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F = "e" féminin
| = césure
BUS_1/BUS54
Alfred BUSQUET
POÉSIES
1884
CHOSES D’AUTREFOIS
POSTLIMINIUM
AU POÈTE DE LA NÉMÉSIS, M. BARTHÉLEMY
Quand un soldat romain tombait
par sa faute ou par hasard dans les
mains de l’ennemi, tous ses droits
de citoyen étaient suspendus. C’était
pour ainsi dire le sommeil du ci-
visme. Quand il retournait vers les
siens et dès que son pied avait tou-
ché la frontière, il redevenait citoyen
romain comme par le passé et repre-
nait la plénitude de ses droits :jure
poslliminii.
Pourquoi tous ces détours | et pourquoi cette feinte ? 6+6 a
Abandonne aux rhéteurs | les ambages, la crainte, 6+6 a
Indignes de tout noble cœur ; 8 b
Comme par le passé, | sois loyal et sincère. 6+6 c
5 Exilé qui reviens | de la terre étrangère. 6+6 c
Poète, de l’oubli vainqueur ! 8 b
N’invoque plus, crois-moi, | la nécessité dure. 6+6 a
Le destin, le fatum ; | ce serait imposture. 6+6 a
Les temps ne sont plus où le sort, 8 b
10 Le sort aux pieds d’airain, | la fortune aux yeux louches. 6+6 c
Poussaient fatalement | les Atrides farouches 6+6 c
Au meurtre, à l’inceste, à la mort !… 8 b
Chacun de nous se fait | sa propre destinée, 6+6 a
L’homme est libre : il choisit | sa route fortunée, 6+6 a
15 Adore les dieux qu’il lui plaît. 8 b
Et suivant le penchant | d’une âme indépendante, 6+6 c
Du mal suit les chemins | ou du bien se contente. 6+6 c
Dualisme égal et parfait ! 8 b
Dis-nous plutôt, dis-nous, | pour excuser ton crime : 6+6 a
20 Pas à pas dans la nuit | j’ai remonté l’abîme. 6+6 a
L’abîme sonore et sans fin ; 8 b
Mais des sentiers honteux | j’ai traversé la fange 6+6 c
Sans y laisser du moins | traîner les ailes d’ange 6+6 c
Qui jadis m’élevaient au bien ! 8 b
25 Un jour, — qu’il soit maudit, | ma Muse plébéienne 6+6 a
S’ennuya de porter | la robe d’indienne, 6+6 a
La cornette et le tablier ; 8 b
Elle voulut aller | en coche par la rue. 6+6 c
Choisir ses amoureux, | dîner la faim venue. 6+6 c
30 Dormir sur un doux oreiller ! 8 b
O Perse, ô Juvénal, | hommes forts et sincères 6+6 a
Dont l'hexamètre allait | flagellant les misères 6+6 a
De la vieille Rome aux abois, 8 b
Comme Domitien, | roi d’une cité morte. 6+6 c
35 Comme Caracalla | vous traitaient d’autre sorte 6+6 c
Et vous imposaient d’autres lois ! 8 b
Ils n’allaient pas la nuit, | ces empereurs sans âme. 6+6 a
Vous prendre au trébuchet | de quelque piège infâme. 6+6 a
Faire briller l’or sous vos yeux ; 8 b
40 Us disaient seulement : | Qu’il meure ; il m’importune ! 6+6 c
On mourait en vouant | un coq à la Fortune, 6+6 c
En léguant sa vengeance aux dieux ! 8 b
Et tout était fini. | C’était bien, c’était digne ! 6+6 a
Notre poète allait, | condamné par un signe. 6+6 a
45 S’ouvrir les veines dans un bain. 8 b
Et le peuple traînait | son corps aux gémonies ; 6+6 c
Mais votre nom restait | sans tache, ô grands génies. 6+6 c
Vous étiez dieux le lendemain ! 8 b
Aujourd’hui, par hasard, | sur la place publique. 6+6 a
50 S’il paraît un poète | à la voix prophétique. 6+6 a
Invoquant ton nom. Liberté ! 8 b
Aussitôt à l’envi | on le flatte, on le presse. 6+6 c
Jusqu’à ce qu’il ait fui | par crainte ou par paresse 6+6 c
Le sentier de la probité. 8 b
55 Puis lorsqu’ils ont ainsi | fait l’achat d’un poète, 6+6 a
Ils lui disent alors : | Ta voix sera muette, 6+6 a
Tu ne chanteras que pour nous. 8 b
Désormais plus d’amis | et plus de lutte ardente, 6+6 c
Esclave, il faut brider | ta Muse indépendante 6+6 c
60 Et la traîner à nos genoux. 8 b
Et maintenant, ô vous | dont je crains les colères. 6+6 a
Mes juges, — autrefois | je vous disais : Mes frères. 6+6 a
Répondez, ai-je assez souffert ? 8 b
Craignez au repentir | de fermer toute voie ; 6+6 c
65 Vite, étendez vers moi | la branche, ou je me noie, 6+6 c
Ou je retourne dans l’enfer. 8 b
O poète, crois-moi, | tel était le langage 6+6 a
Qui pouvait seul encor | aller à ton courage. 6+6 a
Livrer un combat surhumain ; 8 b
70 Il fallait aller droit | au but sans périphrase, 6+6 c
Humble et fier sans faiblesse | et pourtant sans emphase ; 6+6 c
Chacun t’aurait tendu la main. 8 b
Poète, nous fêtons | pourtant ta bienvenue. 6+6 a
Qu’elle descende encor | à nos yeux de la nue. 6+6 a
75 La Némésis qui frappe tard ! 8 b
Il faut à tout péché | faire miséricorde, 6+6 c
Dans leurs rangs aveuglés | viens souffler la discorde ; 6+6 c
Viens, ils ont pâli sous leur fard ! 8 b
Ne crois pas, ne crois pas | ta tâche terminée. 6+6 a
80 Vite à l’œuvre ; il te faut | employer ta journée 6+6 a
A refaire ta gerbe d’or, 8 b
Partout dans nos moissons | a repoussé l’ivraie : 6+6 c
Va, que Dieu t’accompagne | et que rien ne t’effraie, 6+6 c
Ni clameur, ni prison, ni mort. 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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