Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
COP_1/COP1
François COPPÉE
PROMENADES ET INTÉRIEURS
1872
I
Promenades et Intérieurs
Lecteur, à toi ces vers, graves historiens 6+6 a
De ce que la plupart appelleraient des riens. 6+6 a
Spectateur indulgent qui vis ainsi qu’on rêve, 6+6 b
Qui laisses s’écouler le temps et trouves brève 6+6 b
5 Cette succession de printemps et d’hivers, 6+6 a
Lecteur mélancolique et doux, à toi ces vers ! 6+6 a
Ce sont des souvenirs, des éclairs, des boutades, 6+6 b
Trouvés au coin de l’âtre ou dans mes promenades, 6+6 b
Que je te veux conter par le droit bien permis 6+6 a
10 Qu’ont de causer entre eux deux paisibles amis. 6+6 a
※※※
Prisonnier d’un bureau, je connais le plaisir 6+6 b
De goûter, tous les soirs, un moment de loisir. 6+6 b
Je rentre lentement chez moi, je me délasse 6+6 a
Aux cris des écoliers qui sortent de la classe ; 6+6 a
15 Je traverse un jardin, où j’écoute, en marchant, 6+6 b
Les adieux que les nids font au soleil couchant, 6+6 b
Bruit pareil à celui d’une immense friture. 6+6 a
Content comme un enfant qu’on promène en voiture, 6+6 a
Je regarde, j’admire, et sens avec bonheur 6+6 b
20 Que j’ai toujours la foi naïve du flâneur. 6+6 b
※※※
C’est vrai, j’aime Paris d’une amitié malsaine ; 6+6 a
J’ai partout le regret des vieux bords de la Seine. 6+6 a
Devant la vaste mer, devant les pics neigeux, 6+6 b
Je rêve d’un faubourg plein d’enfance et de jeux, 6+6 b
25 D’un coteau tout pelé d’où ma Muse s’applique 6+6 a
À noter les tons fins d’un ciel mélancolique, 6+6 a
D’un bout de Bièvre, avec quelques champs oubliés, 6+6 b
Où l’on tend une corde aux troncs des peupliers 6+6 b
Pour y faire sécher la toile et la flanelle, 6+6 a
30 Ou d’un coin pour pêcher dans l’île de Grenelle. 6+6 a
※※※
J’adore la banlieue avec ses champs en friche 6+6 b
Et ses vieux murs lépreux, où quelque ancienne affiche 6+6 b
Me parle de quartiers dès longtemps démolis. 6+6 a
Ô vanité ! Le nom du marchand que j’y lis 6+6 a
35 Doit orner un tombeau dans le Père-Lachaise. 6+6 b
Je m’attarde. Il n’est rien ici qui ne me plaise, 6+6 b
Même les pissenlits frissonnant dans un coin. 6+6 a
Et puis, pour regagner les maisons déjà loin, 6+6 a
Dont le couchant vermeil fait flamboyer les vitres, 6+6 b
40 Je prends un chemin noir semé d’écailles d’huîtres. 6+6 b
※※※
Le soir, au coin du feu, j’ai pensé bien des fois 6+6 a
À la mort d’un oiseau, quelque part, dans les bois. 6+6 a
Pendant les tristes jours de l’hiver monotone, 6+6 b
Les pauvres nids déserts, les nids qu’on abandonne, 6+6 b
45 Se balancent au vent sur un ciel gris de fer. 6+6 a
Oh ! comme les oiseaux doivent mourir l’hiver ! 6+6 a
Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes, 6+6 b
Nous ne trouverons pas leurs délicats squelettes 6+6 b
Dans le gazon d’avril, où nous irons courir. 6+6 a
50 Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir ? 6+6 a
※※※
N’êtes-vous pas jaloux en voyant attablés, 6+6 b
