Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
COP_2/COP34
François COPPÉE
POÈMES MODERNES
1867-1869
Angélus
I
Tapi dans les rochers | qui regardent la plage, 6+6 a
Au pied de la falaise | est le petit village. 6+6 a
Sur les vagues ses toits | ont l'air de se pencher, 6+6 b
Et ses mâts de bateaux | entourent son clocher. 6+6 b
5 C'est en mai. — L'Océan, | dans ces belles journées, 6+6 a
A l'azur tiède et clair | des méditerranées. 6+6 a
Il chante, et le soleil | rend plus brillante encor 6+6 b
Son écume glissant | le long des sables d'or. 6+6 b
L'odeur du flot se mêle | aux parfums de la terre 6+6 a
10 Et, là-bas, le petit | jardin du presbytère, 6+6 a
A mi-côte, est rempli | de fleurs et de rayons. 6+6 b
Blond, rieur et chassant | aux premiers papillons, 6+6 b
Un bel enfant y joue | et va, sur la pelouse, 6+6 a
Du vieux prêtre en soutane | au vieux bonhomme en blouse 6+6 a
15 Qui sont là, l'un disant | ses prières tout bas, 6+6 b
L'autre arrosant des fleurs | qu'il ne regarde pas, 6+6 b
Car pour mieux voir l'enfant, | qui court dans la lumière, 6+6 a
L'un néglige ses fleurs | et l'autre sa prière ; 6+6 a
Et tous les deux se font | des sourires joyeux. 6+6 b
20 Le prêtre est le curé | de l'endroit ; l'autre vieux 6+6 b
En est le fossoyeur. | Le premier dans sa cure 6+6 a
Mène depuis vingt ans | sa douce vie obscure. 6+6 a
Ce juste a fait le bien, | ainsi qu'il l'a prêché, 6+6 b
Et se laisse appeler | bonhomme à l'évêché, 6+6 b
25 Sans s'étonner et sans | que son zèle en décroisse. 6−6 a
Comme le cimetière | est près de la paroisse, 6+6 a
Qu'il est bien seul, qu'il aime | à deviser un peu 6+6 b
En se chauffant les pieds, | le soir, au coin du feu, 6+6 b
Et comme il n'entend rien | aux choses maritimes, 6+6 a
30 Le fossoyeur et lui | sont devenus intimes. 6+6 a
Car c'est, à la campagne, | un causeur assuré 6+6 b
Qu'un soldat vétéran | auprès d'un vieux curé. 6+6 b
Celui-là, revenu | dès longtemps au village, 6+6 a
Invalide vaincu | par la guerre et par l'âge, 6+6 a
35 Trop vieux pour devenir | laboureur ou marin, 6+6 b
Est fossoyeur, et chante, | aux grands jours, au lutrin. 6+6 b
Or, c'est un compagnon | agréable au vieux prêtre, 6+6 a
Disant trop longuement | ses batailles, peut-être, 6+6 a
Mais résigné, naïf, | n'engendrant point l'ennui, 6+6 b
40 Et que le curé sait | doux et bon comme lui. 6+6 b
Tous deux s'aiment. Et quant | au bel enfant qui joue, 6+6 a
Le ciel dans le regard, | l'aurore sur la joue, 6+6 a
Et pour lequel ils ont | ce sourire attendri, 6+6 b
C'est Angélus, l'enfant | trouvé, leur fils chéri. 6+6 b
45 Ces cheveux blonds au vent | sont la dernière flamme 6+6 a
Qui se reflète encore | au miroir de leur âme ; 6+6 a
Et, parmi les bleuets | et les coquelicots, 6+6 b
Ce bon rire aux éclats | vibrants et musicaux 6+6 b
Leur fait une vieillesse | encore ensoleillée. 6+6 a
50 Car naguère ils étaient | bien seuls, et la veillée 6+6 a
Leur semblait longue. Assis | près de l'âtre et rêvant, 6+6 b
Tandis qu'ils écoutaient | les longs sanglots du vent 6+6 b
Et la mer se brisant | aux rochers des presqu'îles, 6+6 a
Un nuage passait | sur leurs âmes tranquilles. 6+6 a
55 La causerie avec | le foyer s'éteignait. 6+6 b
Le vieux prêtre fermait | son livre, et se signait 6+6 b
Comme contre un désir | coupable et qu'on repousse ; 6+6 a
Le vétéran vidait | sa pipe sur son pouce ; 6+6 a
Et tous deux se taisaient, | songeant qu'ils étaient seuls 6+6 b
60 Et que tous ces vieux morts, | cousus dans leurs linceuls, 6+6 b
Qui venaient réclamer | de l'un une prière 6+6 a
Et de l'autre un trou noir | au fond du cimetière, 6+6 a
Avaient du moins autour | de leur pauvre cercueil 6+6 b
Des femmes qui pleuraient | et des enfants en deuil ; 6+6 b
65 Que ces gens se faisaient | répéter la promesse 6+6 a
Que l'on n'oublierait rien, | ni les fleurs, ni la messe : 6+6 a
Et qu'eux, lorsqu'ils seraient | à jamais endormis 6+6 b
Sous terre, ils n'auraient point | de parents ni d'amis 6+6 b
Pour arracher l'ortie | et la ronce mauvaise 6+6 a
70 Frissonnant sur leur tombe | au vent de la falaise. 6+6 a
Un soir le fossoyeur, | d'un ton mal assuré 6+6 b
Et les deux mains au feu, | dit :
« Monsieur le curé, 6+6 b
Puisque vous savez tout, | vous devriez me dire 6+6 a
Ce qui fait qu'aujourd'hui | nous ne pouvons pas rire ; 6+6 a
75 Cependant, sans avoir | besoin d'être indulgents, 6+6 b
Nous pouvons nous donner | comme deux braves gens. 6+6 b
Je ne sais rien, c'est vrai ; | que le bon Dieu m'assiste ! 6+6 a
Mais pourquoi notre cœur, | étant pur, est-il triste ? » 6+6 a
— C'est vrai, » dit le curé. |
Puis, après un moment 6+6 b
80 De silence, il reprit ; | bas et timidement : 6+6 b
« Oui, nous avons rendu, | malgré la chair fragile, 6+6 a
A César comme à Dieu | ce que veut l'Évangile, 6+6 a
Et nous n'avons ni l'un | ni l'autre fait le mal. 6+6 b
Nos cœurs sont innocents | comme au jour baptismal ; 6+6 b
85 Rien ne les assombrit | et rien ne les déprave, 6+6 a
Le mien étant pieux | et le vôtre étant brave. 6+6 a
Priant pour les vivants | et prenant soin des morts, 6+6 b
Nous vieillissons ici, | calmes et sans remords. 6+6 b
Et pourtant notre vie | est triste !
Au point, dit l'autre, 6+6 a
90 Que vous, monsieur l'abbé, | vous, plus saint qu'un apôtre, 6+6 a
Je vous ai vu jeter, | dans vos jours de souci, 6+6 b
Un regard envieux | aux plus pauvres d'ici. 6+6 b
— Le pêcheur, dit le prêtre, | heureux parmi les hommes, 6+6 a
N'a pas du laboureur | les ennuis économes ; 6+6 a
95 Il a la mer ; il a | sa plage de galets 6+6 b
Pour prendre du varech | et sécher ses filets ; 6+6 b
Et, si les flancs épais | de sa barque normande 6+6 a
Regorgent de saumon, | de congre ou de limande, 6+6 a
Oublieux du péril | auquel il s'exposa, 6+6 b
100 Il revient tout joyeux | à son feu de colza, 6+6 b
Sans penser que demain | il faut qu'il recommence 6+6 a
Sa bataille éternelle | avec la mer immense, 6+6 a
Et pose à son retour | des baisers triomphants 6+6 b
Sur les fronts inégaux | de ses petits enfants. 6+6 b
105 Un enfant ! C'est cela | qui nous manque peut-être. 6+6 a
Nous n'avons pas d'enfant, | hélas !
Et le vieux prêtre 6+6 a
Reprit, en tisonnant | tout doucement son feu : 6+6 b
« Tous les moyens sont doux, | ami, de plaire à Dieu. 6+6 b
Il est doux d'obéir, | d'être humble et d'être chaste ; 6+6 a
110 Mais notre cœur humain | est-il donc si peu vaste, 6+6 a
Que la patrie et Dieu, | dans ce cœur enfermés, 6+6 b
N'y puissent laisser place | à des êtres aimés ? 6+6 b
Pourtant Dieu, c'est l'amour, | lisait bien que nous sommes 6+6 a
Aimants ; et puis c'est grand, | cela : faire des hommes. 6+6 a
115 Vivre au milieu de fils | chrétiens, c'est aussi beau 6+6 b
Que servir un autel | ou défendre un drapeau. 6+6 b
Ce doit être un devoir | bien plus lourd qu'on ne pense, 6+6 a
Oui, mais qui porte en lui | sa chère récompense. 6+6 a
Nous n'avons pas d'enfant, | voilà !
