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e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
COP_6/COP166
François COPPÉE
DES VERS FRANÇAIS
1906
Une Famille de Soldats
L'aïeul
Né sous le chaume et fils de pauvres paysans, 6+6 a
Mais sachant lire, il vient à la ville, à seize ans, 6+6 a
Chez son oncle, un charron, pour son apprentissage. 6+6 b
Ce solide garçon, laborieux et sage, 6+6 b
5 Ne s'imagine pas qu'il doive, un jour, chercher 6+6 a
Aventure et quitter l'ombre de son clocher. 6+6 a
Quand son patron, un soir, au repas de famille, 6+6 b
Annonce qu'à Paris on a pris la Bastille 6+6 b
Et raconte plus tard qu'on y traite en vaincu 6+6 a
10 Ce roi dont le profil brille sur chaque écu, 6+6 a
L'enfant, certe, est surpris, mais il ne comprend guère ; 6+6 b
Et ce n'est que trois ans après, quand vient la guerre, 6+6 b
Que, jeune homme, il s'émeut pour le danger public. 6+6 a
« Vive la nation ! n L'outrage de Brunswick 6+6 a
15 Le soufflette et lui met la chaleur à la joue. 6+6 b
Un jour qu'il est en train de ferrer une roue, 6+6 b
Il entend le tambour, là-bas, près du marché. 6+6 a
Il y court. Le tribun, sur l'estrade juché, 6+6 a
Criant, gesticulant et parlant comme un livre, 6+6 b
20 La foule, les soldats, les drapeaux, tout l'enivre. 6+6 b
Bras nus, tenant encor d'une main son outil. 6+6 a
Vite il signe, il s'enrôle, il réclame un fusil. 6+6 a
A son robuste corps, du premier coup, adhère 6+6 b
Cet habit bleu qui va devenir légendaire 6+6 b
25 Et qui, pendant vingt ans, fera fuir l'ennemi ; 6+6 a
Et, devant le moulin mitraillé de Valmy, 6+6 a
Voilà qu'il sent en lui battre un cœur intrépide. 6+6 b
C'était alors un temps d'avancement rapide ; 6+6 b
Mais le simple soldat Jean Morel, — c'est son nom, 6+6 a
30 Malgré son brave instinct de marcher au canon 6+6 a
Et le fusil d'honneur que Jourdan lui décerne 6+6 b
Pour ses hauts faits, n'a nul bâton dans sa giberne. 6+6 b
La main près de la tempe et de respect roidi, 6+6 a
Quand il vient saluer Bonaparte, à Lodi, 6+6 a
35 Du nom de caporal, il n'a pas d'autre grade. 6+6 b
Il n'avancera pas comme le camarade 6+6 b
Fait empereur après avoir été consul ; 6+6 a
Il n'aura pas, le soir de Wagram ou d'Eckmühl, 6+6 a
Quelque titre princier à graver dans l'histoire ; 6+6 b
40 Mais ce Français, quand même, aura sa part de gloire. 6+6 b
Son temps est encombré de héros, mais l'un d'eux, 6+6 a
C'est lui. Sur un vieux sphinx datant de Rhamsès Deux, 6+6 a
Près du Caire, il inscrit, sous son nom qu'il parafe : 6+6 b
« Sergent de grenadiers » sans faute d'orthographe, 6+6 b
45 Et Kléber, qui l'embrasse au combat du Thabor, 6+6 a
Lui fait enfin donner une épaulette d'or. 6+6 a
Officier ! Lui ! L'enfant du peuple se demande 6+6 b
Si c'est possible. Il porte une épée, il commande 6+6 b
Et même aux vieux soldats doit parler d'un ton bref. 6+6 a
50 Quel rêve ! Il veut alors s'instruire, étant un chef. 6+6 a
On lui prête un Corneille, un Homère ; il s'exalte 6+6 b
Pour Ossian, et quand le régiment fait halte, 6+6 b
Près des faisceaux formés sur le bord du chemin, 6+6 a
