Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRN_1/BRN2
corpus Pamela Puntel
Henri de BORNIER
POÉSIES
1870
UNE PETITE BOURGEOISE
DITE PAR Mme VICTORIA-LAFONTAINE
I
Son mari n'est qu'un simple | employé des finances ; 6+6 a
Il a fait son chemin | d'après les ordonnances, 6+6 a
Il est premier commis | et sera chef un jour. 6+6 b
Ils se sont mariés | bêtement , par amour ; 6+6 b
5 Le ménage avait bien | trois mille francs de rente ; 6+6 a
La femme aux vains plaisirs | étant indifférente , 6+6 a
Le mari raisonnable | et comptant sous par sous , 6+6 b
Ils parvinrent dix ans | à lier les deux bouts. 6+6 b
Malgré l'amour, dix ans | de discrètes souffrances : 6+6 a
10 Il fallait, comme on dit, | sauver les apparences, 6+6 a
Recevoir au besoin | le chef et les amis, 6+6 b
Et sortir bien vêtu : | l'habit, c'est le commis ! 6+6 b
Ils avaient un enfant, | rose, espiègle, incroyable, 6+6 a
Qui riait comme un ange | et criait comme un diable. 6+6 a
15 Le baby grandissait | et coûtait d'autant plus , 6+6 b
Car il savait pleurer | dès le moindre refus ; 6+6 b
Pour un rien, un jouet | ou toute autre chimère 6+6 a
On retranchait un mètre | aux robes de la mère. 6+6 a
On hésitait un peu ; | tout s'arrangeait enfin, 6+6 b
20 Car le joli despote | était aussi très-fin 6+6 b
Et comprenait que pour | un baiser qu'il redouble 6−6 a
La mère triomphante | aurait donné le double ! 6+6 a
Ce n'est pas tout. Il faut | qu'ils aillent tous les ans 6+6 b
Chez le ministre, au bal, | les affreux courtisans ! 6+6 b
25 Le ministre aime à voir | ses salons qu'on encombre ; 6+6 a
Il note dans son cœur | l'employé qui fait nombre ; 6+6 a
Excellent homme, au fond, | qui ne sait pas combien 6+6 b
Nous coûte cet honneur | qui ne lui coûte rien ! 6+6 b
Elle partait avec | sa robe un peu fanée, 6+6 a
30 Avec les fausses fleurs | de la dernière année, 6+6 a
Avec d'humbles bijoux | par l'aïeule légués, 6+6 b
Et tous les deux entraient, | s'efforçant d'être gais. 6+6 b
Le mari s'amusait | assez vite ; mais elle ! 6+6 a
Dans ces salons où l'or | comme un fleuve ruisselle 6+6 a
35 Où l'on se sent, d'après | le luxe différent, 6+6 b
Devenir plus petit | ou devenir plus grand, 6+6 b
Timide, elle voyait, | bourgeoises ou duchesses, 6+6 a
D'autres femmes passer, | belles de leurs richesses, 6+6 a
La toisant d'un regard | ironique et joyeux ; 6+6 b
40 A défaut de leur voix, | elle entendait leurs yeux, 6+6 b
Tandis qu'un froid mortel | envahissait son âme, 6+6 a
Dire en se détournant : | Pauvre petite femme ! 6+6 a
Joie et chagrin, telle est | sa part ; tous ont la leur. 6+6 b
II
Voilà deux mois— le jour | où Dieu dans le malheur, 6+6 b
45 Plongeait la France avant | l'honneur qu'il lui ménage — 6+6 a
Un second fils naquit | à ce pauvre ménage. 6+6 a
La mère le voulut | nourrir comme l'aîné ; 6+6 b
Loin de Paris peut-être | elle l'eût emmené, 6+6 b
Mais le mari restait, | et, noblement jalouse, 6+6 a
50 La mère ne pouvait | faire tort à l'épouse ; 6+6 a
Elle resta. Ce sont | ces humbles dévouements 6+6 b
Qui plaident dans le ciel | aux jours des châtiments, 6+6 b
Puisse donc la justice | ou le courroux céleste 6+6 a
Épargner ces cœurs bons | et ce logis modeste, 6+6 a
55 Car dans un temps d'ivresse, | avant ce temps de deuil, 6+6 b
Ce n'est que pour souffrir | qu'ils ont connu l'orgueil ! 6+6 b
D'abord tout alla bien, | rien ne manquait encore : 6+6 a
Le sacrifice même | a sa charmante aurore ! 6+6 a
Ils avaient de côté, | pour quelque cas urgent, 6+6 b
60 Mis un coupon de rente | et même un peu d'argent. 6+6 b
On put donner d'abord | à la jeune nourrice 6+6 a
La viande des bons jours | saine et réparatrice ; 6+6 a
Mais bientôt tout devint | rare, ou du moins plus cher. 6+6 b
Le nouvel ange avait | un appétit d'enfer ; 6+6 b
65 Bismark y comptait bien ! | — Quelle angoisse nouvelle ! 6+6 a
Sous quels aspects la chasse | aux vivres se révèle ! 6+6 a
L'épicier — puisqu'il faut | l'appeler par son nom — 6+6 b
Comme un chef de bureau | se gonfle en disant : Non ! 6+6 b
Le laitier disparaît | dans un savant mystère, 6+6 a
70 Et messieurs les bouchers | prennent un air austère ! 6+6 a
Et la mère, craignant | son lait plus échauffant, 6+6 b
D'un regard anxieux | contemple son enfant ; 6+6 b
Le lait pur fait l'enfant | comme la sève l'arbre : 6+6 a
Qu'a-t-il donc le petit ? | son visage se marbre. 6+6 a
75 Non, ce n'est rien. Et puis, | c'est le mari qui part, 6+6 b
Brave, mais délicat, | pour les nuits du rempart ; 6+6 b
Il est là-bas, glacé | sous la pluie et la neige. 6+6 a
Sous les bombes, hélas ! | sans que rien le protège ; 6+6 a
Elle croit distinguer, | qu'elle se trompe ou non, 6+6 b
80 Quand c'est la mitrailleuse | et quand c'est le canon ! 6+6 b
— Et l'enfant qui se plaint ! | Fiévreuse, elle l'apaise ; 6+6 a
Mais sa fièvre serait | au nouveau-né mauvaise, 6+6 a
Il faut qu'elle se calme | et que sans un frisson 6+6 b
Elle entende ce bruit | terrible à l'horizon ! 6+6 b
85 Maudissez-les, mon Dieu ! | pour tant d'heures amères, 6+6 a
Tous ces hommes par qui | pleurent toutes les mères ! 6+6 a
— L'enfant dort cette fois ; | la mère près de lui 6+6 b
Se penche, rassurée | au moins pour aujourd'hui ; 6+6 b
C'est ainsi chaque soir. | Mais, dans sa longue transe, 6+6 a
90 Elle songe à son fils | sans oublier la France, 6+6 a
Car elle est patriote | et fille de Paris ; 6+6 b
Même dans ses douleurs | dont le ciel sait le prix, 6+6 b
Elle ne voudrait pas | le salut par la honte, 6+6 a
Et quand vient l'heure lente | où le sommeil la dompte ; 6+6 a
95 Sentant ses yeux se clore, | elle murmure avant : 6+6 b
Mon Dieu, sauvez la France | et sauvez mon enfant ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6−6
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