Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
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Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
CONTES
L’ARMEMENT INUTILE
Maître Gaspard, | marchand et marguillier, 4+6 a
A cinquante ans | désirant faire souche, 4+6 b
Prit jeune femme l’an dernier, 8 a
Digne en tout point | de l’honneur de sa couche. 4+6 b
5 Gertrude était son nom, | elle avait mille attraits, 6+6 c
Œil bien fendu, petite bouche, 8 b
Les dents d’ivoire, le teint frais ; 8 c
Gaspard ayant | de la bourgeoise garde 4+6 a
Été sergent, en certain coin 8 b
10 Conservait avec soin 6 b
Sa vieille épée | avec sa hallebarde ; 4+6 a
Et quand il se trouvait | les soirs de bonne humeur, 6+6 a
A sa femme il racontait comme, 8 b
En telle année, | il avait eu l’honneur 4+6 a
15 De garder le logis | de tel ou tel seigneur ; 6+6 a
Que dans son temps | il était très-bel homme, 4+6 b
Mais qu’il paraissait bien plus beau, 8 a
Quand il avait | cocarde à son chapeau. 4+6 a
Dans la ville, par aventure 8 b
20 Revient un jeune jouvenceau, 8 a
Leste, bien fait, | et d’aimable figure, 4+6 b
L’œil tendre, et pourtant un peu fier ; 8 c
Bref, il était d’une tournure 8 b
A réchauffer les cœurs, | même au sein de l’hiver : 6+6 c
25 De plus il était militaire. 8 a
Il vit Gertrude, | et bientôt les désirs 4+6 b
Vont leur train ; et suivant | la coutume ordinaire, 6+6 a
Par tendres regards, doux soupirs, 8 b
Il fait ses efforts pour lui plaire ; 8 a
30 Il fait plus : certain soir, | il la trouve à l’écart ; 6+6 a
Il dit que, par l’amour | percé de part en part, 6+6 a
Il va mourir, | si la belle ne cède, 4+6 a
Et ne lui donne | un doux et prompt remède. 4+6 a
Avec courroux | la belle entend son cas ; 4+6 a
35 En vain lui plaît le personnage ; 8 b
Vertu de femme | aime à faire fracas ; 4+6 a
Et puis déjà | j’ai dit qu’elle était sage : 4+6 b
« Allez, monsieur, n’espérez pas 8 a
Qu’à mon mari | je fasse un tel outrage ; 4+6 b
40 Apprenez que, depuis | que je suis en ménage, 6+6 b
Mon honneur n’a jamais | fait le moindre faux-pas. » 6+6 a
Le drôle ne perd point courage ; 8 b
Il sait que des femmes l’honneur 8 a
Est un brouillard, une vapeur, 8 a
45 Qui sur la mer | des préjugés s’élève, 4+6 b
Et se dissipe à la chaleur 8 a
Des rayons de l’amour, | quand cet astre se lève. 6+6 b
Le soir Gertrude | étant avec Gaspard, 4+6 a
Fière d’avoir fait résistance, 8 b
50 Va lui conter | l’amour de l’égrillard, 4+6 a
Comme elle a su | le tancer d’importance, 4+6 b
Et que n’étant point femme | à faire un tel écart, 6+6 a
Elle a bien dans son cœur | éteint toute espérance. 6+6 b
« Parbleu ! répond l’époux, | c’est bien manquer d’égard, 6+6 a
55 Voyez un peu l’impertinence ; 8 b
Vouloir de moi faire un cornard ! 8 a
Je veux punir son insolence. 8 b
S’il revient, finement | attire le gaillard : 6+6 a
Par un demi-soupir | ou par un doux regard, 6+6 a
60 Il te faut ranimer | sa tendre pétulance ; 6+6 b
S’il te demande un rendez-vous, 8 a
Feins l’embarras | de quelqu’un qui balance, 4+6 b
Et dont l’amour | amollit le courroux ; 4+6 a
Lui même il se viendra | livrer à ma vengeance ; 6+6 b
65 Caché près de ton lit, | armé jusques aux dents, 6+6 a
Nous verrons à quel point | il porte l’impudence ; 6+6 b
Et je saurai, | quand il en sera temps, 4+6 a
Châtier son incontinence ; 8 b
Ne vas pas craindre à contre-temps, 8 c
70 Par quelques privautés | de blesser la décence ; 6+6 b
Il payera cher ces doux instans. 9 c
Sans scrupule, laisse-le faire : 8 a
L’arrêter sera mon affaire. » 8 a
Gertrude promet d’obéir. 8 a
75 Le lendemain, | pressé par le désir, 4+6 a
L’amant revient | chanter sa litanie. 4+6 a
