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CHE_1/CHE2
André de CHÉNIER
ŒUVRES POÉTIQUES
tome I
1790
POÉSIES ANTIQUES ‒ ÉTUDES
II
Le Mendiant
C'était quand le printemps a reverdi les prés. 6+6 a
La fille de Lycus, vierge aux cheveux dorés, 6+6 a
Sous les monts Achéens, non loin de Cérynée, 6+6 b
.............................................................................
.............................................................................
Errait à l'ombre, aux bords du faible et pur Crathis ; 6+6
5 Car les eaux du Crathis, sous des berceaux de frêne, 6+6 c
Entouraient de Lycus le fertile domaine. 6+6 c
............................ Soudain, à l'autre bord, d
Du fond d'un bois épais, un noir fantôme sort 6+6 d
Tout pâle, demi-nu, la barbe hérissée : 6+6 b
10 Il remuait à peine une lèvre glacée, 6+6 b
Des hommes et des dieux implorait le secours, 6+6 f
Et dans la forêt sombre errait depuis deux jours. 6+6 f
Il se traîne, il n'attend qu'une mort douloureuse ; 6+6 g
Il succombe. L'enfant, interdite et peureuse, 6+6 g
15 A ce hideux aspect sorti du fond des bois, 6+6 h
Veut fuir ; mais elle entend sa lamentable voix. 6+6 h
Il tend les bras, il tombe à genoux ; il lui crie 6+6 j
Qu'au nom de tous les dieux il la conjure, il prie, 6+6 j
Et qu'il n'est point à craindre, et qu'une ardente faim 6+6 k
20 L'aiguillonne et le tue, et qu'il expire enfin. 6+6 k
« Si, comme je le crois, belle dès ton enfance, 6+6 l
C'est le dieu de ces eaux qui t'a donné naissance, 6+6 l
Nymphe, souvent les vœux des malheureux humains 6+6 m
Ouvrent des immortels les bienfaisantes mains. 6+6 m
25 Ou si c'est quelque front porteur d'une couronne 6+6 n
Qui te nomme sa fille et te destine au trône, 6+6 n
Souviens-toi, jeune enfant, que le ciel quelquefois 6+6 h
Venge les opprimés sur la tête des rois. 6+6 h
Belle vierge, sans doute enfant d'une déesse, 6+6 p
30 Crains de laisser périr l'étranger en détresse : 6+6 p
L'étranger qui supplie est envoyé des dieux. » 6+6 q
Elle reste. A le voir elle enhardit ses yeux, 6+6 q
............................ et d'une voix encore r
Tremblante : « Ami, le ciel écoute qui l'implore. 6+6 r
35 Mais ce soir, quand la nuit descend sur l'horizon, 6+6 s
Passe le pont mobile, entre dans la maison ; 6+6 s
J'aurai soin qu'on te laisse entrer sans méfiance. 6+6 l
Pour la douzième fois célébrant ma naissance, 6+6 l
Mon père doit donner une fête aujourd'hui. 6+6 t
40 Il m'aime, il n'a que moi ; viens t'adresser à lui, 6+6 t
C'est le riche Lycus. Viens ce soir ; il est tendre, 6+6 u
Il est humain : il pleure aux pleurs qu'il voit répandre. » 6+6 u
Elle achève ces mots, et, le cœur palpitant, 6+6 v
S'enfuit ; car l'étranger sur elle, en l'écoutant, 6+6 v
45 Fixait de ses yeux creux l'attention avide. 6+6 w
Elle rentre, cherchant dans le palais splendide 6+6 w
L'esclave près de qui toujours ses jeunes ans 6+6 x
Trouvent un doux accueil et des soins complaisants. 6+6 x
