Métrique en Ligne
CRO_1/CRO41
Charles CROS
Le Coffret De Santal
1879
PASSÉ
Lento
Je veux ensevelir au linceul de la rime 6+6 a
Ce souvenir, malaise immense qui m'opprime. 6+6 a
Quand j'aurai fait ces vers, quand tous les auront lus 6+6 a
Mon mal vulgarisé ne me poursuivra plus. 6+6 a
5 Car ce mal est trop grand pour que seul je le garde 6+6 a
Aussi, j'ouvre mon âme à la foule criarde. 6+6 a
Assiégez le réduit de mes rêves défunts, 6+6 a
Et dispersez ce qu'il y reste de parfums. 6+6 a
Piétinez le doux nid de soie et de fourrures ; 6+6 a
10 Fondez l'or, arrachez les pierres des parures. 6+6 a
Faussez les instruments. Encrassez les lambris ; 6+6 a
Et vendez à l'encan ce que vous aurez pris. 6+6 a
Pour que, si quelque soir l'obsession trop forte 6+6 a
M'y ramène, plus rien n'y parle de la morte. 6+6 a
15 Que pas un coin ne reste intime, indéfloré. 6+6 a
Peut-être, seulement alors je guérirai. 6+6 a
(Avec des rhythmes lents, j'endors ma rêverie 6+6 a
Comme une mère fait de son enfant qui crie.) 6+6 a
Un jour, j'ai mis mon cœur dans sa petite main 6+6 a
20 Et, tous en fleur, mes chers espoirs du lendemain. 6+6 a
L'amour paye si bien des trésors qu'on lui donne ! 6+6 a
Et l'amoureuse était si frêle, si mignonne ! 6+6 a
Si mignonne, qu'on l'eût prise pour une enfant 6+6 a
Trop tôt belle et que son innocence défend. 6−6 a
25 Mais, elle m'a livré sa poitrine de femme, 6+6 a
Dont les soulèvements semblaient trahir une âme. 6+6 a
Elle a baigné mes yeux des lueurs de ses yeux, 6+6 a
Et mes lèvres de ses baisers délicieux. 6−6 a
(Avec des rhythmes doux, j'endors ma rêverie 6+6 a
30 Comme une mère fait de son enfant qui crie.) 6+6 a
Mais, il ne faut pas croire à l'âme des contours, 6+6 a
A la pensée enclose en deux yeux de velours. 6+6 a
Car un matin, j'ai vu que ma chère amoureuse 6+6 a
Cachait un grand désastre en sa poitrine creuse. 6+6 a
35 J'ai vu que sa jeunesse était un faux dehors, 6+6 a
Que l'âme était usée et les doux rêves morts. 6+6 a
J'ai senti la stupeur d'un possesseur avide 6+6 a
Qui trouve, en s'éveillant, sa maison nue et vide. 6+6 a
J'ai cherché mes trésors. Tous volés ou brisés ! 6+6 a
40 Tous, jusqu'au souvenir de nos premiers baisers ! 6+6 a
Au jardin de l'espoir, l'âpre dévastatrice 6+6 a
N'a rien laissé, voulant que rien n'y refleurisse. 6+6 a
J'ai ramassé mon cœur, mi-rongé dans un coin, 6+6 a
Et je m'en suis allé je ne sais où, bien loin. 6+6 a
45 (Avec des rhythmes sourds, j'endors ma rêverie 6+6 a
Comme une mère fait de son enfant qui crie.) 6+6 a
C'est fièrement, d'abord, que je m'en suis allé 6+6 a
Pensant qu'aux premiers froids, je serais consolé. 6+6 a
Simulant l'insouci, je marchais par les rues. 6+6 a
50 Toutes, nous les avions ensemble parcourues ! 6+6 a
je n'ai pas même osé fuir le mal dans les bois. 6+6 a
Nous nous y sommes tant embrassés autrefois ! 6+6 a
Fermer les yeux ? Rêver ? Je n'avais pas dans l'âme 6+6 a
Un coin qui n'eût gardé l'odeur de cette femme. 6+6 a
55 J'ai donc voulu, sentant s'effondrer ma raison, 6+6 a
La revoir, sans souci de sa défloraison. 6+6 a
Mais, je n'ai plus trouvé personne dans sa forme. 6+6 a
Alors le désespoir m'a pris, lourd, terne, énorme. 6+6 a
Et j'ai subi cela des mois, de bien longs mois, 6+6 a
60 Si fort, qu'en trop parler me fait trembler la voix. 6+6 a
Maintenant c'est fini. Souvenir qui m'opprimes, 6+6 a
Tu resteras, glacé, sous ton linceul de rimes. 6+6 a
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite périodique
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