Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
COR_1/COR35
Pierre CORNEILLE
Imitation De Jésus-Christ
1656
LIVRE PREMIER
CHAPITRE III
De la doctrine de la vérité.
Qu'heureux est le mortel que la vérité même 6+6 a
Conduit de sa main propre au chemin qui lui plaît ! 6+6 b
Qu'heureux est qui la voit dans sa beauté suprême, 6+6 a
Sans voile et sans emblème, 6 a
5 Et telle enfin qu'elle est ! 6 b
Nos sens sont des trompeurs, dont les fausses images 6+6 a
À notre entendement n'offrent rien d'assuré, 6+6 b
Et ne lui font rien voir qu'à travers cent nuages 6+6 a
Qui jettent mille ombrages 6 a
10 Dans l'œil mal éclairé. 6 b
De quoi sert une longue et subtile dispute 6+6 a
Sur des obscurités où l'esprit est déçu ? 6+6 b
De quoi sert qu'à l'envi chacun s'en persécute, 6+6 a
Si Dieu jamais n'impute 6 a
15 De n'en avoir rien su ? 6 b
Grande perte de temps et plus grande foiblesse 6+6 a
De s'aveugler soi-même et quitter le vrai bien, 6+6 b
Pour consumer sa vie à pointiller sans cesse 6+6 a
Sur le genre et l'espèce, 6 a
20 Qui ne servent à rien. 6 b
Touche, verbe éternel, ces âmes curieuses : 6+6 a
Celui que ta parole une fois a frappé, 6+6 b
De tant d'opinions vaines, ambitieuses, 6+6 a
Et souvent dangereuses, 6 a
25 Est bien développé. 6 b
Ce verbe donne seul l'être à toutes les causes ; 6+6 a
Il nous parle de tout, tout nous parle de lui ; 6+6 b
Il tient de tout en soi les natures encloses ; 6+6 a
Il est de toutes choses 6 a
30 Le principe et l'appui. 6 b
Aucun sans son secours ne sauroit se défendre 6+6 a
D'un million d'erreurs qui courent l'assiéger, 6+6 b
Et depuis qu'un esprit refuse de l'entendre, 6+6 a
Quoi qu'il pense comprendre, 6 a
35 Il n'en peut bien juger. 6 b
Mais qui rapporte tout à ce verbe immuable, 6+6 a
Qui voit tout en lui seul, en lui seul aime tout, 6+6 b
À la plus rude attaque il est inébranlable, 6+6 a
Et sa paix ferme et stable 6 a
40 En vient soudain à bout ! 6 b
O dieu de vérité, pour qui seul je soupire, 6+6 a
Unis-moi donc à toi par de forts et doux nœuds ! 6+6 b
Je me lasse d'ouïr, je me lasse de lire, 6+6 a
Mais non pas de te dire : 6 a
45 « c'est toi seul que je veux. » 6 b
Parle seul à mon âme, et qu'aucune prudence, 6+6 a
Qu'aucun autre docteur ne m'explique tes lois ; 6+6 b
Que toute créature à ta sainte présence 6+6 a
S'impose le silence, 6 a
50 Et laisse agir ta voix. 6 b
Plus l'esprit se fait simple et plus il se ramène 6+6 a
Dans un intérieur dégagé des objets, 6+6 b
Plus lors sa connoissance est diffuse et certaine, 6+6 a
Et s'élève sans peine 6 a
55 Jusqu'aux plus hauts sujets. 6 b
Oui, Dieu prodigue alors ses grâces plus entières, 6+6 a
Et portant notre idée au-dessus de nos sens, 6+6 b
Il nous donne d'en haut d'autant plus de lumières, 6+6 a
Qui percent les matières 6 a
60 Par des traits plus puissants. 6 b
Cet esprit simple, uni, stable, pur, pacifique, 6+6 a
En mille soins divers n'est jamais dissipé, 6+6 b
Et l'honneur de son Dieu, dans tout ce qu'il pratique, 6+6 a
Est le projet unique 6 a
65 Qui le tient occupé. 6 b
Il est toujours en soi détaché de soi-même ; 6+6 a
Il ne sait point agir quand il se faut chercher, 6+6 b
Et fût-il dans l'éclat de la grandeur suprême, 6+6 a
Son propre diadème 6 a
70 Ne l'y peut attacher. 6 b
Il ne croit trouble égal à celui que se cause 6+6 a
Un cœur qui s'abandonne à ses propres transports, 6+6 b
Et maître de soi-même, en soi-même il dispose 6+6 a
Tout ce qu'il se propose 6 a
75 De produire au dehors. 6 b
Bien loin d'être emporté par le courant rapide 6+6 a
Des flots impétueux de ses bouillants desirs, 6+6 b
Il les dompte, il les rompt, il les tourne, il les guide, 6+6 a
Et donne ainsi pour bride 6 a
80 La raison aux plaisirs. 6 b
Mais pour se vaincre ainsi qu'il faut d'art et de force ! 6+6 a
Qu'il faut pour ce combat préparer de vigueur ! 6+6 b
Et qu'il est malai de faire un plein divorce 6+6 a
Avec la douce amorce 6 a
85 Que chacun porte au cœur ! 6 b
Ce devroit être aussi notre unique pene 6+6 a