On voit le lieutenant, pensif, un livre en main. 6+6 a
55 Mais souvent le canon interrompt sa lecture. 6+6 b
Après cette campagne en Égypte, si dure, 6+6 b
— Pas de chance ! — il revient trop tard pour Marengo. 6+6 a
L'empereur, murmurant : Delenda Carthago, 6+6 a
Devant la flotte anglaise, à Boulogne, où la brise 6+6 b
60 Travaille et fait flotter sa redingote grise, 6+6 b
Reconnaît en passant cet obscur officier. 6+6 a
De son œil pénétrant et.clair comme l'acier, 6+6 a
Qui, d'un coup, juge et pèse un homme, il le regarde, 6+6 b
Sourit, lui prend l'oreille et le met dans sa garde. 6+6 b
65 Voilà donc, pour dix ans, Morel dans les grognards. 6+6 a
Il n'aura qu'à Smolensk la graine d'épinards 6+6 a
Et la croix d'or qu'après Champaubert. Mais qu'importe ! 6+6 b
Lorsque, suivi de son éblouissante escorte, 6−6 b
Calme sur un ardent cheval, simple, — et si beau ! — 6+6 a
70 Paraît le demi-dieu, l'homme au petit chapeau, 6+6 a
Fanatique, Morel n'a qu'un désir, le suivre. 6+6 b
Depuis le froid matin où, sur l'aigle de cuivre 6+6 b
Des hauts bonnets à poil rangés en bataillons, 6+6 a
Le soleil d'Austerlitz a jeté ses rayons, 6+6 a
75 Cet homme s'habitue à l'extraordinaire. 6+6 b
Il vit tranquillement dans un bruit de tonnerre. 6+6 b
Sans s'étonner, il fait ce rêve épique et fou, 6+6 a
Entre à Vienne, à Berlin, à Madrid, à Moscou. 6+6 a
Il est présent lorsque les rois font antichambre 4+4+4 b
80 Chez l'Empereur qui prend l'Europe, la démembre, 6+6 b
Et leur en jette avec dédain quelques lambeaux. 6+6 a
Après ce que Morel a vu sous les drapeaux, 6+6 a
Il sait être, dans cette Iliade sublime, 6−6 b
Un Diomède obscur, un Ajax anonyme. 6+6 b
85 Le triomphe est si grand que la postérité, 6+6 a
Songe-t-il, doutera de la réalité. 6+6 a
Au fond de l'avenir lointain et sans limite, 6+6 b
Ils seront confondus par la fable et le mythe, 6+6 b
Tous ces héros autour d'un héros sans pareil, 6+6 a
90 Avec le zodiaque aux ordres du soleil ; 6+6 a
Et, tôt ou tard, — cet humble en frémit jusqu'aux moelles,- 6+6 b
Sa croix d'honneur sera l'une de ces étoiles ! 6+6 b
Tel est l'homme qu'après le retour des Bourbons, 6+6 a
Quand on change drapeaux, cocardes et pompons, 6+6 a
95 Et qu'on gratte les ènN couronnés, son village 6+6 b
Voit revenir un jour, pauvre, vieux avant rage, 6+6 b
Pour toujours triste, mais plein de gloire et d'honneur. 6+6 a
Il se marie, un fils lui naît et — quel bonheur ! — 6+6 a
Quand, avec un bâton, l'enfant dit : « Portez… arme ! » 6+6 b
100 Le commandant contient avec peine une larme 6+6 b
Et, depuis lors, dans sa retraite, a moins d'ennui. 6−6 a
D'ailleurs on le vénère et tous sont fiers de lui. 6+6 a
Pour qu'il sourie un peu sous sa moustache austère, 6+6 b
Tous les gamins lui font le salut militaire ; 6+6 b
105 Et quand, dans son jardin, il s'attarde, le soir, 6+6 a
Les gars, en le voyant poser son arrosoir 6+6 a
Et regarder, songeur et redressant sa taille, 6+6 b
Un ciel ensanglanté comme un champ de bataille, 6+6 b
S'imaginent aussi qu'au-dessus de leurs fronts, 6+6 a
110 Passe le furieux galop des escadrons 6+6 a
