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F = "e" féminin
| = césure
COR_1/COR72
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE TROISIÈME
CHAPITRE III
Qu'il faut écouter la parole de Dieu
avec humilité.
Écoute donc, mon fils, écoute mes paroles : 6+6 a
Elles ont des douceurs qu'on ne peut concevoir ; 6+6 b
Elles passent de loin cet orgueilleux savoir 6+6 b
Que la philosophie étale en ses écoles ; 6+6 a
5 Elles passent de loin ces discours éclatants 6+6 c
Qui semblent dérober à l'injure des temps 6+6 c
Ces fantômes pompeux de sagesse mondaine : 6+6 d
Elles ne sont que vie, elles ne sont qu'esprit ; 6+6 e
Mais la témérité de la prudence humaine 6+6 d
10 Jamais ne les comprit. 6 e
N'en juge point par là : leur goût deviendroit fade, 6+6 a
Si tu les confondois avec ce vil emploi, 6+6 b
Ou si ta complaisance amoureuse de toi 6+6 b
N'avoit autre dessein que d'en faire parade. 6+6 a
15 Ces sources de lumière et de sincérité 6+6 c
Dédaignent tout mélange avec la vanité, 6+6 c
Et veulent de ton cœur les respects du silence : 6+6 d
Tu les dois recevoir avec soumission, 6+6 e
Et n'en peux profiter que par la violence 6+6 d
20 De ton affection. 6 e
Heureux l'homme dont la ferveur 8 a
Obtient de toi cette haute faveur 4+6 a
Que ta main daigne le conduire ! 8 b
Heureux, ô Dieu, celui-là que ta voix 4+6 c
25 Elle-même prend soin d'instruire 8 b
Du saint usage de tes lois ! 8 c
Cet inépuisable secours 8 a
Adoucira pour lui ces mauvais jours 4+6 a
Où tu t'armeras du tonnerre : 8 b
30 Il verra lors son bonheur dévoilé, 4+6 c
Et tant qu'il vivra sur la terre, 8 b
Il n'y vivra point désolé. 8 c
Ma parole instruisoit dès l'enfance du monde : 6+6 a
Prophètes, de moi seul vous avez tout appris ; 6+6 b
35 C'est moi dont la chaleur échauffoit vos esprits ; 6+6 b
C'est moi qui vous donnois cette clarté féconde. 6+6 a
J'éclaire et parle encore à tous incessamment, 6+6 c
Et je vois presque en tous un même aveuglement, 6+6 c
Je trouve presque en tous des surdités pareilles : 6+6 d
40 Si quelqu'un me répond, ce n'est qu'avec langueur, 6+6 e
Et l'endurcissement qui ferme les oreilles 6+6 d
Va jusqu'au fond du cœur. 6 e
Mais ce n'est que pour moi qu'on est sourd volontaire ; 6+6 a
Tous ces cœurs endurcis ne le sont que pour moi, 6+6 b
45 Et suivent de leur chair la dangereuse loi 6+6 b
Beaucoup plus volontiers que celle de me plaire. 6+6 a
Ce que promet le monde est temporel et bas, 6+6 c
Ce sont biens passagers, ce sont foibles appas, 6+6 c
Et l'on y porte en foule une chaleur avide : 6+6 d
50 Tout ce que je promets est éternel et grand, 6+6 e
Et pour y parvenir chacun est si stupide 6+6 d
Qu'aucun ne l'entreprend. 6 e
En peut-on voir un seul qui partout m'obéisse 6+6 a
Avec les mêmes soins, avec la même ardeur, 6+6 b
55 Qu'on s'empresse à servir cette vaine grandeur 6+6 b
Qui fait tourner le monde au gré de son caprice ? 6+6 a
« rougis, rougis, Sidon, « dit autrefois la mer. 6+6 c
« rougis, rougis toi-même, et te laisse enflammer, 6+6 c
Te dirai-je à mon tour, d'une sévère honte ; » 6+6 d
60 Et si tu veux savoir pour quel lâche souci 6+6 e
Je veux que la rougeur au visage te monte, 6+6 d
Écoute, le voici : 6 e
Pour un malheureux titre on s'épuise d'haleine, 6+6 a
On gravit sur les monts, on s'abandonne aux flots, 6+6 b
65 Et pour gagner au ciel un éternel repos 6+6 b
On ne lève le pied qu'à regret, qu'avec peine. 6+6 a
Un peu de revenu fait tondre les cheveux, 6+6 c
Chercher sur mes autels les intérêts des vœux, 6+6 c
Prendre un habit dévot pour en toucher les gages ; 6+6 d
70 Souvent pour peu de chose on plaide obstinément, 6+6 e
Et souvent moins que rien jette les grands courages 6+6 d
Dans cet abaissement. 6 e
On veut bien travailler et se mettre à tout faire, 6+6 a
Joindre aux sueurs du jour les veilles de la nuit, 6+6 b
75 Pour quelque espoir flatteur d'un faux honneur qui fuit, 6+6 b
Ou pour quelque promesse incertaine et légère : 6+6 a
Cependant pour un prix qu'on ne peut estimer, 6+6 c
Pour un bien que le temps ne sauroit consumer, 6+6 c
Pour une gloire enfin qui n'aura point de terme, 6+6 d
80 Le cœur est sans desirs, l'œil n'y voit point d'appas, 6+6 e
L'esprit est lent et morne, et le pied le plus ferme 6+6 d
Se lasse au premier pas. 6 e
Rougis donc, paresseux, dont l'humeur délicate 6+6 a
