Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
CHF_1/CHF26
Sébastien-Roch-Nicolas de CHAMFORT
ŒUVRES COMPLÈTES
(POÉSIES)
1851
CONTES
LE LINCEUL DU PÉLERIN
Hélène, de pleurs inondée, 8 a
Songeait au courageux Mainfroi, 8 b
Qui, dans les champs de la Judée, 8 a
Combattait au nom de la foi. 8 b
5 « Dût ma funeste impatience, 8 a
Disait-elle, aggraver mon sort, 8 b
Dieux qui m’enviez sa présence, 8 a
Rendez-le moi vivant ou mort. 8 b
Beau manoir, opulens domaines, 8 a
10 Présens que m’a fait son amour, 8 b
Côteaux rians, fertiles plaines, 8 a
Que j’aperçois de cette tour, 8 b
Ne m’étalez point vos richesses 8 a
S’il ne doit plus les partager ; 8 b
15 De ses regards, de ses caresses, 8 a
Pouvez-vous me dédommager ? » 8 b
La nuit allait couvrir la terre. 8 a
Enveloppé d’un noir manteau, 8 b
Un pélerin, au front sévère, 8 a
20 Aborde un page du château : 8 b
— « Page, va dire à ta maîtresse, 8 a
Un pélerin daignez ouir ; 8 b
De l’objet qui vous intéresse 8 a
Il voudrait vous entretenir. 8 b
25 — Bon pélerin, à mon veuvage, 8 a
Quelle allégeance apportez-vous ? 8 b
— J’ai vu l’Iduméen rivage, 8 a
J’ai vu combattre votre époux. 8 b
— Ah ! rendez la paix à mon âme ; 8 a
30 Quand finiront tous ces combats ? 8 b
— Votre époux le sait, noble dame, 8 a
Mieux que personne d’ici bas. 8 b
— Oh ! combien de flèches aiguës 8 a
Ont dû l’atteindre et le blesser ! 8 b
35 — Les blessures qu’il a reçues, 8 a
Jà n’est besoin de les panser. 8 b
— Mais d’où vient, parlez-moi sans feinte, 8 a
Ne m’apportez-vous de sa part, 8 b
Ni vrai morceau de la croix sainte, 8 a
40 Ni perles fines, ni brocard ? 8 b
— Je n’ai brocard, ni perle fine ; 8 a
Tout ce que j’ai pour vous, hélas ! 8 b
C’est qu’aux champs de la Palestine 8 a
Votre époux attend le trépas. 8 b
45 A ces mots, Hélène éperdue 8 a
Remplit le château de ses cris ; 8 b
Les pleurs ont obscurci sa vue, 8 a
La douleur trouble ses esprits. 8 b
— « Oh, pélerin ! malheur t’advienne, 8 a
50 Pour m’avoir dit ces mots affreux ! 8 b
Mais ne vas pas penser qu’Hélène 8 a
Demeure oisive dans ces lieux. 8 b
Dût ma funeste impatience 8 a
Aggraver l’horreur de mon sort, 8 b
55 Je jouirai de la présence 8 a
De mon époux vivant ou mort. 8 b
Page chéri, je t’en conjure, 8 a
Cherche-moi, dans tout le canton, 8 b
D’un pélerin l’humble chaussure, 8 a
60 La robe grise et le bourdon. 8 b
Que ces réseaux d’or et de soie, 8 a
Ces franges, ces rubans, ces fleurs, 8 b
Tous ces atours faits pour la joie, 8 a
Cessent d’insulter à mes pleurs. 8 b
65 Coupe ma longue chevelure, 8 a
Prends mon collier, prends mes bijoux, 8 b
Quelque fatigue que j’endure, 8 a
Je veux aller voir mon époux. 8 b
Dût ma funeste impatience 8 a
70 Aggraver l’horreur de mon sort, 8 b
Je veux jouir de sa présence, 8 a
Et l’embrasser vivant ou mort. » 8 b
Étonné d’un amour si tendre, 8 a
Le pélerin lui dit : « Restez, 8 b
75 Restez, de grâce ; et pour m’entendre, 8 a
