Métrique en Ligne
CHE_1/CHE78
André de CHÉNIER
ŒUVRES POÉTIQUES
tome I
1790
POÈMES
Hermes
PREMIER CHANT
.............................................................................
C'EST là qu'admis au fond d'un antique mystère, 6+6 a
L'œil pense avec effroi voir la nature mère, 6+6 a
Dans les convulsions d'un douloureux tourment, 6+6 b
S'agiter sous l'effort d'un long enfantement. 6+6 b
DEUXIÈME CHANT
5 Ridés, le front blanchi, dans notre tête antique 6+6 a
S'éteindra cette flamme ardente et poétique, 6+6 a
Qui, féconde et rapide en un jeune cerveau, 6+6 b
Y peint de l'univers un mobile tableau ; 6+6 b
Et par qui tout à coup le poète indomptable 6+6 a
10 Sort, quitte ses amis, et les jeux, et la table, 6+6 a
S'enferme, et, sous le dieu qui le vient oppresser, 6+6 b
Seul, chez lui, s'interroge, et s'écoute penser. 6+6 b
Les Causes
Ainsi, dans les sentiers d'une forêt naissante, 6+6 a
A grands cris élancée, une meute pressante, 6+6 a
15 Aux vestiges connus dans les zéphyrs errants, 6+6 b
D'un agile chevreuil suit les pas odorants. 6+6 b
L'animal, pour tromper leur course suspendue, 6+6 a
Bondit, s'écarte, fuit ; et la trace est perdue. 6+6 a
Furieux, de ses pas cachés dans ces déserts, 6+6 b
20 Leur narine inquiète interroge les airs, 6+6 b
Par qui bientôt frappés de sa trace nouvelle 6+6 a
Ils volent à grands cris sur sa route fidèle. 6+6 a
La Religion
.............................................................................
De son horrible aspect menaçait les humains. 6+6
Un Grec fut le premier dont l'audace affermie 6+6 b
25 Leva des yeux mortels sur l'idole ennemie. 6+6 b
Rien ne put l'étonner. Et ces dieux tout-puissants, 6+6 a
Cet Olympe, ces feux et ces bruits menaçants 6+6 a
Irritaient son courage à rompre la barrière 6+6 b
Où, sous d'épais remparts, obscure et prisonnière, 6+6 b
30 La nature en silence étouffait sa clarté. 6+6 a
Ivre d'un feu vainqueur, son génie indompté, 6+6 a
Loin des murs enflammés qui renferment le monde, 6+6 b
Perça tous les sentiers de cette nuit profonde, 6+6 b
Et de l'immensité parcourut les déserts ; 6+6 a
35 Il nous dit quelles lois gouvernent l'univers, 6+6 a
Ce qui vit, ce qui meurt, et ce qui ne peut être. 6+6 b
La religion tombe et nous sommes sans maître ; 6+6 b
Sous nos pieds à son tour elle expire ; et les cieux 6+6 a
Ne feront plus courber nos fronts victorieux. 6+6 a
Le Mariage
.............................................................................
40 Et quand sa faim vorace, au pied d'un chêne antique, 6+6
Avait su du vil gland tombé de ses rameaux 6+6 b
Disputer la pâture aux plus vils animaux, 6+6 b
Un besoin plus terrible, une faim plus brûlante, 6+6 a
Livrait à ses efforts une esclave tremblante 6+6 a
45 Qui, bientôt de ses bras chassée avec horreur, 6+6 b
Allait d'un nouveau maître assouvir la fureur. 6+6 b
Mais sitôt que Cérés par des lois salutaires 6+6 a
Des humains réunis fit un peuple de frères, 6+6 a
Alors ................................................................................