— Certainement, 6+6 b
120 Dit l'autre. Quand j'étais | encore au régiment, 6+6 b
Et quand, les pieds meurtris | aux cailloux des montagnes, 6+6 a
Je m'en allais coucher | chez les gens des campagnes, 6+6 a
Qui m'accueillaient fort mal | et n'avaient d'autre soin 6+6 b
Pour moi que de passer | leur fourche dans le foin, 6+6 b
125 Parfois, en attendant | qu'on fît de la lumière, 6+6 a
J'ai vu de beaux enfants | jouer dans la chaumière, 6+6 a
Et je leur ai souri. | Mais il fallait passer 6+6 b
Sans leur dire un seul mot | et sans les embrasser, 6+6 b
Et s'en aller dormir | sur son sac, dans la grange. 6+6 a
130 Mais ces fois-là j'étais | plus las, et, c'est étrange, 6+6 a
Je repartais le cœur | plus sombre. »
Et, soupirant, 6+6 b
Ils restèrent au coin | de leur foyer mourant, 6+6 b
Sans entendre, du fond | de leur pénible rêve, 6+6 a
Se lamenter au loin | l'Océan sur la grève. 6+6 a
II
135 Si le son de la cloche | est triste, il l'est bien plus 6+6 b
L'hiver, quand vient la nuit | et quand c'est l'argelus 6+6 b
Qui sonne lourdement | au clocher du village, 6+6 a
Rythmé par les sanglots | de la mer sur la plage. 6+6 a
Dans les cœurs son écho | lugubre retentit : 6+6 b
140 Celle qui reste songe | à celui qui partit 6+6 b
Sur sa barque parmi | la brume et la tempête, 6+6 a
Et se demande, auprès | du rouet qui s'arrête, 6+6 a
Si là-bas, dans les flots, | son homme, le marin, 6+6 b
A comme elle entendu | les coups du grave airain, 6+6 b
145 Et si, malgré la lame | affreuse qui grommelle, 6+6 a
Il s'est bien souvenu | de se signer comme elle. 6+6 a
Ayant sonné la cloche | et dit les oraisons, 6+6 b
Les deux vieillards allaient | regagner leurs maisons 6+6 b
Et se disaient adieu | sur le seuil de l'église, 6+6 a
150 Quand ils virent, gisant | sur une pierre grise, 6+6 a
Quelque chose de blanc | qu'on avait laissé là ; 6+6 b
Et, s'étant approchés | tous deux, il leur sembla 6+6 b
Que cela remuait | vaguement. Le vieux prêtre, 6+6 a
Inquiet, se pencha | vite et put reconnaître 6+6 a
155 Que c'était un pauvre être | à peine emmailloté, 6+6 b
Un enfant qu'une mère | horrible avait jeté, 6+6 b
Profitant du sommeil | confiant de l'enfance, 6+6 a
En passant, dans ce coin, | presque nu, sans défense, 6+6 a
Comme un voyageur las | jette au loin son fardeau. 6+6 b
160 «Hélas ! dit le curé, | qui des mains du bedeau 6+6 b
Prend le pauvre petit, | notre raison humaine 6+6 a
Est folle en voulant fuir | la route où Dieu la mène. 6+6 a
Vous avez vu par nous | vos desseins outragés, 6+6 b
Dieu très juste, et voici | comment vous vous vengez. 6+6 b
165 L'autre soir, nous sentions | dans nos âmes farouches 6+6 a
Fermenter les désirs | coupables, et nos bouches 6+6 a
Ont prononcé tout bas | des propos envieux. 6+6 b
;lais vous vous êtes dit : | « Ces deux hommes sont vieux : 6+6 b
«Leur voyage fut long ; | ils sont las de leur course ; 6+6 a
170 «Ils ont besoin d'un peu | d'ombre et de quelque source ; 6+6 a
«Ce sont de vrais chrétiens, | ce sont de bons amis ; 6+6 b
«Il faut leur pardonner. | » Et vous avez permis 6+6 b
Que notre foi n'eût plus | même ce seul obstacle. 6+6 a
Merci ! Que cet enfant, | donné par un miracle, 6+6 a
175 Bonheur que nos vieux jours | n'auraient jamais rêvé, 6+6 b
Porte le nom de l'heure | où nous l'avons trouvé : 6+6 b
Qu'il s'appelle Angélus ! | c'est un nom de prière. 6+6 a
Mon Angélus, je vous | baptise au nom du Père, 6−6 a
Du Fils et de l'Esprit ! |
Amen ! » dit le soldat. 6+6 b
180 Et, de peur que le vent | de mer n'incommodât 6+6 b
Davantage l'enfant | tout transi sur les pierres 6+6 a
Et qui ne rouvrait pas | encore ses paupières, 6+6 a
En prenant à travers | un terrain labouré 6+6 b
Ils rentrèrent en hâte | au logis du curé. 6+6 b
185 Là, pour faire du feu, | le soldat s'agenouille ; 6+6 a
De son vieux manteau noir | le curé se dépouille 6+6 a
Et reste ainsi, portant | le petit sur les bras, 6+6 b
Et tout semblable, dans | son naïf embarras, 6−6 b
Au saint Vincent de Paul | des naïves images. 6+6 a
190 Jadis un autre enfant, | celui vers qui les mages, 6+6 a
Écoutant dans le ciel | un mystique concert 6+6 b
Et suivant une étoile | à travers le désert, 6+6 b
Vinrent pour présenter | l'or, l'encens et la myrrhe, 6+6 a
L'enfant divin, l'enfant | Jésus qu'encore admire 6+6 a
195 Le monde qui pourtant | a brisé tous ses dieux, 6+6 b
L'enfant de Bethléem | parut moins radieux, 6+6 b
Dans sa crèche adorable, | aux pèlerins augustes, 6+6 a
Que cet enfant trouvé | ne parut à ces justes, 6+6 a
Lorsque sur le lit blanc | et pur comme un berceau 6+6 b
200 Ils l'eurent déposé | dans son sommeil d'oiseau, 6+6 b
Et que sous le profond | rideau qui se soulève 6+6 a
Ils le virent tous deux | continuer son rêve. 6+6 a
« Oui-da ! dit le soldat | qui tenait le rideau, 6+6 b
Le bon Dieu nous a fait | un bien joli cadeau. 6+6 b
205 Nous voulions un enfant, | c'est comme dans un conte, 6+6 a
Le voilà. Nous allons | l'élever et, j'y compte, 6+6 a
Plus tard en faire un gars | robuste et bien portant. 6+6 b
C'est entendu, monsieur | le curé. Mais pourtant 6+6 b
Il faut aussi songer | à ce qui va s'ensuivre. 6+6 a
210 Vous êtes, vous, d'abord, | éduqué comme un livre : 6+6 a
L'enfant saura de vous | tout ce qu'il faut savoir. 6+6 b
Moi, pour les menus soins, | je me flatte d'avoir 6+6 b
La chose d'employer | le fil et les aiguilles. 6+6 a
Mais, voilà : nous avons | vécu loin des familles, 6+6 a
215 Loin des berceaux ; jamais | on ne nous révéla 6+6 b
Comme on s'y prend avec | ces petits êtres-là. 6+6 b
Leur parler, vous savez | le langage des anges, 6+6 a
Ce n'est rien. Mais ôter | et remettre leurs langes, 6+6 a
Les nourrir comme il faut | et leur dire ces chants 6+6 b
220 Qui les font s'endormir | alors qu'ils sont méchants, 6+6 b
Les soigner, eux toujours | malades et débiles, 6+6 a
A cela, voyez-vous ! | nous serons malhabiles. 6+6 a
Qu'y faire ? Une servante ? |… Eh ! nous ne pourrions pas 6+6 b
La payer. Faites-vous | toujours vos deux repas ? 6+6 b
225 Pour nous, les serviteurs | sont des gens trop avides. 6+6 a
Et tous vos pauvres, qui | s'en iraient les mains vides ! 6+6 a
Puis, quel autre aussi bien | que nous en aurait soin ? 6+6 b
— Comment, une servante ! | il n'en est pas besoin, 6+6 b
Dit le vieux prêtre avec | son bon regard sincère. 6+6 a
230 Nous saurons bien ce qui | lui sera nécessaire. 6+6 a
Nous désirions un fils, | Dieu nous l'envoie : ainsi, 6+6 b
Ce n'est pas, à coup sûr, | pour qu'il sorte d'ici. 6+6 b
En lui donnant d'abord | toute notre tendresse, 6+6 a
Nous ne commettrons pas | de grave maladresse. 6+6 a
235 Nous sommes, il est vrai, | très pauvres ; mais enfin 6+6 b
Notre enfant ne mourra | ni de froid ni de faim : 6+6 b
J'ai de beau linge blanc | tout plein ma vieille armoire, 6+6 a
