Métrique en Ligne
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e "e" féminin
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e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
COR_1/COR69
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE DEUXIÈME
CHAPITRE XII
Du chemin royal de la sainte croix.
Homme, apprends qu'il te faut renoncer à toi-même, 6+6 a
Que pour suivre Jésus il faut porter ta croix : 6+6 b
Pour beaucoup de mortels ce sont de rudes lois ; 6+6 b
Ce sont de fâcheux mots pour un esprit qui s'aime ; 6+6 a
5 Mais il sera plus rude encore et plus fâcheux 6+6 c
Pour qui n'aura suivi ce chemin épineux, 6+6 c
D'entendre au dernier jour ces dernières paroles : 6+6 d
« loin de moi, malheureux, loin, maudits criminels, 6+6 e
Qui des biens passagers avez fait vos idoles, 6+6 d
10 Trébuchez loin de moi dans les feux éternels ! » 6+6 e
En ce jour étonnant, qui du sein de la poudre 6+6 a
Fera sortir nos os à leur chair rassemblés, 6+6 b
Les bergers et les rois, également troublés, 6+6 b
Craindront de cet arrêt l'épouvantable foudre. 6+6 a
15 Les abîmes ouverts des célestes rigueurs 6+6 c
D'un tremblement égal rempliront tous les cœurs 6+6 c
Où cette auguste croix ne sera point empreinte ; 6+6 d
Mais ceux qui maintenant suivent son étendard 6+6 e
Verront lors tout frémir d'une trop juste crainte, 6+6 d
20 Et dans ce vaste effroi n'auront aucune part. 6+6 e
Ce signe au haut du ciel tout brillant de lumière, 6+6 a
Quand Dieu se fera voir en son grand tribunal, 6+6 b
Sera de ses élus le bienheureux fanal, 6+6 b
Et des victorieux l'éclatante bannière. 6+6 a
25 Lors du crucifié les dignes serviteurs, 6+6 c
Qui pour en être ici les vrais imitateurs, 6+6 c
Se sont faits de la croix esclaves volontaires, 6+6 d
Auront à son aspect de pleins ravissements, 6+6 e
Et ne s'en promettront que d'éternels salaires, 6+6 d
30 Quand le reste en craindra d'éternels châtiments. 6+6 e
La croix ouvre l'entrée au trône de la gloire ; 6+6 a
Par elle ce royaume est facile à gagner : 6+6 b
Aime donc cette croix par qui tu dois régner ; 6+6 b
En elle est le salut, la vie et la victoire. 6+6 a
35 L'invincible soutien contre tous ennemis, 6+6 c
Des célestes douceurs l'épanchement promis, 6+6 c
Et la force de l'âme ont leurs sources en elle ; 6+6 d
L'esprit y voit sa joie et sa tranquillité, 6+6 e
Il y voit des vertus le comble et le modèle, 6+6 d
40 Et la perfection de notre sainteté. 6+6 e
C'est elle seule aussi qui doit être suivie ; 6+6 a
Ce seroit t'abuser que prendre un autre but ; 6+6 b
Hors d'elle pour ton âme il n'est point de salut, 6+6 b
Hors d'elle point d'espoir de l'éternelle vie. 6+6 a
45 Je veux bien te le dire et redire cent fois : 6+6 c
Si tu ne veux périr, charge sur toi ta croix, 6+6 c
Suis du crucifié les douloureuses traces, 6+6 d
Et les dons attachés à ce glorieux faix, 6+6 e
Attirant dans ton cœur les trésors de ses grâces, 6+6 d
50 T'élèveront au ciel pour y vivre à jamais. 6+6 e
Il a marché devant, il a porté la sienne, 6+6 a
Il t'a montré l'exemple en y mourant pour toi ; 6+6 b
Et cette mort te laisse une amoureuse loi 6+6 b
D'en porter une égale, et mourir en la tienne. 6+6 a
