+6 b
J'écoutais, haletant et sans voix, transporté, 6+6 a
Ces chants qui me criaient : Vengeance et Liberté ! 6+6 a
55 Mon cœur battait. Des pleurs me brûlaient la paupière, 6+6 b
Quand ma mère me dit : « Mon fils, à la frontière ! 6+6 b
Écoute ! La Patrie appelle ses enfants. 6+6 a
Il faut vaincre ou mourir. Revenez triomphants. 6+6 a
Pars, mon fils adoré, mon bien, mon espérance ; 6+6 b
60 Le sang que tu me dois, tu le dois à la France. 6+6 b
Adieu !… » Je l'embrassai. Je lui dis : — au revoir ! 6+6 a
Et puis je suis parti, comme tombait le soir. 6+6 a
Je marchais en chantant dans la nuit enflammée, 6+6 b
Fiévreux. Cinq jours après j'avais rejoint l'armée. 6+6 b
65 Le lendemain matin nous battions l'ennemi. 6+6 a
Souviens-toi de ces noms : Jemmapes et Valmy ! 6+6 a
Grave-les, mon enfant, au fond de ta mémoire ; 6+6 b
Qu'ils n'en sortent jamais. C'est là que la Victoire, 6+6 b
Guidant nos étendards et réchauffant nos cœurs, 6+6 a
70 Nous donna d'écraser tous les envahisseurs. 6+6 a
C'est que nous combattions pour une cause chère ; 6+6 b
C'est que chacun de nous défendait une mère, 6+6 b
Une épouse, une sœur, le foyer, la maison 6+6 a
Où l'on reçut le jour et son coin d'horizon ; 6+6 a
75 La Liberté, — beaucoup plus chère que la vie ; — 6+6 b
Enfin, par-dessus tout, le sol de la patrie !… » 6+6 b
C'est ainsi qu'il parla de sa voix qui tremblait. 6+6 a
Ma mère, qui s'était éveillée, écoutait. 6+6 a
Lorsque l'aïeul se tut, elle me dit : « Mon ange ! 6+6 b
80 Si quelque jour, tu sais ? par un hasard étrange, 6+6 b
Ton pays .se trouvait envahi, menacé ; 6+6 a
Si l'étranger venait, après Savoir chassé, 6+6 a
S'asseoir à ton foyer, mon enfant, prends tes armes. 6+6 b
Laisse, laisse ta mère en proie à ses alarmes 6+6 b
85 Et cours sous les drapeaux défendre ton pays !… » 6+6 a
II
Ces jours-là sont venus, ces jours trois fois haïs ! 6+6 a
Des hordes de Germains ont franchi nos frontières. 6+6 b
Levons-nous, armons-nous, ainsi qu'ont fait nos pères. 6+6 b
Ils ont vaincu. Soyons vainqueurs à notre tour !… 6+6 a
90 Écoutez ! écoutez ! — C'est le son du tambour. 6+6 a
Aux Prussiens vainqueurs qui dévastent nos plaines 6+6 b
Opposons un rempart de poitrines humaines. 6+6 b
Levons-nous ! Que le sol s'entr'ouvre sous leurs pas. 6+6 a
Ils sont chez nous, eh bien ! ils n'en sortiront pas !… 6+6 a
95 Avec nous aujourd'hui la fortune conspire. 6+6 b
Ils n'ont plus devant eux les soldats de l'Empire. 6+6 b
L'Empire est mort, noyé dans la boue et le sang ! 6+6 a
Ce qu'ils ont devant eux, c'est Paris renaissant, 6+6 a
C'est la France, c'est nous, fils de la République, 6+6 b
100 Qui prenons pour drapeau les plis de sa tunique. 6+6 b
Les temps sont arrivés. Debout et haut les cœurs ! 6+6 a
Être républicains c'est presque être vainqueurs. 6+6 a
Debout ! Elle a sonné l'heure de délivrance, 6+6 b
Et la France n'a pas cessé d'être la France. 6+6 b
105 République, elle t'aime et n'espère qu'en toi 6+6 a