Et je pourrais encor | vous remettre en mémoire, 6+6 a
Mon cuisinier d'un jour, | que, quand vient Monseigneur, 6+6 b
240 Notre hospitalité | nous fait assez d'honneur, 6+6 b
En ajoutant tout bas | que pour Son Éminence 6+6 a
Un jour passé chez moi | n'est pas jour d'abstinence. 6+6 a
— Vos poulets ? votre vin ? | pour qui ? pour ce petit ? 6+6 b
Mais à son âge on n'a | pas si bon appétit 6+6 b
245 Qu'un archevêque ; et c'est | bien plus tard qu'on les sèvre. 6+6 a
— Eh bien, en attendant, | nous aurons une chèvre… 6+6 a
Et puis je vous défends | de rire du clergé. 6+6 b
— Bien, ne vous fâchez pas, | la bonne a son congé. 6+6 b
C'est dit. L'enfant aura | d'abord quelque surprise 6+6 a
250 De votre robe noire | et de ma barbe grise ; 6+6 a
Mais nous lui sourirons ; | puis, nous n'y pouvons rien. 6+6 b
Vous, monsieur le curé, | pour sûr, vous saurez bien 6+6 b
Ce qu'il lui faut, vous qui | savez soigner les âmes ; 6+6 a
Les vieux prêtres, mais c'est | aussi doux que les femmes ! 6+6 a
255 Et vous avez les mains | blanches comme les leurs. 6+6 b
Moi, j'aimerai l'enfant | comme j'aime mes fleurs, 6+6 b
Et nous pourrons mener | jusqu'au bout ce caprice, 6+6 a
D'apprendre le métier | de mère et de nourrice. » 6+6 a
Et pendant ce temps-là | le pauvre enfant trouvé, 6+6 b
260 Sur l'oreiller moelleux, | comme sur le pavé, 6+6 b
Dormait toujours, charmant | d'abandon et de grâce. 6+6 a
Les deux vieillards baisaient | sa petite main grasse, 6+6 a
Et puis la reposaient | doucement sur le lit. 6+6 b
Comme on penche le front | sur un livre qu'on lit, 6+6 b
265 Ils se tinrent longtemps | inclinés sur sa couche, 6+6 a
Retenant leur haleine | et le doigt sur la bouche. 6+6 a
Puis, par un enfantin | regard persuadant 6+6 b
L'autre qui lui faisait | signe d'être prudent, 6+6 b
Et comme n'y pouvant | résister, le vieux prêtre, 6+6 a
270 Au risque d'éveiller | le charmant petit être, 6+6 a
Silencieusement | le baisa sur le front. 6+6 b
Angélus ébaucha | de son bras rose et rond 6+6 b
Ce geste vague et mou | du réveil qui s'approche, 6+6 a
Tandis que, s'adressant | en secret un reproche, 6+6 a
275 Vite se reculait | le vieil audacieux, 6+6 b
Au fond très satisfait | de voir s'ouvrir les yeux 6+6 b
De l'enfant, comme afin | d'orienter ses voiles 6+6 a
Le marin est heureux | du lever des étoiles. 6+6 a
L'enfant, qui s'éveilla | doucement, leur sourit. 6+6 b
280 Alors, courbant le front, | le bon curé le prit 6+6 b
Dans ses mains, que rendaient | fébriles son grand âge, 6+6 a
Mais que la peur faisait | trembler bien davantage ; 6+6 a
Et, se sentant le cœur | plus inquiet encor 6+6 b
Que le jour où, vêtu | de la chasuble d'or, 6+6 b
285 Et selon la promesse | aux chrétiens garantie, 6+6 a
Pour la première fois | il consacra l'hostie, 6+6 a
Il vint s'asseoir auprès | du feu qui pétillait ; 6+6 b
Et, cependant qu'avec | lenteur il dépouillait 6+6 b
L'enfant de ses haillons | liés par des ficelles, 6+6 a
290 S'étonnant de ne pas | lui découvrir des ailes, 6+6 a
Le fossoyeur, avec | un air tout réjoui, 6+6 b
Se tenait immobile | et debout devant lui, 6+6 b
L'encourageant des yeux | et le regardant faire. 6+6 a
Et cette heure leur fut | exquise. L'atmosphère 6+6 a
295 Était intime. A peine | entendait-on le bruit 6+6 b
Du vent et de la mer | qui pleuraient dans la nuit. 6+6 b
Le colza sec brûlait, | clair, dans la cheminée ; 6+6 a
Toute la vieille chambre | était illuminée. 6+6 a
La bouilloire chantait | gaîment devant le feu 6+6 b
300 En laissant échapper | son mince filet bleu ; 6+6 b
Et le petit enfant, | frêle espérance d'âme, 6+6 a
Content de se sentir | tout nu devant la flamme, 6+6 a
Sur les genoux des deux | vieillards extasiés 6+6 b
Serrait ses petits poings, | frottait ses petits pieds 6+6 b
305 Et murmurait, le front | ballant et l'œil atone, 6+6 a
Son doux vagissement | heureux et monotone. 6+6 a
III
Comme le presbytère | est joyeux maintenant ! 6+6 b
Bien qu'au bord de la mer | il soit moins rayonnant, 6+6 b
Le printemps, qui sourit | parmi les giboulées, 6+6 a
310 Éclaire le gazon | frileux dans les allées, 6+6 a
Réchauffe le vieux seuil, | le cep en espalier, 6+6 b
Et vient mourir au bas | du gothique escalier. 6+6 b
Le jardin rajeunit, | rempli de pousses vertes. 6+6 a
L'éclat de rire sort | des fenêtres ouvertes. 6+6 a
315 La brique a le ton rose | et charmant d'un décor, 6+6 b
Et le chaume brillant | pétille comme l'or. 6+6 b
Ah ! si le jardin sombre | et les vieux murs moroses 6+6 a
Se sont transfigurés | si vite, si les roses 6+6 a
Ont si vite chassé | l'ortie et le chardon, 6+6 b
320 Si la tendre espérance | et l'aimable pardon 6+6 b
De floréal ont pris | ce coin noir pour leurs fêtes, 6+6 a
Si plus pures et plus | exquises se sont faites 6+6 a
Pour ce lieu les senteurs | premières des lilas, 6+6 b
Si ce miracle advint, | c'est que tu t'y mêlas, 6+6 b
325 C'est que tu l'accomplis | sans le savoir, Enfance ! 6+6 a
C'est qu'une sympathique | et douce connivence 6+6 a
S'installe entre ta grâce | et la grâce d'avril ; 6+6 b
C'est qu'un enchaînement | adorable et subtil 6+6 b
Comme lui t'embellit | de charme et de surprise, 6+6 a
330 Fait ton rire semblable | aux chansons de sa brise 6+6 a
Et l'or pâle de ta | chevelure pareil 6−6 b
Aux rayons étonnés | de son jeune soleil ! 6+6 b
Car de longs mois, depuis | cette nuit de novembre 6+6 a
Où près des deux vieillards | et dans la vieille chambre, 6+6 a
335 Confiant, protégé | par leur regard ami, 6+6 b
Pour la première fois | l'enfant avait dormi, 6+6 b
De bien longs mois, de bien | doux mois, toute une année 6+6 a
D'extase stupéfaite | et de joie étonnée 6+6 a
Avait passé, bien chère | et trop courte pour eux. 6+6 b
340 Et dès le lendemain | de ce jour bienheureux 6+6 b
Ils avaient entrepris | leur délicat ouvrage. 6+6 a
D'abord ils avaient craint | les dangers du sevrage ; 6+6 a
Mais tout semblait venir | en aide à leur dessein. 6+6 b
Rejeton du malheur, | né sur un maigre sein 6+6 b
345 Avare de son lait | comme de sa tendresse, 6+6 a
Angélus, élevé | sans soin et sans caresse, 6+6 a
N'étant pas mort, hélas ! | s'était vite endurci, 6+6 b
Car la misère tue | ou rend robuste. Aussi, 6+6 b
Plus fort que ne le sont | les bambins de cet âge, 6+6 a
350 Il supportait déjà | la soupe et le laitage. 6+6 a
Ensuite, autre souci, | cet enfant inconnu 6+6 b
Avait été trouvé | par eux à peu près nu 6+6 b
Il fallait le vêtir | au plus tôt, faire emplette 6+6 a
De toile, lui fournir | sa layette complète, 6+6 a
355 Payer quelque ouvrière | enfin ; et justement 6+6 b
Le curé n'était pas | bien riche en ce moment ; 6+6 b
Ses pauvres de la veille | avaient vidé ses poches. 6+6 a
Et le voilà déjà | s'accablant de reproches 6+6 a
Et se disant tout haut, | d'un air très irrité, 6+6 b
360 Qu'il était imprudent | et que la charité 6+6 b
