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COP_6/COP169
François COPPÉE
DES VERS FRANÇAIS
1906
Un Duel au Sabre
I
Dans le café — c'était en mil huit cent dix-sept 6+6 a
Où souvent, avec les « demi-solde », il passait 6−6 a
Une heure à regretter son ancienne cocarde, 6+6 b
Le commandant Simon, des chasseurs de la garde, 6+6 b
5 Rêvassait, accoudé devant un grog au rhum. 6+6 a
Très râpé, mais gardant un certain décorum, 6+6 a
Il.portait le chapeau tromblon, la forte botte 6+6 b
A gland de soie, et, sur sa longue redingote, 6−6 b
Arborait un ruban large au moins de deux doigts ; 6+6 a
10 Car, depuis Austerlitz, ce brave avait la croix. 6+6 a
Une balafre au front, les favoris en crosse 6+6 b
De pistolet, le teint boucané, l'air féroce, 6+6 b
Tel, sous Louis Dix-Huit, était le commandant. 6+6 a
Un timide aurait eu peur, rien qu'en regardant 6+6 a
15 Ce dur masque engoncé dans le col militaire. 6+6 b
Près de lui, sur le mur, pendait à la patère 6+6 b
Sa canne, un jonc robuste, au cordon de cuir noir. 6+6 a
L'âme du « demi-solde » était sombre ce soir. 6+6 a
Jamais elle n'avait tant charrié de haine, 6+6 b
20 Depuis que l'Empereur était à Sainte-Hélène. 6+6 b
Sur lui le désespoir avait mis le grappin. 6+6 a
Il songeait :
— Plus de gloire, hélas ! et pas de pain ! 6+6 a
Moi, hussard de l'an un, moi, vainqueur de Jemmapes, 6+6 b
Qui de toute l'Europe ai couru les étapes 6+6 b
25 Et traîné, vingt-cinq ans, des sabres aiguisés 6+6 a
Sur la peau des Chouans et des Coalisés, 6+6 a
Aujourd'hui, passant mal vêtu dont on ricane, 6+6 b
Dans la boue, à Paris, je vais traînant ma canne ! 6+6 b
Tonnerre ! Sommes-nous des héros, oui ou non ? 6+6 a
30 Le Petit Caporal m'appelait par mon nom, 6+6 a
Pourtant ; il m'a tiré l'oreille, à Montenotte. 6+6 b
A présent, je n'ai pas crédit à ma gargote. 6+6 b
Plus d'amours ! Beau garçon, jadis, sous le dolman, 6+6 a
J'eus plus d'un très flatteur et rapide roman. 6+6 a
35 Cette margrave, à Dresde… Or, mille baïonnettes ! 6+6 b
En pékin, maintenant, je fais peur aux grisettes 6+6 b
Et, ce soir, je n'ai pas dans ma poche un écu ! 6+6 a
Il ruminait ainsi sa fureur de vaincu. 6+6 a
Comme il les haïssait à fond, les nouveaux maîtres, 6+6 b
40 Le roi, d'abord, ce gros goutteux avec des guêtres, 6+6 b
Qui passait en carrosse, escorté de dragons ! 6+6 a
Tout ce que l'étranger tirait de ses fourgons 6+6 a
Le remplissait d'horreur. Mais la honte des hontes, 6+6 b
C'était ces nobliaux, ces marquis, ces vicomtes, 6+6 b
45 Ces barons de vingt ans, n'ayant pas vu le feu, 6+6 a
Bombardés officiers d'un coup, et, sacrebleu ! 6+6 a
A qui l'on prodiguait tout, les croix et les grades. 6+6 b
Sur leur compte il pensait comme les camarades 6+6 b
Qui, près d'un bol de punch, le visage échauffé, 6+6 a
50 Jouaient aux dominos, dans un coin du café. 6+6 a
Quand un de ces grognards rencontrait au passage 6+6 b
Quelque garde du corps tout jeune, l'air bien sage, 6+6 b
Il vous l'apostrophait du style le plus sec, 6+6 a
Puis, en garde ! il tâchait d'embrocher le blanc-bec. 6+6 a
55 Pourtant le commandant — chose extraordinaire — . 6+6 b