55 Si tu meurs avec lui, tu vivras avec lui ; 6+6 c
La part que tu prendras à son mortel ennui, 6+6 c
Tu l'auras aux grandeurs qui suivent sa victoire : 6+6 d
La mesure est pareille ; et c'est bien vainement 6+6 e
Qu'on s'imagine au ciel avoir part à sa gloire, 6+6 d
60 Quand on n'a point ici partagé son tourment. 6+6 e
Ainsi pour arriver à cette pleine joie, 6+6 a
Tout consiste en la croix, et tout gît à mourir : 6+6 b
C'est par là que le ciel se laisse conquérir, 6+6 b
Et Dieu pour te sauver n'a point fait d'autre voie. 6+6 a
65 La véritable vie et la solide paix, 6+6 c
Le calme intérieur de nos plus doux souhaits, 6+6 c
Le vrai repos enfin, c'est la croix qui le donne : 6+6 d
Apprends donc sans relâche à te mortifier, 6+6 e
Et sache que quiconque aspire à la couronne, 6+6 d
70 C'est à la seule croix qu'il se doit confier. 6+6 e
Revois de tous les temps l'image retracée, 6+6 a
Marche de tous côtés, cherche de toutes parts, 6+6 b
Jusqu'au plus haut des cieux élève tes regards, 6+6 b
Jusqu'au fond de la terre abîme ta pensée ; 6+6 a
75 Vois ce qu'a de plus haut la contemplation, 6+6 c
Vois ce qu'a de plus sûr l'humiliation, 6+6 c
Ne laisse rien à voir dans toute la nature : 6+6 d
Tu ne trouveras point à faire un autre choix, 6+6 e
Tu ne trouveras point ni de route plus sûre, 6+6 d
80 Ni de chemin plus haut que celui de la croix. 6+6 e
Va plus outre, et de tout absolument dispose, 6+6 a
Règle tout sous ton ordre au gré de ton desir, 6+6 b
Tu ne manqueras point d'objets de déplaisir, 6+6 b
Tu trouveras partout à souffrir quelque chose : 6+6 a
85 Ou de force, ou de gré, quoi qu'on veuille espérer, 6+6 c
Toujours de quoi souffrir et de quoi soupirer 6+6 c
Nous présente partout la croix inévitable ; 6+6 d
Et nous sentons au corps toujours quelque douleur, 6+6 e
Ou quelque trouble en l'âme, encor plus intraitable, 6+6 d
90 Qui semblent tour à tour nous livrer au malheur. 6+6 e
Dieu te délaissera quelquefois sans tendresse ; 6+6 a
Souvent par le prochain tu seras exercé ; 6+6 b
Souvent dans le chagrin par toi-même enfoncé, 6+6 b
Tu deviendras toi-même à charge à ta foiblesse ; 6+6 a
95 Souvent, et sans remède et sans allégement, 6+6 c
Tu ne rencontreras dans cet accablement 6+6 c
Rien qui puisse guérir ni relâcher ta peine : 6+6 d
Ton seul recours alors doit être d'endurer 6+6 e
Par une patience égale à cette gêne, 6+6 d
100 Tant qu'il plaît à ton Dieu de la faire durer. 6+6 e
Ses ordres amoureux veulent ainsi t'instruire 6+6 a
À souffrir l'amertume, et pleine, et sans douceur, 6+6 b
Afin que ta vertu laisse aller tout ton cœur 6+6 b
Où son vouloir sacré se plaît à le conduire : 6+6 a
105 Il te veut tout soumis, et par l'adversité 6+6 c
Il cherche à voir en toi croître l'humilité, 6+6 c
À te donner un goût plus pur de sa souffrance ; 6+6 d
Car aucun ne la goûte enfin si purement 6+6 e
Que celui qu'a daigné choisir sa providence 6+6 d
110 Pour lui faire éprouver un semblable tourment. 6+6 e
La croix donc en tous lieux est toujours préparée ; 6+6 a
La croix t'attend partout, et partout suit tes pas : 6+6 b
Fuis-la de tous côtés, et cours où tu voudras, 6+6 b
Tu n'éviteras point sa rencontre assurée. 6+6 a