Trouve un bonheur si grand à trop haut prix pour toi ; 6+6 b
85 Rougis d'oser t'en plaindre, et d'avoir de l'effroi 6+6 b
D'un travail qui te mène où tant de gloire éclate : 6+6 a
Vois combien de mondains se font bien plus d'effort 6+6 c
Pour tomber aux malheurs d'une éternelle mort, 6+6 c
Que toi pour t'assurer une vie éternelle ; 6+6 d
90 Et voyant leur ardeur après la vanité, 6+6 e
Rougis d'être de glace alors que je t'appelle 6+6 d
À voir ma vérité. 6 e
Encor ces malheureux, malgré toute leur peine, 6+6 a
Demeurent quelquefois frustrés de leur espoir : 6+6 b
95 Mes promesses jamais ne surent décevoir, 6+6 b
La confiance en moi ne se vit jamais vaine. 6+6 a
Tout l'espoir que j'ai fait, je saurai le remplir ; 6+6 c
Et tout ce que j'ai dit, je saurai l'accomplir, 6+6 c
Sans rien donner pourtant qu'à la persévérance : 6+6 d
100 Je suis de tous les bons le rémunérateur ; 6+6 e
Mais je sais fortement éprouver la constance 6+6 d
Qu'ils portent dans le cœur. 6 e
Ainsi tu dois tenir mes paroles bien chères, 6+6 a
Les écrire en ce cœur, souvent les repasser : 6+6 b
105 Quand la tentation viendra t'embarrasser, 6+6 b
Elles te deviendront pleinement nécessaires. 6+6 a
Tu pourras y trouver quelques obscurités, 6+6 c
Et ne connoître pas toutes mes vérités 6+6 c
Dans ce que t'offrira la première lecture ; 6+6 d
110 Mais ces jours de visite auront un jour nouveau, 6+6 e
Qui pour t'en découvrir l'intelligence pure 6+6 d
Percera le rideau. 6 e
Je fais à mes élus deux sortes de visites : 6+6 a
L'une par les assauts et par l'adversité, 6+6 b
115 L'autre par ces douceurs que ma bénignité 6+6 b
Pour arrhes de ma gloire avance à leurs mérites. 6+6 a
Comme je les visite ainsi de deux façons, 6+6 c
Je leur fais chaque jour deux sortes de leçons : 6+6 c
L'une pour la vertu, l'autre contre le vice. 6+6 d
120 Prends-y garde : quiconque ose les négliger, 6+6 e
Par ces mêmes leçons, au jour de ma justice, 6+6 d
Il se verra juger. 6 e
Oraison pour obtenir de Dieu la grâce
de la dévotion.
Quelles grâces, seigneur, ne te dois-je point rendre, 6+6 a
À toi, ma seule gloire et mon unique bien ? 6+6 b
125 Mais qui suis-je pour entreprendre 8 a
D'élever mon esprit jusqu'à ton entretien ? 6+6 b
Je suis un ver de terre, un chétif misérable, 6+6 a
Sur qui jamais tes yeux ne devroient s'abaisser, 6+6 b
Plus pauvre encor, plus méprisable 8 a
130 Qu'il n'est en mon pouvoir de dire ou de penser. 6+6 b
Sans toi je ne suis rien, sans toi mon infortune 6+6 a
Me fait de mille maux l'inutile rebut : 6+6 b
Je ne puis sans toi chose aucune, 8 a
Et je n'ai rien sans toi qui serve à mon salut. 6+6 b
135 C'est toi dont la bonté jusqu'à nous se ravale, 6+6 a
Qui tout juste et tout saint peux tout et donnes tout, 6+6 b
Et de qui la main libérale 8 a
Remplit cet univers de l'un à l'autre bout. 6+6 b
Tu n'en exceptes rien que l'âme pécheresse, 6+6 a
140 Que tu rends toute vide à sa fragilité, 6+6 b
Et que ton ire vengeresse 8 a
Punit dès ici-bas par cette inanité. 6+6 b
Daigne te souvenir de tes bontés premières, 6+6 a
Toi qui veux que la terre et les cieux en soient pleins, 6+6 b
145 Et remplis-moi de tes lumières, 8 a
Pour ne point laisser vide une œuvre de tes mains. 6+6 b
Comment pourrai-je ici me supporter moi-même, 6+6 a
Dans les maux où je tombe, et dans ceux où je cours, 6+6 b
Si par cette bonté suprême 8 a
150 Tu ne fais choir du ciel ta grâce à mon secours ? 6+6 b
Ne détourne donc point les rayons de ta face, 6+6 a
Visite-moi souvent dans mes afflictions, 6+6 b
Prodigue-moi grâce sur grâce, 8 a
Et ne retire point tes consolations. 6+6 b
155 Ne laisse pas mon âme impuissante et languide 6+6 a
Dans la stérilité que le crime produit, 6+6 b
Et telle qu'une terre aride, 8 a
Qui n'ayant aucune eau, ne peut rendre aucun fruit. 6+6 b
Daigne, seigneur tout bon, daigne m'apprendre à vivre 6+6 a
160 Sous les ordres sacrés de ta divine loi, 6+6 b
Et quelle route il me faut suivre 8 a
Pour marcher comme il faut humblement devant toi. 6+6 b
Tu peux seul m'inspirer ta sagesse profonde, 6+6 a
Toi qui me connoissois avant que m'animer, 6+6 b
165 Et me vis avant que le monde 8 a
Sortît de ce néant dont tu le sus former. 6+6 b
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6, 4+6
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