Calmez vos sens trop agités : 8 b
« Porte mes adieux à ma femme, 8 a
« Me dit votre époux expirant ; 8 b
« L’instant d’après il rendit l’âme, 8 a
80 « Cet anneau d’or est mon garant. 8 b
— « Comment, ô ciel ! le méconnaître ? 8 a
Il vient de moi cet anneau d’or, 8 b
Il n’aurait pas changé de maître, 8 a
Si mon époux vivait encor. 8 b
85 Mais que cette douceur dernière 8 a
Aggrave ou non mon triste sort : 8 b
Je n’ai pu fermer sa paupière ; 8 a
Je veux le voir après sa mort. 8 b
— Abjure un projet inutile. 8 a
90 En vain ton cœur brûlant d’amour 8 b
Presserait son cœur immobile ; 8 a
Tu ne saurais le rendre au jour. 8 b
Vas, songe à conserver tes charmes ; 8 a
A ton destin résigne toi ; 8 b
95 Ne gémis plus, séche tes larmes ; 8 a
Chacun est ici bas pour soi. 8 b
— Respectez ma douleur amère ; 8 a
Cruel, ne m’opposez plus rien. 8 b
Dussé-je accroître ma misère, 8 a
100 J’irai voir mon unique bien. » 8 b
Après un moment de silence, 8 a
« Ma fille, dit le pélerin, 8 b
Tu peux jouir de sa présence, 8 a
Sans aller au bord du Jourdain. 8 b
105 — Parle, ô mon ange tutélaire ! 8 a
Fais qu’il paraisse devant moi ! 8 b
Mon or, mes joyaux, mon douaire, 8 a
Toute ma fortune est à toi. » 8 b
L’étranger, fourbe autant qu’avare, 8 a
110 Un livre ouvert devant ses yeux, 8 b
Feint de lire un jargon barbare 8 a
Des secrets émanés des cieux. 8 b
— De ton époux l’ombre fidèle 8 a
En ces lieux erre nuitamment. 8 b
115 Mais la terreur marche avec elle ; 8 a
Un linceul est son vêtement. 8 b
— N’importe, exauce ma prière. 8 a
Ah ! dussé-je aggraver mon sort ; 8 b
Je n’ai pu fermer sa paupière, 8 a
120 Je veux le voir après sa mort. 8 b
— Ce soir il promet d’apparaître 8 a
Où sont inhumés tes vassaux. 8 b
Cours aux pieds du souverain maître, 8 a
Former des vœux pour son repos. 8 b
125 Quand la nuit deviendra plus sombre, 8 a
Parmi ces tombeaux vas t’asseoir, 8 b
Et sans approcher de son ombre, 8 a
Qu’il te suffise de la voir. » 8 b
Dans sa chapelle solitaire, 8 a
130 Long-temps Hélène, avec ferveur, 8 b
Compte les grains de son rosaire, 8 a
Ou s’abandonne à sa douleur. 8 b
Puis d’un fol espoir abusée, 8 a
Au souffle d’un vent glacial, 8 b
135 Les cheveux baignés de rosée, 8 a
Elle arrive à l’enclos fatal. 8 b
L’astre des nuits éclaire à peine 8 a
La cime de ces vieux ormeaux ; 8 b
On n’entend au loin dans la plaine 8 a
140 Que le bruit du vent et des eaux ; 8 b
Et dans un coin du cimetière, 8 a
Hélène qui répète encor : 8 b
« Je n’ai pu fermer ta paupière ; 8 a
Je viens te voir après ta mort. » 8 b
145 A vingt pas d’elle se présente 8 a
Un fantôme vêtu de blanc ; 8 b
Elle pousse un cri d’épouvante, 8 a
Et tombe morte au même instant. 8 b
Le pélerin (que Dieu punisse) 8 a
150 Jette le linceul imposteur, 8 b
Et maudissant son avarice, 8 a
S’enfonce un poignard dans le cœur. 8 b
mètre profil métrique : 8
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