Comme cela, c'était | une chose coupable. 6+6 a
Mais le soldat, fronçant | le nez d'un air capable, 6+6 a
Prit les deux meilleurs draps | dans l'armoire en noyer, 6+6 b
Et, s'armant de ciseaux, | il se mit à tailler 6+6 b
365 Des ronds et des carrés | dans le vieux linge jaune. 6+6 a
Parfois il devenait | rêveur, prenait une aune, 6+6 a
Se trompait, puis jetait | ses ciseaux, plein d'effroi, 6+6 b
Comme un tailleur gâtant | le bleu manteau d'un roi. 6+6 b
Le bon prêtre, ignorant | comme une vieille fille 6+6 a
370 Et stupéfait, le vit | enfiler son aiguille, 6+6 a
Coudre longtemps, soufflant | très fort à chaque point, 6+6 b
Puis enfin, d'un air grave, | essayer sur son poing 6+6 b
Un tout petit bonnet | d'enfant du premier âge. 6+6 a
Ce n'était pas parfait ; | mais, sans perdre courage, 6+6 a
375 Le bonhomme, étouffant | quelquefois un juron, 6+6 b
Vite en tailla plusieurs | sur le même patron. 6+6 b
Sans doute il essuyait | bien souvent ses lunettes, 6+6 a
Les coutures n'étaient | ni droites ni bien nettes, 6+6 a
Mais le vieil apprenti | des choses du berceau, 6+6 b
380 Le soir, eut terminé | tout le petit trousseau. 6+6 b
Pour eux ce fut alors | une douce existence : 6+6 a
Ces hommes maladroits, | mais remplis de constance, 6+6 a
Tâchaient de deviner, | enchantés et surpris, 6+6 b
Ces mille petits soins | qu'ils n'avaient pas appris, 6+6 b
385 Intuition du cœur, | science maternelle, 6+6 a
Qu'avec l'enfant conçu | la femme porte en elle. 6+6 a
Certes, ce ne fut pas | d'abord sans embarras. 6+6 b
Lorsque Angélus pleurait | en leur tendant les bras, 6+6 b
Souvent ils ne savaient | que faire ni que dire. 6+6 a
390 Que lui fallait-il donc ? | Un baiser ? un sourire ? 6+6 a
On les lui prodiguait. | Que voulait-il enfin ? 6+6 b
Souffrait-il ? avait-il | sommeil ? avait-il faim ? 6+6 b
Et puis, comme toujours | un esprit qui travaille 6+6 a
Découvre, ils découvraient ; | et de chaque trouvaille, 6+6 a
395 De chaque invention | de leur ardent amour, 6+6 b
Ils se sentaient le cœur | heureux pour tout un jour ; 6+6 b
Et le bonheur est fait | de ces riens éphémères. 6+6 a
Ils allaient à tâtons, | consultaient les commères 6+6 a
Du village, et prenaient | des conseils très prudents 6+6 b
400 Pour l'âge où le petit | devrait faire ses dents. 6+6 b
O candeur ! ils avaient | des fiertés de nourrices, 6+6 a
Et quand l'enfant dormait | tout nu, montrant ses cuisses 6+6 a
Où le sang rose et pur | venait à fleur de peau, 6+6 b
Les yeux brillants de joie, | ils disaient : « Qu'il est beau ! » 6+6 b
405 Angélus grandissait, | et, sur ces entrefaites, 6+6 a
Un beau jour il voulut | marcher. Nouvelles fêtes ! 6+6 a
Ces vieux, avec leurs dos | voûtés et leurs pas lents, 6+6 b
Semblaient faits pour guider | les efforts chancelants 6+6 b
De ce petit garçon, | leur fils et leur élève. 6+6 a
410 Chaque soir, sur le sable | humide de la grève 6+6 a
Ils le firent marcher, | surveillant avec soin 6+6 b
Ses progrès, chaque jour | allant un peu plus loin, 6+6 b
Et, plus tard, chaque jour | allant un peu plus vite. 6+6 a
L'encourageant par un | bon rire qui l'invite, 6−6 a
415 Chacun d'eux soutenait | un des bras de l'enfant ; 6+6 b
Et celui-ci parfois | s'arrêtait, triomphant, 6+6 b
Après un petit pas | qui lui semblait immense, 6+6 a
Heureux ainsi qu'on l'est | toujours quand on commence ; 6+6 a
Et les deux bons vieillards | étaient tout égayés 6+6 b
420 Lorsque Angélus, ouvrant | de grands yeux effrayés, 6+6 b
Jetait un léger cri, | douce et claire syllabe, 6+6 a
Devant la fuite oblique | et bizarre d'un crabe, 6+6 a
Ou quand il leur fallait, | en se baissant un peu, 6+6 b
L'aider à ramasser | le coquillage bleu 6+6 b
425 Ou le petit galet | joli comme une perle 6+6 a
Que jetait à leurs pieds | la vague qui déferle. 6+6 a
Et quel triomphe encor | quand, s'étant hasardé, 6+6 b
Un beau matin l'enfant | courut sans être aidé ! 6+6 b
Depuis lors il allait | en avant, eux derrière. 6+6 a
430 Le curé regardait | par-dessus son bréviaire, 6+6 a
Et l'autre se frottait | les mains, l'air tout joyeux. 6+6 b
Et quand leur fils courait | trop vite, les deux vieux 6+6 b
Hâtaient le pas, l'abbé | refermait son gros livre, 6+6 a
Et tous les deux riaient | de ne pouvoir le suivre. 6+6 a
435 Toute leur vie était | pleine de ce marmot. 6+6 b
Après le premier pas, | ce fut le premier mot. 6+6 b
Chaque jour amenait | sa nouvelle surprise. 6+6 a
Et comme le bonheur | nous égare et nous grise, 6+6 a
Le petit Angélus | n'avait pas seulement 6+6 b
440 Trouvé parmi ses cris | ce vague bégaiement, 6+6 b
Effort de la pensée | éclose qui s'envole 6+6 a
Et qui ressemble à peine | encore à la parole, 6+6 a
Que déjà le curé, | plein d'ardeur et rêvant 6+6 b
A le faire bientôt | devenir très savant, 6+6 b
445 Cherchait dans un coin noir | de sa bibliothèque 6+6 a
Son vieux savoir latin | et sa science grecque, 6+6 a
Et rouvrait ses bouquins | de poussière chargés, 6+6 b
Se reprochant de les | avoir tant négligés, 6−6 b
Et critiquant tout bas | la Messe et l'Évangile 6+6 a
450 Qui le brouillaient avec | la langue de Virgile. 6+6 a
Pourtant, sans honte, ainsi | qu'un tout jeune garçon, 6+6 b
Il se remit à l'œuvre, | apprenant sa leçon 6+6 b
Tous les jours et vivant | sur son dictionnaire, 6+6 a
Comme lorsqu'il était | au petit séminaire. 6+6 a
455 Pour mieux se souvenir, | souvent il récitait 6+6 b
Du latin à voix haute, | et, quand il s'arrêtait 6+6 b
Cherchant le mot perdu | dans son livre d'étude, 6+6 a
Le vétéran disait : | Amen ! par habitude. 6+6 a
Ils étaient donc heureux | tout à fait ; et le soir 6+6 b
460 Près du berceau chéri | tous deux venaient s'asseoir, 6+6 b
Et, le cœur attendri, | silencieux, timides, 6+6 a
Ils contemplaient l'enfant | avec des yeux humides. 6+6 a
IV
OR le printemps avait | sept fois fleuri ; l'été, 6+6 b
Dardant sur les blés mûrs | son or diamanté, 6+6 b
465 Avait sept fois donné | sa moisson, et l'automne 6+6 a
Sa vendange, et l'hiver | sa neige monotone. 6+6 a
Auprès des deux vieillards | l'enfant avait grandi, 6+6 b
Mais sans prendre cet air | libre, vif, étourdi, 6+6 b
Ce goût des jeux bruyants | et ce doux caquetage 6+6 a
470 Qu'on trouve d'ordinaire | aux garçons de cet âge : 6+6 a
Sa grâce — les enfants | sont toujours gracieux — 6+6 b
Était comme voilée | et craintive ; ses yeux 6+6 b
Cachaient une douleur | dans leur azur sincère ; 6+6 a
Il était pâle et doux | comme une fleur de serre ; 6+6 a
475 Son sourire était rare | et contraint. Souffrait-il ? 6+6 b
Peut-être ; mais d'un mal | bien lent et bien subtil, 6+6 b
Et qui, ne s'exprimant | jamais par une plainte, 6+6 a
Ne pouvait éveiller | l'affectueuse crainte 6+6 a
Des deux vieillards naïfs, | qui trouvaient justement 6+6 b
480 L'enfant, dans sa douceur | malade, plus charmant. 6+6 b
