Métrique en Ligne
CAO_1/CAO16
Jean Baptiste CAOUETTE
LES VOIX INTIMES
1892
POÉSIES DIVERSES
UN ORPHELIN 3
Joseph-Orance avait la beauté pour parure ; 6+6 a
De longs et noirs cheveux encadraient sa figure 6+6 a
Pleine de grâce et de candeur. 8 b
Un sourire angélique ornait sa bouche rose 6+6 c
5 Qui déjà soupirait une prière éclose 6+6 c
Dans les plis de son tendre cœur. 8 b
A peine deux printemps doraient sa belle tête, 6+6 a
Que la mort lui ravit ‒ ô terrible conquête ! ‒ 6+6 a
Famille, appui, félicité ! 8 b
10 Mais Dieu prit l'orphelin sous sa puissante égide 6+6 c
Et lui donna pour mère et pour fidèle guide 6+6 c
Une des sœurs de charité. 8 b
Les sœurs de charité ! quelles femmes divines ! 6+6 a
Et qui peut dignement chanter ces héroïnes 6+6 a
15 Que vivent dans l'humilité ? 8 b
Pour sauver l'orphelin de l'affreuse indigence, 6+6 c
Former sa foi, son cœur et son intelligence, 6+6 c
Elles épuisent leur santé ! 8 b
Qu'il fasse chaud ou froid, qu'il vente, pleuve ou grêle, 6+6 a
20 Elles vont mendier, d'une voix faible et grêle, 6+6 a
Pour l'enfant que prie au saint lieu. 8 b
Et l'homme que leur voix attendrit et console, 6+6 c
Leur verse avec bonheur dans la main une obole 6+6 c
Qui réjouit le cœur de Dieu ! 8 b
25 Oui, ces sœurs-que la providence 8 a
Éprouve et bénit tour à tour 8 b
Accueillirent Joseph-Orance 8 a
Avec un vrai transport d'amour. 8 b
Et le bel ange oublia vite 8 a
30 Le pauvre toit de ses aïeux, 8 b
Puisqu'il avait ‒ outre le gîte 8 a
Trouvé des cœurs affectueux. 8 b
Ses yeux rayonnaient d'allégresse ; 8 a
Ses lèvres gazouillaient toujours ; 8 b
35 Ses mains ne donnaient que caresse 8 a
A celles qui charmaient ses jours. 8 b
Oh ! que de chauds baisers sa bouche 8 a
Imprimait au front de la sœur, 8 b
Qui penchée auprès de sa couche, 8 a
40 Lui parlait du divin Sauveur ! 8 b
En savourant ce pur langage, 8 a
Plus doux que le chant de l'oiseau, 8 b
Il croyait voir l'auguste image 8 a
De la Vierge sur son berceau ! 8 b
45 Et lorsqu'il entendait redire 8 a
Le nom si doux de l'Éternel, 8 b
Alors on le voyait sourire 8 a
Et tourner ses yeux vers le ciel. 8 b
Le soir, en fermant sa paupière, 8 a
50 Il bredouillait du fond du cœur 8 b
Cette humble et magique prière : 8 a
« Veillez toujours sur moi, Seigneur ! » 8 b
Dans la saison des fleurs de la présente année, 6+6 a
Par une radieuse et chaude matinée, 6+6 a
55 Un prêtre en cet asile entrait ; 8 b
Il était le porteur d'un aimable message, 6+6 c
Et la joie éclairant son austère visage 6+6 c
Mieux que sa bouche l'annonçait. 8 b
« Mes bonnes sœurs, dit-il, j'arrive de la France, 6+6 a
60 Et je viens en votre âme adoucir la souffrance 6+6 a
Que le ciel y verse souvent ; 8 b
Un comte de Paris, pieux et charitable, 6+6 c
Voudrait pour héritier de son titre honorable 6+6 c
Un orphelin intelligent ; 8 b
65 « Un orphelin issu d'honnêtes père et mère, 6+6 a
Ayant un doux visage, un noble caractère 6+6 a
Et du goût pour la piété ; 8 b
Il ferait à l'enfant une heureuse existence 6+6 c
Et lui mettrait en main l'arme de la science 6+6 c
70 Pour défendre la vérité ! 8 b
« Je vois dans cet asile un essaim de beaux anges 6+6 a
Dont les ris et les chants ‒ harmonieux mélanges 6+6 a
Pourraient nous faire rajeunir 8 b
Je laisse à votre esprit le soin patriotique 6+6 c
75 De choisir l'orphelin que ce grand catholique 6+6 c
Destine au plus bel avenir ! » 8 b
Joseph-Orance obtint la palme sur le nombre ; 6+6 a
