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COR_1/COR89
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE XX
De l'aveu de la propre infirmité, et des misères
de cette vie.
À ma confusion, seigneur, je te confesse 6+6 a
Quelle est mon injustice, et quelle est ma foiblesse ; 6+6 a
Je veux bien te servir de témoin contre moi : 6+6 b
Peu de chose m'abat, peu de chose m'attriste, 6+6 c
5 Et dans tous mes souhaits, pour peu qu'on me résiste, 6+6 c
Un orgueilleux chagrin soudain me fait la loi. 6+6 b
J'ai beau me proposer d'agir avec courage, 6+6 a
Le moindre tourbillon me fait peur de l'orage, 6+6 a
Et renverse d'effroi mon plus ferme propos ; 6+6 b
10 D'angoisse et de dépit j'abandonne ma route, 6+6 c
Et me livrant moi-même à ce que je redoute, 6+6 c
Je me fais le jouet et des vents et des flots. 6+6 b
C'est bien pour en rougir de voir quelle tempête 6+6 a
Souvent mes lâchetés attirent sur ma tête, 6+6 a
15 Et combien ce grand trouble a peu de fondement. 6+6 b
C'est bien pour en rougir de me voir si fragile, 6+6 c
Que souvent dans mon cœur la chose la plus vile 6+6 c
Forme d'une étincelle un long embrasement. 6+6 b
Quelquefois, au milieu de ma persévérance, 6+6 a
20 Lorsque je crois marcher avec quelque assurance, 6+6 a
Et fournir ma carrière avec moins de danger, 6+6 b
Quand j'y pense le moins, je trébuche par terre, 6+6 c
Et lorsque je m'estime à l'abri du tonnerre, 6+6 c
Je me trouve abattu par un souffle léger. 6+6 b
25 Reçois-en l'humble aveu, seigneur, et considère 6+6 a
De ma fragilité l'impuissante misère, 6+6 a
Qui me met à toute heure en état de périr. 6+6 b
Sans que je te la montre, elle t'est trop connue ; 6+6 c
Elle est de tous côtés exposée à ta vue : 6+6 c
30 D'un regard de pitié daigne la secourir. 6+6 b
Tire-moi de la fange où ma chute m'engage ; 6+6 a
De ce bourbier épais arrache ton image, 6+6 a
Que par mon propre poids je n'y reste enfoncé : 6+6 b
Fais que je me relève aussitôt que je tombe ; 6+6 c
35 Fais que, si l'on m'abat, jamais je ne succombe ; 6+6 c
Fais que je ne sois point tout à fait terrassé. 6+6 b
Ce qui devant tes yeux rend mon âme confuse, 6+6 a
Ce qui dans elle-même à tous moments l'accuse, 6+6 a
Et me force à trembler sous un juste remords, 6+6 b
40 C'est de me voir si prompt à choir dans cette boue, 6+6 c
Et qu'à mes passions, qu'en vain je désavoue, 6+6 c
Je n'oppose en effet que de lâches efforts. 6+6 b
Bien que ta main, propice à mon cœur qui s'en fâche, 6+6 a
Au plein consentement jamais ne le relâche, 6+6 a
45 Et contre leurs assauts lui donne un grand appui, 6+6 b
Le combat est fâcheux, il importune, il gêne, 6+6 c
Et comme la victoire est toujours incertaine, 6+6 c
Vivre toujours en guerre accable enfin d'ennui. 6+6 b
De mille objets impurs l'abominable foule, 6+6 a
50 Qui jusqu'au fond du cœur en moins de rien se coule, 6+6 a
N'a pas pour en sortir même facilité : 6+6 b
Leur plus légère idée a peine à disparoître ; 6+6 c
Le soin de l'effacer souvent l'obstine à croître, 6+6 c
Et montre ainsi l'excès de mon infirmité. 6+6 b
55 Puissant Dieu d'Israël, qui jaloux de nos âmes, 6+6 a
Ne veux les voir brûler que de tes saintes flammes, 6+6 a
Regarde mes travaux, regarde ma douleur : 6+6 b
Secours par tes bontés ton serviteur fidèle ; 6+6 c
Et de quelque côté que se porte mon zèle, 6+6 c
60 De tes divins rayons prête-lui la chaleur. 6+6 b
Répands dans mon courage une céleste force, 6+6 a
De peur que de la chair la dangereuse amorce, 6+6 a
Le vieil homme, à l'esprit encor mal asservi, 6+6 b
