Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
CHF_1/CHF30
Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
CONTES
LA PEUR DE LA MORT
Auprès d’un bois écarté, solitaire, 4+6 a
Un bûcheron, pauvre comme il en est, 4+6 b
Avait construit une frêle chaumière, 4+6 a
Où tous les soirs le bonhomme trnait 4+6 b
5 Son lourd fagot, sa faim et sa misère. 4+6 a
Cela soit dit sans affliger ton cœur ; 4+6 c
Car mon dessein n’est tel, ami lecteur. 4+6 c
Le forestier veuf et content de l’être, 4+6 d
N’avait qu’un fils, l’espoir de ses vieux ans : 4+6 e
10 C’était Janot. Dans le réduit champêtre, 4+6 d
Sous le taillis où le ciel l’a fait naître, 4+6 d
Il a dé compté quinze printemps, 4+6 e
Et voit, dit-on, le seizième paraître, 4+6 d
Plus beau pour lui que tous les précédens. 4+6 e
15 Trop faible encor pour porter la coignée, 4+6 f
Mais de bonne heure au travail façonnée, 4+6 f
Tantôt sa main donne au flexible osier, 4+6 g
En se jouant, la forme d’un panier : 4+6 g
Tantôt il sème autour de son asile, 4+6 h
20 Non pas des fleurs, mais un légume utile 4+6 h
Que l’appétit assaisonne au besoin, 4+6
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et pour compagne Annette sa cousine, 4+6 i
Rose naissante ; elle était orpheline 4+6 i
Dès son enfance ; et n’ayant d’autre appui 4+6 j
25 Que son pauvre oncle, elle vivait chez lui. 4+6 j
Tout beau, conteur, va dire un petit maître ; 4+6 d
De sa beau vous ne nous dites mot : 4+6 k
Faites la belle, ou vous n’êtes qu’un sot. 4+6 k
Belle ! eh qu’importe ? a-t-on besoin de l’être 4+6 d
30 A quatorze ans ? mais Annette l’était, 4+6 b
Sans le savoir. Ah ! je n’ose le dire : 4+6 l
Une fontaine avait pu l’en instruire. 4+6 l
Sur ce point là si Janot se taisait, 4+6 b
Dans ses regards elle avait pu le lire. 4+6 l
35 Concluons donc qu’Annette s’en doutait, 4+6 b
C’était beaucoup : élevé sans culture, 4+6 m
Germe tom des mains de la nature, 4+6 m
Ce couple heureux ne savait presque rien, 4+6 n
A ses penchans se livrait sans mesure, 4+6 m
40 Et conservant une âme libre et pure 4+6 m
Faisait sans choix et le mal et le bien. 4+6 n
Un jour de ceux que le printemps ramène, 4+6 o
Qui semblait naître exprès pour les plaisirs, 4+6 p
Nos deux enfans que le destin entraîne, 4+6 o
45 S’étant assis à l’ombre d’un vieux chêne, 4+6 o
Y respiraient sous l’aile du zéphir. 4+6 p
Mais tout-à-coup sa douce et fraîche haleine 4+6 o
Devint pour eux le souffle du désir. 4+6 p
« Ma chère Annette, hélas ! dans le bocage 4+6 r
50 J’étais venu pour gter la frcheur, 4+6 c
Disait Janot ; mais toute sa chaleur 4+6 c
Nous a suivis sous le naissant feuillage. 4+6 r
— Moi, dit Annette, à ces gazons nouveaux 4+6 s
Je demandais un moment de repos ; 4+6 s
55 Mais le sommeil a trompé mon attente ; 4+6 u
Le sommeil fuit ma paupière brûlante. 4+6 u
C’est pourtant là qu’hier je m’endormis : 4+6 v
Mais j’étais seule, et ta main caressante 4+6 u
