Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
COP_9/COP215
corpus Pamela Puntel
François COPPÉE
ÉCRIT PENDANT LE SIÈGE
édition partielle du recueil : LES HUMBLES (1891)
1870
LETTRE D'UN MOBILE BRETON
Maman, et toi, vieux père, et toi, ma sœur mignonne, 6+6 a
Ce soir, en attendant que le couvre-feu sonne, 6+6 a
Je mets la plume en main pour vous dire comment 6+6 b
Je pense tous les jours à vous très-tendrement, 6+6 b
5 Très-tristement aussi, malgré toute espérance ; 6+6 a
Car, bien qu'ayant juré de mourir pour la France 6+6 a
Et certain que je suis d'accomplir mon devoir, 6+6 b
Je ne puis pas songer au pays sans revoir 6+6 b
La maison, le buffet et ses vaisselles peintes, 6+6 a
10 La table, le poiré qui mousse dans les pintes, 6+6 a
La soupière de choux qui fume et qui sent bon 6+6 b
Entre les vastes plats de noix et de jambon, 6+6 b
La sœur et la maman priant, les deux mains jointes, 6+6 a
Avec leurs bonnets blancs et leurs fichus à pointes, 6+6 a
15 Et papa qui, pensant que je manque au souper, 6+6 b
Fait sa croix sur le pain avant de le couper. 6+6 b
Laissons cela. D'ailleurs je reviendrai peut-être. 6+6 a
— Donc nous sommes campés sous le fort de Bicêtre, 6+6 a
Avec Monsieur le Comte et tous ceux de chez nous. 6+6 b
20 Je vous écris ceci, mon sac sur les genoux, 6+6 b
Sous la tente, et le vent fait trembler ma chandelle. 6+6 a
Bicêtre est une sombre et forte citadelle, 6+6 a
Où des Bretons marins, de rudes compagnons, 6+6 b
Dorment dans le caban auprès de leurs canons, 6+6 b
25 Tout comme sur un brick à l'ancre dans la rade. 6+6 a
Aussi j'ai trouvé là plus d'un bon camarade 6+6 a
Parti depuis longtemps entre le ciel et l'eau, 6+6 b
Car Saint-Servan n'est pas bien loin de Saint-Malo, 6+6 b
Et nous avons vidé quelquefois un plein verre. 6+6 a
30 Mon bataillon était de la dernière affaire, 6+6 a
A preuve que Noël, le cadet du sonneur, 6+6 b
Comme on dit à Paris, est mort au champ d'honneur. 6+6 b
Il avait un éclat de bombe dans la cuisse. 6+6 a
Il saignait, il criait. Je ne crois pas qu'on puisse 6+6 a
35 Voir cela sans horreur, et chacun étouffait ; 6+6 b
Mais nos vieux officiers prétendent qu'on s'y fait. 6+6 b
On nous a porté tous à l'ordre de l'armée. 6+6 a
Moi, j'ai tiré des coups de feu dans la fumée 6+6 a
Et j'ai marché toujours en avant, sans rien voir. 6+6 b
40 Enfin on a sonné la retraite, et, le soir, 6+6 b
Un vieux, au képi d'or, qui tordait sa barbiche 6+6 a
Et qui de compliments paraît être assez chiche, 6+6 a
Nous a dit : « Nom de nom ! mes enfants, c'est très-bien ! » 6+6 b
Et quoiqu'il blasphémât, c'est vrai, comme un païen, 6+6 b
45 Et qu'il lançât sur nous un regard diabolique, 6+6 a
Nous avons tous crié : « Vive la République ! » 6+6 a
— Ce mot là, c'est toujours du français, n'est-ce pas ? — 6+6 b
Quelques-uns d'entre nous se plaignent bien tout bas 6+6 b
Et sont, avec raison, mécontents qu'on ricane 6+6 a
50 De notre vieil abbé qui trousse sa soutane, 6+6 a
Marche à côté de nous droit au-devant du feu 6+6 b
Et parle à nos blessés du pays et de Dieu ; 6+6 b
Mais aux mauvais railleurs nous faisons la promesse 6+6 a
De bien montrer comment on meurt, après la messe. 6+6 a
55 — Nous avons traversé Paris. Il m'a fait peur. 6+6 b
Puis nous l'avons trouvé dans la grande stupeur, 6+6 b
Sombre et lisant tout haut des journaux dans les rues. 6+6 a
Huit jours les habitants logèrent les recrues. 6+6 a
Nous étions, Pierre et moi, chez des bourgeois cossus, 6+6 b
60 Où nous fûmes assez honnêtement reçus. 6+6 b
Pourtant j'étais d'abord chez eux mal à mon aise 6+6 a
Et je restais assis sur le bord de ma chaise, 6+6 a
Confus de l'embarras où nous les avions mis. 6+6 b
Mais leurs petits enfants devinrent nos amis ; 6+6 b
65 Ils riaient avec nous, jouaient avec nos armes 6+6 a
Et couvraient, les démons ! de leurs joyeux vacarmes 6+6 a
Le bruit que nous faisions avec nos gros souliers. 6+6 b
Bref, nous sommes partis bien réconciliés 6+6 b
Et, les jours de congé, nous leur faisons visite. 6+6 a
70 — Allons ! il faut finir cette lettre au plus vite, 6+6 a
Car le clairon au loin jette ses sons cuivrés. 6+6 b
Je ne sais pas encor si vous la recevrez, 6+6 b
Mais je suis bien content d'avoir suivi l'école. 6+6 a
Grâce au savoir, qu'on raille au pays agricole, 6+6 a
75 Me voilà caporal avec un beau galon 6+6 b
Et puis je vous écris ces mots par le ballon. 6+6 b
Maintenant, au revoir, chers parents, je l'espère. 6+6 a
Si je ne reviens pas, ô ma mère et mon père, 6+6 a
Songez que votre fils est mort en défenseur 6+6 b
80 De notre pauvre France ; et toi, mignonne sœur, 6+6 b
Quand tu rencontreras Yvonne à la fontaine, 6+6 a
Dis-lui bien que je l'aime et qu'elle soit certaine 6+6 a
Que dans ce grand Paris, effrayant et moqueur, 6+6 b
Je suis toujours le sien et lui garde mon cœur. 6+6 b
85 Baise ses cheveux blonds, fais-lui la confidence 6+6 a
Que j'ai peur du grand gars qui lui parle à la danse ; 6+6 a
Dis-lui qu'elle soit calme et garde le logis 6+6 b
Et que je ne veux pas trouver ses yeux rougis. 6+6 b
— Adieu. Voici pour vous ma tendresse suprême 6+6 a
90 Et je signe, en pleurant, votre enfant qui vous aime » 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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