Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
COP_6/COP161
François COPPÉE
DES VERS FRANÇAIS
1906
La Cloche du Faubourg
Par ce soir lourd d'un chaudsamedi de quinzaine, 6+6 a
Dans le faubourg qu'emplitune brume malsaine, 6+6 a
Le peuple grouille. On sentl'alcool et la sueur. 6+6 b
Le crépuscule metsa dernière lueur 6+6 b
5 Sur les hautes maisons,mais, au fond des boutiques, 6+6 a
Le gaz revêt déjàde flammes fantastiques 6+6 a
Les alambics de cuivreet les comptoirs de zinc. 6+6 b
C'est jour de paye, et, pargroupes de quatre ou cinq, 6−6 b
Les ouvriers, malgréleurs mines échinées, 6+6 a
10 Entrent en ricanantpour s'offrir des tournées. 6+6 a
Dans une heure d'ici,de l'assommoir flambant 6+6 b
Ils sortiront, les yeuxfixes, en titubant. 6+6 b
Qu'y faire ? Ce poisonseulement les console. 6+6 a
Dehors, des femmes vont,nu-tête, en camisole, 6+6 a
15 Et des enfants portantdes pains aussi gros qu'eux. 6+6 b
Dans ce quartier sinistre le regard du gueux 6+6 b
Sur le bourgeois cossuqui passe est une insulte, 6+6 a
Tout à coup, par moments,s'exalte le tumulte. 6+6 a
Ce sont des cris d'argot,des rires de pochards. 6+6 b
20 Sur le pavé de lourdsfardiers, d'énormes chars 6+6 b
Rentrent à vide avecun fracas de ferraille. 6+6 a
Puis un gosse est giflépar sa maman et braille, 6+6 a
Et le tramway, plus lentdans ce coin trop peuplé, 6+6 b
Fait vibrer constammentson timbre au son fêlé. 6+6 b
25 On frémit devant tantde misère apparue 6+6 a
Comme il est morne et las,ce peuple de la rue ! 6+6 a
Tous les yeux sont cernéset tous les teints bilieux. 6+6 b
Des filles de vingt ans,hélas ! l'air déjà vieux, 6+6 b
Regardent le passantavec effronterie. 6+6 a
30 O sombres parias,ô serfs de l'industrie ! 6+6 a
Quelle horreur ! C'est partoutdu vice qu'on leur sert. 6+6 b
Voyez-les s'engouffrerdans ce café-concert 6+6 b
Qui promet, sous des jetsde clartés électriques, 6+6 a
Ses refrains idiotset ses danses lubriques. 6+6 a
35 Mais, dans ce club, un peuplus loin, c'est pire encor. 6+6 b
Un rhéteur y prometl'impossible Age d'Or ; 6+6 b
Et, sur le mur, auprèsde quelque affiche obscène, 6+6 a
L'anarchie en démencea placardé sa haine. 6+6 a
Le mal aux plébéiensici tend ses panneaux ; 6+6 b
40 Et surtout, les guettantdans le kiosque à journaux, 6+6 b
Pour un sou, le mensongeimprimé les convie 6+6 a
A se sler d'orgueil,de colère et d'envie. 6+6 a
※※※
J'étais là, regardantpasser ces malheureux 6+6 b
Dans l'atmosphère infecteet dans le bruit affreux, 6+6 b
45 Respirant le poisonmortel qui les ravage, 6+6 a
Les plaignant, me disantque l'antique esclavage 6+6 a
A seulement changéde nom pour ces maudits, 6+6 b
Quand, le fracas s'étantapaisé, j'entendis 6+6 b
Le son faible, discret,et cependant tout proche, 6+6 a
50 Le son mélancoliqueet voilé d'une cloche 6+6 a
Qui tintait doucementpour l'Angélus du soir. 6+6 b
Une église était là,que je ne pouvais voir, 6+6 b
— Chapelle de couventou petite paroisse, — 6+6 a
Et j'écoutais, le cœurétreint par une angoisse, 6+6 a
55 Cet appel que le peupleaujourd'hui n'entend plus. 6+6 b
C'est dans les champs qu'il fautécouter l'Angélus, 6+6 b
Alors que chaque noteargentine s'élance, 6+6 a
Et se répand dans ungrand ciel plein de silence. 6−6 a
C'est par un calme soirde la belle saison, 6+6 b
60 Quand le bon vieux clocher,debout sur l'horizon, 6+6 b
Semble de ses sons clairsbénir les toits de chaume, 6+6 a
Quand la nature a l'airde prier, quand l'arome 6+6 a
Des foins coupés s'exhale,exquis, parmi l'air pur, 6+6 b
Et quand on s'imagine,en regardant l'azur 6+6 b
65 Assombri, mais que pasun nuage ne voile, 6+6 a
Que chaque tintementfait éclore une étoile. 6+6 a
Mais qu'elle est triste, hélas !la cloche du faubourg ! 6+6 b
A son doux et pieuxappel le peuple est sourd. 6+6 b
Pour ces infortunéstendrement elle prie 6+6 a
70 Le Dieu fait homme et néde la Vierge Marie. 6+6 a
Mais l'image a pâli,dans leur cerveau brumeux, 6+6 b
De ce Christ qui pourtantfut ouvrier comme eux. 6+6 b
Ils ont perdu la bonneet sublime espérance 6+6 a
Qui leur rendait jadismoins dure la souffrance. 6+6 a
75 L'impiété du siècleen eux ressuscita 6+6 b
La fureur de la plèbeautour du Golgotha. 6+6 b
Dans tous ces cœurs aigris,la révolte macère 6+6 a
Contre ce Dieu qui veutqu'on aime sa misère, 6+6 a
Et, l'accusant de lacruauté de leur sort, 6−6 b
80 Ils le repoussent mêmeà l'heure de la mort. 6+6 b
Aussi, dans le tumulte gronde leur blasphème, 6+6 a
Tâchant de leur parlerde ce Dieu qui les aime 6+6 a
Et qui pourtant sans cesseest par eux outragé, 6+6 b
Comme cet Angélustinte, découragé ! 6+6 b
※※※
85 J'allais ainsi, perdudans le flot populaire, 6+6 a
Sentant en moi gronderune sourde colère 6+6 a
Contre l'infâme effortde sectaires méchants 6+6 b
Qui s'acharnent aprèsla foi des pauvres gens ; 6+6 b
Et je songeais, avecune âme épouvantée, 6+6 a
90 A l'effroyable abîme court ce peuple athée. 6+6 a
Mais la cloche sonnaittoujours, et c'est à moi 6+6 b
Qu'elle parla soudain.
