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COP_5/COP108
François COPPÉE
Sonnets intimes et Poèmes inédits
1925
PREMIÈRE PARTIE
AU THÉÂTRE
On jouait un opéra-boufe. 8 a
C’est le nom qu’on donne aujourd’hui 8 b
Aux farces impures dont pouffe 8 a
Notre siècle si fier de lui. 8 b
5 On riait très fort. La machine 8 a
Était bête, et sale souvent, 8 b
Et se passait dans cette Chine 8 a
De théâtre et de paravent. 8 b
Poussahs, pagodes et lanternes, 8 a
10 Vous voyez la chose d’ici. 8 b
Et les Athéniens modernes 8 a
Bissaient les plus honteux lazzi. 8 b
Deux mandarins — on pâmait d’aise 8 a
A ce comique et fin détail 8 b
15 Étaient l’un maigre et l’autre obèse 8 a
Et coquetaient de l’éventail ; 8 b
Et la convoitise sournoise 8 a
Des messieurs chauves et pesants 8 b
Lorgnaient une jeune Chinoise 8 a
20 Âgée à peine de seize ans. 8 b
Adorable, l’air un peu bête, 8 a
Toute de gaze et de paillon, 8 b
Deux épingles d’or sur la tête, 8 a
Elle semblait un papillon. 8 b
25 Elle n’était pas même émue 8 a
Et, toute rose sous son fard, 8 b
Forçait sa frêle voix en mue 8 a
Qu’étouffait l’orchestre bavard. 8 b
C’était bien la grâce éphémère, 8 a
30 L’enfance, la gaîté, l’essor, 8 b
Et l’on devinait que sa mère 8 a
Ne l’avait pas vendue encor. 8 b
Je me sentais rougir de honte 8 a
Quand elle disait certains mots, 8 b
35 Comme la princesse du conte 8 a
Qui crachait serpents et crapauds. 8 b
Je songeais à la demoiselle 8 a
Qu’on invite en saluant bas, 8 b
Et, baissant ses yeux de gazelle, 8 a
40 Qui répond : « Je ne valse pas ; » 8 b
A l’héritière très titrée 8 a
De l’altier faubourg Saint-Germain 8 b
Que suit un laquais en livrée 8 a
Portant le missel à la main ; 8 b
45 Et même à la libre grisette 8 a
Que font danser les calicots 8 b
Dans des bals ayant pour musette 8 a
Des mirlitons peu musicaux. 8 b
Et je me disais : « Ouvrière, 8 a
50 Fille de noble ou de bourgeois, 8 b
A cette heure fait sa prière 8 a
Ou rêve à l’amour de son choix ; 8 b
« Et, pendant ce temps-là, le père, 8 a
Le frère, même un fiancé, 8 b
55 Sont peut-être dans ce repaire, 8 a
Devant ce spectacle insensé, 8 b
« Et, dans le vertige où les plonge 8 a
Cet art érotique et scabreux, 8 b
Sans doute qu’aucun d’eux ne songe 8 a
60 A cette enfant qu’on perd pour eux. 8 b
« Siècle de toi-même idolâtre, 8 a
Époque aux grands mots puérils, 8 b
Les spectacles de ton théâtre 8 a
Sont moins sanglants, mais sont plus vils. 8 b
65 « Cette innocente, encore dupe, 8 a
Qui ne sait pas dans quel dessein 8 b
On fait aussi courte sa jupe 8 a
Et l’on découvre autant son sein, 8 b
« Cette victime, c’est la tienne, 8 a
70 Multitude aux instincts fangeux ! 8 b
C’est toujours la jeune chrétienne 8 a
Toute nue au milieu des jeux ; 8 b
« Ce sont toujours tes mille têtes 8 a
Fixant leurs yeux de basilic 8 b
75 Sur la femme livrée aux bêtes, 8 a
Sur l’enfant jetée au public ! » 8 b
— Je m’indignais, et, sur la scène, 8 a
Celle qui n’avait pas seize ans 8 b
Chantait un couplet trop obscène 8 a
80 Pour qu’elle en pût savoir le sens, 8 b
Et, l’horreur crispant ma narine, 8 a
Loin du mauvais lieu je m’enfuis, 8 b
Respirant à pleine poitrine 8 a
L’air salubre et glacé des nuits. 8 b
mètre profil métrique : 8
forme globale type : suite périodique
schéma : 21(abab)
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