Cette sage affranchie avait nourri sa mère ; 6+6 y
50 Maintenant sous des lois de vigilance austère, 6+6 y
Elle et son vieil époux, au devoir rigoureux, 6+6 q
Rangent des serviteurs le cortège nombreux. 6+6 q
Elle la voit de loin dans le fond du portique, 6+6 z
Court, et, posant ses mains sur ce visage antique : 6+6 z
55 « Indulgente nourrice, écoute : il faut de toi 6+6 a
Que j'obtienne un grand bien. Ma mère, écoute-moi : 6+6 a
Un pauvre, un étranger, dans la misère extrême, 6+6 b
Gémit sur l'autre bord, mourant, affamé, blême 6+6 b
Ne me décèle point. De mon père aujourd'hui 6+6 t
60 J'ai promis qu'il pourrait solliciter l'appui. 6+6 t
Fais qu'il entre ; et surtout, ô mère de ma mère ! 6+6 y
Garde que nul mortel n'insulte à sa misère. 6+6 y
« — Oui, ma fille ; chacun fera ce que tu veux, 6+6 q
Dit l'esclave en baisant son front et ses cheveux : 6+6 q
65 Oui, qu'à ton protégé ta fête soit ouverte. 6+6 c
Ta mère, mon élève (inestimable perte !) 6+6 c
Aimait à soulager les faibles abattus : 6+6 d
Tu lui ressembleras autant par tes vertus 6+6 d
Que par tes yeux si doux et tes grâces naïves. » 6+6 e
70 Mais cependant la nuit assemble les convives : 6+6 e
En habits somptueux, d'essences parfumés, 6+6 a
Ils entrent. Aux lambris d'ivoire et d'or formés 6+6 a
Pend le lin d'Ionie en brillantes courtines ; 6+6 f
Le toit s'égaye et rit de mille odeurs divines. 6+6 f
75 La table au loin circule, et d'apprêts savoureux 6+6 q
Se charge. L'encens vole en longs flots vaporeux ; 6+6 q
Sur leurs bases d'argent, des formes animées 6+6 g
Élèvent dans leurs mains des torches enflammées ; 6+6 g
Les figures, l'onyx, le cristal, les métaux 6+6 h
80 En vases hérissés d'hommes ou d'animaux, 6+6 h
Partout, sur les buffets, sur la table, étincellent ; 6+6 i
Plus d'une lyre est prête ; et partout s'amoncellent 6+6 i
Et les rameaux de myrte et les bouquets de fleurs. 6+6 j
On s'étend sur les lits teints de mille couleurs ; 6+6 j
85 Près de Lycus, sa fille, idole de la fête, 6+6 k
Est admise. La rose a couronné sa tête. 6+6 k
Mais, pour que la décence impose un juste frein, 6+6 k
Lui-même est par eux tous élu roi du festin. 6+6 k
Et déjà vins, chansons, joie, entretiens sans nombre, 6+6 l
90 Lorsque, la double porte ouverte, un spectre sombre 6+6 l
Entre, cherchant des yeux l'autel hospitalier. 6+6 m
La jeune enfant rougit. Il court vers le foyer ; 6+6 m
Il embrasse l'autel, s'assied parmi la cendre ; 6+6 u
Et tous, l'œil étonné, se taisent pour l'entendre. 6+6 u
95 « Lycus, fis d'Événon, que les dieux et le temps 6+6 x
N'osent jamais troubler tes destins éclatants ! 6+6 x
Ta pourpre, tes trésors, ton front noble et tranquille, 6+6 n
Semblent d'un roi puissant, l'idole de sa ville. 6+6 n
A ton riche banquet un peuple convié 6+6 m
100 T'honore comme un dieu de l'Olympe envoyé. 6+6 m
Regarde un étranger qui meurt dans la poussière, 6+6 y
Si tu ne tends vers lui la main hospitalière. 6+6 y
