Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
COR_1/COR83
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE XIV
De la considération des secrets jugements de Dieu,
de peur que nous n'entrions en vanité pour nos bonnes actions.
Seigneur, tu fais sur moi | tonner tes jugements : 6+6 a
Tous mes os ébranlés | tremblent sous leur menace ; 6+6 b
Ma langue en est muette ; | et mon cœur tout de glace 6+6 b
N'a plus pour s'expliquer | que des frémissements. 6+6 a
5 Mon âme épouvantée | à l'éclat de leur foudre 6+6 a
S'égare de frayeur, | et s'en laisse accabler ; 6+6 b
Tout ce qu'elle prévoit | ne fait que la troubler, 6+6 b
Et mon esprit confus | ne sauroit que résoudre. 6+6 a
Je demeure immobile | en ce mortel effroi, 6+6 a
10 Et partout sous mes pas | je trouve un précipice ; 6+6 b
Je vois quel est mon crime, | et quelle est ta justice, 6+6 b
Et je sais que le ciel | n'est pas pur devant toi. 6+6 a
Tes anges devant toi | n'ont pas été sans tache, 6+6 a
Et tu n'as rien permis | à ta pitié pour eux : 6+6 b
15 Étant plus criminel, | serois-je plus heureux, 6+6 b
Moi qu'à cette justice | aucune ombre ne cache ? 6+6 a
Au plus creux de l'abîme | elle a fait trébucher 6+6 a
Ces astres si brillants | de gloire et de lumière ; 6+6 b
Et moi, seigneur, et moi, | qui ne suis que poussière, 6+6 b
20 Croirai-je avec raison | que je te sois plus cher ? 6+6 a
Les grands dévots, comme eux, | font des chutes étranges : 6+6 a
J'ai vu dégénérer | leurs plus nobles travaux, 6+6 b
Et les sales rebuts | des plus vils animaux 6+6 b
Plaire à leur mauvais goût | après le pain des anges. 6+6 a
25 La vertu la plus prête | à se voir couronner, 6+6 a
Quand ta main se retire, | est aussitôt fragile ; 6+6 b
Et toute la sagesse | est comme elle inutile, 6+6 b
Quand cette même main | cesse de gouverner. 6+6 a
La force et la valeur | trompent notre espérance, 6+6 a
30 Si pour la conserver | tu n'avances ton bras ; 6+6 b
Et jamais chasteté | n'est bien sûre ici-bas, 6+6 b
Si ta protection | ne fait son assurance. 6+6 a
Enfin si nous n'avons | ton aide et ton soutien, 6+6 a
Si tu ne nous défends, | si tu ne nous regardes, 6+6 b
35 Tout l'effort qu'on se fait | pour être sur ses gardes 6+6 b
N'est qu'un effort qui gêne | et qui ne sert de rien. 6+6 a
Le naufrage est certain | si tu nous abandonnes ; 6+6 a
Le soin de l'éviter | nous fait même y courir ; 6+6 b
Mais sitôt que ta main | daigne nous secourir, 6+6 b
40 Nous rentrons à la vie, | et gagnons les couronnes. 6+6 a
Nous sommes inconstants, | mais tu nous affermis ; 6+6 a
Notre feu s'amortit, | tu lui prêtes des flammes, 6+6 b
Et les saintes ardeurs | que tu rends à nos âmes 6+6 b
Sont autant de remparts | contre nos ennemis. 6+6 a
45 Qu'un plein ravalement | ainsi m'est nécessaire ! 6+6 a
Que je me dois pour moi | des sentiments abjets ! 6+6 b
Et quand je fais du bien, | si quelquefois j'en fais, 6+6 b
Le peu d'état, seigneur, | qu'il m'est permis d'en faire ! 6+6 a
Que je dois m'abaisser, | que je dois m'avilir 6+6 a
50 Sous tes saints jugements, | sous leurs profonds abîmes, 6+6 b
Où je ne vois en moi | qu'un néant plein de crimes, 6+6 b
Qui tout néant qu'il est, | ose s'enorgueillir ! 6+6 a
Ô néant ! ô vrai rien ! | Mais pesanteur extrême, 6+6 a
Mais charge insupportable | à qui veut s'élever ! 6+6 b
55 Mer sans rive où partout | chacun se peut trouver, 6+6 b
Mais sans trouver partout | qu'un néant en soi-même ! 6+6 a
Dans un gouffre si vaste | où te retires-tu, 6+6 a
Où te peux-tu cacher, | source de vaine gloire ? 6+6 b
Mérite, où vois-tu lieu | de flatter la mémoire ? 6+6 b
60 Où va la confiance | en la propre vertu ? 6+6 a
Tout s'abîme, seigneur, | dans cette mer profonde 6+6 a
Que tes grands jugements | ouvrent de toutes parts ; 6+6 b
Et si tous les mondains | y jetoient leurs regards, 6+6 b
Il ne seroit jamais | de vaine gloire au monde. 6+6 a
65 Que verroient-ils en eux | qu'ils pussent estimer, 6+6 a
S'ils voyoient devant toi | ce qu'est leur chair fragile ? 6+6 b
Comment souffriroient-ils | qu'une masse d'argile 6+6 b
S'enflât contre la main | qui vient de la former ? 6+6 a
Un cœur vraiment à toi | ne prend jamais le change ; 6+6 a
70 Et qui goûte une fois | l'esprit de vérité, 6+6 b
Qui se peut y soumettre | avec sincérité, 6+6 b
Ne sauroit plus goûter | une vaine louange. 6+6 a
Oui, quand ta vérité | l'a bien soumis à toi, 6+6 a
Le bien qu'on dit de lui | jamais ne le soulève : 6+6 b
75 Qu'un monde entier le loue, | un monde entier achève 6+6 b
D'affermir les mépris | qu'il a conçus de soi. 6+6 a
Sitôt qu'il fixe en Dieu | toute son espérance, 6+6 a
Les éloges sur lui | n'ont plus aucun pouvoir ; 6+6 b
Il entend leurs douceurs, | mais sans s'en émouvoir, 6+6 b
80 Sans leur prêter jamais | la moindre complaisance. 6+6 a
Aussi tous les flatteurs | eux-mêmes ne sont rien : 6+6 a
Ce qu'ils donnent d'encens | est comme eux périssable ; 6+6 b
Mais ta vérité seule | est toujours immuable, 6+6 b
Et seule nous conduit | jusqu'au souverain bien. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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