Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
COP_6/COP174
François COPPÉE
DES VERS FRANÇAIS
1906
L'Écu de six livres
LA bonté, c'est le fondde toute âme française. 6+6 a
A la fin de l'an milsept cent quatre-vingt-treize, 6+6 a
Quand le pays étaitivre de sang et fou 6+6 b
Et quand chaque buissonde Vendée et d'Anjou 6+6 b
5 Pour les républicainscachait une embuscade, 6+6 a
Douze ou quinze soldatsd'une demi-brigade 6+6 a
De Mayençais, ployantsous le sac, éreintés 6+6 b
Par une longue marcheen des chemins crottés, 6+6 b
Arrivèrent, le soir,dans un petit village. 6+6 a
10 Il faisait froid. Le rougeet sinistre sillage 6+6 a
Du soleil disparus'éteignait dans le ciel ; 6+6 b
Et c'était justementla veille de Noël. 6+6 b
Noël ! Nul ne pensaitau joue de fête, certes. 6+6 a
Quel accueil ! Les maisonsétaient toutes désertes, 6+6 a
15 Car, sachant que les Bleusarrivaient aujourd'hui, 6+6 b
Les habitants remplisde terreur avaient fui ; 6+6 b
Et tous ces logis clos,cette église fermée, 6+6 a
Ces toits d' ne sortaitnul filet de fumée, 6+6 a
A ces pauvres soldats,dans leur propre pays, 6+6 b
20 Disaient qu'ils' faisaient peuret qu'ils étaient haïs. 6+6 b
Mon Dieu, préservez-nousde la guerre civile ! 6+6 a
Au petit peloton,l'arme au pied, immobile, 6+6 a
Le sergent, beau jeune hommeau regard sérieux, 6+6 b
Dit alors :
— Mes amis,logez-vous pour le mieux. 6+6 b
25 Sous quelques coups de crosseune porte voisine 6+6 a
Tomba. Bientôt le feubrilla dans la cuisine 6+6 a
Et les hommes contentsde sécher leurs habits 6+6 b
Firent la soupe avecle lard et les pains bis 6+6 b
Qu'ils avaient apportésau bout des baïonnettes. 6+6 a
30 Cependant, avec desallures inquiètes 6−6 a
Et suivi par un vieuxcaporal chevronné, 6+6 b
Le sergent visitaitle bourg abandonné, 6+6 b
Quand la vitre d'une humbleet croulante chaumière 6+6 a
S'éclaira, devant lui,d'une faible lumière. 6+6 a
35 Ils ne se sont donc pastous sauvés devant nous 6+6 b
Comme devant la pesteen ce pays de loups, 6+6 b
Dit-il.
L'autre reprit :
Entrons, et qu'on s'explique. 6+6 a
Nous leur ferons crier :« Vive la République ! » 6+6 a
A ceux-là qui n'ont pasencore décampé 6+6 b
Entrons.
40 On leur ouvritdès qu'ils eurent frappé ; 6+6 b
Et sur le seuil parutune petite fille, 6+6 a
Pieds nus dans des sabots,et la jupe en guenille. 6+6 a
Elle portait, avecun geste maternel 6+6 b
Et touchant qui semblaitchez elle habituel, 6+6 b
45 Un gros enfant dormantsur sa chétive épaule. 6+6 a
Avoir affaire à cesmarmots, ce n'est pas drôle, 6−6 a
Dit le sergent de quil'humeur se dissipa. 6+6 b
Réponds, petite !… doncsont maman et papa ? 6+6 b
Elle leva les yeuxsur lui, triste et naïve, 6+6 a
50 Puis elle réponditde cette voix plaintive 6+6 a
Que donne la misèreaux pauvres paysans : 6+6 b
— La mère ?… Mais elle estmorte depuis deux ans, 6+6 b
Quand elle m'a donnéJacques, mon petit frère. 6+6 a
Eh bien ! fit le jeune hommeun peu troublé, le père 6+6 a
55 A tous les deux ?… Je veuxle voir s'il est ici. 6+6 b
Mais l'enfant murmura :
— Le père est mort aussi. 6+6 b
Ce soldat, en ce tempsd'effroyables tueries, 6+6 a
Avait pourtant gardésous ses buffleteries 6+6 a
Un bon cœur qui se mità battre un peu plus fort. 6+6 b
Il demanda :
60 — Quand doncet comment est-il mort ?… 6+6 b
Te fais-je peur ?… Pourquoitrembler ? Pourquoi te taire ? 6+6 a
Non, il n'avait pas l'airméchant, ce militaire. 6+6 a
Au deuil des orphelinsil semblait compatir. 6+6 b