Inconnu, j'ai franchi le seuil de ton palais ; 6+6 o
Trop de pudeur peut nuire à qui vit de bienfaits. 6+6 o
105 Lycus, par Jupiter, par ta fille innocente 6+6 p
Qui m'a seule indiqué ta porte bienfaisante !… 6+6 p
Je fus riche autrefois : mon banquet opulent 6+6 v
N'a jamais repoussé l'étranger suppliant. 6+6 v
Et pourtant aujourd'hui la faim est mon partage, 6+6 q
110 La faim qui flétrit l'âme autant que le visage, 6+6 q
Par qui l'homme souvent, importun, odieux, 6+6 q
Est contraint de rougir et de baisser les yeux ! 6+6 q
« — Étranger, tu dis vrai, le hasard téméraire 6+6 y
Des bons ou des méchants fait le destin prospère. 6+6 y
115 Mais sois mon hôte. Ici l'on hait plus que l'enfer 6+6 r
Le public ennemi, le riche au cœur de fer, 6+6 r
Enfant de Némésis, dont le dédain barbare 6+6 s
Aux besoins des mortels ferme son cœur avare. 6+6 s
Je rends grâce à l'enfant qui t'a conduit ici. 6+6 t
120 Ma fille, c'est bien fait ; poursuis toujours ainsi ! 6+6 t
Respecter l'indigence est un devoir suprême. 6+6 b
Souvent les immortels (et Jupiter lui-même) 6+6 b
Sous des haillons poudreux, de seuil en seuil traînés, 6+6 a
Viennent tenter le cœur des humains fortunés. » 6+6 a
125 D'accueil et de faveur un murmure s'élève. 6+6 t
Lycus descend, accourt, tend la main, le relève : 6+6 t
« Salut, père étranger ; et que puissent tes vœux 6+6 q
Trouver le ciel propice à tout ce que tu veux ! 6+6 q
Mon hôte, lève-toi. Tu parais noble et sage ; 6+6 q
130 Mais cesse avec ta main de cacher ton visage. 6+6 q
Souvent marchent ensemble Indigence et Vertu ; 6+6 u
Souvent d'un vil manteau le sage revêtu, 6+6 u
Seul, vit avec les dieux et brave un sort inique. 6+6 z
Couvert de chauds tissus, à l'ombre du portique, 6+6 z
135 Sur de molles toisons, en un calme sommeil, 6+6 v
Tu peux ici, dans l'ombre, attendre le soleil. 6+6 v
Je te ferai revoir tes foyers, ta patrie, 6+6 j
Tes parents, si les dieux ont épargné leur vie. 6+6 j
Car tout mortel errant nourrit un long amour 6+6 w
140 D'aller revoir le sol qui lui donna le jour. 6+6 w
Mon hôte, tu franchis le seuil de ma famille 6+6 n
A l'heure qui jadis a vu naître ma fille. 6+6 n
Salut ! Vois, l'on t'apporte et la table et le pain : 6+6 k
Sieds-toi. Tu vas d'abord rassasier ta faim. 6+6 k
145 Puis, si nulle raison ne te force au mystère, 6+6 y
Tu nous diras ton nom, ta patrie et ton père. » 6+6 y
Il retourne à sa place après que l'indigent 6+6 v
S'est assis. Sur ses mains, d'une aiguière d'argent, 6+6 v
Par une jeune esclave une eau pure est versée. 6+6 b
150 Une table de cèdre, où l'éponge est passée, 6+6 b
S'approche, et vient offrir à son avide main 6+6 k
Et les fumantes chairs sur le disque d'airain, 6+6 k
Et l'amphore vineuse, et la coupe aux deux anses. 6+6 x
« Mange et bois, dit Lycus ; oublions les souffrances, 6+6 x
155 Ami ! leur lendemain est, dit-on, un beau jour. » 6+6
.............................................................................