Dans un gai cabaret entre deux champs de blés, 6+6 b
Les soirs d’été, des gens du peuple sous la treille ? 6+6 a
Moi, devant ces amants se parlant à l’oreille 6+6 a
55 Et que ne gêne pas le père, tout entier 6+6 b
À l’offre d’un lapin que fait le gargotier, 6+6 b
Devant tous ces dîneurs, gais de la nappe mise, 6+6 a
Ces joueurs de bouchon en manches de chemise, 6+6 a
Cœurs satisfaits pour qui les dimanches sont courts, 6+6 b
60 J’ai regret de porter du drap noir tous les jours. 6+6 b
※※※
Vous en rirez. Mais j’ai toujours trouvé touchants 6+6 a
Ces couples de pioupious qui s’en vont par les champs, 6+6 a
Côte à côte, épluchant l’écorce de baguettes 6+6 b
Qu’ils prirent aux bosquets des prochaines guinguettes. 6+6 b
65 Je vois le sous-préfet présidant le bureau, 6+6 a
Le paysan qui tire un mauvais numéro, 6+6 a
Les rubans au chapeau, le sac sur les épaules, 6+6 b
Et les adieux naïfs, le soir, auprès des saules, 6+6 b
À celle qui promet de ne pas oublier 6+6 a
70 En s’essuyant les yeux avec son tablier. 6+6 a
※※※
Un rêve de bonheur qui souvent m’accompagne, 6+6 b
C’est d’avoir un logis donnant sur la campagne, 6+6 b
Près des toits, tout au bout du faubourg prolongé, 6+6 a
Où je vivrais ainsi qu’un ouvrier rangé. 6+6 a
75 C’est là, me semble-t-il, qu’on ferait un bon livre. 6+6 b
En hiver, l’horizon des coteaux blancs de givre ; 6+6 b
En été, le grand ciel et l’air qui sent les bois ; 6+6 a
Et les rares amis, qui viendraient quelquefois 6+6 a
Pour me voir, de très loin, pourraient me reconnaître, 6+6 b
80 Jouant du flageolet, assis à ma fenêtre. 6+6 b
※※※
Quand sont finis le feu d’artifice et la fête, 6+6 a
Morne comme une armée après une défaite, 6+6 a
La foule se disperse. Avez-vous remarqué 6+6 b
Comme est silencieux ce peuple fatigué ? 6+6 b
85 Ils s’en vont tous, portant de lourds enfants qui geignent, 6+6 a
Tandis qu’en infectant des lampions s’éteignent. 6+6 a
On n’entend que le rythme inquiétant des pas ; 6+6 b
Le ciel est rouge ; et c’est sinistre, n’est-ce pas ? 6+6 b
Ce fourmillement noir dans ces étroites rues 6+6 a
90 Qu’assombrit le regret des splendeurs disparues ! 6+6 a
※※※
C’est un boudoir meublé dans le goût de l’Empire, 6+6 b
Jaune, tout en velours d’Utrecht. On y respire 6+6 b
Le charme un peu vieillot de l’Abbaye-aux-Bois : 6+6 a
Croix d’honneur sous un verre et petits meubles droits, 6+6 a
95 Deux portraits, – une dame en turban qui regarde 6+6 b
Un pompeux colonel des lanciers de la garde 6+6 b
En grand costume, peint par le baron Gérard, – 6+6 a
Plus une harpe auprès d’un piano d’Érard, 6+6 a
Qui dut accompagner bien souvent, j’imagine, 6+6 b
100 Ce qu’Alonzo disait à la tendre Imogine. 6+6 b
※※※
Champêtres et lointains quartiers, je vous préfère 6+6 a
Sans doute par les nuits d’été, quand l’atmosphère 6+6 a
S’emplit de l’odeur forte et tiède des jardins ; 6+6 b
Mais j’aime aussi vos bals en plein vent d’où, soudains, 6+6 b
105 S’échappent les éclats de rire à pleine bouche, 6+6 a