Pourtant, s'il suffisait, | pour que la fleur qui pousse 6+6 a
Embaumât le jardin | d'une haleine plus douce 6+6 a
Et pour que l'enfant prît | des forces chaque jour, 6+6 b
D'un rayon généreux | de soleil et d'amour, 6+6 b
485 Angélus, qu'entourait | deux fois l'amour d'un père, 6+6 a
Aurait dû, tout pareil | à la fleur qui prospère, 6+6 a
S'épanouir en fraîche | et robuste santé. 6+6 b
Si le baiser longtemps | et souvent répété 6+6 b
Faisait éclore seul | les roses sur la joue ; 6+6 a
490 Si la bonté d'un cœur | d'aïeul qui se dévoue, 6+6 a
La tendresse tremblante | et toujours en éveil, 6+6 b
Le front à cheveux blancs | penché sur le sommeil, 6+6 b
Suffisaient pour servir | de garde et de défense 6+6 a
A ce fragile espoir | qu'on appelle l'enfance, 6+6 a
495 Angélus, délivré | des langes du berceau, 6+6 b
Aurait dû s'élancer, | léger comme un oiseau, 6+6 b
Par la nature et faire | en courant bien des lieues, 6+6 a
Fou des insectes d'or | et des fleurettes bleues, 6+6 a
Heureux, libre, voulant | tout sentir, tout saisir, 6+6 b
500 Tout connaître, cédant | à l'avide désir, 6+6 b
Tapageur, les cheveux | emmêlés par les branches, 6+6 a
Mordant les fruits trop verts | de toutes ses dents blanches, 6+6 a
Faisant rire avec lui | les échos du chemin 6+6 b
Et prenant sans effroi | des bêtes dans sa main ! 6+6 b
505 Mais non ! le jeune fils | des deux vieux, au contraire, 6+6 a
Par aucun jeu d'enfant | ne se laissait distraire. 6+6 a
Souvent, ouvrant ses yeux | étonnés et chercheurs, 6+6 b
Il regardait passer | les enfants des pêcheurs, 6+6 b
Qui, lorsque revenait | la saison douce et belle, 6+6 a
510 Allaient au bois voisin, | en longue ribambelle, 6+6 a
Cueillir des mûres ou | chasser les papillons. 6+6 b
Il regardait passer | ces gaîtés en haillons, 6+6 b
Qui couraient les pieds nus | et d'aurore coiffées, 6+6 a
Et ces blouses, et ces | culottes étoffées 6−6 a
515 De grands-pères, et ces | cheveux blonds sans bonnet, 6−6 b
Leur faisait un sourire, | et puis s'en revenait, 6+6 b
Marchant à petits pas, | rêveur et solitaire, 6+6 a
Tout seul, dans le jardin | calme du presbytère. 6+6 a
Quand il voyait l'enfant | revenir et s'asseoir, 6+6 b
520 Son père le soldat, | qui tenait l'arrosoir 6+6 b
Ou passait le râteau | sur quelque plate-bande, 6+6 a
En écoutant au loin | chanter la folle bande, 6+6 a
Grommelait, de son air | affable et belliqueux : 6+6 b
« Voyons donc, fainéant, | va jouer avec eux. 6+6 b
525 Mais l'enfant, sans prêter | l'oreille aux cris de fête, 6+6 a
Soupirait, secouait | négligemment la tête 6+6 a
Et s'approchait du vieux | pour lui dire : « Pourquoi ? 6+6 b
Je m'amuse bien mieux | quand je suis avec toi. » 6+6 b
Puis Angélus passait | bien des heures à lire ; 6+6 a
530 Et le savoir n'est pas | le père du sourire. 6+6 a
Il lisait trop. D'abord | ce désir curieux 6+6 b
Avait rendu le bon | curé tout glorieux : 6+6 b
Tel le semeur qui voit | prospérer ses semailles. 6+6 a
Ce jeune esprit déjà | plein d'heureuses trouvailles, 6+6 a
535 Ces prompts étonnements, | ces vives questions, 6+6 b
Au vieux prêtre inspiraient | quelques ambitions, 6+6 b
Car Angélus avait | toujours aimé le livre. 6+6 a
A peine avait-il eu | jadis besoin de suivre 6+6 a
Le doigt ridé qui montre | en tremblant l'alphabet. 6+6 b
540 Le piège était tentant ; | le bonhomme y tombait, 6+6 b
Et parfois sa science | était tout étonnée 6+6 a
Quand l'enfant, sachant plus | que la leçon donnée, 6+6 a
Avec son éternel « | Pourquoi ? » l'embarrassait. 6+6 b
Il ne comprenait pas | le danger : il laissait 6+6 b
545 Angélus absorbé | dans ses livres d'estampes, 6+6 a
Et n'apercevait pas | palpiter à ses tempes 6+6 a
Les rêves trop pesants | pour ce jeune cerveau 6+6 b
Avide avant le temps | d'étrange et de nouveau. 6+6 b
Et chaque jour, malgré | le calme de l'asile 6+6 a
550 Où sa vie aurait dû | couler, pure et facile, 6+6 a
Dans les fleurs en été, | près de l'âtre en hiver, 6+6 b
Malgré le souffle sain | et puissant de la mer 6+6 b
Qui caressait son front | sans y mettre le hâle, 6+6 a
Angélus devenait | plus souffrant et plus pâle ; 6+6 a
555 Et de ce mal visible | à peine, mais profond, 6+6 b
Les vieux ne savaient rien, | presque contents au fond 6+6 b
— Car chez les plus aimants | l'égoïsme sommeille — 6+6 a
Que cette enfance fût | moins fraîche et moins vermeille, 6+6 a
Mais plus tendre et toujours | présente à leur foyer. 6+6 b
560 Tous deux s'étaient hâtés | bien vite d'oublier 6+6 b
Leurs doutes de jadis. | On leur eût fait offense 6+6 a
De leur dire à présent | ce qu'il faut à l'enfance. 6+6 a
Ils croyaient seulement | que leur fils n'était pas 6+6 b
Un être comme un autre, | et se disaient tout bas 6+6 b
565 Que leur affection | avait fait ce prodige. 6+6 a
Ils étaient étonnés | de leur œuvre ; et, que dis-je ! 6+6 a
De cette ardeur précoce, | où déjà s'épuisait 6+6 b
Angélus, leur orgueil | paternel s'amusait. 6+6 b
Hélas ! leur ignorance | était seule coupable, 6+6 a
570 Non pas leur cœur ; et tout | ce dont était capable 6+6 a
De soin, de dévoûment | et d'amour, en effet, 6+6 b
Leur vieillesse naïve | et bonne, ils l'avaient fait. 6+6 b
Mais malgré tout, malgré | leur charité divine, 6+6 a
Ils n'avaient pas appris | ce qu'il faut qu'on devine ; 6+6 a
575 Et leurs cerveaux, trop froids, | ne pouvaient plus avoir 6+6 b
L'instinct, bien plus puissant | encor que le savoir. 6+6 b
Car la grande Nature | est jalouse : elle exige 6+6 a
Qu'on ne s'écarte pas | des règles qu'elle inflige, 6+6 a
Et ne fait si chétif | l'enfant qui naît au jour, 6+6 b
580 Que pour qu'il soit aimé | d'un plus prudent amour 6+6 b
A cause des soucis | et des craintes qu'il donne ; 6+6 a
Elle veut que cet œil | flottant et qui s'étonne 6+6 a
Ne puisse supporter | l'immense éclat des cieux 6+6 b
Sans l'avoir vu d'abord | reflété par les yeux 6+6 b
585 De la mère, qui veille | à côté de la couche ; 6+6 a
Elle veut que, cruelle | et rude, cette bouche 6+6 a
Pour y boire le lait | morde à même le sein ; 6+6 b
Elle ordonne, dans son | immuable dessein, 6−6 b
Un travail réciproque | à tous ceux qu'elle affame, 6+6 a
590 Aux mères pour l'Enfant, | aux époux pour la Femme ; 6+6 a
Elle ne peut avoir | pitié des célibats ; 6+6 b
Ni les autels sacrés, | ni les nobles combats 6+6 b
Ne sauraient un instant | plier sa règle austère, 6+6 a
Et toujours elle dits « | Malheur au solitaire ! » 6+6 a
595 Oui, ces deux justes, oui, | ces excellents vieillards, 6+6 b
Dont tous les battements | de cœur, tous les regards 6+6 b
Étaient pour cet enfant | adorablement triste, 6+6 a
Ne voyaient pas, dans leur | amour presque égoïste, 6−6 a
Que pour cet être, espoir | de leur humble maison, 6+6 b
600 Leur étreinte était une | étouffante prison ; 6−6 b
Que sur ce faible front | leur sénile tendresse 6+6 a