Bientôt Lycus se lève et fait emplir sa coupe 6+6 y
Et veut que l'échanson verse à toute la troupe : 6+6 y
« Pour boire à Jupiter, qui nous daigne envoyer 6+6 m
L'étranger devenu l'hôte de mon foyer. » 6+6 m
160 Le vin de main en main va coulant à la ronde ; 6+6 z
Lycus lui-même emplit une coupe profonde, 6+6 z
L'envoie à l'étranger. « Salut, mon hôte, bois. 6+6 h
De ta ville bientôt tu reverras les toits, 6+6 h
Fussent-ils par delà les glaces du Caucase. » 6+6 a
165 Des mains de l'échanson l'étranger prend le vase, 6+6 a
Se lève ; sur eux tous il invoque les dieux. 6+6 q
On boit ; il se rassied. Et jusque sur les yeux 6+6 q
Ses noirs cheveux toujours ombrageant son visage, 6+6 q
De sourire et de plainte il mêle son langage. 6+6 q
170 « Mon hôte, maintenant que sous tes nobles toits 6+6 h
De l'importun besoin j'ai calmé les abois, 6+6 h
Oserai-je à ma langue abandonner les rênes ? 6+6 b
Je n'ai plus ni pays, ni parents, ni domaines. 6+6 b
Mais écoute : le vin, par toi-même versé, 6+6 m
175 M'ouvre la bouche. Ainsi, puisque j'ai commencé, 6+6 m
Entends ce que peut-être il eût mieux valu taire. 6+6 y
Excuse enfin ma langue, excuse ma prière ; 6+6 y
Car du vin, tu le sais, la téméraire ardeur 6+6 c
Souvent à l'excès même enhardit la pudeur. 6+6 c
180 Meurtri de durs cailloux ou de sables arides, 6+6 d
Déchiré de buissons ou d'insectes avides, 6+6 d
D'un long jeûne flétri, d'un long chemin lassé, 6+6 m
Et de plus d'un grand fleuve en nageant traversé, 6+6 m
Je parais énervé, sans vigueur, sans courage ; 6+6 q
185 Mais je suis né robuste et n'ai point passé l'âge. 6+6 q
La force et le travail, que je n'ai point perdus, 6+6 d
Par un peu de repos me vont être rendus. 6+6 d
Emploie alors mes bras à quelques soins rustiques. 6+6 e
Je puis dresser au char tes coursiers olympiques, 6+6 e
190 Ou sous les feux du jour, courbé vers le sillon, 6+6 s
Presser deux forts taureaux du piquant aiguillon. 6+6 s
Je puis même, tournant la meule nourricière, 6+6 y
Broyer le pur froment en farine légère. 6+6 y
Je puis, la serpe en main, planter et diriger 6+6 m
195 Et le cep et la treille, espoir de ton verger. 6+6 m
Je tiendrai la faucille ou la faux recourbée, 6+6 b
Et devant mes pas l'herbe ou la moisson tombée 6+6 b
Viendra remplir ta grange en la belle saison ; 6+6 s
Afin que nul mortel ne dise en ta maison, 6+6 s
200 Me regardant d'un œil insultant et colère : 6+6 y
« O vorace étranger, qu'on nourrit à rien faire ! » 6+6 y
« — Vénérable indigent, va, nul mortel chez moi 6+6 a
N'oserait élever sa langue contre toi. 6+6 a
Tu peux ici rester, même oisif et tranquille, 6+6 n
205 Sans craindre qu'un affront ne trouble ton asile. 6+6 n
— L'indigent se méfie. — Il n'est plus de danger. 6+6 m
— L'homme est né pour souffrir. — Il est né pour changer. 6+6 m
— Il change d'infortune ! — Ami, reprends courage : 6+6 q
Toujours un vent glacé ne souffle point l'orage. 6+6 q
210 Le ciel d'un jour à l'autre est humide ou serein, 6+6 k
Et tel pleure aujourd'hui qui sourira demain. 6+6 k
« — Mon hôte, en tes discours préside la sagesse. 6+6 p
Mais quoi ! la confiante et paisible richesse 6+6 p
Parle ainsi !… L'indigent espère en vain du sort ; 6+6 e
215 En espérant toujours il arrive à la mort. 6+6 e