50 Une foi mutuelle unit les hyménées. 6+6
TROISIÈME CHANT
Morale
Il croit (aveugle erreur !) que de l'ingratitude 6+6 b
Un peuple tout entier peut se faire une étude, 6+6 b
L'établir pour son culte, et de dieux bienfaisants 6+6 a
Blasphémer de concert les augustes présents. 6+6 a
Législation
55 Descends, œil éternel, tout clarté, tout lumière ! 6+6 b
Viens luire dans mon âme, éclairer sa paupière, 6+6 b
Pénétrer avec lui dans le cœur des humains ; 6+6 a
De ce grand labyrinthe ouvre-lui les chemins. 6+6 a
Qu'il aille interroger ses plus sombres retraites, 6+6 b
60 Voir de tous leurs pensers les racines secrètes. 6+6 b
Fais, de leurs passions, à ses doctes efforts, 6+6 a
Tenter, étudier, compter tous les ressorts. 6+6 a
Qu'un charme, en ses discours, flatte, entraîne, ravisse. 6+6 b
Fais régner sur leurs cœurs sa voix législatrice, 6+6 b
65 Pour qu'il les puisse instruire à vivre plus heureux ; 6+6 a
Les unir de liens qui semblent nés pour eux ; 6+6 a
Étayer leur faiblesse et diriger leur force ; 6+6 b
De l'honnête et du beau leur présenter l'amorce. 6+6 b
Car si pour magistrats les lois ont des bourreaux, 6+6 a
70 Si leur siège sanglant est sur des échafauds, 6+6 a
La crainte sur les cœurs n'a qu'un pouvoir fragile. 6+6 b
Et qu'espérer de grand chez un peuple servile, 6+6 b
Lâche, à se mépriser en naissant façonné, 6+6 a
Avili par ses lois dès l'instant qu'il est né ? 6+6 a
75 Par ses lois ! Le poison que son trépas va suivre, 6+6 b
Infecte l'aliment qui dût le faire vivre. 6+6 b
Toujours un grand supplice en amène un plus grand. 6+6 a
Plus la loi fait d'efforts, plus son pouvoir mourant 6+6 a
S'éteint. L'empire fuit dès que Thémis farouche 6+6 b
80 N'a que flammes, gibets, tortures à la bouche. 6+6 b
Elle lutte, on résiste. Et ce fatal combat 6+6 a
Use l'âme du peuple et les nœuds de l'État. 6+6 a
Sous une loi de sang un peuple est sanguinaire. 6+6 b
Quand d'un crime léger la mort est le salaire, 6+6 b
85 Tout grand, forfait est sûr. Débile à se venger, 6+6 a
La loi ne prévient plus même un crime léger. 6+6 a
La balance est en nous. Le pouvoir d'un caprice 6+6 b
N'a point fondé les droits, la raison, la justice : 6+6 b
Ils sont nés avec l'homme et ses premiers liens. 6+6 a
90 Tel crime nuit aux mœurs, aux droits des citoyens, 6+6 a
Trouble la paix publique, outrage la nature ; 6+6 b
A ce modèle inné que la loi les mesure : 6+6 b
Que le coupable ingrat soit exclus de jouir 6+6 a
Des mêmes biens communs qu'il osait envahir ; 6+6 a
95 Qu'à tous les yeux, aux siens, par une loi certaine 6+6 b
La nature du crime en indique la peine. 6+6 b
Clairvoyantes alors, les lois dans le danger 6+6 a
N'apportent point au mal le remède étranger. 6+6 a
La peine, du forfait compagne involontaire, 6+6 b
100 N'est qu'un juste équilibre, un talion sévère 6+6 b
Que n'épouvante point le scélérat puissant, 6+6 a
Que n'ensanglante point la mort de l'innocent. 6+6 a
La loi, dans les esprits, se glisse, s'insinue, 6+6 b
Les fait penser comme elle et fascine la vue. 6+6 b
105 Ce qu'elle dit supplice est supplice tout prêt ; 6+6 a
Ce qu'elle nomme un prix est un prix en effet. 6+6 a
Je veux qu'aux citoyens, la justice vengée, 6+6 b
L'honneur d'avoir bien fait, la patrie obligée, 6+6 b
Les regards du sénat, des enfants, des aïeux, 6+6 a
110 Soient un triomphe cher qui les élève aux cieux. 6+6 a
Je veux que leur bourreau soit la honte ennemie ; 6+6 b
Leurs peines, le mépris ; le blâme, l'infamie ; 6+6 b
Que l'arbre, le rocher, le ciel, les éléments, 6+6 a
Appelés à témoin de la foi des serments, 6+6 a
115 Soient les juges secrets qui, dans l'âme parjure, 6+6 b
Portent d'un long tourment l'implacable morsure. 6+6 b
Mais cet état surtout porte empreint sur le front 6+6 a
Du père' de ses lois l'esprit vaste et profond, 6+6 a
Où par intérêt même on devient magnanime ; 6+6 b
120 Où la misère marche à la suite du crime ; 6+6 b
Où par la faim, la soif, le vice est combattu ; 6+6 a
Où l'on ne vit heureux qu'à force de vertu. 6+6 a
Politique
.............................................................................