Devant Napoléon, là-bas, dans la fumée, 6+6 b
Et se disent : « Le vieux pense à la Grande Armée ! » 6+6 b
Enfin il meurt, et c'est un deuil dans le canton. 6+6 a
On tire sur sa tombe un feu de peloton. 6+6 a
115 Il meurt las et vaincu, mais l'âme consolée, 6+6 b
Et certain qu'après tant de gloire accumulée, 6+6 b
Malgré bien des revers et des revers encor, 6+6 a
La France ne peut pas épuiser ce trésor ! 6+6 a
Le Père
L'enfant qui, tout petit, apprenait l'exercice 6+6 b
120 Et faisait, en papier, des bonnets de police, 6+6 b
Prosper Morel s'engage, ayant le diable au corps, 6+6 a
Pour partir en Alger, comme on disait alors. 6+6 a
Les lauriers poussent vite en ce climat féerique. 6+6 b
Ce spahi devient l'un de ces héros d'Afrique, 6+6 b
125 Coiffés de la chéchia, drapés dans le burnous, 6+6 a
Viveurs, élégamment débraillés, mais qui tous 6+6 a
Doivent le martial éclat qui les entoure 6+6 b
A des actes de mâle et superbe bravoure, 6+6 b
Comme à Sidi-Brahim et comme à Mazagran. 6+6 a
130 Ce charmant cavalier au cœur de vétéran, 6+6 a
Dont les beaux yeux et les allures pittoresques 6−6 b
Font, sous leurs voiles blancs, rêver bien des Moresques, 6+6 b
Charge comme Murat. Plusieurs fois, des témoins 6+6 a
L'ont vu, sabre au fourreau, cravacher les Bédouins. 6+6 a
135 Mainte face bronzée en garde encor l'empreinte. 6+6 b
A la cantine, on conte, à l'heure de l'absinthe, 6+6 b
Que, devant vingt fusils que sur lui l'on braquait, 6+6 a
Il alluma sa pipe en battant le briquet. 6+6 a
Il est fameux dans cette admirable conquête 6−6 b
140 Où les clairons français, qui sonnaient « la casquette » 6+6 b
Et vers le Sahara guidaient nos bataillons, 6+6 a
Repoussaient devant eux Arabes et lions. 6+6 a
Aussi quelle carrière heureuse ! Alger la Blanche, 6+6 b
Quand, du Sud, il y vient parfois, voit, sur sa manche, 6+6 b
145 Deux, trois, quatre galons se tordre en trèfles d'or. 6+6 a
Le vieux Bugeaud le prend dans son état-major. 6+6 a
Plus tard, en Kabylie, encore il se distingue. 6+6 b
Puis l'Empereur — que les frondeurs nomment Badingue — 6−6 b
Près du trône, à Paris, veut ce bel africain. 6+6 a
150 Il s'y plaît, bien qu'il soit trop souvent en pékin ; 6+6 a
Mais, le matin, sur les boulevards plantés d'ormes, 6−6 b
Autour du Champ de Mars, quels brillants uniformes ! 6+6 b
Le voilà, sans regret de son vieux yatagan, 6+6 a
Colonel des chasseurs au talpack d'astrakan. 6+6 a
155 C'est en cinquante-sept, le plein midi du règne. 6+6 b
L'heureux homme ! Il galope aux chasses de Compiègne. 6+6 b
Aux bals de cour, il est le valseur — combien chic ! — 6+6 a
De la Castiglione et de la Metternich. 6+6 a
La fortune le traite encor mieux qu'il n'espère. 6+6 b
160 Il prend femme et d'un bel enfant il devient père. 6+6 b
Il passe général, le soir de Magenta ; 6+6 a
Et que de fleurs, que de baisers on lui jeta 6−6 a
Des balcons de Milan pleins de toilettes fraîches, 6+6 b
Dans ce jour triomphal où le Dôme aux cent flèches, 6+6 b
165 Bouquet de marbre blanc, flambait au gai soleil ! 6+6 a
Sa vie est un bien beau songe !