Dévoré de besoins, de projets, d'insomnie, 6+6 j
Il vieillit dans l'opprobre et dans l'ignominie. 6+6 j
Rebuté des humains durs, envieux, ingrats, 6+6 f
Il a recours aux dieux qui ne l'entendent pas. 6+6 f
220 Toutefois ta richesse accueille mes misères ; 6+6 g
Et puisque ton cœur s'ouvre à la voix des prières, 6+6 g
Puisqu'il sait, ménageant le faible humilié, 6+6 m
D'indulgence et d'égards tempérer la pitié, 6+6 m
S'il est des dieux du pauvre, ô Lycus ! que ta vie 6+6 j
225 Soit un objet pour tous et d'amour et d'envie ! 6+6 j
« — Je te le dis encore : espérons, étranger. 6+6 m
Que mon exemple au moins serve à t'encourager. 6+6 m
Des changements du sort j'ai fait l'expérience. 6+6 l
Toujours un même éclat n'a point à l'indigence 6+6 l
230 Fait du riche Lycus envier le destin : 6+6 k
J'ai moi-même été pauvre et j'ai tendu la main. 6+6 k
Cléotas de Larisse, en ses jardins immenses, 6+6 x
Offrit à mon travail de justes récompenses. 6+6 x
« Jeune ami, j'ai trouvé quelques vertus en toi ; 6+6 a
235 « Va, sois heureux, dit-il, et te souviens de moi. » 6+6 a
Oui, oui, je m'en souviens : Cléotas fut mon père, 6+6 y
Tu vois le fruit des dons de sa bonté prospère. 6+6 y
A tous les malheureux je rendrai désormais 6+6 o
Ce que dans mon malheur je dus à ses bienfaits. 6+6 o
240 Dieux, l'homme bienfaisant est votre cher ouvrage ; 6+6 q
Vous n'avez point ici d'autre visible image ; 6+6 q
Il porte votre empreinte, il sortit de vos mains 6+6 m
Pour vous représenter aux regards des humains. 6+6 m
Veillez sur Cléotas ! Qu'une fleur éternelle, 6+6 h
245 Fille d'une âme pure, en ses traits étincelle ; 6+6 h
Que nombre de bienfaits, ce sont là ses amours, 6+6 f
Fassent une couronne à chacun de ses jours ; 6+6 f
Et quand une mort douce et d'amis entourée 6+6 b
Recevra sans douleur sa vieillesse sacrée, 6+6 b
250 Qu'il laisse avec ses biens ses vertus pour appui 6+6 t
A des fils, s'il se peut, encor meilleurs que lui. 6+6 t
« — Hôte des malheureux, le sort inexorable 6+6 i
Ne prend point les avis de l'homme secourable. 6+6 i
Tous, par sa main de fer en aveugles poussés, 6+6 a
255 Nous vivons ; et tes vœux ne sont point exaucés. 6+6 a
Cléotas est perdu ; son injuste patrie 6+6 j
L'a privé de ses biens ; elle a proscrit sa vie. 6+6 j
De ses concitoyens dès longtemps envié, 6+6 m
De ses nombreux amis en un jour oublié, 6+6 m
260 Au lieu de ces tapis qu'avait tissus l'Euphrate, 6+6 j
Au lieu de ces festins brillants d'or et d'agate 6+6 j
Où ses hôtes, parmi les chants harmonieux, 6+6 q
Savouraient jusqu'au jour les vins délicieux, 6+6 q
Seul maintenant, sa faim, visitant les feuillages, 6+6 k
265 Dépouille les buissons de quelques fruits sauvages ; 6+6 k
Ou, chez le riche altier apportant ses douleurs, 6+6 j
Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs. 6+6 j
Errant et fugitif, de ses beaux jours de gloire 6+6 l
Gardant, pour son malheur, la pénible mémoire, 6+6 l
270 Sous les feux du midi, sous le froid des hivers, 6+6 m
Seul, d'exil en exil, de déserts en déserts, 6+6 m
Pauvre et semblable à moi, languissant et débile, 6+6 n
Sans appui qu'un bâton, sans foyer, sans asile, 6+6 n
Revêtu de ramée ou de quelques lambeaux, 6+6 h
275 Et sans que nul mortel attendri sur ses maux 6+6 h