.............................................................................
Chassez de vos autels, juges vains et frivoles, 6+6 b
Ces héros conquérants, meurtrières idoles ; 6+6 b
125 Tous ces grands noms, enfants des crimes, des malheurs, 6+6 a
De massacres fumants, teints de sang et de pleurs. 6+6 a
Venez tomber aux pieds de plus nobles images : 6+6 b
Voyez ces hommes saints, ces sublimes courages, 6+6 b
Héros dont les vertus, les travaux bienfaisants, 6+6 a
130 Ont éclairé la terre et mérité l'encens ; 6+6 a
Qui, dépouillés d'eux-même et vivant pour leurs frères, 6+6 b
Les ont soumis au frein des règles salutaires, 6+6 b
Au joug de leur bonheur, les ont faits citoyens ; 6+6 a
En leur donnant des lois leur ont donné des biens, 6+6 a
135 Des forces, des parents, la liberté, la vie ; 6+6 b
Enfin qui d'un pays ont fait une patrie. 6+6 b
Et que de fois pourtant leurs frères envieux 6+6 a
Ont d'affronts insensés, de mépris odieux, 6+6 a
Accueilli les bienfaits de ces illustres guides, 6+6 b
140 Comme dans leurs maisons ces animaux stupides 6+6 b
Dont la dent méfiante ose outrager la main 6+6 a
Qui se tendait vers eux pour apaiser leur faim ! 6+6 a
Mais n'importe ; un grand homme au milieu des supplices 6+6 b
Goûte de la vertu les augustes délices. 6+6 b
145 Il le sait : les humains sont injustes, ingrats. 6+6 a
Que leurs yeux un moment ne le connaissent pas ; 6+6 a
Qu'un jour entre eux et lui s'élève avec murmure 6+6 b
D'insectes ennemis une nuée obscure ; 6+6 b
N'importe, il les instruit, il les aime pour eux. 6+6 a
150 Même ingrats, il est doux d'avoir fait des heureux. 6+6 a
Il sait que leur vertu, leur bonté, leur prudence, 6+6 b
Doit être son ouvrage et non sa récompense, 6+6 b
Et que leur repentir, pleurant sur son tombeau, 6+6 a
De ses soins, de sa vie est un prix assez beau. 6+6 a
155 Au loin dans l'avenir sa grande âme contemple 6+6 b
Les sages opprimés que soutient son exemple ; 6+6 b
Des méchants dans soi-même il brave la noirceur : 6+6 a
C'est là qu'il sait les fuir ; son asile est son cœur. 6+6 a
De ce faîte serein, son Olympe sublime, 6+6 b
160 Il voit, juge, connaît. Un démon magnanime 6+6 b
Agite ses pensers, vit dans son cœur brûlant, 6+6 a
Travaille son sommeil actif et vigilant, 6+6 a
Arrache au long repos sa nuit laborieuse, 6+6 b
Allume avant le jour sa lampe studieuse, 6+6 b
165 Lui montre un peuple entier, par ses nobles bienfaits, 6+6 a
Indompté dans la guerre, opulent dans la paix, 6+6 a
Son beau nom remplissant leur cœur et leur histoire, 6+6 b
Les siècles prosternés au pied de sa mémoire. 6+6 b
Par ses sueurs bientôt l'édifice s'accroît. 6+6 a
170 En vain l'esprit du peuple est rampant, est étroit, 6+6 a
En vain le seul présent les frappe et les entraîne, 6+6 b
En vain leur raison faible et leur vue incertaine 6+6 b
Ne peut de ses regards suivre les profondeurs, 6+6 a
De sa raison céleste atteindre les hauteurs ; 6+6 a
175 Il appelle les dieux à son conseil suprême. 6+6 b
Ses décrets, confiés à la voix des dieux même, 6+6 b
Entraînent sans convaincre, et le monde ébloui 6+6 a
Pense adorer les dieux en n'adorant que lui. 6+6 a
Il fait honneur aux dieux de son divin ouvrage. 6+6 b
180 C'est alors qu'il a vu tantôt à son passage 6+6 b
Un buisson enflammé recéler l'Éternel ; 6+6 a
C'est alors qu'il rapporte, en un jour solennel, 6+6 a