« Homme de peu de foi, 6+6 b
Qui t'étonnes, aprèsdix-neuf siècles de lutte, 6+6 a
Qu'on haïsse Jésuset qu'on le persécute ! 6+6 a
95 Le Christ sera toujoursvainqueur. Donc prie et crois ! 6+6 b
Les cèdres de mille anssont jeunes pour la Croix. 6+6 b
Toujours debout, elle avu crouler vingt empires. 6+6 a
Nos temps sont mauvais. Soit !elle en connut de pires. 6+6 a
Rappelle-toi, chrétien,nos temples violés, 6+6 b
100 La Terreur, l'échafaud,les prêtres immolés 6+6 b
Par la machine rougeau couperet oblique, 6+6 a
La Raison, sous les traitsd'une fille publique, 6+6 a
Assise sur l'autel — mystère divin ! — 6+6 b
Dieu même était venudans le pain et le vin 6+6 b
105 L'orage sacrilègea passé. Ma prière 6+6 a
Retentit de nouveaudans les clochers de pierre, 6+6 a
Et, sous leurs pas nombreux,les fidèles ravis, 6+6 b
Tu le sais, ont usél'herbe de nos parvis. 6+6 b
Oui, le combat est rudeet toujours recommence. 6+6 a
110 Enivré de mensongeet frappé de démence, 6+6 a
Le peuple, en ce moment,laisse dans l'abandon 6+6 b
L'église Dieu l'attend,toujours prêt au pardon. 6+6 b
Les victoires du mal,crois-moi, sont éphémères. 6+6 a
Tôt ou tard, dégriséde ses folles chimères, 6+6 a
115 Le peuple lèverason front désespéré 6+6 b
Vers Celui dont le pauvreest l'ami préféré. 6+6 b
En voyant s'écroulerleurs idoles d'argile, 6+6 a
Ces hommes reviendrontau Dieu de l'Évangile, 6+6 a
Qui seul saura guérirles maux qu'ils ont subis, 6+6 b
120 Et, bon pasteur, ferade ces loups des brebis. 6+6 b
Ma voix, qui, dans le grandfracas, semble perdue, 6+6 a
Par quelque triste cœurest quand même entendue, 6+6 a
Et d'un secret désirde croire il est troublé. 6+6 b
Quel espoir de moissondans ce seul grain de blé ! 6+6 b
125 Cette fille aux yeux peints,qui dans le faubourg trne, 6+6 a
Peut-être pleureracomme la Madeleine 6+6 a
Sur les pieds du Sauveurposés dans son giron. 6+6 b
Ce voyou peut mourircomme le Bon Larron. 6+6 b
Aussi rien ne me lasseet ne me décourage. 6+6 a
130 Les blasphèmes, les crisde douleur et de rage 6+6 a
N'étoufferont jamaismon tintement sacré. 6+6 b
Obstinément, jusqu'àla fin, je redirai 6−6 b
A ces êtres perdusde misère et de vice 6+6 a
Que Jésus-Christ a faitpour eux son sacrifice ; 6+6 a
135 Que s'il obtient un mot,un seul, de repentir, 6+6 b
D'une candeur nouvelleil peut les revêtir ; 6+6 b
Qu'ici-bas, sans l'espoirde la vie éternelle, 6+6 a
Tout est absurde et vain,qu'il faut donc croire en elle, 6+6 a
Et, pour la mériter,être bon, doux et pur. 6+6 b
140 Et ce peuple égarécomprendra, sois-en sûr, 6+6 b
A force d'écoutermon humble airain qui vibre, — 6+6 a
Qu'esclave sur la terre,au ciel il sera libre 6+6 a
Et verra succéder,grâce au Dieu plein d'amour, 6+6 b
Un paradis sans finà son enfer d'un jour. » 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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