N'avait, depuis longtemps, pas eu la moindre affaire, 6+6 b
Par scrupule. En escrime, il se savait trop fort. 6+6 a
Pour lui, tout adversaire était, d'avance, mort. 6+6 a
Il cultivait, depuis qu'il servait sous les aigles, 6+6 b
60 Le grand art de tuer un homme dans les règles, 6+6 b
Et, certain d'être — aucun n'eût pu le démentir 6+6 a
Le premier sur la planche et le premier au tir, 6+6 a
Il évitait les duels, par réserve royale. 6+6 b
II
Soudain, trois officiers de la garde royale 6+6 b
65 Entrent très bruyamment, le teint illuminé, 6+6 a
Les yeux brillants. On voit qu'ils ont trop bien dîné. 6+6 a
Que d'éperons ! C'est un tapage épouvantable. 6−6 b
On s'installe, et l'un d'eux frappe alors sur la table. 6+6 b
« Du champagne ! »
C'est un gamin si jeune encor 6−6 a
70 Que, pour moustache, il n'a que de légers fils d'or. 6+6 a
Un regard langoureux. L'air d'une femmelette. 6+6 b
A peine un homme, enfin… Et déjà l'épaulette ! 6+6 b
Le nez du commandant s'est froncé de courroux. 6+6 a
Pourquoi lui viennent-ils montrer, ces jeunes fous, 6+6 a
75 Leurs culottes de peau qui collent sur la jambe, 6+6 b
Leurs casques, leurs plumets, tout ce galon qui flambe, 6+6 b
Tout ce qu'il n'a plus droit de porter maintenant ? 6+6 a
S'ils risquent, tout à l'heure, un seul mot malsonnant 6+6 a
Contre son Empereur, son dieu, son Bonaparte, 6+6 b
80 Le vieux bretteur, si fort sur le contre de quarte, 6+6 b
Ce soir, — tant pis pour eux ! — est prêt à s'aligner. 6+6 a
Pourtant aucun motif, d'abord, de s'indigner. 6+6 a
L'humeur des jeunes gens, après boire, est folâtre. 6+6 b
Ceux-ci parlent entre eux chevaux, femmes, théâtre, 6+6 b
85 Confusément, d'ailleurs. Effet du chambertin. 6+6 a
— Ferdinand, j'ai monté mon bai-brun, ce matin 6+6 a
Bonne bête !
— Mon cher, ma pouliche est meilleure. 6+6 b
Elle m'avale, au trot, en une demi-heure, 6+6 b
La route de Saint-Cloud… et c'est un long ruban. 6+6 a
90 — Que la duchesse était belle sous son turban, 6+6 a
L'autre soir, chez Monsieur !… Des épaules de reine !… 6+6 b
— Quel est donc cet Anglais qu'à sa suite elle traîne ? 6+6 b
— Lord Raleigh… Il obtient, m'a-t-on dit, ses bontés. 6+6 a
— J'ai bien ri, mes enfants, hier, aux Variétés 6+6 a
95 Allez-y donc… Vernet et Potier sont très drôles. 6+6 b
Le « demi-solde » n'a qu'à hausser les épaules. 6+6 b
Propos de garnison.
Mais le beau mirliflor, 6+6 a
Le joli lieutenant à la moustache d'or, 6+6 a
Distrait, comme parlant d'une chose futile, 6+6 b
Demande :
100 — Que devient donc l'Ogre dans son île ?… 6+6 b
Il n'est plus question de Bûonaparté. 6+6 a
Le cœur du vieux soldat, dans son coffre, a sauté. 6+6 a
Suffoquant de colère, il se lève, décroche 6+6 b
Son jonc de la patère, en quatre bonds s'approche 6+6 b
105 Des officiers, regarde en face le petit 6+6 a
Et gronde entre ses dents :
— Comment avez-vous dit ? 6+6 a
Le jeune homme à son tour se lève avec surprise. 6+6 b
L'œil terrible fixé sur le sien le dégrise. 6+6 b
Il toise l'enragé brusquement apparu 6+6 a
Et, d'un ton insolent :
110 — Quel est ce malotru ? 6+6 a
Dit-il.