Appuyait trop longtemps | la trop lente caresse ; 6+6 a
Qu'Angélus en souffrait, | et que chaque baiser 6+6 b
Venait encore plus | l'abattre et l'épuiser ; 6+6 b
605 Qu'à son sourire, fleur | exquise de sa lèvre, 6+6 a
Volaient les papillons | obsédants de la fièvre, 6+6 a
Et qu'enfant pressentant | déjà le séraphin, 6+6 b
Sans regret et sans plainte | il se mourait enfin. 6+6 b
Car Angélus, nature | affectueuse et douce, 6+6 a
610 Ignorait tout à fait | le geste qui repousse. 6+6 a
A ces baisers mortels, | dont il était brisé, 6+6 b
Toujours il présentait | son sourire lassé 6+6 b
Et se jetait au cou | du soldat et du prêtre. 6+6 a
On meurt d'être aimé trop | comme de ne pas l'être, 6+6 a
615 Et c'est un mal divin | dont nul ne se défend. 6+6 b
Une mère aurait lu | dans les yeux de l'enfant 6+6 b
La fatale langueur | de ce mal qui s'ignore. 6+6 a
Elle eût dit : «C'est assez ! | » Les vieux disaient : « Encore !» 6+6 a
Et par leur faute, et dans | leurs bras, et sous leurs yeux, 6−6 b
620 Angélus se mourait, | martyr délicieux ! 6+6 b
O Nature ! c'était | pourtant bien peu de chose : 6+6 a
Laisser vivre un enfant, | laisser croître une rose, 6+6 a
Épargner ce dernier | supplice à ces deux saints, 6+6 b
Cela n'importait pas | beaucoup à tes desseins. 6+6 b
625 Ne se peut-il donc pas, | ô Mère, que tu veuilles 6+6 a
Qu'en un an l'arbrisseau | pousse deux fois ses feuilles ? 6+6 a
Et si, sous le soleil | d'automne, et trop hâtifs, 6+6 b
Ses rameaux ont donné | quelques bourgeons chétifs, 6+6 b
Faut-il toujours, faut-il, | hélas ! que tu l'accables 6+6 a
630 Sous ton hiver et sous | tes neiges implacables ? 6−6 a
Pourtant c'était l'espoir | de l'antique forêt. 6+6 b
Ces chênes, dont le cercle | auguste l'entourait 6+6 b
Et peut-être au printemps | jetait sur lui trop d'ombre, 6+6 a
Ne pourront-ils, alors | que revient le temps sombre, 6+6 a
635 Étendre jusqu'à lui | leurs grands bras paternels ? 6+6 b
Non, tu ne changes rien | aux ordres éternels ! 6+6 b
Non ! Avril renaîtra | sans que l'arbre renaisse, 6+6 a
Et, retrouvant encore | un effort de jeunesse, 6+6 a
Les vieux troncs, tout pourris | sous le lierre, verront 6+6 b
640 Le feuillage épuisé | reverdir à leur front ; 6+6 b
Et ces aïeux, dont l'âme | altière et résignée 6+6 a
Ne craignait même plus | les coups de la cognée, 6+6 a
En voyant ce trépas | qui précède le leur, 6+6 b
Les vieux chênes des bois | gémiront de douleur ! 6+6 b
V
645 Ce soir-là, — c'était vers | le milieu de septembre, — 6−6 a
Les vieillards et l'enfant | avaient gardé la chambre, 6+6 a
Angélus se sentant | plus malade et plus las. 6+6 b
Le prêtre et le soldat, | les deux pères, hélas ! 6+6 b
Ne pouvaient se douter | que la fin fût si proche. 6+6 a
650 Ils étaient sans effroi, | se sentant sans reproche. 6+6 a
« Ce sera, pensaient-ils, | un malaise d'un jour. » 6+6 b
Et leur bonheur n'était | pas troublé, leur amour 6+6 b
Les trompant, et l'enfant | donnant à sa caresse 6+6 a
Toujours plus de fiévreuse | et de mièvre tendresse. 6+6 a
655 Auprès de la fenêtre, | où fraîchissait le soir, 6+6 b
Dans son large fauteuil | le curé fit asseoir 6+6 b
Angélus ; et tous trois | devant le clair de lune 6+6 a
Écoutèrent mourir | les lames sur la dune. 6+6 a
Abandonné, fermant | ses beaux yeux à demi, 6+6 b
660 L'enfant, qui se mourait, | paraissait endormi. 6+6 b
La sueur sur son front | collait ses cheveux d'ange ; 6+6 a
Et, d'un geste navrant, | mais plein d'un charme étrange, 6+6 a
Il cherchait vaguement, | comme on cherche un appui, 6+6 b
Les mains des deux vieillards, | assis auprès de lui. 6+6 b
665 Mais ceux-ci ne pouvaient | deviner sa souffrance : 6+6 a
Leurs cœurs simples étaient | toujours pleins d'espérance ; 6+6 a
Et, pensant qu'Angélus | ne les entendait pas, 6+6 b
Avec un bon sourire | ils échangeaient tout bas 6+6 b
Les décevants projets | et les douces chimères, 6+6 a
670 Comme auprès des berceaux | en évoquent les mères. 6+6 a
« Puisque voilà l'enfant | près de nous endormi, 6+6 b
Disait le prêtre, il faut | songer, mon bon ami, 6+6 b
Que, pour qu'il soit heureux | plus-tard, notre prière 6+6 a
Ne suffit pas. Voyons | à choisir sa carrière. 6+6 a
675 Notre Angélus devient | grand garçon, et déjà 6+6 b
Sa jeune âme, que Dieu | jusqu'ici protégea, 6+6 b
Blanc calice, s'entr'ouvre | et cherche la lumière. 6+6 a
Nous avons bien guidé | son enfance première : 6+6 a
Il ne sait rien encor | de mauvais ni d'amer ; 6+6 b
680 Il n'a vu jusqu'ici | que le ciel et la mer ; 6+6 b
Par la chanson du flux | son âme fut bercée, 6+6 a
Et l'azur est moins pur | que sa fraîche pensée 6+6 a
Et que ses sens nouveaux | encore appesantis, 6+6 b
Car la grande nature | est bonne aux tout petits. 6+6 b
685 Mais il faut profiter | de l'heureuse minute. 6+6 a
Nous sommes vieux. Demain, | seul, il faudra qu'il lutte ; 6+6 a
Et, comme le devoir | paternel le prescrit, 6+6 b
Nous devons lui donner | les armes de l'esprit. 6+6 b
Je ne désire pas, | moi, qu'il se fasse prêtre. 6+6 a
690 Oh ! qu'il soit bon chrétien, | que la foi le pénètre, 6+6 a
Qu'il aime et qu'il espère | enfin, et qu'il soit tel 6+6 b
Qu'un lys pur qui fleurit | à l'ombre de l'autel ! 6+6 b
Mais, si j'en puis juger | par sa petite enfance, 6+6 a
J'aimerais mieux — que Dieu | pardonne mon offense ! 6+6 a
695 Que la vocation | de grâce lui manquât, 6+6 b
Car pour le sacerdoce | il est trop délicat. 6+6 b
C'est en souffrant qu'il faut | que le pasteur travaille 6+6 a
Pour ses brebis. Il faut | qu'il se lève et qu'il aille 6+6 a
Par la nuit, bien avant | le petit point du jour, 6+6 b
700 Sous la bise, à travers | les terres de labour, 6+6 b
Emportant dans un coin | du manteau le ciboire, 6+6 a
Et cherchant, tout au fond | de la campagne noire, 6+6 a
A découvrir enfin | au douteux horizon 6+6 b
La lueur qui trahit | la funèbre maison 6+6 b
705 Où quelque agonisant, | quand il arrive à l'heure, 6+6 a
Lui montre en blasphémant | sa famille qui pleure, 6+6 a
Son foyer sans fagot | et sa huche sans pain. 6+6 b
Puis, avec l'eau bénite | et la bière en sapin, 6+6 b
Il faut le lendemain | qu'il revienne et qu'il donne 6+6 a
710 Au mort une prière, | aux vivants son aumône, 6+6 a
Et, s'il n'a pas d'argent, | qu'il en trouve, et qu'il ait 6+6 b
Pour ses pauvres toujours | du pain bis et du lait. 6+6 b
Et, s'il chemine un jour, | heureux, lisant son livre, 6+6 a
Respirant les sentiers | en fleurs, et qu'un homme ivre, 6+6 a
715 Qui sort du cabaret | et qu'il ne connaît point, 6+6 b
L'appelle fainéant | en lui montrant le poing, 6+6 b
Il faut que sans pâlir | il subisse l'insulte. 6+6 a
Et puis ce n'est pas tout. | Le serviteur du culte 6+6 a
A bien d'autres soucis, | et l'on ne peut savoir 6+6 b
720 Combien grave et combien | austère est son devoir, 6+6 b