Hélas ! quel réveil ! 6+6 a
Le canon d'outre-Rhin, brutal, vient de répondre 6+6 b
Aux « oui » du plébiscite, et l'Empire s'effondre. 6+6 b
« A Berlin ! A Berlin ! » criait-on tous les soirs. 6+6 a
170 Mais, soudain, l'innombrable armée aux casques noirs 6+6 a
Bat les murs de Strasbourg, couvre toute l'Alsace. 6+6 b
A Wœrth, grâce aux canons chargés par la culasse, 6+6 b
Les Prussiens ont fauché cuirassiers et turcos ; 6+6 a
Et Paris croit entendre, en de lointains échos, 6+6 a
175 Tout en accumulant poudre, armes, blés et viandes, 6+6 b
Le bruit lourd et rythmé des bottes allemandes. 6+6 b
Le général Morel campe sous Metz, et là, 6+6 a
L'ancien spahi, le beau sabreur de la Smala, 6+6 a
Devant ses escadrons est stupéfait et sombre. 6+6 b
180 Quoi ? Les Français seraient écrasés sous le nombre ? 6+6 b
Jamais ! Ses cavaliers vaincront, dix contre cent. 6+6 a
« Chargez ! » Mais un obus éventre son pur sang 6+6 a
Et lui-même est criblé d'éclats, à Gravelotte. 6+6 b
A l'ambulance, dans la ville où déjà flotte 6−6 b
185 L'odeur de trahison, More ! hors de combat, 6+6 a
Pendant tout le blocus, se tord sur un grabat, 6+6 a
Furieux, maudissant la fièvre et la tisane ; 6+6 b
Et quand, bien faible encor, mais rejetant sa canne, 6+6 b
Il réclame son sabre et son cheval sellé, 6+6 a
190 — Ô honte ! ô désespoir ! — Metz a capitulé. 6+6 a
Quels jours affreux ! Dans les wagons où l'on entasse 6−6 b
Les tristes prisonniers de guerre, il prend sa place, 6+6 b
Les yeux mornes, le front baissé, n'en pouvant plus ; 6+6 a
Et quand le train s'ébranle, il voit, sur le talus 6+6 a
195 Où les ont enfoncés les vainqueurs pleins de haine, 6+6 b
Nos aigles, nos drapeaux que leur livra Bazaine. 6+6 b
Oui, nos drapeaux plantés dans la boue !
Oh ! cela, 6+6 a
Pour le Fils d'un vainqueur d'Arcole et d'Iéna, 6+6 a
C'est la pire, la plus atroce des tortures. 6+6 b
200 Il pousse un cri d'horreur qui rouvre ses blessures. 6+6 b
Moribond, il arrive à Dantzig, et, là-bas, 6+6 a
Voilà qu'il pense au fils qu'il ne reverra pas, 6+6 a
Au fils qu'il a laissé dans Paris, au collège, 6+6 b
Et qui, dans bien des jours, quand finira le siège, 6+6 b
205 Apprendra seulement qu'il est un orphelin. 6+6 a
Pauvre père ! Il sanglote alors. Son cœur est plein, 6+6 a
Pour son unique enfant, de tendresse infinie. 6+6 b
Pourtant il a la force, avant son agonie, 6+6 b
D'écrire, en relevant sous le drap ses genoux : 6+6 a
210 « Je meurs. Adieu, mon fils. Sois soldat. Venge-nous. » 6+6 a
Le Fils
Se rappelant toujours cet ordre laconique, 6+6 b
Le fils du général entre à Polytechnique. 6+6 b
Il en sort en bon rang bourré d'algèbre et d'xiks ; 6+6 a
Et — l'annuaire est là — Morel (Victor-Félix) 6+6 a
215 Depuis plus de vingt ans sert dans l'artillerie. 6+6 b
C'est l'officier modèle et, dans sa batterie, 6+6 b
Ses hommes qu'il a su conquérir par le cœur, 6+6 a
Étant bon sans faiblesse et juste sans rigueur, 6+6 a
Quand ils disent entre eux ce mot « le capitaine », 6+6 b
220 Ont, dans leur regard jeune, une fierté soudaine. 6+6 b
Ils sentent, pour ce chef pourtant peu galonné, 6+6 a
L'affectueux respect qu'inspire un frère aîné. 6+6 a
Sur son ordre, ils sont prêts à toutes les prouesses, 6+6 b
Et ces braves garçons, pour défendre leurs pièces, 6+6 b