— Alors, clampin, c'est toute ta réponse ?… 6+6 b
Je vais donc t'enseigner comment ça se prononce, 6+6 b
Bonaparte…
Et, d'un geste outrageant de dédain, 6+6 a
Le commandant brandit un instant son gourdin. 6+6 a
115 Le jeune homme a du cœur. Il frémit sous l'insulte, 6+6 b
Porte la main au sabre. On le retient. Tumulte. 6+6 b
Lâchant leurs dominos, au bruit de l'incident, 6+6 a
Les « demi-solde », l'air farouche, l'œil ardent, 6+6 a
Sont accourus, et leurs redingotes râpées 6−6 b
120 Autour du commandant sont maintenant groupées. 6+6 b
La dame du comptoir est pâle de terreur ; 6+6 a
Car la haine des vieux soldats de l'Empereur 6+6 a
Est telle pour ces gens de cour en uniforme, 6+6 b
Que l'un fait tournoyer déjà sa trique énorme, 6+6 b
125 Croyant que la bataille est près de commencer, 6+6 a
Qu'un autre a relevé ses manches pour boxer 6+6 a
Et qu'un troisième s'est armé d'une bouteille. 6+6 b
Mais l'adjudant-major Rouff, des Vieux de la Vieille, 6+6 b
Un glorieux débris des grenadiers à pied, 6+6 a
130 Entreprend d'arranger l'affaire comme il sied. 6+6 a
Grand ferrailleur, il a l'usage de la chose. 6+6 b
Très digne et grasseyant, ce sage s'interpose. 6+6 b
— Présentez-vous d'abord, messieurs, ordonne-t-il. 6+6 a
= Soit… commandant Simon.
— Comte de Hautmesnil. 6+6 a
135 L'enfant est dans un grand trouble, mais le surmonte. 6+6 b
Sa voix n'a pas tremblé. Bravo ! le petit comte ! 6+6 b
— Au sabre, n'est-ce pas ?… Vous êtes cavaliers 6+6 a
Tous deux, reprend le vieux Nestor des grenadiers. 6+6 a
— Au sabre.
— Pour demain, neuf heures, à Grenelle, 6+6 b
140 Au Grand Vainqueur… C'est un cabaret à tonnelle 6−6 b
Le patron a servi… C'est un « égyptien »… 6+6 a
J'y joue au cochonnet… Nous serons là très bien. 6+6 a
C'est dit. Chacun reprend une pose correcte. 6+6 b
D'un regard noir, encore une fois, l'on s'inspecte, 6+6 b
145 Puis ce sont des saluts faits d'un air de hauteur. 6+6 a
— A demain donc, messieurs.
— Serviteur.
— Serviteur. 6+6 a
III
Hautmesnil !…
L'ancien guide est dans sa pauvre chambre. 6+6 b
Pas de feu, bien qu'on soit en plein mois de décembre. 6+6 b
Les mains au dos, baissant le front d'un air pensif, 6+6 a
150 Il marche à pas pesants, tel qu'un fauve captif. 6+6 a
La chandelle des six qui coule sur la table 6+6 b
Projette durement cette ombre formidable 6+6 b
Sur la muraille où sont pendus des pistolets 6+6 a
Et des sabres. Le froid taudis, les meubles laids, 6+6 a
155 Tout lui rappelle ici sa misère et sa chute. 6+6 b
Mais non. Il semble avoir oublié la dispute. 6+6 b
Plus de colère. Il songe, et son rude profil 6+6 a
S'adoucit, quand tout bas il redit : « Hautmesnil ! » 6+6 a
Et voilà, dans son cœur de vieux chien de guérite, 6+6 b
160 Le lointain souvenir que ce nom ressuscite. 6+6 b
Sous la Terreur, au temps des échafauds rougis 6+6 a
Sans relâche, il était maréchal des logis. 6+6 a
Son escadron campait aux environs de Nantes, 6+6 b