De la montagne ardente et du sein du tonnerre, 6+6 b
La voix de Dieu lui-même écrite sur la pierre ; 6+6 b
185 Ou c'est alors qu'au fond de ses augustes bois 6+6 a
Une nymphe l'appelle et lui trace des lois, 6+6 a
Et qu'un oiseau divin, messager de miracles, 6+6 b
A son oreille vient lui dicter des oracles. 6+6 b
Tout agit pour lui seul, et la tempête et l'air, 6+6 a
190 Et le cri des forêts, et la foudre et l'éclair ; 6+6 a
Tout. Il prend à témoin le monde et la nature ; 6+6 b
Mensonge grand et saint ! glorieuse imposture, 6+6 b
Quand au peuple trompé ce piège généreux 6+6 a
Lui rend sacré le joug qui doit le rendre heureux ! 6+6 a
195 Le fisc insatiable engloutit les fortunes ; 6+6
Les lois ..............................................................................
Leurs décrets sont la toile où l'avide Arachné 6+6 b
Arrête un faible insecte au passage enchaîné. 6+6 b
Un insecte plus fort, bravant son stratagème, 6+6 a
200 Vole, brise sa trame, et l'emporte elle-même. 6+6 a
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Tels des insectes vils, la nuit, sortent sans nombre 6+6 b
Des retraites du bois d'un lit muet et sombre, 6+6 b
Et sur l'homme endormi, sur ses bras, sur son flanc, 6+6 a
Rampent, courent en foule, et lui sucent le sang. 6+6 a
205 Puis, s'il eût ajouté : « Tu vois tous ces secrets 6+6 b
Que toi-même étais né pour ne savoir jamais ; 6+6 b
Un jour tout ce qu'ici ma voix vient de te dire, 6+6 a
D'eux-mêmes, sans qu'un dieu soit venu les instruire. 6+6 a
Tes pareils le sauront. Tes pareils, les humains 6+6 b
210 Trouveront jusque-là d'infaillibles chemins. 6+6 b
Ces astres que tu vois épars dans l'étendue, 6+6 a
Ces immenses soleils si petits à ta vue, 6+6 a
Ils sauront leur grandeur, leurs immuables lois, 6+6 b
Mesurer leur distance, et leur cours, et leur poids ; 6+6 b
215 Ils traceront leur forme, ils en feront l'histoire ; » 6+6 a
Jamais, je vous le jure, il ne l'eût voulu croire. 6+6 a
Invention des Sciences
.............................................................................
Avant que des États la base fût constante, 6+6
Avant que de pouvoir, à pas mieux assurés, 6+6 b
Des sciences, des arts monter quelques degrés, 6+6 b
220 Du temps et du besoin l'inévitable empire 6+6 a
Dut avoir aux humains enseigné l'art d'écrire. 6+6 a
D'autres arts l'ont poli ; mais aux arts, le premier, 6+6 b
Lui seul des vrais succès peut ouvrir le sentier. 6+6 b
Sur la feuille d'Égypte ou sur la peau ductile, 6+6 a
225 Même un jour sur le dos d'un albâtre docile, 6+6 a
Au fond des eaux formé des dépouilles du lin, 6+6 b
Une main éloquente, avec cet art divin, 6+6 b
Tient, fait voir l'invisible et rapide pensée, 6+6 a
L'abstraite intelligence et palpable et tracée ; 6+6 a
230 Peint des sons à nos yeux, et transmet à la fois 6+6 b
Une voix aux couleurs, des couleurs à la voix. 6+6 b
Quand des premiers traités la fraternelle chaîne 6+6 a
Commença d'approcher, d'unir la race humaine, 6+6 a
La terre et de hauts monts, des fleuves, des forêts, 6+6 b
235 Des contrats attestés garants sûrs et muets, 6+6 b
Lurent le livre auguste et les lettres sacrées 6+6 a
Qui faisaient lire aux yeux les promesses jurées. 6+6 a
Dans la suite peut-être ils voulurent sur soi 6+6 b
L'un de l'autre emporter la parole et la foi ; 6+6 b
240 Ils surent donc, broyant de liquides matières, 6+6 a