115 Tel est notre destin, telles en sont les lois ; 6+6 c
Tout homme pour lui-même est une vive croix, 6+6 c
Pesante d'autant plus que plus lui-même il s'aime ; 6+6 d
Et comme il n'est en soi que misère et qu'ennui, 6+6 e
En quelque lieu qu'il aille, il se porte lui-même, 6+6 d
120 Et rencontre la croix qu'il y porte avec lui. 6+6 e
Regarde sous tes pieds, regarde sur ta tête, 6+6 a
Regarde-toi dedans, regarde-toi dehors, 6+6 b
N'oublie aucuns secrets, n'épargne aucuns efforts, 6+6 b
Tu trouveras partout cette croix toujours prête. 6+6 a
125 Tu trouveras partout tes secrets confondus, 6+6 c
Ton espérance vaine et tes efforts perdus, 6+6 c
Si tu n'es en tous lieux armé de patience : 6+6 d
C'est là l'unique effort qui te puisse en tous lieux 6+6 e
Sous un ferme repos calmer la conscience, 6+6 d
130 Et te prêter une aide à mériter les cieux. 6+6 e
Porte-la de bon cœur, cette croix salutaire, 6+6 a
Que tu vois attachée à ton infirmité ; 6+6 b
Fais un hommage à Dieu d'une nécessité, 6+6 b
Et d'un mal infaillible un tribut volontaire. 6+6 a
135 Elle te portera toi-même en tes travaux, 6+6 c
Elle te conduira par le milieu des maux 6+6 c
Jusqu'à cet heureux port où la peine est finie ; 6+6 d
Mais ce n'est pas ici que tu dois l'espérer : 6+6 e
La fin des maux consiste en celle de la vie, 6+6 d
140 Et l'on trouve à gémir tant qu'on peut respirer. 6+6 e
Si c'est avec regret, lâche, que tu la portes, 6+6 a
Si par de vains efforts tu l'oses rejeter, 6+6 b
Tu t'en fais un fardeau plus fâcheux à porter, 6+6 b
Tu l'attaches à toi par des chaînes plus fortes. 6+6 a
145 Son joug mal secoué, devenu plus pesant, 6+6 c
Te charge malgré toi d'un amas plus cuisant, 6+6 c
Impose un nouveau comble à tes inquiétudes ; 6+6 d
Ou si tu peux enfin t'affranchir d'une croix, 6+6 e
Ce n'est que faire place à d'autres croix plus rudes, 6+6 d
150 Qui te viennent sur l'heure accabler de leur poids. 6+6 e
Te pourrois-tu soustraire à cette loi commune 6+6 a
Dont aucun des mortels n'a pu se dispenser ? 6+6 b
Quel monarque par là n'a-t-on point vu passer ? 6+6 b
Qui des saints a vécu sans croix, sans infortune ? 6+6 a
155 Ton maître Jésus-Christ n'eut pas un seul moment 6+6 c
Dégagé des douleurs et libre du tourment 6+6 c
Que de sa passion avançoit la mémoire : 6+6 d
Il fallut comme toi qu'il portât son fardeau ; 6+6 e
Il lui fallut souffrir pour se rendre à sa gloire, 6+6 d
160 Et pour monter au trône, entrer dans le tombeau. 6+6 e
Quel privilége as-tu, vil amas de poussière, 6+6 a
Dont tu t'oses promettre un plus heureux destin ? 6+6 b
Crois-tu monter au ciel par un autre chemin ? 6+6 b
Crois-tu vaincre ici-bas sous une autre bannière ? 6+6 a
165 Jésus-Christ, en vivant, n'a fait que soupirer, 6+6 c
Il n'a fait que gémir, il n'a fait qu'endurer ; 6+6 c
Les plus beaux jours pour lui n'ont été que supplices ; 6+6 d
Et tu ne veux pour toi que pompe et que plaisirs, 6+6 e
Qu'une oisiveté vague où flottent les délices, 6+6 d
170 Qu'une pleine licence où nagent tes desirs ! 6+6 e
Tu t'abuses, pécheur, si ton âme charmée 6+6 a
Cherche autre chose ici que tribulations : 6+6 b
Elle n'y peut trouver que des afflictions, 6+6 b
Que des croix, dont la vie est toute parsemée. 6+6 a