Il reçoit un baiser | sur la bouche chérie ; 6+6 a
On gronde à peine : | et sa flamme enhardie 4+6 a
Prétend aller | de faveur en faveur. 4+6 b
80 On l’arrête, et sa douce amie 8 a
Promet le lendemain | de combler son ardeur. 6+6 b
Le soir, la docile Gertrude 8 a
Ne manque pas | de dire à son époux 4+6 b
L’heure et l’instant du rendez-vous. 8 b
85 « Bon, dit Gaspard, surtout | ne fais pas trop la prude, 6+6 a
Quand il viendra | se rendre à l’atelier ? 4+6 a
— Ne craignez rien, j’y prendrai garde. » 8 b
Maître Gaspard monte au grenier 8 a
Y prend sa vieille hallebarde, 8 b
90 Un sabre, un casque et son cimier ; 8 a
Il les dérouille, s’arme, | à la glace se mire ; 6+6 a
Il paraît à ses yeux | un Achille, un César ; 6+6 b
Il met flamberge au vent, | pousse en l’air et s’admire. 6+6 a
Le jouvenceau, ma foi, | va courir grand hasard. 6+6 b
95 L’heure approchant, | il va, dans la ruelle, 4+6 a
De vengeance altéré, | se mettre en sentinelle. 6+6 a
Le galant vient, | Gertrude se repent 4+6 a
D’avoir, par sa coupable adresse, 8 b
Conduit au piége qui l’attend 8 a
100 Amant si plein de gentillesse ; 8 b
Mais trop tard vient ce repentir : 8 a
Maître Gaspard est trop près d’elle 8 b
Pour qu’elle puisse l’avertir, 8 a
Sans s’exposer | à paraître infidèle. 4+6 b
105 Elle ne peut, | dans cette extrémité, 4+6 a
Qu’espérer en la providence 8 b
Qui, mieux que l’humaine prudence, 8 b
Peut nous tirer | de la calamité. 4+6 a
Le jouvenceau | que le désir embrase, 4+6 a
110 Trouvant que le plaisir | vaut bien mieux qu’une phrase, 6+6 a
Veut sans délai | lui prouver son ardeur. 4+6 a
Elle résiste autant | que le veut la pudeur ; 6+6 a
Et puis enfin… | enfin elle s’arrange. 4+6 a
L’amant alors | tire de ses goussets 4+6 b
115 A deux coups deux bons pistolets, 8 b
En lui disant : « Voilà, mon ange, 8 a
De quoi punir les indiscrets, 8 c
S’ils apportaient obstacle | à nos plaisirs secrets. » 6+6 c
Notre époux sent alors | que le front lui démange ; 6+6 a
120 Mais par respect | pour les armes à feu, 4+6 a
En enrageant il voit | jusqu’au bout tout le jeu, 6+6 a
Tremblant et respirant à peine, 8 a
De peur qu’on n’entendît | le bruit de son haleine. 6+6 a
L’amant, comblé | des plaisirs les plus doux, 4+6 a
125 De Gertrude louant les charmes, 8 b
L’embrasse, et sort | en reprenant ses armes. 4+6 b
Gaspard lâchant alors | la bride à son couroux, 6+6 a
Apostrophe Gertrude, | et lui dit : « Osez-vous, 6+6 a
Après un tel forfait, | lever sur moi la vue ? 6+6 a
130 — A tort vous êtes mécontent, 8 b
Que ne l’empêchiez-vous, | dit Gertrude à l’instant, 6+6 b
Au lieu de rester là | froid comme une statue ? 6+6 a
— Voyant les pistolets, | pouvais-je me montrer ? 6+6 a
— Armé de pied en cap, | quand la peur vous entrave, 6+6 b
135 Simple femme, comment | pouvais-je être plus brave ? 6+6 b
Oui, de honte, Gaspard, | vous devriez pleurer ; 6+6 a
C’est par votre rodomontade 8 a
Qu’en ce jour je perds mon honneur ; 8 b
Sans vos ordres, jamais, | ma vertu, ma pudeur, 6+6 b
140 N’auraient souffert | une telle incartade ; 4+6 a
Mais de pareille lâcheté 8 a
Les tribunaux | me feront bien justice ; 4+6 b
Il me faut une indemnité 8 a
Pour mon honneur, ou bien | qu’on vous traîne au supplice. » 6+6 b
145 Gaspard sentant qu’il avait tort, 8 a
Et craignant que sa turpitude 8 b
Ne transpirât | par le bouillant transport 4+6 a
Du courroux que montrait Gertrude, 8 b
Pour l’appaiser se fit effort, 8 a
150 Et quitta pour jamais | et sabre et hallebarde ; 6+6 a
Mais il ne put | détacher sa cocarde. 4+6 a
mètre profils métriques : 8, 4+6, 6+6, (6), (9)
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