N’y pressait pas ainsi ma main tremblante ; 4+6 u
60 A mes genoux tu ne t’étais pas mis. 4+6 v
Séparons-nous pour trouver l’un et l’autre 4+6 w
Le calme heureux que nous venons chercher. » 4+6 g
Pauvres enfans ! quel espoir est le vôtre ? 4+6 w
Fuyez, un dieu saura vous rapprocher. 4+6 g
65 Pour un moment aux vœux de sa cousine 4+6 i
Janot sourit ; mais la belle orpheline 4+6 i
Fuit lentement. L’amour vient l’arrêter. 4+6 g
Du jouvenceau l’embarras n’est pas moindre ; 4+6 x
S’il fait lui-même un pas pour la quitter, 4+6 g
70 Il en fait deux bientôt pour la rejoindre. 4+6 x
Bref, le fripon est encore à ses pieds. 4+6 y
Là, moins soumis, mais plus ardent, plus tendre : 4+6 z
« Nous séparer ! cesse de le prétendre, 4+6 z
Dit-il, les yeux de quelques pleurs mouillés ; 4+6 y
75 N’ordonne pas que je m’éloigne encore ; 4+6 a
Dans ce moment plein d’un trouble inconnu, 4+6 b
A tes genoux je me sens retenu 4+6 b
Par le besoin d’un plaisir que j’ignore. 4+6 a
Demeure, Annette, ou bien je vais mourir. 4+6 q
80 — Mourir ! quel mot, cria la jeune amante ! 4+6 u
Quel mot affreux à côté du plaisir ! 4+6 q
Et quelle image, hélas ! il me présente ! 4+6 u
Quand on est mort, sais-tu bien comme on est ? 4+6 b
Dans cet état j’ai vu ma pauvre mère ; 4+6 a
85 J’étais bien jeune alors, mais le portrait 4+6 b
De mon esprit ne s’effacera guère. 4+6 a
Sans mouvement et ne respirant plus, 4+6 c
On a les pieds et les bras étendus, 4+6 c
D’un voile épais la paupière couverte, 4+6 d
90 Les yeux éteints et la bouche entr’ouverte. » 4+6 d
A ce portrait bien fait pour l’alarmer, 4+6 g
Le jeune amant s’étonne, s’inquiète : 4+6 e
« S’il est ainsi, dit-il, ma chère Annette, 4+6 e
Ne mourons pas, vivons pour nous aimer. » 4+6 g
95 Déjà leurs cœurs qu’avait glacés la crainte, 4+6 f
Sont ranimés par les brûlans désirs. 4+6 p
Triste raison, mère de la contrainte, 4+6 f
N’approche pas de cette aimable enceinte ; 4+6 f
Et toi, nature, appelle les plaisirs : 4+6 p
100 Mais je les vois et la fête commence. 4+6 g
Des deux côtés d’abord mêmes soupirs, 4+6 p
Mêmes sermens d’éternelle constance. 4+6 g
Aux doux propos succède le silence ; 4+6 g
Mille baisers échauffés par l’amour, 4+6 h
105 Sont pris, rendus et repris tour-à-tour ; 4+6 h
Vers le bonheur ainsi Janot s’avance. 4+6 g
Les vents légers, complices de ses feux, 4+6 i
Ont dévoi tous les charmes d’Annette ; 4+6 e
L’un en jouant fait flotter ses cheveux, 4+6 i
110 L’autre s’envole avec sa colerette ; 4+6 e
Le plus hardi chatouille ses pieds nus, 4+6 c
Un peu plus haut adroitement se glisse, 4+6 j
Baise en passant l’albâtre de sa cuisse, 4+6 j
Et monte enfin au temple de Vénus. 4+6 c
115 Janot le sut ; mais le dieu de Cythère 4+6 a
Vient l’arracher à ce guide incertain, 4+6 n
En lui mettant l’encensoir à la main, 4+6 n
Les yeux fermés le mène au sanctuaire. 4+6 a
Arrête, arrête, ô peintre téméraire ! 4+6 a