L'un sur l'autre imprimer leurs images grossières, 6+6 a
Ou celle du témoin, homme, plante ou rocher, 6+6 b
Qui vit jurer leur bouche et leurs mains se toucher. 6+6 b
De là dans l'Orient ces colonnes savantes, 6+6 a
245 Rois, prêtres, animaux peints en scènes vivantes, 6+6 a
De la religion ténébreux monuments, 6+6 b
Pour les sages futurs laborieux tourments, 6+6 b
Archives de l'État, où les mains politiques 6+6 a
Traçaient en longs tableaux les annales publiques. 6+6 a
250 De là, dans un amas d'emblèmes captieux, 6+6 b
Pour le peuple ignorant monstre religieux, 6+6 b
Des membres ennemis vont composer ensemble 6+6 a
Un seul tout, étonné du nœud qui les rassemble ; 6+6 a
Un corps de femme au front d'un aigle enfant des airs 6+6 b
255 Joint l'écaille et les flancs d'un habitant des mers. 6+6 b
Cet art simple et grossier nous a suffi peut-être 6+6 a
Tant que tous nos discours n'ont su voir ni connaître 6+6 a
Que les objets présents dans la nature épars, 6+6 b
Et que tout notre esprit était dans nos regards. 6+6 b
260 Mais on vit, quand vers l'homme on apprit à descendre, 6+6 a
Quand il fallut fixer, nommer, écrire, entendre 6+6 a
Du cœur, des passions les plus secrets détours, 6+6 b
Les espaces du temps ou plus longs ou plus courts, 6+6 b
Quel cercle étroit bornait cette antique écriture. 6+6 a
265 Plus on y mit de soins, plus, incertaine, obscure, 6+6 a
Du sens confus et vague elle épaissit la nuit. 6+6 b
Quelque peuple à la fin, par le travail instruit, 6+6 b
Compte combien de mots l'héréditaire usage 6+6 a
A transmis jusqu'à lui pour former un langage. 6+6 a
270 Pour chacun de ces mots un signe est inventé, 6+6 b
Et la main qui l'entend des lèvres répété 6+6 b
Se souvient d'en tracer cette image fidèle ; 6+6 a
Et sitôt qu'une idée inconnue et nouvelle 6+6 a
Grossit d'un nouveau mot ces mots déjà nombreux, 6+6 b
275 Un nouveau signe accourt s'enrôler avec eux. 6+6 b
C'est alors, sur des pas si faciles à suivre, 6+6 a
Que l'esprit des humains est assuré de vivre. 6+6 a
C'est alors que le fer, à la pierre, aux métaux, 6+6 b
Livre, en dépôt sacré pour les âges nouveaux, 6+6 b
280 Nos âmes et nos mœurs fidèlement gardées, 6+6 a
Et l'œil sait reconnaître une forme aux idées. 6+6 a
Dès lors des grands aïeux les travaux, les vertus 6+6 b
Ne sont point pour leurs fils des exemples perdus. 6+6 b
Le passé du présent est l'arbitre et le père, 6+6 a
285 Le conduit par la main, l'encourage, l'éclaire. 6+6 a
Les aïeux, les enfants, les arrière-neveux, 6+6 b
Tous sont du même temps, ils ont les mêmes vœux. 6+6 b
La patrie, au milieu des embûches, des traîtres, 6+6 a
Remonte en sa mémoire, a recours aux ancêtres, 6+6 a
290 Cherche ce qu'ils feraient en un danger pareil) 6+6 b
Et des siècles vieillis assemble le conseil. 6+6 b
La terre est son domaine et, possesseur ardent, 6+6 a
Il court, juge, voit tout comme le fils prudent 6+6 a
Qui va de ses aïeux visiter l'héritage, 6+6 b
295 Et parcourt tous les biens laissés pour son partage. 6+6 b
Système du monde
Mais ces soleils assis dans leur centre brûlant, 6+6 a
Et chacun roi d'un monde autour de lui roulant, 6+6 a
Ne gardent point eux-même une immobile place. 6+6 b
Chacun avec son monde emporté dans l'espace, 6+6 b
300 Ils cheminent eux-même : un invincible poids 6+6 a
Les courbe sous le joug d'irrésistibles lois, 6+6 a