Les polkas, le hochet des cruchons qu’on débouche, 6+6 a
Les gros verres trinquant sur les tables de bois, 6+6 b
Et, parmi le chaos des rires et des voix 6+6 b
Et du vent fugitif dans les ramures noires, 6+6 a
110 Le grincement rythmé des lourdes balançoires. 6+6 a
※※※
Le Grand-Montrouge est loin, et le dur charretier 6+6 b
A mené sa voiture à Paris, au chantier, 6+6 b
Pleine de lourds moellons, par les chemins de boue ; 6+6 a
Et voici que, marchant à côté de la roue, 6+6 a
115 Il revient, écoutant, de fatigue abreuvé, 6+6 b
Le pas de son cheval qui frappe le pavé. 6+6 b
Et moi, j’envie, au fond de mon cœur, ce pauvre homme ; 6+6 a
Car lui, du moins, il a bon appétit, bon somme, 6+6 a
Il vit sa rude vie ainsi qu’un animal, 6+6 b
120 Et l’automne qui vient ne lui fait pas de mal. 6+6 b
※※※
J’écris près de la lampe. Il fait bon. Rien ne bouge. 6+6 a
Toute petite, en noir, dans le grand fauteuil rouge, 6+6 a
Tranquille auprès du feu, ma vieille mère est là ; 6+6 b
Elle songe sans doute au mal qui m’exila 6+6 b
125 Loin d’elle, l’autre hiver, mais sans trop d’épouvante, 6+6 a
Car je suis sage et reste au logis, quand il vente. 6+6 a
Et puis, se souvenant qu’en octobre la nuit 6+6 b
Peut fraîchir, vivement et sans faire de bruit, 6+6 b
Elle met une bûche au foyer plein de flammes. 6+6 a
130 Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes ! 6+6 a
※※※
Volupté des parfums ! – Oui, toute odeur est fée. 6+6 b
Si j’épluche, le soir, une orange échauffée, 6+6 b
Je rêve de théâtre et de profonds décors ; 6+6 a
Si je brûle un fagot, je vois, sonnant leurs cors, 6+6 a
135 Dans la forêt d’hiver les chasseurs faire halte ; 6+6 b
Si je traverse enfin ce brouillard que l’asphalte 6+6 b
Répand, infect et noir, autour de son chaudron, 6+6 a
Je me crois sur un quai parfumé de goudron, 6+6 a
Regardant s’avancer, blanche, une goélette 6+6 b
140 Parmi les diamants de la mer violette. 6+6 b
※※※
Noces du samedi ! noces où l’on s’amuse, 6+6 a
Je vous rencontre au bois où ma flâneuse Muse 6+6 a
Entend venir de loin les cris facétieux 6+6 b
Des femmes en bonnet et des gars en messieurs 6+6 b
145 Qui leur donnent le bras en fumant un cigare, 6+6 a
Tandis qu’en un bosquet le marié s’égare, 6+6 a
Souvent imberbe et jeune, ou parfois mûr et veuf, 6+6 b
Et tout fier de sentir sur sa manche en drap neuf, 6+6 b
Chef-d’œuvre d’un tailleur-concierge de Montrouge, 6+6 a
150 Sa femme, en robe blanche, étaler sa main rouge. 6+6 a
※※※
L’école. Des murs blancs, des gradins noirs, et puis 6+6 b
Un christ en bois orné de deux rameaux de buis. 6+6 b
La sœur de charité, rose sous sa cornette, 6+6 a
Fait la classe, tenant sous son regard honnête 6+6 a
155 Vingt fillettes du peuple en simple bonnet rond. 6+6 b
La bonne sœur ! Jamais on ne lit sur son front 6+6 b
L’ennui de répéter les choses cent fois dites ! 6+6 a
Et, sur les premiers bancs, où sont les plus petites, 6+6 a
Elle ne veut pas voir tous les yeux épier 6+6 b