Et, lasse des tyrans, elle reprend ta foi. 6+6 a
Oui ! nous avons repris la Foi républicaine, 6+6 b
Celle qui donne au cœur la force surhumaine 6+6 b
Et fait qu'on accomplit l'impossible et qu'on met 6+6 a
110 Sans trembler les deux pieds sur le plus haut sommet ; 6+6 a
La Foi qui rajeunit, élève et régénère, 6+6 b
Qui redresse les fronts inclinés vers la terre 6+6 b
Et nous montre du doigt, au fond du ciel vermeil, 6+6 a
Se lever l'Avenir, éblouissant soleil. 6+6 a
115 Le culte des vertus, des croyances antiques, 6+6 b
Oui, nous l'avons ! Oui ! nous sommes les fanatiques 6−6 b
De ces dieux tout-puissants qu'on nomme Vérité, 6+6 a
Droit, Justice, Devoir, Patrie et Liberté ! 6+6 a
Ces dieux-là sont nos dieux, nous n'en voulons pas d'autres. 6+6 b
120 De ce culte nouveau nous sommes,les apôtres. 6+6 b
Devant nos bataillons hésitants je les vois, 6+6 a
Agitant nos drapeaux glorieux, et leur voix 6+6 a
Vibrante, formidable, au sein de la fumée, 6+6 b
Appelant la Victoire, électrise l'armée. 6+6 b
125 D'un côté c'est la Force, et de l'autre le Droit. 6+6 a
Là-bas, c'est l'esprit faux ; — ici, c'est le cœur droit ; 6+6 a
Là-bas, c'est le mensonge ; — ici, la vérité ; 6+6 b
Là-bas, la tyrannie ; — ici, la liberté. 6+6 b
Nous sommes le progrès ! Ils sont la barbarie. 6+6 a
130 Ils souillent vainement le sol de la patrie ; ' 6+6 a
Je l'entends sous leurs pas, comme un volcan frémir 6+6 b
Et craquer. Ils s'entr'ouvre. Il va les engloutir !… 6+6 b
Quoi ! vous avez pu croire un instant que la France, — 6+6 a
Après vingt ans de deuil, de honte et de souffrance, 6+6 a
135 Qui venait, dans un jour de suprême douleur, 6+6 b
De jeter bas d'un coup l'empire et l'empereur, 6+6 b
Et de reprendre enfin ses grandes destinées, 6+6 a
En des mains viles trop longtemps abandonnées, — 6+6 a
Perdrait toute pudeur et serait lâche assez 6+6 b
140 Pour se mettre à genoux devant vous ?… Insensés ! 6+6 b
Prêtez l'oreille au vent. Écoutez ! Le flot monte. 6+6 a
C'est la France qui vient, elle que rien ne dompte, 6+6 a
Elle qui n'a jamais désespéré. Son jour 6+6 b
De triomphe est venu. Tremblez à votre tour !… 6+6 b
145 O République sainte, ô sainte Marseillaise, 6+6 a
Vous qui dans ses splendeurs vîtes quatre-vingt-treize, 6+6 a
Qui d'un souffle viril poussant les bataillons, 6+6 b
Faites des vieux drapeaux frissonner les haillons, 6+6 b
C'est en vous aujourd'hui que notre espoir repose. 6+6 a
150 Faites-nous triompher, défendant votre cause. 6+6 a
Pour moi, peuple allemand, je crois en mon pays, 6+6 b
Je l'aime et j'ai vingt ans. C'est pourquoi je vous dis 6+6 b
En vain dans le tombeau vous le feriez descendre ; 6+6 a
En vain on scellerait la pierre sur sa cendre, 6+6 a
155 Et près d'elle un soldat, sabre au poing, veillerait, 6+6 b
Le troisième jour la pierre éclaterait !… 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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