Mais son front se couvrit d'un nuage bien sombre 6+6 a
Lorsqu'on le mit dans le secret 8 b
80 Et la sœur Saint-Vincent, qu'il appelait sa mère, 6+6 c
Ne pouvait voir partir, sans une peine amère, 6+6 c
Cet orphelin qu'elle adorait ! 8 b
Le petit se cachait dans les plis de sa robe : 6+6 a
Telle contre une fleur l'abeille se dérobe 6+6 a
85 A l'œil du ravisseur sournois ! 8 b
Et la Sœur voulait dire à ce joli rebelle : 6+6 c
« Va donc, ô mon enfant, où le destin t'appelle ! » 6+6 c
Mais la douleur glaçait sa voix. 8 b
Le prêtre avait prévu les larmes douloureuses 6+6 a
90 Que verseraient l'enfant et les religieuses 6+6 a
A l'heure triste des adieux ; 8 b
Aussi, pour les sécher, trouva-t-il des paroles 6+6 c
Pures comme le miel qui tombent des corolles, 6+6 c
Et douces comme un chant des cieux ! 8 b
95 Levant de l'avenir un coin du voile rose, 6+6 a
Il peignit à l'enfant le destin grandiose 6+6 a
Que le Seigneur lui réservait. 8 b
Les pleurs brillaient encor sous plus d'une paupière, 6+6 c
Mais de tous ces cœurs purs une ardente prière 6+6 c
100 Vers le vaste ciel s'élevait ! 8 b
Un mois s'est écoulé depuis l'heure touchante 6+6 a
Où nous étions témoins de la scène émouvante 6+6 a
Que ne peut rendre mon pinceau ; 8 b
L'orphelin que le prêtre a tiré de l'hospice, 6+6 c
105 Et qui devait plus tard boire l'amer calice, 6+6 c
Loge à Paris dans un château 8 b
Ses nobles protecteurs, le comte et la comtesse, 6+6 a
Dont l'âme est un foyer d'amour et de tendresse, 6+6 a
Lui prodiguent tous les égards ; 8 b
110 Ils l'entourent des soins que permet la fortune, 6+6 c
Afin de dissiper la tristesse importune 6+6 c
Qui trouble parfois ses regards ; 8 b
Car, ici, dans l'asile où brilla son étoile, 6+6 a
Il a quitté deux sœurs qui suivirent la voile 6+6 a
115 L'emportant sur le flot moqueur 8 b
Souvent il les appelle au milieu de ses fêtes ; 6+6 c
Et la nuit, dans le songe, il brave les tempêtes 6+6 c
Pour les serrer contre son cœur 8 b
Mais la tristesse, un jour, s'enfuira de son âme, 6+6 a
120 Car elle est, chez l'enfant, semblable à cette flamme 6+6 a
Qui luit et s'efface aussitôt. 8 b
Puis une heure viendra ‒ joyeuse et fortunée 6+6 c
Où l'ange comprendra sa haute destinée, 6+6 c
Et cette heure viendra bientôt ! 8 b
125 Que sera-t-il plus tard ? mystère ! 8 a
C'est le secret du Créateur. 8 b
Prions pour que ce jeune frère 8 a
Soit notre gloire et notre honneur ! 8 b
Joseph-Orance de Grandbois, né à Saint-Casimir, comté de Portneuf, le 3 mai 1884, devint orphelin de père et de mère à l'âge de deux ans, et fut confié aux révérendes Sœurs de la Charité de Québec, le 17 mars 1886. Le 11 juin de la même année, M. l'abbé H.-R. Casgrain. ‒ qui avait été chargé par le comte A.-H. de Villeneuve, de Paris, France, de lui choisir un petit orphelin canadien-français, qu'il désirait adopter pour son enfant ‒ vint chercher Joseph-Orance qu'il envoya à Paris sous les soins d'une brave femme de Saint-Casimir, nommée Béonie Hardy. Le 8 novembre 1890, l'honorable M. H. Mercier, premier ministre de la province de Québec, présenta à la législature un projet de loi pour permettre à l'heureux orphelin d'ajouter à son nom celui de « de Villeneuve ». Aujourd'hui l'enfant est l'unique héritier d'un titre honorable et d'une immense fortune.]
mètre profils métriques : 8, 6+6
forme globale type : suite de strophes
schéma : 16(aabccb) 8(abab)
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