Car la tentation | est bien près de la faute. 6+6 a
Pourquoi, près de la chaire | où l'on parle à voix haute, 6+6 a
Ce confessionnal | où l'on parle tout bas ? 6+6 b
Il faut l'aide de Dieu | pour n'y succomber pas. 6+6 b
725 Ne nous le prends donc point, | Seigneur, pour ton service, 6+6 a
Et permets qu'à tel point | il ignore le vice 6+6 a
Que même pour l'abattre, | il y soit étranger ; 6+6 b
Car, tu le sais, l'agneau | ne peut être berger. 6+6 b
— Et maintenant, monsieur | le curé, reprit l'autre, 6+6 a
730 A mon tour, n'est-ce pas ? | car cet enfant est nôtre, 6+6 a
Et je suis comme vous | le père d'Angélus. 6+6 b
Pas de soutane, soit ! | pas de sabre non plus. 6+6 b
Très souvent le plumet | tricolore dérange 6+6 a
Les projets. Ces gamins | ont un goût fort étrange 6+6 a
735 Pour les habits dorés | tout partout sur le corps 6+6 b
Comme ceux des housards | et des tambours-majors. 6+6 b
Sachant qu'ils n'aiment pas | beaucoup qu'on les chicane, 6+6 a
On les laisse d'abord | chevaucher sur sa canne 6+6 a
Et grimper aux genoux | comme on grimpe aux remparts ; 6+6 b
740 C'est gentil. Puis un jour | ils vous disent : « Je pars. » 6+6 b
Et ce jour-là ce sont | des hommes pour la tête ; 6+6 a
Et l'on reste à pleurer | tout seul comme une bête. 6+6 a
Et voilà qu'ils s'en vont | à la guerre là-bas, 6+6 b
Dans des pays affreux | d'où l'on ne revient pas. 6+6 b
745 Ils meurent, et les vieux | les suivent. C'est stupide ! 6+6 a
Veillons-y. Le petit | m'a l'air d'un intrépide. 6+6 a
Quand il se portait mieux, | il grimpait aux pruniers 6+6 b
Les plus hauts. Le dimanche, | il va voir les douaniers, 6+6 b
A l'heure où le sergent | fait faire la parade. 6+6 a
750 Morbleu ! qu'il n'aille pas, | le petit camarade, 6+6 a
Vouloir être soldat, | ou nous nous fâcherons ! 6+6 b
— Bien, bien ! dit le curé, | nous y réfléchirons. 6+6 b
Sans être cardinal | ni maréchal de France, 6+6 a
Angélus peut encor | passer notre espérance. 6+6 a
755 L'enfant a tant d'esprit | qu'il m'étonne souvent : 6+6 b
Ce sera quelque artiste | ou bien quelque savant ; 6+6 b
Et, quoi qu'il soit d'ailleurs, | nous en ferons un juste. 6+6 a
Mais avant tout il faut | qu'il devienne robuste, 6+6 a
Qu'il retrouve son rire | et ses fraîches couleurs. 6+6 b
760 Mes livres sont mauvais : | qu'il coure dans vos fleurs ! 6+6 b
Une leçon vaut moins | pour lui qu'une culbute 6+6 a
A cette heure. Ainsi donc, | ajournons la dispute. 6+6 a
Tous deux en étaient là | de leurs propos joyeux, 6+6 b
Lorsque Angélus ouvrit | tout doucement les yeux 6+6 b
765 Et de cet air malin, | si charmant dans l'enfance, 6+6 a
Il leur dit :
« C'est fort bien. | On arrange d'avance 6+6 a
Ce qu'on fera plus tard | de son enfant gâté. 6+6 b
Mais je ne dormais pas, | et j'ai tout écouté. 6+6 b
Savez-vous que c'est mal | de disposer des autres ? 6+6 a
770 Pourtant n'ayez pas peur, | car, sans gêner les vôtres, 6+6 a
Je puis vous confier | maintenant mes projets. 6+6 b
Ils sont très sérieux, | vous verrez ! Je songeais 6+6 b
Depuis assez longtemps, | pères, à vous les dire. 6+6 a
Ces livres dans lesquels | vous m'apprîtes à lire 6+6 a
775 Et ce vaste Océan | qui berce mon sommeil 6+6 b
Me les ont inspirés | et m'ont donné conseil. 6+6 b
Je veux être marin | sur la mer. Ces volumes, 6+6 a
Que j'épelais jadis | si mal, puis que nous lûmes 6+6 a
Ensemble et qu'aujourd'hui | je relis couramment, 6+6 b
780 M'ont parlé de pays | au ciel toujours clément, 6+6 b
Aux arbres toujours verts, | pleins d'oiseaux magnifiques, 6+6 a
Où l'on allait porté | par les flots pacifiques. 6+6 a
Je veux partir pour ces | pays délicieux. 6−6 b
Ce ciel gris m'est fatal. | Quand je ferme les yeux, 6+6 b
785 Tout prend la couleur d'or | du soleil dans mes rêves ; 6+6 a
Et les vagues au loin | murmurant sur les grèves 6+6 a
Me disent— car j'entends | des mots dans leurs rumeurs :- 6+6 b
« Viens avec nous, et fuis | ces climats où tu meurs ! » 6+6 b
Pères, ne tentez pas | d'arrêter mon courage 6+6 a
790 Et ne me parlez pas | d'écueils et de naufrage ; 6+6 a
Car j'ai lu quelque part, | et c'était arrivé, 6+6 b
Que toujours un marin, | un seul, s'était sauvé 6+6 b
A la nage, à cheval | sur une vieille planche, 6+6 a
Et qu'il voyait bientôt | poindre la voile blanche 6+6 a
795 D'un navire passant | pour lui porter secours. 6+6 b
Moi, je serai celui | qui se sauve toujours. 6+6 b
Si je tarde longtemps, | il est bien inutile 6+6 a
D'avoir peur. Non. C'est que | je serai dans une île 6+6 a
Où je m'établirai | comme a fait Robinson, 6+6 b
800 En attendant qu'il passe | un brick à l'horizon. 6+6 b
Il arrive toujours, | le moment qu'on espère. 6+6 a
Alors, je reviendrai. | Ce n'est pas vrai, ce père 6+6 a
Qui pleure et devient vieux, | et dit : « Pauvre petit » 6+6 b
De son fils, grand garçon | déjà quand il partit. 6+6 b
805 Les contes n'ont jamais | une fin si fatale. 6+6 a
L'enfant revient toujours | à la maison natale, 6+6 a
Près des vieux. On s'assied | en cercle autour du feu, 6+6 b
Et, pour les effrayer | beaucoup, il ment un peu. 6+6 b
Comme les voyageurs | de mes belles lectures, 6+6 a
810 Je vous raconterai | toutes mes aventures. 6+6 a
Vous verrez, en ouvrant | de grands yeux ébahis, 6+6 b
Toutes les mers, tous les | peuples, tous les pays 6−6 b
Où m'auront promené | la voile et la machine. 6+6 a
Je vous rapporterai | des choses de la Chine. 6+6 a
815 Vous verrez le trois-mâts | glissant près des îlots 6+6 b
Avec son pavillon | qui traîne sur les flots, 6+6 b
Et le peuple tout nu, | très noir et très sauvage, 6+6 a
Qui nous suit en tirant | des flèches du rivage, 6+6 a
Et ce sera charmant, | et vous m'embrasserez 6+6 b
820 Au beau milieu de mon | récit, et vous serez 6−6 b
Tout surpris de ma barbe | et de mon air si grave. 6+6 a
Aux beaux endroits, tout bas, | vous direz : « Qu'il est brave ! 6+6 a
Vous sourirez, et vous | m'embrasserez encor, 6+6 b
Et vous jouerez avec | mes épaulettes d'or. 6+6 b
825 Mais, je le sais, il faut | un long apprentissage. 6+6 a
Et dès demain je vais | bien apprendre, être sage, 6+6 a
Lire beaucoup, veiller | sous ma lampe l'hiver ; 6+6 b
Et puis je m'en irai | pour longtemps sur la mer. » 6+6 b
Il se tut, souriant | à quelque intime joie. 6+6 a
830 Et, comme un affamé | qui réclame une proie, 6+6 a
L'Océan qui montait | gronda dans les rochers. 6+6 b
Les astres de la nuit | furent soudain cachés. 6+6 b
L'enfant agonisait ; | mais la voix sépulcrale 6+6 a
De la lame étouffait | le bruit sourd de son râle. 6+6 a
835 Alors comme brisé | par ce qu'il avait dit, 6+6 b
Angélus referma | ses beaux yeux et tendit 6+6 b
Aux deux amis ses mains | plus froides et plus molles. 6+6 a
Mais sur ceux-ci déjà | les bizarres paroles 6+6 a
De l'enfant moribond | exerçaient leur pouvoir. 6+6 b
840 Sombres, ils regardaient | ce ciel devenu noir, 6+6 b