Dont le pouvoir sacré, nécessaire, inflexible, 6+6 b
Leur fait poursuivre à tous un centre irrésistible. 6+6 b
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L'océan éternel où bouillonne la vie. 6+6
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305 Ainsi, quand de l'Euxin la déesse étonnée 6+6 a
Vit du premier vaisseau son onde sillonnée, 6+6 a
Aux héros de la Grèce, à Colchos appelés, 6+6 b
Orphée expédiait les mystères sacrés 6+6 b
Dont sa mère immortelle avait daigné l'instruire. 6+6 a
310 Près de la poupe assis, appuyé sur sa lyre, 6+6 a
Il chantait quelles lois à ce vaste univers 6+6 b
Impriment à la fois des mouvements divers ; 6+6 b
Quelle puissance entraîne ou fixe les étoiles ; 6+6 a
D'où le souffle des vents vient animer les voiles ; 6+6 a
315 Dans l'ombre de la nuit quels célestes flambeaux 6+6 b
Sur l'aveugle Amphitrite éclairent les vaisseaux. 6+6 b
Ardents à recueillir ces merveilles utiles, 6+6 a
Autour du demi-dieu les princes immobiles 6+6 a
Aux accents de sa voix demeuraient suspendus, 6+6 b
320 Et l'écoutaient encor quand il ne chantait plus. 6+6 b
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Dans nos vastes cités, par le sort partagés, 6+6 a
Sous deux injustes lois les hommes sont rangés : 6+6 a
Les uns, princes et grands, d'une avide opulence 6+6 b
Étalent sans pudeur la barbare insolence ; 6+6 b
325 Les autres, sans pudeur, vils clients de ces grands, 6+6 a
Vont ramper sous les murs qui cachent leurs tyrans, 6+6 a
Admirer ces palais aux colonnes hautaines 6+6 b
Dont eux-même ont payé les splendeurs inhumaines, 6+6 b
Qu'eux-même ont arrachés aux entrailles des monts, 6+6 a
330 Et tout trempés encor des sueurs de leurs fronts. 6+6 a
Moi, je me plus toujours, client de la nature, 6+6 b
A voir son opulence et bienfaisante et pure, 6+6 b
Cherchant loin de nos murs les temples, les palais 6+6 a
Où la Divinité me révèle ses traits, 6+6 a
335 Ces monts, vainqueurs sacrés des fureurs du tonnerre, 6+6 b
Ces chênes, ces sapins, premiers-nés de la terre ; 6+6 b
Les pleurs des malheureux n'ont point teint ces lambris. 6+6 a
D'un feu religieux le saint poète épris 6+6 a
Cherche leur pur éther et plane sur leur cime. 6+6 b
340 Mer bruyante, la voix du poète sublime 6+6 b
Lutte contre les vents, et tes flots agités 6+6 a
Sont moins forts, moins puissants que ses vers indomptés. 6+6 a
A l'aspect du volcan, aux astres élancée, 6+6 b
Luit, vole avec l'Etna, la bouillante pensée. 6+6 b
345 Heureux qui sait aimer ce trouble auguste et grand : 6+6 a
Seul, il rêve en silence à la voix du torrent 6+6 a
Qui le long des rochers se précipite et tonne ; 6+6 b
Son esprit en torrent et s'élance et bouillonne. 6+6 b
Là, je vais dans mon sein méditant à loisir 6+6 a
350 Des chants à faire entendre aux siècles à venir ; 6+6 a
Là, dans la nuit des cœurs qu'osa sonder Homère, 6+6 b
Cet aveugle divin et me guide et m'éclaire. 6+6 b
Souvent mon vol, armé des ailes de Buffon, 6+6 a
Franchit avec Lucrèce, au flambeau de Newton, 6+6 a
355 La ceinture d'azur sur le globe étendue. 6+6 b
Je vois l'être et la vie et leur source inconnue, 6+6 b
Dans les fleuves d'éther tous les mondes roulants 6+6 a
Je poursuis la comète aux crins étincelants, 6+6 a
Les astres et leurs poids, leurs formes, leurs distances. 6+6 b
360 Je voyage avec eux dans leurs cercles immenses. 6+6 b