D'un souhait de bonheur le flatte et l'encourage ; 6+6 q
Les torrents et la mer, l'aquilon et l'orage, 6+6 q
Les corbeaux, et des loups les tristes hurlements 6+6 x
Répondant seuls la nuit à ses gémissements ; 6+6 x
280 N'ayant d'autres amis que les bois solitaires, 6+6 g
D'autres consolateurs que ses larmes amères, 6+6 g
Il se traîne ; et souvent sur la pierre il s'endort 6+6 e
A la porte d'un temple, en invoquant la mort. 6+6 e
« — Que m'as-tu dit ? La foudre a tombé sur ma tête. 6+6 k
285 Dieux ! ah ! grands dieux ! partons. Plus de jeux, plus de fête, 6+6 k
Partons. Il faut vers lui trouver des chemins sûrs ; 6+6 n
Partons. Jamais sans lui je ne revois ces murs. 6+6 n
Ah ! dieux ! quand dans le vin, les festins, l'abondance, 6+6 l
Enivré des vapeurs d'une folle opulence, 6+6 l
290 Celui qui lui doit tout chante, et s'oublie, et rit, 6+6 o
Lui peut-être il expire, affamé, nu, proscrit, 6+6 o
Maudissant, comme ingrat, son vieil ami qui l'aime. 6+6 b
Parle : était-ce bien lui ? le connais-tu toi-même ? 6+6 b
En quels lieux était-il ? où portait-il ses pas ? 6+6 f
295 Il sait où vit Lycus, pourquoi ne vient-il pas ? 6+6 f
Parle : était-ce bien lui ? parle, parle, te dis-je : 6+6 p
Où l'as-tu vu ? — Mon hôte, à regret je t'afflige. 6+6 p
C'était lui, je l'ai vu ............................
.............................................................................
............................ Les douleurs de son âme q
300 Avaient changé ses traits. Ses deux fils et sa femme, 6+6 q
A Delphes, confiés au ministre du dieu, 6+6 r
Vivaient de quelques dons offerts dans le saint lieu. 6+6 r
Par des sentiers secrets fuyant l'aspect des villes, 6+6 s
On les avait suivis jusques aux Thermopyles. 6+6 s
305 Il en gardait encore un douloureux effroi. 6+6 a
Je le connais ; je fus son ami comme toi. 6+6 a
D'un même sort jaloux une même injustice 6+6 t
Nous a tous deux plongés au même précipice. 6+6 t
Il me donna jadis (ce seul bien m'est resté) 6+6 m
310 Sa marque d'alliance et d'hospitalité. 6+6 m
Vois si tu la connais. » — De surprise immobile, 6+6 n
Lycus a reconnu son propre sceau d'argile ; 6+6 n
Ce sceau, don mutuel d'immortelle amitié, 6+6 m
Jadis à Cléotas par lui-même envoyé. 6+6 m
315 Il ouvre un œil avide, et longtemps envisage 6+6 q
L'étranger. Puis enfin sa voix trouve un passage. 6+6 q
« Est-ce toi, Cléotas ? toi qu'ainsi je revoi ? 6+6 a
Tout ici t'appartient. O mon père ! est-ce toi ? 6+6 a
Je rougis que mes yeux aient pu te méconnaître. 6+6 u
320 Cléotas ! ô mon père ! ô toi qui fus mon maître, 6+6 u
Viens ; je n'ai fait ici que garder ton trésor, 6+6 v
Et ton ancien Lycus veut te servir encor ; 6+6 v
J'ai honte à ma fortune en regardant la tienne. » 6+6 c
Et, dépouillant soudain la pourpre tyrienne 6+6 c
325 Que tient sur son épaule une agrafe d'argent, 6+6 v
Il l'attache lui-même à l'auguste indigent. 6+6 v
Les convives levés l'entourent ; l'allégresse 6+6 p
Rayonne en tous les yeux. La famille s'empresse ; 6+6 p
On cherche des habits, on réchauffe le bain. 6+6 k
330 La jeune enfant approche ; il rit, lui tend la main : 6+6 k
« Car c'est toi, lui dit-il, c'est toi qui, la première, 6+6 y
Ma fille, m'as ouvert la porte hospitalière. » 6+6 y
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