175 Souvent même, souvent nous voyons arriver 6+6 c
Que plus l'homme en esprit apprend à s'élever, 6+6 c
Et plus de son exil les croix lui sont pesantes : 6+6 d
Tel est d'un saint amour le digne empressement, 6+6 e
Que plus dans notre cœur ses flammes sont puissantes, 6+6 d
180 Plus il nous fait sentir notre bannissement. 6+6 e
Ce cœur ainsi sensible et touché de la sorte 6+6 a
N'est pas pourtant sans joie au milieu des douleurs, 6+6 b
Et le fruit qu'il reçoit de ses propres malheurs 6+6 b
S'augmente d'autant plus que sa souffrance est forte : 6+6 a
185 À peine porte-t-il cette croix sans regret, 6+6 c
Que Dieu par un secours et solide et secret 6+6 c
Tourne son amertume en douce confiance ; 6+6 d
Et plus ce triste corps est sous elle abattu, 6+6 e
Plus par la grâce unie à tant de patience 6+6 d
190 L'esprit fortifié s'élève en la vertu. 6+6 e
Comme l'expérience a toujours fait connoître 6+6 a
Que le nœud de l'amour est la conformité, 6+6 b
Il soupire à toute heure après l'adversité, 6+6 b
Qui le fait d'autant mieux ressembler à son maître. 6+6 a
195 L'impatient desir de cet heureux rapport 6+6 c
Dans un cœur tout de flamme est quelquefois si fort, 6+6 c
Qu'il ne voudroit pas être un moment sans souffrance, 6+6 d
Et croit avec raison que plus il peut souffrir, 6+6 e
Plus il plaît à ce maître, et qu'enfin sa constance 6+6 d
200 Est le plus digne encens qu'il lui sauroit offrir. 6+6 e
Mais ne présume pas que la vertu de l'homme 6+6 a
Produise d'elle-même une telle ferveur : 6+6 b
C'est de ce maître aimé la céleste faveur 6+6 b
Qui la fait naître en nous, l'y nourrit, l'y consomme ; 6+6 a
205 C'est de sa pleine grâce un sacré mouvement 6+6 c
Qui sur la chair fragile agit si puissamment, 6+6 c
Que tout l'homme lui cède et se fait violence, 6+6 d
Et que ce qu'il abhorre et que ce qu'il refuit, 6+6 e
Sitôt que cette grâce entre dans la balance, 6+6 d
210 Devient tout ce qu'il aime et tout ce qu'il poursuit. 6+6 e
Ce n'est pas de nos cœurs la pente naturelle 6+6 a
De porter une croix, de se plaire à pâtir, 6+6 b
De châtier le corps pour mieux assujettir 6+6 b
Sous les lois de l'esprit ce dangereux rebelle : 6+6 a
215 Il n'est pas naturel de craindre et fuir l'honneur, 6+6 c
De tenir le mépris à souverain bonheur, 6+6 c
De n'avoir pour soi-même aucune propre estime, 6+6 d
De supporter la peine avec tranquillité, 6+6 e
Et d'être des malheurs la butte et la victime, 6+6 d
220 Sans faire aucun souhait pour la prospérité. 6+6 e
Tu ne peux rien, mortel, de toutes ces merveilles, 6+6 a
Quand ce n'est que sur toi que tu jettes les yeux ; 6+6 b
Mais quand ta confiance est toute entière aux cieux, 6+6 b
Elle en reçoit pour toi des forces sans pareilles : 6+6 a
225 Alors victorieux de tous tes ennemis, 6+6 c
La chair sous toi domptée et le monde soumis, 6+6 c
Ton âme de tes sens ne se voit plus captive ; 6+6 d
Et tu braves partout le prince de l'enfer, 6+6 e
Quand ton cœur à sa rage oppose une foi vive, 6+6 d
230 Et ton front cette croix qui sut en triompher. 6+6 e
Résous-toi, résous-toi, mais d'un courage extrême, 6+6 a
En serviteur fidèle, à porter cette croix 6+6 b
Où ton maître lui-même a rendu les abois, 6+6 b