160 Un hanneton captif marchant sur du papier. 6+6 b
※※※
Depuis que son garçon est parti pour la guerre, 6+6 a
La veuve met les deux couverts comme naguère, 6+6 a
Sert la soupe, remplit un grand verre de vin, 6+6 b
Puis, sur le seuil, attend qu’un envoyé divin, 6+6 b
165 Un pauvre, passe là pour qu’elle le convie. 6+6 a
Il en vient tous les jours. Donc son fils est en vie, 6+6 a
Et la vieille maman prend sa peine en douceur. 6+6 b
Mais l’épicier d’en face est un libre penseur 6+6 b
Et songe : – « Peut-on croire à de telles grimaces ? 6+6 a
170 Les superstitions abrutissent les masses. » 6+6 a
※※※
Il a neigé la veille et, tout le jour, il gèle. 6+6 b
Le toit, les ornements de fer et la margelle 6+6 b
Du puits, le haut des murs, les balcons, le vieux banc, 6+6 a
Sont comme ouatés, et, dans le jardin, tout est blanc. 6−6 a
175 Le grésil a figé la nature, et les branches 6+6 b
Sur un doux ciel perlé dressent leurs gerbes blanches. 6+6 b
Mais regardez. Voici le coucher de soleil. 6+6 a
À l’occident plus clair court un sillon vermeil. 6+6 a
Sa soudaine lueur féerique nous arrose, 6+6 b
180 Et les arbres d’hiver semblent de corail rose. 6+6 b
※※※
De la rue on entend sa plaintive chanson. 6+6 a
Pâle et rousse, le teint plein de taches de son, 6+6 a
Elle coud, de profil, assise à sa fenêtre. 6+6 b
Très sage et sachant bien qu’elle est laide peut-être, 6+6 b
185 Elle a son dé d’argent pour unique bijou. 6+6 a
Sa chambre est nue, avec des meubles d’acajou. 6+6 a
Elle gagne deux francs, fait de la lingerie 6+6 b
Et jette un sou quand vient l’orgue de Barbarie. 6+6 b
Tous les voisins lui font leur bonjour le plus gai 6+6 a
190 Qui leur vaut son petit sourire fatigué. 6+6 a
※※※
Dans ces bals qu’en hiver les mères de famille 6+6 b
Donnent à des bourgeois pour marier leur fille, 6+6 b
En faisant circuler assez souvent, pas trop, 6+6 a
Les petits-fours avec les verres de sirop, 6+6 a
195 Presque toujours la plus jolie et la mieux mise, 6+6 b
Celle qui plaît et montre une grâce permise, 6+6 b
Est sans dot, – voulez-vous en tenir le pari ? – 6+6 a
Et ne trouvera pas, pauvre enfant, un mari. 6+6 a
Et son père, officier en retraite, pas riche, 6+6 b
200 Dans un coin, fait son whist à quatre sous la fiche. 6+6 b
※※※
Comme à cinq ans on est une grande personne, 6+6 a
On lui disait parfois : « Prends ton frère, mignonne, » 6+6 a
Et, fière, elle portait dans ses bras le bébé, 6+6 b
Quels soins alors ! L’enfant n’était jamais tombé. 6+6 b
205 Très grave, elle jouait à la petite mère. 6+6 a
Hélas ! le nouveau-né fut un ange éphémère. 6+6 a
On prit sur son berceau mesure d’un cercueil ; 6+6 b
Et la sœur de cinq ans a des habits de deuil, 6+6 b
Ne parle ni ne joue et, très préoccupée, 6+6 a
210 Se dit : « Je n’aime plus maintenant ma poupée. » 6+6 a
※※※
Je rêve, tant Paris m’est parfois un enfer, 6+6 b
D’une ville très calme et sans chemin de fer, 6+6 b
Où, chez le sous-préfet, en vieux garçon affable, 6+6 a
