Métrique en Ligne
COP_2/COP39
François COPPÉE
POÈMES MODERNES
1867-1869
Le Défilé
Dans le faubourg planté d'arbustes rabougris, 6+6 a
Où le pâle chardon pousse au bord des murs gris, 6+6 a
Sur le trottoir pavé que limitent des bornes, 6+6 b
Lentement, en grand deuil tous deux, tristes et mornes, 6+6 b
5 Et vers le couchant d'or d'un juillet étouffant, 6+6 a
Vont ensemble une mère et son petit enfant. 6+6 a
La mère est jeune encore, elle est pauvre, elle est veuve. 6+6 b
Résignée, et pourtant droite encor sous l'épreuve, 6+6 b
Elle songe sans doute au sombre lendemain ; 6+6 a
10 Et le petit garçon qu'elle tient par la main 6+6 a
A déjà dans ses yeux agrandis par les jeûnes 6+6 b
L'air grave des enfants qui s'étonnent trop jeunes. 6+6 b
Ils marchent, regardant le coucher du soleil. 6+6 a
Mais voici que, parmi le triomphe vermeil 6+6 a
15 Des nuages de pourpre aux franges d'écarlate, 6+6 b
Là-bas, soudaine et fière, une fanfare éclate ; 6+6 b
Et, poussant devant eux clairons et timbaliers, 6+6 a
Apparaissent au loin les premiers cavaliers 6+6 a
D'un pompeux régiment qui vient de la parade. 6+6 b
20 Des escadrons ! mais c'est comme une mascarade. 6+6 b
Les enfants et le peuple, hélas ! enfant aussi, 6+6 a
S'arrêtent en chemin pour les voir. Or ceux-ci 6+6 a
Sont très beaux ; et le fils de la veuve regarde. 6+6 b
Lui qui vécut dans les murs froids d'une mansarde, 6−6 b
25 Il n'a jamais rien vu de tel. Il est hagard ; 6+6 a
Et sa mère lui dit, bénissant ce hasard, 6+6 a
Et distraite, elle aussi, de ses rêves austères : 6+6 b
Restons là. Nous verrons passer les militaires. » 6+6 b
Ils s'arrêtent tous deux ; et le beau régiment, 6+6 a
30 Sombre et pesant d'orgueil, défile fièrement. 6+6 a
Ce sont des cuirassiers ; ils vont, musique en tête, 6+6 b
Répandant à l'entour comme un bruit de tempête. 6+6 b
Les casques sont polis ainsi que des miroirs ; 6+6 a
Les sabres sont tirés. Tous les chevaux sont noirs ; 6+6 a
35 Ils ont la flamme aux yeux et le sang aux narines. 6+6 b
— Les cuirasses d'acier qui bombent les poitrines 6+6 b
Jettent à chaque pas des éclairs aveuglants ; 6+6 a
Et les lourds escadrons, impassibles et lents, 6+6 a
Se succèdent, au pas, allant de gauche à droite, 6+6 b
40 Avec leurs officiers dans la distance étroite, 6+6 b
Si bien que le passant, sur la route arrêté, 6+6 a
Cependant qu'il peut voir s'éloigner d'un côté 6+6 a
Des croupes de chevaux et des dos de cuirasses, 6+6 b
Voit de l'autre, marchant de tout près sur leurs traces, 6+6 b
45 S'avancer, alignés comme par deux niveaux, 6+6 a
Des casques de soldats et des fronts de chevaux. 6+6 a
Et ce spectacle est plus sublime et plus farouche 6+6 b
Dans la rouge splendeur du soleil qui se couche. 6+6 b
Mais, l'œil tout ébloui des ors et des aciers, 6+6 a
50 L'enfant cherche surtout à voir ces officiers 6+6 a
Qui brandissent, tournés à demi sur la selle, 6+6 b
Leur sabre dont la lame au soleil étincelle, 6+6 b
Et sont gantés de blanc ainsi que pour le bal, 6+6 a
Et commandent, tandis que leur fougueux cheval, 6+6 a
55 Se rappelant sans doute une ancienne victoire, 6+6 b
Secoue avec orgueil son mors dans sa mâchoire. 6+6 b
Et plus que tous ceux-là l'enfant admire encor 6+6 a
Le plus jeune, qui n'a qu'une aiguillette d'or 6+6 a
Et marche dans les rangs ainsi qu'une recrue, 6+6 b
60 Mais qui semble toujours à la foule accourue 6+6 b
Le plus heureux, le plus superbe et le plus beau, 6+6 a
Car il porte les plis somptueux du drapeau. 6+6 a
Le régiment défile, et l'enfant s'extasie. 6+6 b
Craintif et se tenant à la jupe saisie 6+6 b
65 De sa mère, il admire, avide et stupéfait, 6+6 a
Et tremble. Mais alors celle-ci, qui rêvait, 6+6 a
Le regarde, et soudain elle devient peureuse. 6+6 b
La pauvre femme, qui naguère était heureuse 6+6 b
Que pour son fils ce beau régiment paradât, 6+6 a
70 Craint maintenant qu'il veuille un jour être soldat ; 6+6 a
Et même, bien avant que ce soupçon s'achève, 6+6 b
Son esprit a conçu l'épouvantable rêve 6+6 b
D'un noir champ de bataille où dans les blés versés, 6+6 a
Sous la lune sinistre, on voit quelques blessés, 6+6 a
75 Qui, mouillés par le sang et la rosée amère, 6+6 b
Se traînent sur leurs mains en appelant leur mère, 6+6 b
Puis qui s'accoudent, puis qui retombent enfin ; 6+6 a
Et, seuls debout alors, des chevaux ayant faim 6+6 a
Qui, baissant vers le sol leurs longs museaux avides, 6+6 b
80 Broutent le gazon noir entre les morts livides ! 6+6 b
Elle entraîne son fils ; elle a le cœur glacé. 6+6 a
Et, bien que le brillant régiment soit passé 6+6 a
Et qu'au coin du faubourg tourne l'arrière-garde, 6+6 b
L'enfant se plaint tout bas, et résiste, et regarde 6+6 b
85 Son rêve qui s'enfuit, espérant voir encor 6+6 a
Là-bas, dans la poussière, une étincelle d'or, 6+6 a
Et détestant déjà les amis et les mères 6+6 b
Qui nous tirent loin des dangers et des chimères. 6−6 b
mètre profil métrique : 6−6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 44((aa))
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