Où Carrier — ces horreurs, de loin, sont surprenantes 6+6 b
165 Se gorgeait, tigre affreux, de sang frais, tous les jours. 6+6 a
On arrêtait tous les suspects aux alentours. 6−6 a
Or, un matin, — Simon croit s'y trouver encore, — 6+6 b
Un gredin, ceinturé d'un haillon tricolore, 6+6 b
Avec le regard faux et lâche des mouchards, 6+6 a
170 Vient au chef d'escadron réclamer deux hussards 6+6 a
Pour conduire au chef-lieu la ci-devant comtesse 6+6 b
De Hautmesnil, avec consigne très expresse 6+6 b
De la tenir de près et de la surveiller ; 6+6 a
Et Simon est requis avec un cavalier 6+6 a
175 De ses amis, un très bon garçon qu'il estime. 6+6 b
Il se rappelle bien la touchante victime, 6+6 b
Si jeune, ayant l'air moins malheureux qu'étonné 6+6 a
Et présentant le sein à son fils nouveau-né, 6+6 a
Qui, justement, venait de réclamer sa goutte. 6+6 b
180 L'ordre est formel. Tous trois se mettent donc en route, 6+6 b
Elle marchant à pied entre les deux chevaux. 6+6 a
C'était en mai. Les champs couverts de blés nouveaux 6+6 a
Verdoyaient, les buissons étaient pleins de fauvettes. 6+6 b
La « ci-devant », avec ses souliers à bouffettes, 6+6 b
185 Bientôt boita, très lasse, — et c'était monstrueux, 6+6 a
Cette misère-là dans ce printemps joyeux ! — 6+6 a
On fit halte un instant et l'on mit pied à terre. 6+6 b
S'appuyant sur un tronc d'arbre, la pauvre mère 6+6 b
Pleurait en regardant son enfant endormi. 6+6 a
190 Simon, n'y tenant plus, prit à part son ami 6+6 a
Et dit :
— Si nous sauvions cette jeunesse ?…
— Diantre ! 6+6 b
— Je sais bien, nous risquons dix balles dans le ventre ; 6+6 b
Mais c'est la guillotine, à Nantes, qui l'attend. 6+6 a
Le commandant est un cœur d'or. En lui contant 6−6 a
195 Une escarmouche avec les Blancs ou quelque histoire 6+6 b
Semblable, j'en suis sûr, il feindra de nous croire 6+6 b
Ce tendron-là n'a pas trahi la nation. 6+6 a
Va, mon vieux, ce sera ta meilleure action. 6+6 a
D'ailleurs, je suis ton chef… Cette affaire est la mienne 6+6 b
Je commande.
200 — Ça va. Lâchons la citoyenne, 6+6 b
Fit le hussard, avec son petit citoyen 6+6 a
On n'est pas des bourreaux, après tout. Je veux bien. 6+6 a
Quand le sous-officier vint vers la prisonnière 6+6 b
Et lui dit rondement la chose, à sa manière, 6+6 b
205 — Rien ne pourra jamais lui faire oublier ça ! — 6+6 a
Elle prit follement sa main et la baisa. 6+6 a
— Libres, mon fils et moi ! Libres !
Quel cri de joie ! 6+6 b
— Pars vite, citoyenne. Il ne faut pas qu'on voie 6+6 b
Nos adieux… Tu n'as pas d'argent ?
— Non.
— As-tu faim ? 6+6 a
— Oui.
210 — Je n'ai que huit sous et ce chanteau de pain. 6+6 a
Prends.
— Vos noms… Je prierai tant Dieu pour qu'il vous aime ! 6+6 b
— Nos noms ?… Bah ! Il les sait, bien sûr, l'Être Suprême. 6+6 b
Crois-tu trouver un gîte ?
— Oui. U, vers le clocher, 6+6 a
Logent de bonnes gens qui pourront me cacher. 6+6 a
— Cours-y !
— Mes chers sauveurs !
215 — Bonne chance, labelle 6+6 b
Adieu.