225 Se feraient avec lui tuer jusqu'au dernier. 6+6 a
D'ailleurs le capitaine est un beau cavalier 6+6 a
Et, sans abandonner les livres et l'étude, 6+6 b
De tous les rudes sports il garde l'habitude. 6+6 b
Il a l'air martial et fort comme pas un, 6+6 a
230 Quand il conduit, si bien campé sur son bai-brun, 6+6 a
Son long train de canons, d'affûts et de prolonges. 6+6 b
Alors, dans ses yeux clairs, flottent encor les songes 6+6 b
De sa jeunesse, hélas ! si lointains maintenant, 6+6 a
Lorsque, sous son képi tout neuf de lieutenant, 6+6 a
235 Il rêvait de brandir au soleil de l'Argonne 6+6 b
L'acier de son épée et l'or de sa dragonne 6+6 b
Et de montrer à ses canonniers au trot lourd, 6−6 a
Là-bas, à l'horizon, la flèche de Strasbourg. 6+6 a
C'est l'intime douleur de ce soldat de race 6+6 b
240 De sentir que toujours de plus en plus s'efface 6+6 b
Et pâlit l'héroïque espoir de ses vingt ans. 6+6 a
Oh ! longtemps il a pris patience, longtemps 6+6 a
Il s'est dit :
« La blessure est-elle bien fermée ? 6+6 b
Travaillons ! Il nous faut une invincible armée, 6+6 b
245 Et nous crierons alors vers l'Est : Quand vous voudrez ! » 6+6 a
Que d'excellents soldats il nous a préparés, 6+6 a
Ce bon Français, dans la « réserve » et dans l'« active » ! 6−6 b
Combien de fois il s'est redit — âme naïve — 6+6 b
Le mot si décevant sur l'Alsace et sur Metz : 6+6 a
250 « Pensons-y tous les jours et n'en parlons jamais ! » 6+6 a
Mais, un jour, il comprit qu'à force de silence, 6+6 b
Le pays oubliait l'atroce violence 6+6 b
Et la frontière ouverte, ainsi qu'un amputé 6+6 a
S'accoutume à la longue à son infirmité, 6+6 a
255 Et qu'ainsi la revanche était plus qu'incertaine. 6+6 b
Oui, c'est là le constant chagrin du capitaine. 6+6 b
Que sa triste carrière ainsi doive finir, 6+6 a
Qu'il reste un officier pauvre et sans avenir, 6+6 a
Il s'y résigne. On peut tout aussi bien combattre 6+6 b
260 Pour sa patrie avec trois galons qu'avec quatre. 6+6 b
Non, aujourd'hui, ce qui le navre, c'est qu'il sent 6+6 a
Que son pauvre pays vers l'abîme descend, 6+6 a
Grisé d'un idéal pour la race future, 6+6 b
Que démentent, hélas ! l'histoire et la nature. 6+6 b
265 Il sait que sous les mots de paix, d'humanité, 6+6 a
La chimère souvent masque la lâcheté. 6+6 a
Longæ mala pacis, a dit le vieux Tacite. 6+6 b
On devient veule et mou. Le plaisir seul excite. 6+6 b
Il faut jouir par tous les pores de la peau. 6+6 a
270 La vie est bonne. On craint la mort. Et le drapeau, 6+6 a
Muet témoin blâmant l'égoïsme et ses vices, 6+6 b
Semble un faux dieu qui veut de sanglants sacrifices. 6+6 b
L'armée existe encore, oui, celle qu'on rêvait 6+6 a
Victorieuse, aux bords du Rhin. Qu'en a-t-on fait ? 6+6 a
275 Elle sert maintenant à dompter des tumultes, 6+6 b
Avec l'ordre formel de subir les insultes 6+6 b
Et, sans jamais broncher, de recevoir les coups. 6+6 a
Elle applique des lois infâmes. Nos pioupious, 6+6 a
Au siège d'un couvent de femmes en cornette, 6+6 b
280 Ont armé leurs fusils du sabre-baïonnette, 6+6 b
— Quelle dérision ! — comme si l'on allait 6+6 a
Les mitrailler avec des grains de chapelet. 6+6 a
L'abjecte politique ici répand ses lèpres. 6+6 b
Tel brave commandant — sa femme allant aux vêpres 6+6 b