Je lirais, au dessert, mon épître ou ma fable. 6+6 a
215 On se dirait tout bas, comme un mignon péché, 6+6 b
Un quatrain très mordant que j’aurais décoché. 6+6 b
Là, je conserverais de vagues hypothèques. 6+6 a
On voudrait mon avis pour les bibliothèques ; 6+6 a
Et j’y rétablirais, disciple consolé, 6+6 b
220 Nos maîtres, Esménard, Lebrun, Chênedollé. 6+6 b
※※※
Assis, les pieds pendants, sous l’arche du vieux pont, 6+6 a
Et sourd aux bruits lointains à qui l’écho répond, 6+6 a
Le pêcheur suit des yeux le petit flotteur rouge. 6+6 b
L’eau du fleuve pétille au soleil. Rien ne bouge. 6+6 b
225 Le liège soudain fait un plongeon trompeur, 6+6 a
La ligne saute. – Avec un hoquet de vapeur 6+6 a
Passe un joyeux bateau tout pavoisé d’ombrelles ; 6+6 b
Et, tandis que les flots apaisent leurs querelles, 6+6 b
L’homme, un instant tiré de son rêve engourdi, 6+6 a
230 Met une amorce neuve et songe : – Il est midi. 6+6 a
※※※
Malgré ses soixante ans, le joyeux invalide 6+6 b
Sur sa jambe de bois est encore solide. 6+6 b
Quand il touche l’argent de sa croix, un beau soir, 6+6 a
Il s’en va, son repas serré dans un mouchoir, 6+6 a
235 Et, vers le Champ de Mars, entraîne à la barrière, 6+6 b
Un conscrit, le bonnet de police en arrière ; 6+6 b
Et là, plein d’abandon, vers le pousse-café, 6+6 a
Son bâton à la main, le bonhomme échauffé 6+6 a
Conte au jeune soldat et lui rend saisissable 6+6 b
240 La bataille d’Isly qu’il trace sur le sable. 6+6 b
※※※
De même que Rousseau jadis fondait en pleurs 6+6 a
À ces seuls mots : « Voilà de la pervenche en fleurs, » 6+6 a
Je sais tout le plaisir qu’un souvenir peut faire. 6+6 b
Un rien, l’heure qu’il est, l’état de l’atmosphère, 6+6 b
245 Un battement de cœur, un parfum retrouvé, 6+6 a
Me rendent un bonheur autrefois éprouvé. 6+6 a
C’est fugitif, pourtant la minute est exquise. 6+6 b
Et c’est pourquoi je suis très heureux à ma guise 6+6 b
Lorsque, dans le quartier que je sais, je puis voir 6+6 a
250 Un calme ciel d’octobre, à cinq heures du soir. 6+6 a
※※※
Le printemps est charmant dans le Jardin des Plantes. 6+6 b
Les cris des animaux, les odeurs violentes 6+6 b
Des arbres et des fleurs exotiques dans l’air, 6+6 a
Cette création, sous un ciel pur et clair, 6+6 a
255 Tout cela fait penser au paradis terrestre ; 6+6 b
Et tout en écoutant, sous un sapin alpestre, 6+6 b
Le grondement profond des lions en courroux, 6+6 a
On regarde, devant les naïfs tourlourous, 6+6 a
Tendant la trompe, avec ses airs de gros espiègle, 6+6 b
260 L’éléphant engloutir les nombreux pains de seigle. 6+6 b
※※※
En plein soleil, le long du chemin de halage, 6+6 a
Quatre percherons blancs, vigoureux attelage, 6+6 a
Tirent péniblement, en butant du sabot, 6+6 b
Le lourd bateau qui fend l’onde de l’étambot ; 6+6 b
265 Près d’eux, un charretier marche dans la poussière. 6+6 a
La main au gouvernail, sur le pont, à l’arrière, 6+6 a
N’écoutant pas claquer le brutal fouet de cuir, 6+6 b