120 La volupté t’en impose la loi, 4+6 k
De ses attraits respecte le mystère. 4+6 a
Fils de Cypris, dissipe ton effroi, 4+6 k
Vas, je sais être aveugle comme toi ; 4+6 k
Et tes faveurs m’ont appris à me taire. 4+6 a
125 Charme puissant des plaisirs défendus, 4+6 c
De nos crayons vous n’avez rien à craindre ; 4+6 l
Quand on vous goûte, hélas ! peut-on vous peindre ! 4+6 l
Peut-on vous peindre en ne vous gtant plus ? 4+6 c
Dans les transports de la première ivresse, 4+6 m
130 Janot sans force et non pas sans désir, 4+6 q
Suivant de près la trace du plaisir, 4+6 q
Le cherche encore au sein de sa mtresse. 4+6 m
Annette, hélas ! sur les gazons fleuris, 4+6 v
Ne répond plus à des caresses vaines, 4+6 n
135 Le doux poison répandu dans ses veines 4+6 n
Tient à la fois tous ses sens engourdis. 4+6 v
L’amant novice à l’instant se rappelle 4+6 o
Les traits affreux dont elle a peint la mort, 4+6 p
Soulève, presse, avec un tendre effort, 4+6 p
140 Contre son cœur, un des bras de la belle, 4+6 o
Croit lui donner une chaleur nouvelle ; 4+6 o
Le bras échappe et tombe sans ressort, 4+6 p
« Annette ! Annette ! » En vain sa voix l’appelle ; 4+6 o
Janot, trop sûr de son malheureux sort, 4+6 p
145 Reste un moment immobile comme elle. 4+6 o
Tout en impose à sa crédulité. 4+6 g
Les yeux fixés sur ceux de sa cousine 4+6 i
N’y trouvent plus cette flamme divine, 4+6 i
Qui tout-à-l’heure animait sa beauté : 4+6 g
150 « Annette est morte ! hélas ! je l’ai perdue, 4+6 q
S’écrie alors l’amant épouvanté. 4+6 g
Triste tableau qu’elle offrait à ma vue, 4+6 q
Deviez-vous être une réalité ! 4+6 g
Annette est morte, et c’est moi qui la tue. 4+6 q
155 Qui que tu sois dont l’immense pouvoir 4+6 r
Rend à nos champs leur première verdure, 4+6 m
Annette est morte et tu l’as dû prévoir ! 4+6 r
Fais la revivre ainsi que la nature ! » 4+6 m
En exprimant ces frivoles regrets, 4+6 s
160 Ces vains désirs, de larmes il arrose 4+6 t
Le front d’Annette et ses mornes attraits, 4+6 s
Baise en tremblant sa bouche demi-close. 4+6 t
Anne s’éveille ! hélas ! ce tendre mot 4+6 k
Est le premier que ses lèvres prononcent, 4+6 u
165 Et le second que les soupirs annoncent 4+6 u
Plus tendre encore est celui de Janot. 4+6 k
« Elle revit ! Annette m’est rendue ! 4+6 q
Tristes regrets, vous êtes effacés ; 4+6 y
Elle revit, tous mes maux sont passés. 4+6 y
170 Plaisirs, rentrez dans mon âme éperdue. » 4+6 q
A ce discours Anne n’a rien compris, 4+6 v
Et sur Janot fixant un œil surpris, 4+6 v
Accompagné d’une voix ingénue, 4+6 q
« Que veux-tu dire ? et quel est ce transport ? 4+6 p
175 Moi j’étais morte ! — Oui, tout comme ta mère, 4+6 a
Tu ne l’es plus et je bénis mon sort. 4+6 p
— Si c’est ainsi, répond la bocagère, 4+6 a
Que l’on arrive à son heure dernière, 4+6 a
On est bien sot d’avoir peur de la mort. 4+6 p
mètre profil métrique : 4+6
logo du CRISCO logo de l'université