Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BUS_1/BUS13
Alfred BUSQUET
POÉSIES
1884
SUR LES CHEMINS
IMPRESSIONS DE VOYAGE
PORTUGAL-ESPAGNE
XII
UNE TEMPÊTE AU CAP SAINT-VINCENT
Il avait fait un jour | charmant et clair : la nuit 6+6 a
S’annonça mal. Le flot | qu’une autre vague suit. 6+6 a
Déferlait sur le pont | avec des bruits funèbres. 6+6 b
La lune par instans, | du milieu des ténèbres. 6+6 b
5 Émergeait, et blafarde | au fond d’un ciel tout noir, 6+6 a
Soudain disparaissait, | et ne laissait rien voir. 6+6 a
Le vent sifflait très-fort | à travers la mâture ; 6+6 b
Le navire roulait, | et comme à l’aventure 6+6 b
Allait et se plaignait | avec ces voix qui font 6+6 a
10 Frissonner, et la nuit | dans un effroi profond. 6+6 a
S’accouder pour entendre | une âme plus qu’humaine 6+6 b
Crier et sangloter | parmi les ais du chêne. 6+6 b
Énorme, monstrueux, | noir et fendant le flot, 6+6 a
Le navire avançait | pareil au cachalot. 6+6 a
15 Masse prodigieuse, | effrayante, où la vie 6+6 b
Aux lois du mouvement | se montrait asservie. 6+6 b
La chaudière sifflait | comme par un évent 6+6 a
Et mêlait sa terreur | à la terreur du vent. 6+6 a
Nous allions.
Moi, penché | sur l’Océan qui gronde. 6+6 b
20 Je songeais à ma vie | errante et vagabonde. 6+6 b
J’interrogeais le ciel | et l’horizon plus noir 6+6 a
Que mon cœur, et désir | même du désespoir. 6+6 a
Je songeais longuement | dans ce péril extrême. 6+6 b
Oublieux de la vie | et de tous ceux que j’aime. 6+6 b
25 Que tout allait pour moi | finir sans nul effort. 6+6 a
Et que l’éternité | s’ouvrirait comme un port. 6+6 a
N’être rien, et sentir | que pour briser cet être 6+6 b
Chétif et misérable | et prêt à disparaître. 6+6 b
Il faut que la Nature | entre en convulsions. 6+6 a
30 Et que sur l’Océan | Dieu lâche ses lions ; 6+6 a
Ameuter contre soi | la vague et la tempête. 6+6 b
Et menacer la mort | et relever la tête 6+6 b
Et dire : Il ne faudra | rien moins que l’Océan 6+6 a
Pour me vaincre et jeter | mon cadavre au néant ; 6+6 a
35 C’est une joie exquise | et c’était ma fortune ! 6+6 b
Que n’as-tu donc, ô mort, | assouvi ta rancune, 6+6 b
Puisqu’il faut renoncer | un jour aux lendemains. 6+6 a
Et que je te voyais | des roses plein les mains ! 6+6 a
Cependant, ballotté | par la mer en furie, 6+6 b
40 Dans la vague qui pleure | et dans le flot qui crie. 6+6 b
Je tressaille… Est-ce un rêve ? | ou suis-je déjà mort ? 6+6 a
N’ai-je point entendu | tout à l’heure à bâbord 6+6 a
Un coup de mousqueton | suivi d’une réplique ? 6+6 b
Cela semblait venir | du large ; je m’applique 6+6 b
45 A distinguer les bruits | dans ces bruits discordants. 6+6 a
Timide, j’intercède | auprès des commandans. 6+6 a
Regardez !… dans l’horreur | des ténèbres profondes 6+6 b
N’apercevez-vous pas | s’abaissant sur les ondes 6+6 b
La lueur d’un fanal | qui tremble, et par instans 6+6 a
50 Se relève au milieu | des flots retentissans ? 6+6 a
C’est quelque barque en peine : | Alerte, camarades. 6+6 b
Virons ! s’il faut mourir, | mourrons-nous plus malades ? 6+6 b
Les braves gens ! déjà | nous voici dans les eaux 6+6 a
Des naufragés joyeux | dont on voit les signaux, 6+6 a
55 C’est un navire anglais, | démâté, sans bordage, 6+6 b
Sans voile et sans canot, | neuf hommes d’équipage, 6+6 b
A moitié morts, vivans | arrachés au cercueil ! 6+6 a
La malle-poste anglaise | en avait fait son deuil. 6+6 a
Les ayant vus, et, comme | il faut qu’elle dépêche. 6+6 b
60 Avait fait à la mort | sa part de viande fraîche. 6+6 b
Nous sommes moins pressés, | nous Français ; nous avons 6+6 a
Le temps ; puis le danger | convient aux vagabonds. 6+6 a
« Pour porter une amarre | à bord, il faut quatre hommes 6+6 b
De bonne volonté… | Commandant, nous en sommes ! 6+6 b
65 Bien, mes enfans ! Partez | dans le porte-manteau. 6+6 a
Et nous nous reverrons | soit ici, soit là-haut ! » 6+6 a
L’amarre est élongée, | et sans autre aventure 6+6 b
On traverse la nuit, | une nuit longue et dure. 6+6 b
Ainsi qu’un naufragé | qui s’accroche avec peur, 6+6 a
70 La barque menaçait | d’aborder son sauveur. 6+6 a
Et venait par instans, | jouet de la tempête. 6+6 b
Nous talonner ou bien | nous frapper de la tête 6+6 b
Comme un bélier rétif | et prompt à s’irriter ; 6+6 a
On manœuvre, et la nuit | se passe à l’éviter. 6+6 a
75 Le calme reparaît | sur les flots, et, moins blême, 6+6 b
La lune montre au ciel | sa face de carême… 6+6 b
Mais enfin tout va mieux, | et le matin plus clair 6+6 a
Rayonne. La bourrasque | a fui comme un éclair. 6+6 a
Sauvés ! Le soleil brille, | et la mer au loin fume ; 6+6 b
80 Nous en serons, je crois, | quittes pour un gros rhume, 6+6 b
Et déjà nous entrons, | ô Cadix, dans tes ports. 6+6 a
Aujourd’hui, le trois mai, | fête du sacré Corps ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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