Ils écoutaient le bruit | plus sinistre des vagues, 6+6 a
Et se sentaient venir | au cœur ces craintes vagues 6+6 a
Qu'on repousse, mais dont | l'âme en vain se défend. 6+6 b
Sans doute ce n'étaient | que des rêves d'enfant, 6+6 b
845 Inspirés par un livre | ou bien par quelque image, 6+6 a
Qu'ils laissent aussitôt | sans dire : « C'est dommage ! 6+6 a
Et qui durent un jour | ou deux pour la plupart. 6+6 b
Mais tout cela parlait | d'absence, de départ, 6+6 b
Avec une éloquence | étrange et captivante ; 6+6 a
850 Et l'âme des vieillards | était dans l'épouvante. 6+6 a
Les yeux toujours fermés, | le petit Angélus 6+6 b
Reprit tout bas :
Venez | plus près, je n'y vois plus. 6+6 b
Le ciel et l'Océan | sont noirs comme l'ébène. 6+6 a
Ce que je vous ai dit | vous a fait de la peine 6+6 a
855 Tout à l'heure. Il faudra | tâcher de l'oublier. 6+6 b
Pères, j'ai maintenant | un rêve singulier. 6+6 b
Est-ce un rêve ? Prenez | mes deux mains dans les vôtres. 6+6 a
Les astres dans la mer | les uns après les autres 6+6 a
Sont tous tombés, tombés ! | Et dans le ciel en deuil, 6+6 b
860 Ainsi qu'un christ d'argent | sur le drap d'un cercueil, 6+6 b
Il n'en reste plus qu'un. | Vous devez le connaître, 6+6 a
Celui-là ; car il brille | au haut de ma fenêtre, 6+6 a
Le soir, et je le vois | de mon cher petit lit ; 6+6 b
Et c'est le seul qui reste | au ciel. Mais il pâlit ! 6+6 b
865 Il a l'air aussi d'être | attiré par le gouffre. 6+6 a
On dirait qu'il s'éteint | et l'on dirait qu'il souffre. 6+6 a
Regardez ! le voilà | qui file, qui s'enfuit !… 6+6 b
Il est tombé !… J'ai froid, | j'ai peur !… Et c'est la nuit ! » 6+6 b
En prononçant ce mot, | — c'était le mot suprême ! — 6+6 a
870 Le petit Angélus | s'affaissa sur lui-même. 6+6 a
Sa bouche ouverte et l'orbe | éteint de ses grands yeux 6+6 b
S'emplirent d'un effroi | vague et mystérieux. 6+6 b
Les vieillards, égarés | et crispant la narine, 6+6 a
Virent son front trop lourd | tomber sur sa poitrine, 6+6 a
875 Et ses petites mains, | qu'ils lâchèrent alors, 6+6 b
Pesamment et d'un coup | glisser contre son corps. 6+6 b
Pure, à travers la nuit | profonde et solennelle, 6+6 a
L'âme de l'enfant mort | venait d'ouvrir son aile, 6+6 a
Ainsi que d'une salle | ouverte à l'air du soir 6+6 b
880 S'envole un papillon | silencieux et noir. 6+6 b
Après un long regard | échangé sans rien dire, 6+6 a
Un long regard chargé | d'horreur et de délire, 6+6 a
Les vieillards, abattus | par un terrible effort, 6+6 b
Tombèrent à genoux | devant Angélus mort. 6+6 b
885 Ils restèrent ainsi | toute la nuit, farouches, 6+6 a
Collant les froides mains | du cadavre à leurs bouches, 6+6 a
Atterrés, leurs sanglots | muets les étouffant, 6+6 b
N'osant lever les yeux | sur le front de l'enfant 6+6 b
Qui prenait la blancheur | dure et froide des pierres. 6+6 a
890 Mais, comme s'il était | gravé sous leurs paupières, 6+6 a
Ce visage chéri, | qu'ils ne voulaient plus voir, 6+6 b
Leurs yeux, leurs yeux fermés, | toujours sur un fond noir 6+6 b
Distinguaient Angélus, | penché d'un air débile, 6+6 a
Pâle et leur souriant | d'un sourire immobile. 6+6 a
895 Ah ! cette nuit, tandis | qu'ils se désespéraient, 6+6 b
Était-ce seulement | leur enfant qu'ils pleuraient ? 6+6 b
Ne s'accusaient-ils pas, | ces deux hommes candides ? 6+6 a
Ne maudissaient-ils pas | leurs cheveux blancs stupides ? 6+6 a
Ne comprenaient-ils pas | enfin, les malheureux, 6+6 b
900 Que cet être adorable | était tué par eux ? 6+6 b
Que l'absurde consigne | et la vaine prière, 6+6 a
Auxquelles ils avaient | donné leur vie entière, 6+6 a
Avaient fait leur malheur | et leur aveuglement ? 6+6 b
Que prier seulement, | combattre seulement, 6+6 b
905 Cela n'est pas assez | pour l'homme, et qu'il est lâche 6+6 a
Et mauvais de n'avoir | ici-bas qu'une tâche ? 6+6 a
Qu'il faut que chacun soit | amant et père un jour ; 6+6 b
Que la loi du devoir | est une loi d'amour ; 6+6 b
Qu'être seul, cela tue | et cela paralyse ; 6+6 a
910 Que la famille, c'est | la patrie et l'église ; 6+6 a
Que l'épée au fourreau | doit orner le foyer ; 6+6 b
Que les yeux de l'enfant | font croire et font prier ; 6+6 b
Que si tous deux, le vieux | soldat et le vieux prêtre, 6+6 a
Ils n'avaient pu sauver | ce pauvre petit être, 6+6 a
915 A qui pourtant leur cœur | entier se dévouait, 6+6 b
C'est qu'ils l'avaient aimé | comme on aime un jouet ; 6+6 b
Que leur expérience | était une chimère ; 6+6 a
Qu'ils n'étaient que de vieux | enfants ; et qu'une mère, 6+6 a
Qui, dans l'humble maison | d'un pauvre matelot, 6+6 b
920 Balaye et lave, et met | les légumes au pot, 6+6 b
Et ravaude son linge, | et file sa quenouille, 6+6 a
Et tout à la fois baise, | allaite et débarbouille 6+6 a
Six marmots qu'elle voit | autour d'elle courir, 6+6 b
Eût fait vivre l'enfant | qu'ils avaient fait mourir ? 6+6 b
925 Le matin les surprit | aux genoux du cadavre. 6+6 a
Et puis ce fut l'histoire | ordinaire, et qui navre : 6+6 a
Dernier regard qu'on jette | au cher enseveli, 6+6 b
Dernier baiser qu'on pose | au front déjà pâli, 6+6 b
Et plus rien ! Mais pour ces | vieillards le sort complice 6−6 a
930 Rendit plus douloureux | et plus long le supplice. 6+6 a
Le prêtre — il était prêtre, | hélas ! — dut sur le corps 6+6 b
De son enfant chanter | les prières des morts, 6+6 b
Lui jeter l'eau bénite | en sanglotant, et boire 6+6 a
Ses pleurs qui se mêlaient | au vin dans le ciboire. 6+6 a
935 Il dut l'accompagner | jusqu'au dernier logis, 6+6 b
Où le soldat, les yeux | par les larmes rougis, 6+6 b
Dut sous son vieux sabot | pousser la lourde bêche 6+6 a
Et couvrir le cercueil | de terre toute fraîche. 6+6 a
Maintenant ils sont seuls. | Tout est déjà rentré 6+6 b
940 Dans l'ordre d'autrefois | chez le pauvre curé. 6+6 b
Assis au feu, chauffant | leurs vieilles mains tremblantes, 6+6 a
Ils laissent, sans parler, | s'enfuir les heures lentes, 6+6 a
Ne sachant rien, sinon | que leur enfant est mort. 6+6 b
Mornes, sans l'accepter, | ils subissent le sort. 6+6 b
945 Le soldat fait ses trous, | le prêtre dit sa messe. 6+6 a
Ils vivront peu ; mais dans | la suprême promesse 6−6 a
C'est à peine s'ils ont | encor gardé la foi. 6+6 b
On lit dans leurs regards | je ne sais quel effroi 6+6 b
Quand ils sortent tous deux | en grand deuil de l'église, 6+6 a
950 Au moment où le soir | répand son ombre grise. 6+6 a
Et le pêcheur, qui passe | et qui les reconnaît, 6+6 b
Regarde, tout timide, | en ôtant son bonnet, 6+6 b
Descendre du parvis | les deux vieillards funèbres, 6+6 a
Tandis que vibre encore | au loin dans les ténèbres, 6+6 a
955 Long, triste et solennel | comme leur désespoir, 6+6 b
Le dernier tintement | de l'angélus du soir. 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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