Se prévalant sur moi de toute ma foiblesse, 6+6 c
65 N'affermisse un empire à cette chair traîtresse, 6+6 c
Et que par l'esprit même il ne soit trop suivi. 6+6 b
C'est contre cette chair, notre fière ennemie, 6+6 a
Que tant que nous traînons cette ennuyeuse vie, 6+6 a
Nous avons à combattre autant qu'à respirer. 6+6 b
70 Quelle est donc cette vie où tout n'est que misères, 6+6 c
Que tribulations, que rencontres amères, 6+6 c
Que piéges, qu'ennemis prêts à nous dévorer ? 6+6 b
Qu'une affliction passe, une autre lui succède : 6+6 a
Souvent elle renaît de son propre remède, 6+6 a
75 Et rentre du côté qu'on la vient de bannir ; 6+6 b
Un combat dure encor, que mille autres surviennent, 6+6 c
Et cet enchaînement dont ils s'entre-soutiennent 6+6 c
Fait un cercle de maux, qui ne sauroit finir. 6+6 b
Peut-on avoir pour toi quelque amour, quelque estime, 6+6 a
80 Ô vie, ô d'amertume affreux et vaste abîme, 6+6 a
Cuisant et long supplice et de l'âme et du corps ? 6+6 b
Et parmi les malheurs dont je te vois suivie, 6+6 c
À quel droit gardes-tu l'aimable nom de vie, 6+6 c
Toi dont le cours funeste engendre tant de morts ? 6+6 b
85 On t'aime cependant, et la foiblesse humaine, 6+6 a
Bien qu'elle voie en toi les sources de sa peine, 6+6 a
Y cherche avidement celle de ses plaisirs. 6+6 b
Le monde est un pipeur, on dit assez qu'il trompe, 6+6 c
On déclame assez haut contre sa vaine pompe, 6+6 c
90 Mais on ne laisse point d'y porter ses desirs. 6+6 b
Le pouvoir dominant de la concupiscence, 6+6 a
Qu'imprime en notre chair notre impure naissance, 6+6 a
Ainsi sous ce trompeur captive nos esprits ; 6+6 b
Mais il faut que le cœur saintement se rebelle, 6+6 c
95 Et juge quels motifs font aimer l'infidèle, 6+6 c
Et quels doivent pousser à son juste mépris. 6+6 b
Les appétits des sens, la soif de l'avarice, 6+6 a
L'orgueil qui veut monter au gré de son caprice, 6+6 a
Enfantent cet amour que nous avons pour lui ; 6+6 b
100 Les angoisses d'ailleurs, les peines, les misères, 6+6 c
Qui les suivent partout comme dignes salaires, 6+6 c
En font naître à leur tour le dégoût et l'ennui. 6+6 b
Mais une âme à l'aimer lâchement adonnée, 6+6 a
Par d'infâmes plaisirs en triomphe menée, 6+6 a
105 Ne considère point ce qui le fait haïr : 6+6 b
Ce fourbe à ses regards déguise toutes choses, 6+6 c
Lui peint les nuits en jours, les épines en roses, 6+6 c
Et ses yeux subornés aident à la trahir. 6+6 b
Aussi n'a-t-elle rien qui l'en puisse défendre : 6+6 a
110 Les douceurs que d'en haut Dieu se plaît à répandre 6+6 a
Sont des biens que jamais sa langueur n'a goûtés ; 6+6 b
Elle n'a jamais vu quel charme a ce grand maître, 6+6 c
Ni combien la vertu, qui craint de trop paroître, 6+6 c
Verse en l'intérieur de saintes voluptés. 6+6 b
115 Le vrai, le plein mépris des vanités mondaines 6+6 a
Qu'embrassent en tous lieux ces âmes vraiment saines 6+6 a
Qui sous la discipline ont Dieu pour leur objet, 6+6 b
C'est ce qui leur départ cette douceur exquise ; 6+6 c
Et de sa propre voix Dieu même l'a promise 6+6 c
120 À qui peut s'affermir dans ce noble projet. 6+6 b
Par là notre ferveur, enfin mieux éclairée, 6+6 a
Promène sur le monde une vue assurée, 6+6 a
Que son flatteur éclat ne sauroit éblouir : 6+6 b
Nous voyons comme il trompe et se trompe lui-même ; 6+6 c
125 Nous le voyons se perdre et perdre ce qu'il aime 6+6 c
Au milieu des faux biens dont il pense jouir. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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