Elle fit son aveu,ne sachant pas mentir, 6+6 b
65 Mais tout bas, en ses noirssouvenirs absorbée : 6+6 a
— Tous les gars, pour partiravec monsieur d'Elbée, 6+6 a
Ont pris leur canardièreet leur grand chapelet… 6+6 b
Et notre père est mortau combat de Cholet. 6+6 b
Alors, le caporal,sans-culotte féroce, 6+6 a
70 Frappa brutalementle sol avec la crosse 6+6 a
De son fusil et, d'unton bourru, grommela : 6+6 b
— Vas-tu pas t'attendrirsur ces louveteaux-là ?… 6+6 b
Viens… Nous perdons du tempsà leurs jérémiades. 6+6 a
— Non, mon vieux. Va souperavec les camarades. 6+6 a
75 Mais moi, je reste, étanten pays dangereux, 6+6 b
Auprès de ces enfants…J'en saurai long par eux… 6+6 b
La petite — tu vois —répond comme à l'école. 6+6 a
Le caporal s'en fut,sifflant la Carmagnole, 6+6 a
Et le sous-officierentra dans la maison. 6+6 b
80 Ayant dans un berceaumis le petit gaon, 6+6 b
La fillette allumale bois sec et la paille 6+6 a
Pour faire une flambée,et, contre la muraille, 6+6 a
Le soldat déposason fusil doucement. 6+6 b
Car elle lui faisaitpitié, décidément, 6+6 b
85 La pauvre mère-enfant,la petite « suspecte ». 6+6 a
Dans ce triste logisqu'une chandelle infecte 6+6 a
Éclairait, que de joursde chagrin, longs et froids, 6+6 b
Devait avoir comptésla vieille horloge à poids ! 6+6 b
Bien rarement le feudevait briller dans l'âtre. 6+6 a
90 Un crucifix de cuivre,une Vierge de plâtre 6+6 a
Étaient de ces enfantsles deux seuls compagnons. 6+6 b
Aux solives pendaientquelques bottes d'oignons. 6+6 b
Sur l'antique buffetbruni par la fumée, 6+6 a
La miche de pain noirétait très entamée. 6+6 a
95 L'humidité suintaitsur tous les murs. Enfin, 6+6 b
Tout exprimait icila détresse et la faim. 6+6 b
La petite, selonl'usage charitable, 6+6 a
Mit cidre et pain devantle sergent, sur la table. 6+6 a
Il la considéraitet souffrait de la voir, 6+6 b
100 Tout en accomplissantl'hospitalier devoir, 6+6 b
Marcher en lourds sabots,frissonner sous sa loque. 6+6 a
Cet homme de vingt ansétait de son époque. 6+6 a
La démence d'alorsle marquait de son sceau. 6+6 b
Plus de Dieu ! Plus de rois !Il avait lu Rousseau. 6+6 b
105 La Révolutionc'était sa foi profonde 6+6 a
Allait faire bientôttriompher dans le monde 6+6 a
Le bonheur, la justiceet la fraternité. 6+6 b
Admirant, sur son char,l'idole Liberté, 6+6 b
Sourd aux râles de mortde tous ceux qu'il écrase, 6+6 a
110 Il courait, le front hautet les yeux en extase, 6+6 a
Vers un rêve trompeur,vers un idéal faux, 6+6 b
Sans voir ses pieds souillésdu sang des échafauds. 6+6 b
Pourtant, ce soir, un douteen sa pensée intime 6+6 a
Avait surgi devantl'innocente victime 6+6 a
115 De la guerre civileet des horreurs du temps ; 6+6 b
Et la maigre orphelineaux membres grelottants 6+6 b
Qui réunissait làtant de malheurs en elle, 6+6 a
Évoquait devant luila misère éternelle. 6+6 a
Avec bonté, le jeunehomme l'interrogea. 6+6 b
120 En cet hôte si douxconfiante déjà, 6+6 b
Elle conta sa vieauprès du petit Jacques. 6+6 a
Elle n'aurait dix ansque l'an prochain, à Pâques. 6+6 a
Si jeune et pas robuste,elle avait bien du mal ; 6+6 b
Mais on mangeait du pain,et c'est le principal. 6+6 b
125 Quel dur hiver pourtant !La chaumière s'écroule. 6+6 a
Dans le courtil tout estgelé. Pas une poule 6+6 a
N'a pondu d'œufs… Et qu'ilfait froid dans le lavoir !… 6+6 b
Pour gagner quelques sous,elle pourrait, le soir, 6+6 b
Manier ses fuseaux,faire de la dentelle, 6+6 a