Comme eux, astre, soudain je m'entoure de feux ; 6+6 a
Dans l'éternel concert je me place avec eux : 6+6 a
En moi leurs doubles lois agissent et respirent ; 6+6 b
Je sens tendre vers eux mon globe qu'ils attirent. 6+6 b
365 Sur moi qui les attire ils pèsent à leur tour. 6+6 a
Les éléments divers, leur haine, leur amour, 6+6 a
Les causes, l'infini s'ouvre à mon œil avide. 6+6 b
Bientôt redescendu sur notre fange humide, 6+6 b
J'y rapporte des vers de nature enflammés, 6+6 a
370 Aux purs rayons des dieux dans ma course allumés. 6+6 a
Écoutez donc ces chants d'Hermès dépositaires, 6+6 b
Où l'homme antique, errant dans ses routes premières, 6+6 b
Fait revivre à vos yeux l'empreinte de ses pas. 6+6 a
Mais dans peu, m'élançant aux armes, aux combats, 6+6 a
375 Je dirai l'Amérique à l'Europe montrée ; 6+6 b
J'irai dans cette riche et sauvage contrée 6+6 b
Soumettre au Mançanar le vaste Maranon. 6+6 a
Plus loin dans l'avenir je porterai mon nom, 6+6 a
Celui de cette Europe en grands exploits féconde, 6+6 b
380 Que nos jours ne sont loin des premiers jours du monde. 6+6 b
O mon fils, mon Hermès, ma plus belle espérance, 6+6 a
O fruit des longs travaux de ma persévérance, 6+6 a
Toi, l'objet le plus cher des veilles de dix ans, 6+6 b
Qui m'as coûté des soins et si doux et si lents ; 6+6 b
385 Confident de ma joie et remède à mes peines ; 6+6 a
Sur les lointaines mers, sur les terres lointaines, 6+6 a
Compagnon bien-aimé de mes pas incertains, 6+6 b
O mon fils, aujourd'hui quels seront tes destins ? 6+6 b
Une mère longtemps se cache ses alarmes : 6+6 a
390 Elle-même à son fils veut attacher ses armes ; 6+6 a
Mais quand il faut partir, ses bras, ses faibles bras 6+6 b
Ne peuvent sans terreur l'envoyer aux combats. 6+6 b
Dans la France, pour toi, que faut-il que j'espère ? 6+6 a
Jadis, enfant chéri, dans la maison d'un père 6+6 a
395 Qui te regardait naître et grandir sous ses yeux, 6+6 b
Tu pouvais, sans péril, disciple curieux, 6+6 b
Sur tout ce qui frappait ton enfance attentive 6+6 a
Donner un libre essor à ta langue naïve. 6+6 a
Plus de père aujourd'hui ! le mensonge est puissant ; 6+6 b
400 Il règne. Dans ses mains luit un fer menaçant. 6+6 b
De la vérité sainte il déteste l'approche. 6+6 a
Il craint que son regard ne lui fasse un reproche ; 6+6 a
Que ses traits, sa candeur, sa voix, son souvenir, 6+6 b
Tout mensonge qu'il est, ne le fassent pâlir. 6+6 b
405 Mais la vérité seule est une, est éternelle. 6+6 a
Le mensonge varie ; et l'homme, trop fidèle, 6+6 a
Change avec lui : pour lui les humains sont constants 6+6 b
Et roulent de mensonge en mensonge flottants. 6+6 b
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Perdu, n'existant plus qu'en un docte cerveau, 6+6 a
410 Le français ne sera dans ce monde nouveau 6+6 a
Qu'une écriture antique et non plus un langage. 6+6 b
O, si tu vis encore, alors peut-être un sage 6+6 b
Près d'une lampe assis, dans l'étude plongé, 6+6 a
Te retrouvant poudreux, obscur, demi-rongé, 6+6 a
415 Voudra creuser le sens de tes lignes pensantes. 6+6 b
Il verra si, du moins, tes feuilles innocentes 6+6 b
Méritaient ces rumeurs, ces tempêtes, ces cris, 6+6 a
Qui vont sur toi sans doute éclater dans Paris. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 205((aa))
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