Pressé du seul amour qu'il avoit pour toi-même. 6+6 a
235 Te redirai-je encor qu'il te faut préparer 6+6 c
À mille et mille maux que force d'endurer 6+6 c
Le cours de cette triste et misérable vie ? 6+6 d
Te redirai-je encor que le premier péché 6+6 e
En a semé partout une suite infinie, 6+6 d
240 Qui te sauront trouver, où que tu sois caché ? 6+6 e
Je ne m'en lasse point : oui, c'est l'ordre des choses, 6+6 a
Il n'est point de remède à ce commun malheur ; 6+6 b
Tu te verras sans cesse accablé de douleur, 6+6 b
Si tu ne peux souffrir, si tu ne t'y disposes. 6+6 a
245 Contemple de Jésus l'affreuse passion, 6+6 c
Bois son calice amer avec affection, 6+6 c
Si tu veux avoir part à son grand héritage ; 6+6 d
Et remets en souffrant le soin à sa bonté 6+6 e
De consoler tes maux durant cet esclavage, 6+6 d
250 Et d'ordonner de tout suivant sa volonté. 6+6 e
Cependant de ta part ne reçois qu'avec joie 6+6 a
Ce qu'il te fait souffrir de tribulations, 6+6 b
Répute-les pour toi des consolations, 6+6 b
Des grâces que sur toi sa main propre déploie. 6+6 a
255 Songe que quoi qu'ici tu puisses supporter, 6+6 c
Tes maux, pour grands qu'ils soient, ne peuvent mériter 6+6 c
Le bien qui t'est promis en la gloire future, 6+6 d
Et que quand tu pourrois souffrir tous les mépris, 6+6 e
Souffrir tous les revers dont gémit la nature, 6+6 d
260 Tu ne souffrirois rien digne d'un si haut prix. 6+6 e
Veux-tu faire un essai du paradis en terre ? 6+6 a
Veux-tu te rendre heureux avant que de mourir ? 6+6 b
Prends, pour l'amour de Dieu, prends plaisir à souffrir, 6+6 b
Prends goût à tous ces maux qui te livrent la guerre. 6+6 a
265 Souffrir avec regret, souffrir avec chagrin, 6+6 c
Tenir l'affliction pour un cruel destin, 6+6 c
La fuir, ou ne chercher qu'à s'en voir bientôt quitte, 6+6 d
C'est se rendre en effet d'autant plus malheureux : 6+6 e
L'affliction s'obstine à suivre qui l'évite, 6+6 d
270 Et lui porte partout des coups plus rigoureux. 6+6 e
Range à ce que tu dois ton âme en patience, 6+6 a
Je veux dire à souffrir de moment en moment, 6+6 b
Et tes maux recevront un prompt soulagement 6+6 b
De la solide paix qu'aura ta conscience. 6+6 a
275 Fusses-tu tout parfait, fusses-tu de ces lieux 6+6 c
Ravi, comme Saint Paul, au troisième des cieux, 6+6 c
Tu ne te verrois point affranchi de traverses, 6+6 d
Puisqu'enfin ce fut là que le verbe incarné 6+6 e
Lui fit voir les travaux et les peines diverses 6+6 d
280 Qu'à souffrir pour son nom il l'avoit destiné. 6+6 e
Tu n'as point à prétendre ici d'autres délices 6+6 a
Qu'une longue souffrance, ou de corps ou d'esprit, 6+6 b
Du moins si ton dessein est d'aimer Jésus-Christ, 6+6 b
Si tu veux jusqu'au bout lui rendre tes services ; 6+6 a
285 Et plût à sa bonté que par un heureux choix 6+6 c
Un violent desir de supporter sa croix 6+6 c
Te fît digne pour lui de souffrir quelque chose ! 6+6 d
Que de gloire à ton cœur ainsi mortifié ! 6+6 e
Que d'allégresse aux saints dont tu serois la cause ! 6+6 d
290 Que ton prochain par là seroit édifié ! 6+6 e
On recommande assez la patience aux autres, 6+6 a
Mais il s'en trouve peu qui veuillent endurer ; 6+6 b
Et quand à notre tour il nous faut soupirer, 6+6 b