De nous fortifier chaque jour contre nous, 6+6 b
Pour en déraciner cette amour empressée 6+6 a
Où l'âme intéressée 6 a
90 Trouve un poison si doux. 6 b
Les soins que cette amour nous donne en cette vie 6+6 a
Ne peuvent aussi bien nous élever si haut, 6+6 b
Que la perfection la plus digne d'envie 6+6 a
N'y soit toujours suivie 6 a
95 Des hontes d'un défaut. 6 b
Nos spéculations ne sont jamais si pures 6+6 a
Qu'on ne sente un peu d'ombre y régner à son tour ; 6+6 b
Nos plus vives clartés ont des couleurs obscures, 6+6 a
Et cent fausses peintures 6 a
100 Naissent d'un seul faux jour. 6 b
Mais n'avoir que mépris pour soi-même et que haine 6+6 a
Ouvre et fait vers le ciel un chemin plus certain, 6+6 b
Que le plus haut effort de la science humaine, 6+6 a
Qui rend l'âme plus vaine 6 a
105 Et l'égare soudain. 6 b
Ce n'est pas que de Dieu ne vienne la science : 6+6 a
D'elle-même elle est bonne, et n'a rien à blâmer ; 6+6 b
Mais il faut préférer la bonne conscience 6+6 a
À cette impatience 6 a
110 De se faire estimer. 6 b
Cependant, sans souci de régler sa conduite, 6+6 a
On veut être savant, on en cherche le bruit ; 6+6 b
Et cette ambition par qui l'âme est séduite 6+6 a
Souvent traîne à sa suite 6 a
115 Mille erreurs pour tout fruit. 6 b
Ah ! Si l'on se donnoit la même diligence, 6+6 a
Pour extirper le vice et planter la vertu, 6+6 b
Que pour subtiliser sa propre intelligence 6+6 a
Et tirer la science 6 a
120 Hors du chemin battu ! 6 b
De tant de questions les dangereux mystères 6+6 a
Produiroient moins de trouble et de renversement, 6+6 b
Et ne couleroient pas dans les règles austères 6+6 a
Des plus saints monastères 6 a
125 Tant de relâchement. 6 b
Un jour, un jour viendra qu'il faudra rendre conte, 6+6 a
Non de ce qu'on a lu, mais de ce qu'on a fait ; 6+6 b
Et l'orgueilleux savoir, à quelque point qu'il monte, 6+6 a
N'aura lors que la honte 6 a
130 De son mauvais effet. 6 b
Où sont tous ces docteurs qu'une foule si grande 6+6 a
Rendoit à tes yeux même autrefois si fameux ? 6+6 b
Un autre tient leur place, un autre a leur prébende, 6+6 a
Sans qu'aucun te demande 6 a
135 Un souvenir pour eux. 6 b
Tant qu'a duré leur vie, ils sembloient quelque chose ; 6+6 a
Il semble après leur mort qu'ils n'ont jamais été : 6+6 b
Leur mémoire avec eux sous leur tombe est enclose ; 6+6 a
Avec eux y repose 6 a
140 Toute leur vanité. 6 b
Ainsi passe la gloire où le savant aspire, 6+6 a
S'il n'a mis son étude à se justifier : 6+6 b
C'est là le seul emploi qui laisse lieu d'en dire 6+6 a
Qu'il avoit su bien lire 6 a
145 Et bien étudier. 6 b
Mais au lieu d'aimer Dieu, d'agir pour son service, 6+6 a
L'éclat d'un vain savoir à toute heure éblouit, 6+6 b
Et fait suivre à toute heure un brillant artifice 6+6 a
Qui mène au précipice, 6 a
150 Et là s'évanouit. 6 b
Du seul desir d'honneur notre âme est enflammée : 6+6 a
Nous voulons être grands plutôt qu'humbles de cœur ; 6+6 b
Et tout ce bruit flatteur de notre renommée, 6+6 a
Comme il n'est que fumée, 6 a
155 Se dissipe en vapeur. 6 b
La grandeur véritable est d'une autre nature : 6+6 a
C'est en vain qu'on la cherche avec la vanité ; 6+6 b
Celle d'un vrai chrétien, d'une âme toute pure, 6+6 a
Jamais ne se mesure 6 a
160 Que sur sa charité. 6 b
Vraiment grand est celui qui dans soi se ravale, 6+6 a
Qui rentre en son néant pour s'y connoître bien, 6+6 b
Qui de tous les honneurs que l'univers étale 6+6 a
Craint la pompe fatale, 6 a
165 Et ne l'estime à rien. 6 b
Vraiment sage est celui dont la vertu resserre 6+6 a
Autour du vrai bonheur l'essor de son esprit, 6+6 b
Qui prend pour du fumier les choses de la terre, 6+6 a
Et qui se fait la guerre 6 a
170 Pour gagner Jésus-Christ. 6 b
Et vraiment docte enfin est celui qui préfère 6+6 a
À son propre vouloir le vouloir de son Dieu, 6+6 b
Qui cherche en tout, partout, à l'apprendre, à le faire, 6+6 a
Et jamais ne diffère 6 a
175 Ni pour temps ni pour lieu. 6 b
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