Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
CAO_1/CAO17
Jean Baptiste CAOUETTE
LES VOIX INTIMES
1892
POÉSIES DIVERSES
LE MAUVAIS ARTISAN
C'est le samedi soir. | Au sein d'une chaumière, 6+6 a
Où pénètre le froid, | quatre jeunes enfants 6+6 b
Se pressent, tout pâlis, | aux genoux de leur mère ; 6+6 a
L'âtre n'a plus de feu, | la table d'aliments. 6+6 b
5 « J'ai faim ! J'ai froid ! » Ces mots, | mêlés de pleurs étranges, 6+6 a
Résonnent comme un glas | dans ce foyer malsain ; 6+6 b
Et la mère répond : | « Ne pleurez pas, mes anges, 6+6 a
Votre père bientôt | vous donnera du pain… » 6+6 b
Mais l'horloge là-haut | sonne déjà dix heures, 6+6 a
10 Et le père et le pain | surtout n'arrivent pas ! 6+6 b
La marmaille, apaisée | un instant par des leurres, 6+6 a
Saute à faire crouler | le parquet sous ses pas… 6+6 b
« J'ai faim ! J'ai froid ! du feu ! | » Ce chant de la misère ‒ 6+6 a
Douloureuse clameur ‒ | retenti de nouveau. 6+6 b
15 L'un des jeunes martyrs | sollicite sa mère 6+6 a
De réduire en brasier | les planches du berceau… 6+6 b
Écoutez ! au dehors | des voix sourdes murmurent : 6+6 a
Aux malheureux sans doute | on vient porter secours. 6+6 b
Prêtez l'oreille encor ! | mais qu'est-ce ? ces voix jurent 6+6 a
20 Et maudissent le Dieu | qui veille sur nos jours !… 6+6 b
Qui donc ose approcher, | le blasphème à la bouche, 6+6 a
Du seuil où la misère | étend son voile noir ? 6+6 b
‒ Ce sont deux artisans, | avinés, l'œil farouche, 6+6 a
Qui traîne sur le sol | un homme affreux à voir. 6+6 b
25 Et cet homme est le chef | de la pauvre famille ‒ 6+6 a
C'est le père annoncé | tantôt comme un sauveur ! ‒ 6+6 b
Voyez-le, sous les feux | de la lune qui brille, 6+6 a
Étendu sur le seuil | sans voix et sans vigueur ! 6+6 b
La femme ouvre la porte, | et, tremblante, s'empresse 6+6 a
30 Auprès du malheureux | dont les traits sont flétris ; 6+6 b
Paraissant oublier | sa peine et sa détresse, 6+6 a
Elle lui parle même | avec un doux souris ! 6+6 b
L'ivrogne veut répondre | à ces élans sublimes, 6+6 a
Mais de profonds soupirs | entrecoupent sa voix. 6+6 b
35 A leur tour ses enfants, | ou plutôt ses victimes 6+6 a
Lui demandent du pain, | des vêtements, du bois ! 6+6 b
Hélas ! pauvres petits, | votre prière est vaine ! 6+6 a
Vains aussi vos sanglots, | vos plaintes, vos douleurs ! 6+6 b
Car votre père à mis | l'argent de la semaine 6+6 a
40 Au cabaret… Séchez | ces inutiles pleurs ! 6+6 b
Que dis-je ? oh, non, pleurez ! | et les nombreuses larmes, 6+6 a
Que votre âme innocente | en priant versera, 6+6 b
Toucheront votre père ‒ | Employez donc ces armes, 6+6 a
Et la victoire, enfants, | un jour vous restera ! 6+6 b
45 Du mauvais artisan | cet ivrogne est l'image, 6+6 a
Car l'ivresse affaiblit | les cœurs les plus vaillants ; 6+6 b
Elle étend sur notre âme | un lugubre nuage 6+6 a
Qui lui cache du ciel | les horizons brillants ; 6+6 b
Elle éloigne l'époux | du foyer domestique, 6+6 a
50 Où longtemps il goûta | la joie et le bonheur, 6+6 b
Et lorsqu'il y revient, | sombre et mélancolique, 6+6 a
Il porte sur le front | le sceau du déshonneur ! 6+6 b
Ce homme était jadis | un artisan modèle ; 6+6 a
On vantait sa sagesse | et son habileté ; 6+6 b
55 Au dur labeur jamais | il n'était infidèle, 6+6 a
Et c'est là qu'il puisait | la force et la santé. 6+6 b
Mais quelle affreuse chute ! | En moins de trois années, 6+6 a
Il a perdu la foi, | l'énergie et l'amour ! 6+6 b
Il donne au cabaret | le fruit de ses journées, 6+6 a
60 Pendant qu'à sa demeure | on souffre nuit et jour… 6+6 b
Le monde quelquefois | repousse avec malice 6+6 a
L'enfant qui, tout en pleurs, | lui tend sa maigre main ; 6+6 b
« Quoi ! te faire l'aumône ? | encourager le vice 6+6 a
« De ton père, un ivrogne ? |…. Éloigne-toi, gamin… » 6+6 b
65 Ce langage est cruel, | déraisonnable, impie ‒ 6+6 a
Faire expier au fils | le crime des parents ! ‒ 6+6 b
Rappelons-nous ces mots | du maître de la vie : 6+6 a
« Laissez venir à moi | tous les petits enfants ! » 6+6 b
Ah ! ne laissons jamais | à leur sort misérable, 6+6 a
70 Ces enfants dont le père | est parfois un bandit ; 6+6 b
Mais faisons-les plutôt | asseoir à notre table 6+6 a
En leur donnant le pain | du corps et de l'esprit. 6+6 b
Nos bienfaits trouveront | mille échos dans leur âme ‒ 6+6 a
Leur âme si sensible | aux élans généreux ‒ 6+6 b
75 Et, plus tard, la vertu ‒ | cette céleste flamme ‒ 6+6 a
Réchauffera leurs cœurs | en les rendant heureux. 6+6 b
Du mauvais artisan | et de ses habitudes 6+6 a
Il ne leur restera | qu'un pâle souvenir. 6+6 b
Joyeux, ils rempliront | les tâches les plus rudes, 6+6 a
80 Sous le regard de Dieu, | sans craindre l'avenir ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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