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F = "e" féminin
| = césure
CHE_1/CHE22
André de CHÉNIER
ŒUVRES POÉTIQUES
tome I
1790
ÉLÉGIES ANTIQUES
VI
L'Esclave
Dire en quatre vers que, sur le rivage de telle île (la plus près de Délos),
un jeune esclave délien venait dire ceci chaque jour :
Ah ! vierge infortunée ! était-ce la douleur 6+6 a
Qui devait de ton front cueillir la jeune fleur ? 6+6 a
Mais, oh oui ! que ton cœur soit nourri d'amertume, 6+6 b
Que des pâles regrets la langueur te consume ! 6+6 b
5 Plutôt que si, crédule à de nouveaux amants, 6+6 a
Ils égaraient ta bouche en de nouveaux serments, 6+6 a
Et de vœux et d'amour enivrant ton oreille, 6+6 b
Ranimaient de ton front l'allégresse vermeille. 6+6 b
Ah dieux ! quand je péris ! quand l'absence et l'amour, 6+6 a
10 Me versent du poison sur chaque instant du jour, 6+6 a
Quand les rides d'ennui flétrissent ma jeunesse, 6+6 b
Si quelque audacieux et t'assiège et te presse, 6+6 b
Si sa main se promet de posséder ta main, 6+6 a
Si, sans voir dans tes yeux ni courroux ni dédain, 6+6 a
15 Il dit : « C'est donc aux morts que tu vis enchaînée ? 6+6 b
Vierge, un deuil solitaire est donc ton hyménée ? 6+6 b
Est-ce à toi de vieillir en des pleurs superflus ? 6+6 a
Il ne reviendra pas ; sans doute il ne vit plus ! » 6+6 a
Il vit, il vit encore. Il revient. Tremble ! Arrête. 6+6 b
20 Crains que mon désespoir n'invoque sur ta tête 6+6 b
Les dieux persécuteurs de qui manque à sa foi ! 6+6 a
Cette main, ces serments, ces baisers sont à moi. 6+6 a
Gardez-la-moi, Gémeaux, fils et rois de notre île ! 6+6 b
Notre amour, sous vos yeux, croissait dans votre asile, 6+6 b
25 Et Junon Illythie, et vous tous, dieux témoins, 6+6 a
Qui du lit nuptial prenez d'augustes soins, 6+6 a
N'oubliez point l'absent que les humains oublient ! 6+6 b
Je la confie à vous. Que les nœuds qui nous lient, 6+6 b
Les ordres maternels, ma voix, nos premiers ans, 6+6 a
30 Vos foudres, le remords toujours, toujours présents, 6+6 a
M'environnant son cœur d'une garde éternelle, 6+6
.............................................................................
Si de quelque entretien l'insidieux détour 6+6 b
Voulait lui déguiser quelque amorce d'amour, 6+6 b
Tonnez, et qu'elle fuie. Au sein des nuits peureuses, 6+6 a
35 Faites entrer la foule aux ailes ténébreuses 6+6 a
Des songes messagers de terreur et d'effroi, 6+6 b
Pour me remplir ce lit qui n'est permis qu'à moi. 6+6 b
Agitez son sommeil de lugubres images, 6+6 a
Montrez-lui, montrez-lui, sur de lointains rivages, 6+6 a
40 Seul, son nom à la bouche, et pâle et furieux, 6+6 b
Ce malheureux qui meurt en attestant les dieux ! 6+6 b
Nourrice d'Apollon, etc ....................................................
Mer vaste ................................................................................
............................ Et tes flots qui brisent les vaisseaux
45 Sont, auprès de mon cœur, et calmes et tranquilles. 6+6
.............................................................................
Triste vieillard, depuis que pour tes cheveux blancs 6+6 a
Il n'est plus de soutien de tes jours chancelants, 6+6 a
Que ton fils orphelin n'est plus à son vieux père, 6+6 b
Renfermé sous ton toit et fuyant la lumière, 6+6 b
50 Un sombre ennui t'opprime et dévore ton sein. 6+6 a
Sur ton siège de hêtre, ouvrage de ma main, 6+6 a
Sourd à tes serviteurs, à tes amis eux-mêmes, 6+6 b
Le front baissé, l'œil sec, et le visage blême, 6+6 b
Tout le jour en silence, à ton foyer assis, 6+6 a
55 Tu restes pour attendre ou la mort ou ton fils. 6+6 a
Et toi, toi, que fais-tu, seule et désespérée, 6+6 b
De ton faon dans les fers lionne séparée ? 6+6 b
J'entends ton abandon lugubre et gémissant, 6+6 a
Sous tes mains en fureur ton sein retentissant, 6+6 a
60 Ton deuil pâle, éploré, promené par la ville, 6+6 b
Tes cris, tes longs sanglots remplissant toute l'île. 6+6 b
Les citoyens de loin reconnaissent tes pleurs. 6+6 a
« La voici, disent-ils, la femme de douleurs ! » 6+6 a
L'étranger, te voyant mourante, échevelée, 6+6 b
65 Demande : « Qu'as-tu donc, ô femme désolée ! » 6+6 b
Ce qu'elle a ? tous les dieux contre elle sont unis : 6+6 a
La femme désolée, elle a perdu son fils. 6+6 a
Son fils esclave meurt loin de sa main chérie. 6+6
Après son discours il se lève… mais la jeune… cachée, l'avait écouté, et, tout en larmes, courut à son père… O mon père, tu m'as promis de m'unir bientôt à… Celui-ci pleure son amante,… viens le voir au rivage, il invoque la mort, il pleure… Rends-lui sa liberté. Une larme vient humecter la paupière du vieillard…
« Eh bien, dit-il, enfant, puisqu'ainsi tu le veux, 6+6 b
70 Marchons. Ce jeune esclave est donc bien malheureux ? 6+6 b
Quel mortel est heureux ? Nous souffrons tous. Il pleure ? 6+6 a
J'ai pleuré. Jupiter dans sa haute demeure, 6+6 a
Dit encor le poète, a deux grands vases pleins 6+6 b
Des destins de la terre et du sort des humains. 6+6 b
75 L'un contient les plaisirs, les succès, l'allégresse, 6+6 a
L'autre les durs revers, les larmes, la tristesse. 6+6 a
Jupiter, à l'instant que nous venons au jour, 6+6 b
Dans ces vases, pour nous, va puisant tour à tour, 6+6 b
Et nous mêle une vie, hélas ! souvent amère. 6+6 a
80 Plus d'un mortel n'ont part qu'au vase de misère ; 6+6 a
Mais le dieu ne veut pas que nul mortel jamais 6+6 b
S'abreuve sans mélange au vase des bienfaits. 6+6 b
Et ceux-là sont heureux et sont dignes d'envie 6+6 a
Qui pleurent seulement la moitié de leur vie. » 6+6 a
85 Il s'approche, et mettant les deux mains sur sa tête : 6+6
« Oui, sois libre, Hermias !… Phœbus conservateur, 6+6 b
Jupiter protecteur, sauveur, libérateur, 6+6 b
Et vous, dieux infernaux, et vous, sœurs vengeresses, 6+6 a
Et qui que vous soyez, hommes, dieux et déesses, 6+6 a
90 Je vous prends à témoin qu'Hermias de Délos 6+6 b
Est libre. — Va, mon fils, et repasse les flots. 6+6 b
Revois de ta Délos la rive fortunée ; 6+6 a
Dis à ta belle amante, aux autels d'Hyménée, 6+6 a
Qu'Ariston de Thénos est un vieillard pieux, 6+6 b
95 Qui porte un cœur humain et respecte les dieux. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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