Et regardant la rive et les nuages fuir, 6+6 b
Fume le marinier, sans se fouler la rate. 6+6 a
270 – « Le peuple et le tyran ! » me dit un démocrate. 6+6 a
※※※
Près du rail, où souvent passe comme un éclair 6+6 b
Le convoi furieux et son cheval de fer, 6+6 b
Tranquille, l’aiguilleur vit dans sa maisonnette. 6+6 a
Par la fenêtre, on voit l’intérieur honnête, 6+6 a
275 Tel que le voyageur fiévreux doit l’envier. 6+6 b
C’est la femme parfois qui se tient au levier, 6+6 b
Portant sur un seul bras son enfant qui l’embrasse. 6+6 a
Jetant un sifflement atroce, le train passe 6+6 a
Devant l’humble logis qui tressaille au fracas. 6+6 b
280 Et le petit enfant ne se dérange pas. 6+6 b
※※※
L’allée est droite et longue, et sur le ciel d’hiver 6+6 a
Se dressent hardiment les grands arbres de fer, 6+6 a
Vieux ormes dépouillés dont le sommet se touche. 6+6 b
Tout au bout, le soleil, large et rouge, se couche. 6+6 b
285 À l’horizon il va plonger dans un moment. 6+6 a
Pas un oiseau. Parfois un léger craquement 6+6 a
Dans les taillis déserts de la forêt muette ; 6+6 b
Et là-bas, cheminant, la noire silhouette, 6+6 b
Sur le globe empourpré qui fond comme un lingot, 6+6 a
290 D’une vieille à bâton, ployant sous son fagot. 6+6 a
※※※
Hier, sur la grand’route où j’ai passé près d’eux, 6+6 b
Les jeunes sourds-muets s’en allaient deux par deux, 6+6 b
Sérieux, se montrant leurs mains toujours actives. 6+6 a
Un instant j’observai leurs mines attentives 6+6 a
295 Et j’écoutai le bruit que faisaient leurs souliers. 6+6 b
Je restai seul. La brise en haut des peupliers 6+6 b
Murmurait doucement un long frisson de fête ; 6+6 a
Chaque buisson jetait un trille de fauvette, 6+6 a
Et les grillons joyeux chantaient dans les bleuets. 6+6 b
300 Je penserai souvent aux pauvres sourds-muets. 6+6 b
※※※
Comme le champ de foire est désert, la baraque 6+6 a
N’est pas ouverte, et sur son perchoir, le macaque 6−6 a
Cligne ses yeux méchants et grignote une noix 6+6 b
Entre la grosse caisse et le chapeau chinois ; 6+6 b
305 Et deux bons paysans sont là, bouche béante, 6+6 a
Devant la toile peinte où l’on voit la géante, 6+6 a
Telle qu’elle a paru jadis devant les cours, 6+6 b
Soulevant décemment ses jupons un peu courts 6+6 b
Pour qu’on ne puisse pas supposer qu’elle triche, 6+6 a
310 Et montrant son mollet à l’empereur d’Autriche. 6+6 a
※※※
J’écris ces vers, ainsi qu’on fait des cigarettes, 6+6 b
Pour moi, pour le plaisir ; et ce sont des fleurettes 6+6 b
Que peut-être il valait bien mieux ne pas cueillir ; 6+6 a
Car cette impression qui m’a fait tressaillir, 6+6 a
315 Ce tableau d’un instant rencontré sur ma route, 6+6 b
Ont-ils un charme enfin pour celui qui m’écoute ? 6+6 b
Je ne le connais pas. Pour se plaire à ceci, 6+6 a
Est-il comme moi-même un rêveur endurci ? 6+6 a
Ne peut-il se fâcher qu’on lui prête ce rôle ? 6+6 b
320 – Fi donc ! lecteur, tu lis par-dessus mon épaule. 6+6 b
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