285 Ne doit plus obtenir un grade mérité. 6+6 a
Au mess des lieutenants, où la franche gaîté 6+6 a
Régnait jadis, chacun se tient sur la réserve 6+6 b
Et parle peu, songeant que la Loge l'observe 6+6 b
Et que peut-être, à table, est assis un Judas. 6+6 a
290 Voilà le nouveau sort de nos pauvres soldats. 6+6 a
Mais ce qui, plus que tout, épouvante et désole 6+6 b
Le capitaine, c'est que des maîtres d'école, 6+6 b
Qui jadis montraient Metz et Strasbourg sur l'atlas, 6+6 a
Pervertis par Hervé, Jaurès et Thalamas, 6+6 a
295 Enseignent aux petits Français que la patrie 6+6 b
N'est plus qu'une stupide et vieille idolâtrie 6+6 b
Et que « Guerre à la guerre ! » est le plus beau des cris. 6+6 a
Et Morel, accablé, songe aux futurs conscrits, 6+6 a
Dès l'enfance infectés de sottise primaire 6+6 b
300 Et certains — sauront-ils seulement la grammaire ? 6+6 b
Qu'ils auront pour devoir, en cas d'invasion, 6+6 a
Le refus d'obéir et la désertion ! 6+6 a
C'en est trop ! Le vaillant homme se décourage. 6+6 b
Pourtant, lorsque, le soir, rongeant sa sourde rage, 6+6 b
305 Il rentre dans sa chambre et qu'il voit, sur le mur, 6+6 a
Des armes que le temps ternit d'un souffle obscur, 6+6 a
— Souvenirs vénérés, reliques de famille, — 6+6 b
Il relève son front chagrin et son œil brille. 6+6 b
Oui, tout son patrimoine est là : Fusil d'honneur, 6+6 a
310 Paire de pistolets donnés par l'Empereur, 6+6 a
Insignes de combat aux formes surannées, 6+6 b
Hausse-cols avec l'aigle, épaulettes fanées, 6+6 b
Et près des vieilles croix au ruban tout pâli, 6+6 a
Le sabre d'Austerlitz et le sabre d'Isly. 6+6 a
315 Le patriote alors respire une bouffée 6+6 b
D'orgueil français devant son intime trophée. 6+6 b
Rassuré par l'aspect de ce trésor, le seul 6+6 a
Qu'il possède, il se dit qu'au temps de son aïeul, 6+6 a
La France en armes fut presque surnaturelle. 6+6 b
320 Il évoque, attendri, son père mort pour elle. 6+6 b
Dans l'avenir — lointain, qu'importe ? — il reprend foi. 6+6 a
Chère patrie ! Il se souvient qu'avant Rocroi, 6−6 a
Avant Denain, avant Zurich, sous la poussée 6+6 b
D'invasion, sa vie était bien menacée, 6+6 b
325 Mais qu'alors son génie immortel lui donna, 6+6 a
Pour la sauver, Condé, Villars et Masséna. 6+6 a
Puis le rêveur la suit dans sa longue légende. 6+6 b
Que de temps il fallut pour la faire si grande ! 6+6 b
Mais il la voit, malgré guerres et factions, 6+6 a
330 Lentement devenir reine des nations 6+6 a
Et vaincre les malheurs dont son histoire est pleine, 6+6 b
Du bûcher de Rouen au roc de Sainte-Hélène. 6−6 b
« Non, la France n'est pas en décadence ! Non ! 6+6 a
Que le danger surgisse ! Un seul coup de canon 6+6 a
335 Chassera les affreux nuages d'anarchie ! » 6+6 b
C'est terrible pourtant, la frontière franchie, 6+6 b
La guerre, tant de sang !… Ce brave hésite un peu 6+6 a
Et, comme il est chrétien, il songe à prier Dieu. 6+6 a
Mais les armes sont là, de l'aïeul et du père. 6+6 b
340 L'héritage d'honneur ordonne qu'il espère. 6+6 b
Le capitaine alors, d'un cœur religieux, 6+6 a
Implore avec ardeur le ciel et les aïeux, 6+6 a
Et, l'âme d'un courage inébranlable emplie, 6+6 b
Fait un signe de croix devant la panoplie. 6+6 b
mètre profil métrique : 6=6
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