Les cavaliers se remettent en selle 6+6 b
Et reviennent au camp où le chef d'escadrons 6+6 a
Accueille leur récit, d'abord, par des jurons ; 6+6 a
Puis, devinant le fait qu'il faut que nul ne sache, 6+6 b
220 Il sourit, doucement ému, sous sa moustache. 6+6 b
Telle est sa généreuse action de jadis 6+6 a
Dont se souvient le vieux soldat dans son taudis, 6+6 a
Et de sa violence, à présent, il a honte. 6+6 b
Hautmesnil, oui, c'est bien le nom. Ce jeune comte 6+6 b
225 Avec qui je me bats, demain, au Grand Vainqueur, 6+6 a
C'est l'enfant que j'ai vu, tétant de si bon cœur, 6+6 a
Voilà vingt-trois ans… Oui, c'est à peu près son âge 6+6 b
Je retrouve les traits, dans son joli visage, 6+6 b
De celle qui marchait entre les deux hussards 6+6 a
230 Nous nous battons demain… Ce sont là des hasards 6+6 a
Comme monsieur Ducray-Duminil en invente 6−6 b
Mais — j'y songe — sa mère est encore vivante. 6+6 b
Naguère, en un journal, j'ai vu son nom cité 6+6 a
Pour je ne sais plus quelle œuvre de charité. 6+6 a
235 Quel coup du sort !… Ainsi cette pauvre mâtine 6+6 b
Qui, sans moi, s'en allait droit à la guillotine, 6+6 b
Demain, je lui tuerai peut-être son enfant !… 6+6 a
Jamais ! Jamais !… Je vois encor la « ci-devant » 6+6 a
Couvrir ma grosse main de baisers et de larmes 6+6 b
240 Ce galopin doit être une mazette aux armes, 6+6 b
Et c'est très dangereux, mes coups de vieux troupier. 6+6 a
Me voilà bien ! Comment sortir de ce guêpier ?… 6+6 a
Oui, Bûonaparté… C'est vrai, « l'Ogre de Corse »… 6+6 b
Il l'a dit… Tout enfants, ces nobles, on les force 6+6 b
245 D'insulter bêtement notre pauvre Empereur.... 6+6 a
Mais — soyons franc — j'eus tort de me mettre en fureur. 6+6 a
L'affaire cependant ne peut finir qu'au sabre. 6+6 b
S'expliquer ? Non… L'enfant a du sang, il se cabre 6+6 b
Sous l'éperon. Quand j'ai sur lui levé la main, 6+6 a
250 Nom d'une pipe ! il s'est bien tenu, le gamin. 6+6 a
Sur la planche, en trois mois, j'en ferais un artiste. 6+6 b
Quel dommage qu'il ne soit pas bonapartiste !… 6−6 b
Mais ce n'est pas tout ça… Simon, vieil animal, 6+6 a
Il faut qu'à ce jeune homme il n'arrive aucun mal. 6+6 a
255 La prisonnière en pleurs et traînant la semelle 6+6 b
Près de ta botte, avec son fils à la mamelle, 6+6 b
Que ton bon mouvement sauva de l'échafaud, 6+6 a
Il faut lui rendre intact son petit, il le faut !… 6+6 a
Simon, ton tour viendra de passer l'arme à gauche, 6+6 b
260 Et ta vie, après tout, c'est bataille et débauche. 6+6 b
A Dieu, cet Empereur du ciel — en qui tu crois, 6+6 a
Allons ! — tu montreras tes blessures, ta croix 6+6 a
D'Austerlitz — c'est beaucoup — et quelques faits de guerre. 6+6 b
Mais tout cela, mon vieux, pourrait ne compter guère, 6+6 b
265 Si, de ton cœur, au feu des bivouacs culotté, 6+6 a
Il ne s'échappe pas une odeur de bonté !… 6+6 a
Aussi vrai que Marmont est un traître, je jure 6+6 b
De renvoyer l'enfant sans une égratignure. 6+6 b
Il dit. La chambre était glacée. Il frissonna, 6+6 a
270 Avec un souvenir de la Bérésina 6+6 a
Où la température était — fichtre ! — sévère, 6+6 b
Puis il se mit au lit en songeant :
— Comment faire ? 6+6 b
IV
Au Grand Vainqueur. Sinistre endroit de rendez-vous. 6+6 a
Ce matin il dégèle et le temps est plus doux ; 6+6 a
275 Mais un grand vent, poussant une plainte inquiète, 6+6 b
Tourmente les bosquets séchés de la guinguette 6+6 b
Et roule sur le sol les feuillages flétris. 6+6 a
Le ciel est encombré de gros nuages gris, 6+6 a
Et leur foule, là-haut, court, se bouscule et glisse. 6+6 b