Ce remède à tous maux n'est plus bon pour les nôtres. 6+6 a
295 Tu devrois bien pourtant souffrir un peu pour Dieu, 6+6 c
Toi qui peux reconnoître à toute heure, en tout lieu, 6+6 c
Combien plus un mondain endure pour le monde : 6+6 d
Vois ce que sa souffrance espère d'acquérir, 6+6 e
Vois quel but a sa vie en travaux si féconde, 6+6 d
300 Et fais pour te sauver ce qu'il fait pour périr. 6+6 e
Pour maxime infaillible imprime en ta pensée 6+6 a
Que chaque instant de vie est un pas vers la mort, 6+6 b
Et qu'il faut de ton âme appliquer tout l'effort 6+6 b
À goûter chaque jour une mort avancée. 6+6 a
305 C'est là, pour vivre heureux, que tu dois recourir : 6+6 c
Plus un homme à lui-même étudie à mourir, 6+6 c
Plus il commence à vivre à l'auteur de son être ; 6+6 d
Et des biens éternels les célestes clartés 6+6 e
Jamais à nos esprits ne se laissent connoître, 6+6 d
310 S'ils n'acceptent pour lui toutes adversités. 6+6 e
En ce monde pour toi rien n'est plus salutaire, 6+6 a
Rien n'est plus agréable aux yeux du tout-puissant, 6+6 b
Que d'y souffrir pour lui le coup le plus perçant, 6+6 b
Et par un saint amour le rendre volontaire. 6+6 a
315 Si Dieu même, si Dieu t'y donnoit à choisir 6+6 c
Ou l'extrême souffrance ou l'extrême plaisir, 6+6 c
Tu devrois au plaisir préférer la souffrance : 6+6 d
Plus un si digne choix régleroit tes desseins, 6+6 e
Plus ta vie à la sienne auroit de ressemblance, 6+6 d
320 Et deviendroit conforme à celle de ses saints. 6+6 e
Ce peu que nous pouvons amasser de mérite, 6+6 a
Ce peu qu'il contribue à notre avancement, 6+6 b
Ne gît pas aux douceurs de cet épanchement 6+6 b
Qu'une vie innocente au fond des cœurs excite. 6+6 a
325 Non, ne nous flattons point de ces illusions : 6+6 c
Ce n'est pas la grandeur des consolations 6+6 c
Qui pour monter au ciel rend notre âme plus forte ; 6+6 d
C'est le nombre des croix, c'en est la pesanteur, 6+6 e
C'est la soumission dont cette âme les porte, 6+6 d
330 Qui l'élève et l'unit à son divin auteur. 6+6 e
S'il étoit quelque chose en toute la nature 6+6 a
Qui pour notre salut fût plus avantageux, 6+6 b
Ce Dieu, qui n'a pris chair que pour nous rendre heureux, 6+6 b
De parole et d'exemple en eût fait l'ouverture. 6+6 a
335 Ses disciples aimés suivoient par là ses pas ; 6+6 c
Et quiconque après eux veut le suivre ici-bas, 6+6 c
C'est de sa propre voix qu'à souffrir il l'exhorte ; 6+6 d
À tout sexe, à tout âge, il fait la même loi : 6+6 e
« renonce à toi, dit-il, prends ta croix, et la porte, 6+6 d
340 Et par où j'ai marché viens et marche après moi. » 6+6 e
Concluons en un mot, et de tant de passages, 6+6 a
De tant d'instructions et de raisonnements, 6+6 b
Réunissons pour fruit tous les enseignements 6+6 b
À l'amour des malheurs, à la soif des outrages : 6+6 a
345 Affermissons nos cœurs dans cette vérité, 6+6 c
Que l'amas des vrais biens, l'heureuse éternité, 6+6 c
Ne se peut acquérir qu'à force de souffrances, 6+6 d
Que les afflictions sont les portes des cieux, 6+6 e
Qu'aux travaux Dieu mesure enfin les récompenses, 6+6 d
350 Et donne la plus haute à qui souffre le mieux. 6+6 e
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