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COP_3/COP71
François COPPÉE
LE CAHIER ROUGE
1874
Le Canon
Pour Le livre : L'Offrande
Aux Alsaciens-Lorrains
Le silence imposant et la nuit solennelle 6+6 a
Planent sur le rempart où, debout dans le vent, 6+6 b
Le mousqueton au bras, veille une sentinelle 6+6 a
Auprès d'un gros canon tourné vers le levant. 6+6 b
5 Le fort est un de ceux qui virent le grand siège ; 6+6 a
Et, jadis, quand sonna l'heure du désespoir, 6+6 b
Sur ces glacis croulants, alors couverts de neige, 6+6 a
Dans le ciel de janvier a flotté l'aigle noir. 6+6 b
L'engin, lourd et trapu sur son affût difforme, 6+6 a
10 Naguère vint ici de Toulon ou de Brest ; 6+6 b
Et, les vainqueurs étant gênés du poids énorme, 6+6 a
Ce monstre est resté là, toujours braqué sur l'Est. 6+6 b
L'artilleur est un fils d'Alsace, et sa patrie 6+6 a
Est, au nom des traités, territoire allemand ; 6+6 b
15 Il est simple servant dans une batterie. 6+6 a
N'ayant plus de foyer, il reste au régiment. 6+6 b
Mais, cette nuit, il est hanté de rêves sombres, 6+6 a
Et son cœur, que l'espoir des combats remuait, 6+6 b
Doute à présent. Il est seul parmi les décombres, 6+6 a
20 Entre ces murs criblés et ce canon muet. 6+6 b
Il songe à son pays, dans ce coin solitaire. 6+6 a
Hélas ! les jeunes gens émigrent de là-bas ; 6+6 b
Ses parents sont trop vieux pour labourer la terre, 6+6 a
Et leurs filles, ses sœurs, ne se marieront pas. 6+6 b
25 La revanche promise, il n'y compte plus guère ; 6+6 a
Combien de temps avant que nous nous rebattions ? 6+6 b
Et déjà les Prussiens, prêts pour une autre guerre, 6+6 a
Ceignent Metz et Strasbourg de nouveaux bastions. 6+6 b
Tout lui rappelle ici les désastres célèbres. 6+6 a
30 Être proscrit, c'est plus qu'être orphelin et veuf ! 6+6 b
Ce drapeau qu'il entend claquer dans les ténèbres, 6+6 a
Mieux vaut ne pas le voir, car c'est un drapeau neuf. 6+6 b
Alors pris d'une fièvre ardente, il remercie 6+6 a
La consigne qui l'a près d'un canon placé, 6+6 b
35 Et, comme fit, dit-on, l'Empereur en Russie, 6+6 a
Pose son front brûlant sur le bronze glacé. 6+6 b
Tout à coup, le soldat tressaille et devient pâle, 6+6 a
Car il vient de s'entendre appeler par son nom ; 6+6 b
Et cette voix profonde et grave comme un râle, 6+6 a
40 Cette voix qui lui parle, elle sort du canon : 6+6 b
« Enfant, ne pleure pas. Espère et patiente ! 6+6 a
Ce vent qui vient souffler dans ma bouche béante 6+6 a
M'arrive du côté du Rhin ; 8 b
Il me dit que là-bas l'on attend et l'on souffre, 6+6 c
45 Et c'est comme un écho d'Alsace qui s'engouffre 6+6 c
Et qui murmure en mon airain. 8 b
« J'entends les moindres bruits que cet écho m'apporte. 6+6 a
Le vieux maître d'école a beau fermer sa porte 6+6 a
Et faire très basse sa voix, 8 b
50 Devant les écoliers, palpitant d'espérance, 6+6 c
Il déroule, en parlant du cher pays de France, 6+6 c
La vieille carte d'autrefois. 8 b
« J'entends une chanson, qui n'est pas allemande, 6+6 a
Chez ce cabaretier qu'on mettrait à l'amende 6+6 a
55 Si quelque patrouille passait ; 8 b
Et voilà des volets qu'on ferait bien de clore, 6+6 c
Si l'on veut conserver ce haillon tricolore 6+6 c
Que tout à l'heure on embrassait. 8 b
«J'entends un cri d'horreur s'échapper de la bouche 6+6 a
60 Du paysan lorrain qui s'arrête, farouche, 6+6 a
En découvrant dans son sillon 8 b
Une tête de mort à l'effroyable rire, 6+6 c
Et ramasse un bouton tout rouillé pour y lire 6+6 c
Le numéro d'un bataillon. 8 b
65 «La prière de l'humble enfant qui s'agenouille, 6+6 a
Le soupir de la vierge auprès de sa quenouille, 6+6 a
Et les sanglots intermittents 8 b
Des vieux parents en deuil et de la pauvre veuve, 6+6 c
Toutes ces faibles voix gémissant dans l'épreuve, 6+6 c
70 Je les entends, je les entends ! 8 b
«Et toi, tu douterais, quand nul ne désespère 6+6 a
Dans le pays natal où sont encor ton père, 6+6 a
Ta mère et tes deux jeunes sœurs ? 8 b
Cette nation-ci, souviens-toi donc, est celle 6+6 c
75 De Bertrand du Guesclin, de Jeanne la Pucelle, 6+6 c
Et chasse ses envahisseurs. 8 b
«Jadis, la guerre sainte a duré cent années ; 6+6 a
Des générations furent extermies ; 6+6 a
Paris sous l'étranger trembla ; 8 b
80 Anglais et Jacquerie à la fois, double tâche ; 6+6 c
Charles six était fou, Charles cinq était lâche. 6+6 c
Vois. Les Anglais ne sont plus là. 8 b
Ces Allemands fuiront aussi. — Quand ? Je l'ignore. 6+6 a
Mais, un jour, du cô que je menace encore, 6+6 a
85 Vers ceux-là que nous haïssons, 8 b
Je vous verrai partir, pour ravoir vos villages, 6+6 c
Alsaciens, Lorrains, au trot des attelages 6+6 c
Et secoués par les caissons. 8 b
« Vous trnerez alors ces canons de campagne 6+6 a
90 Qui franchissent le pont et grimpent la montagne, 6+6 a
Dorés au soleil radieux ; 8 b
Et moi, le témoin noir et triste des défaites, 6+6 c
Je ne pourrai vous suivre à ces lointaines fêtes ; 6+6 c
Je suis trop lourd, je suis trop vieux. 8 b
95 « Mais je pourrai du moins, vieux dogue, aux Invalides, 6+6 a
Annoncer à Paris vos marches intrépides, 6+6 a
Avec mon aboi triomphant. 8 b
— De créer des héros la France n'est pas lasse ; 6+6 c
Et le simple soldat qui dort sur ma culasse 6+6 c
100 Est peut-être Turenne enfant ! » 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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