280 En petite tenue, en bonnet de police, 6+6 b
Les jeunes officiers sont là, bientôt rejoints 6+6 a
Par le vieux « demi-solde » et par ses deux témoins. 6+6 a
Tant de monde épouvante et fait s'enfuir les poules. 6+6 b
Rouff l'a dit. On sera bien dans le jeu de boules, 6+6 b
285 Pour le combat. On fait donc les préparatifs. 6+6 a
Tandis que les témoins comparent, attentifs, 6+6 a
Le poids et la longueur des sabres d'ordonnance, 6+6 b
Sur le comte qui fait très bonne contenance, 6+6 b
Simon jette un regard à peu près paternel. 6+6 a
290 Pourtant voici l'instant tragique et solennel. 6+6 a
Les habits sont gênants pour se battre ; on les ôte. 6+6 b
Puis les deux champions, sabre en main, garde haute, 6+6 b
Se font face, et, vraiment, le contraste est complet 6+6 a
Entre ce fort gaillard et ce blond gringalet. 6+6 a
295 Ici, rude vigueur, et là, chétive grâce. 6+6 b
— Allez, messieurs, dit Rouff enfin, de sa voix grasse. 6+6 b
Certes, pour les grognards, témoins du commandant, 6+6 a
Ce joli cœur est mort déjà, c'est évident. 6+6 a
Car, dans plus d'un assaut, Simon, cambrant le torse, 6+6 b
300 Leur prouva son sang-froid, sa souplesse, sa force, 6+6 b
Son coup d'œil infaillible et sa poigne d'acier. 6+6 a
Il va fendre le crâne à ce fat officier 6+6 a
Assez fou pour avoir insulté leur idole. 6+6 b
Mais, soudain, leur regard étonné se désole. 6+6 b
305 A quoi pense Simon ? Est-ce pour plaisanter ? 6+6 a
Il pare seulement les coups sans riposter 6+6 a
L'adversaire pourtant commet faute sur faute. 6+6 b
Qu'a donc Simon ?… Pourquoi quitter la garde haute ?… 6+6 b
Et ce coup ! Le gamin le tuait, pour un peu !… 6+6 a
310 Le fait-il donc exprès ?… Ah ! touché, sacrebleu ! 6+6 a
C'est vrai. Le plus fameux escrimeur de l'armée, 6+6 b
L'épaule par un grand coup de sabre entamée, 6+6 b
Vient de laisser tomber son arme en gémissant. 6+6 a
Il chancelle, et son linge est tout rouge de sang. 6+6 a
315 Rouff accourt, le soutient, aidé du camarade. 6+6 b
Mais le vieux grenadier grommelle une algarade. 6+6 b
— Comme tu saignes !… Mais, quand même, je t'en veux. 6+6 a
C'est donc vrai ! Toi, vaincu, touché par ce morveux ! 6+6 a
Tonnerre ! …
Mais Simon, très calme, le rassure. 6+6 b
320 — Qu'y faire ?… On n'en meurt pas. Ce n'est qu'une blessure. 6+6 b
Sur un banc, ses amis, alors, le font asseoir. 6+6 a
Puis Rouff, avec ses dents, déchire son mouchoir, 6+6 a
Lave la plaie ouverte et de son mieux la panse 6+6 b
Pendant ce temps, le comte, ébloui de sa chance, 6+6 b
325 Mais décent et, de plus, n'ayant pas mauvais cœur, 6+6 a
S'efforce de cacher sa fierté de vainqueur. 6+6 a
Il a remis veste et bonnet jetés à terre. 6+6 b
Enfin, très froids, après un salut militaire, 6+6 b
Les officiers du roi laissent là le blessé. 6+6 a
330 Simon reste rêveur après qu'ils ont passé. 6+6 a
Pour ce jeune homme il sent presque de la tendresse. 6+6 b
Son épaule, que Rouff soigne avec maladresse, 6+6 b
Lui fait mal, mais ce cœur généreux est content ; 6+6 a
Et, malgré le grognard sans cesse répétant : 6+6 a
335 « Blessé par ce clampin !… Non, la chose est trop forte 6+6 b
Un ancien de la garde ? un chasseur de l'escorte ! » 6+6 b
Il se dit que ce duel, pour la vieille maman, 6+6 a
Va faire de son fils un héros de roman, 6+6 a
Et songe, en réprimant une grimace amère : 6+6 b
340 — Cela fera plaisir à madame sa mère. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 170((aa))
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