130 Pour Alençon, mais c'estpar trop cher, la chandelle ! 6+6 a
Cependant elle n'estpas ingrate envers Dieu. 6+6 b
Les voisins, bonnes gens,la secourent un peu ; 6+6 b
Sans eux, on n'aurait pas,des fois, mangé la soupe. 6+6 a
Mais voilà qu'ils ont fui,par crainte de la troupe. 6+6 a
135 S'ils ne reviennent pas,peut-être que demain 6+6 b
Il lui faudra, tenantson frère par la main 6+6 b
Et marchant dans la boueet dans les feuilles mortes, 6+6 a
Errer par les cheminset mendier aux portes. 6+6 a
Le soldat écoutace douloureux discours, 6+6 b
Le cœur serré, l'œil sombre :
140 Il y aura toujours 6+6 b
Des pauvres, j'en ai peur,gronda-t-il à voix basse 6+6 a
Allons, va te coucher,car tu parais bien lasse. 6+6 a
Moi, je vais boire un coupet manger un morceau. 6+6 b
Elle prit le petitgaon dans son berceau. 6+6 b
145 A votre aise, dit-elle.Il vaut mieux, moi, que j'aille 6+6 a
Au grenier. Nous aurons,tous deux, chaud dans la paille. 6+6 a
Bonsoir… Le lit est là,si le cœur vous en dit. 6+6 b
Mais avant de partir,sans lâcher le petit, 6+6 b
Devant cet étrangerque l'acte allait surprendre, 6+6 a
150 Elle ôta ses sabotset les mit dans la cendre. 6+6 a
— Petite, que fais-tu ?
— Mais c'est demain Noël, 6+6 b
Et, cette nuit, Jésus,en descendant du ciel, 6+6 b
Va mettre ici pour moison cadeau, j'en suis sûre. 6+6 a
Le soldat regardala rustique chaussure 6+6 a
155 Posée auprès du feupresque éteint, puis haussa 6+6 b
Les épaules.
— Vraiment,tu crois encore à ça ? 6+6 b
— Mais oui, j'y crois et j'ycroirai toujours, j'espère. 6+6 a
Car tous les ans et l'anpassé, lorsque mon père 6+6 a
Était là, j'eus toujoursun jouet, un bonbon. 6+6 b
160 Aussi — je suis si pauvreet Jésus est si bon ! — 6+6 b
Je crois bien, cette fois,— faut-il que je le dise ? — 6+6 a
Que Noël va me faireune belle surprise. 6+6 a
Et l'enfant s'en alla,portant son gros gaon. 6+6 b
Le soldat avait vula Déesse Raison, 6+6 b
165 En plein Paris, portéeen triomphe, naguère, 6+6 a
Sous les traits d'une filleeffrontée et vulgaire, 6+6 a
Avec écharpe rougeet bonnet phrygien. 6+6 b
Il l'avait applaudieet ne croyait à rien. 6+6 b
Mais devant ces sabotset cette cheminée, 6+6 a
170 Quand il fut seul, il eutl'âme tout étonnée 6+6 a
De trouver naturell'acte de foi naïf 6+6 b
De l'orpheline. Alors,par un geste instinctif, 6+6 b
— Lui, le Bleu, le soldatde Kléber et de Hoche ! — 6+6 a
Avec la larme à l'œil,il tira de sa poche 6+6 a
175 Un gros écu d'argentde six livres, orné 6+6 b
D'un lourd profil, celuidu roi guillotiné. 6+6 b
Six livres ! De l'argentbrillant comme la lune ! 6+6 a
En ce temps d'assignats,c'était une fortune. 6+6 a
Pour lui, c'était du vin,du tabac, du plaisir. 6+6 b
180 Ce trésor, allait-ilvraiment s'en dessaisir ? .. 6+6 b
Non !
Il prit son fusilpour partir.
Mais la lutte 6+6 a
Dura dans ce cœur d'orà peine une minute, 6+6 a
Et se penchant, — ses yeuxmouillés étaient bien beaux ! — 6+6 b
Il posa son écudans l'un des deux sabots. 6+6 b
185 — Je suis pour la Raisonet pour l'Indivisible, 6+6 a
Dit-il, et ces enfantssont suspects, c'est possible. 6+6 a
Mais on les abandonneIls vont manquer de pain 6+6 b
C'est pourtant singulierque moi, le jacobin, 6+6 b
Ce soir, pour remplacerl'Enfant-Jésus, je vienne 6+6 a
190 Mais tant pis si, demainmatin, la Vendéenne 6+6 a
S'imagine trouver,en allumant le feu, 6+6 b
Ce portrait du tyrandonné par le Bon Dieu. 6+6 b
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