Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRJ_1/BRJ2
corpus Pamela Puntel
Jules BARBIER
LE FRANC-TIREUR
1871
LE FRANC-TIREUR
I
PROLOGUE
Le socle doit porter | le nom de la statue : 6+6 a
Je ne sais pas tuer ; | je suis de ceux qu'on tue. 6+6 a
Oui, c'est mon premier mot, | le sang me fait horreur ; 6+6 b
Étrange aveu chez qui | s'annonce franc-tireur. 6+6 b
5 Pourtant, c'est au combat | que ma muse vous mène ; 6+6 a
La France doit passer | avant la vie humaine. 6+6 a
Qu'est-ce donc ? D'où nous vient | cette épreuve ? pourquoi ? 6+6 b
Quelle fatalité | nous impose sa loi ? 6+6 b
Quoi ! voilant leurs desseins | d'un prétexte vulgaire, 6+6 a
10 Il plaît à deux coquins | de se faire la guerre ; 6+6 a
L'un coquin de hasard, | l'autre de droit divin, 6+6 b
L'un tristement à jeun, | et l'autre pris de vin ; 6+6 b
Et, jouets de ces rois | bandits qui les dominent, 6+6 a
Deux peuples aussitôt | s'égorgent, s'exterminent ! 6+6 a
15 L'assassinat, le vol | prélèvent leur tribut ; 6+6 b
Tuer est le moyen, | et voler est le but ! 6+6 b
Toutes les notions | de morale s'effacent !… 6+6 a
O peuples, il fallait | que vos mains étouffassent 6+6 a
Ces despotes sans cœur, | dont l'orgueil insensé 6+6 b
20 Réveillait les échos | barbares du passé !… 6+6 b
La guerre, un droit ? La guerre, | à l'honneur intrépide 6+6 a
Un glorieux appel ? |… Non ! la guerre stupide, 6+6 a
Immolant la raison | sous le glaive ou l'épieu, 6+6 b
Et, comme le duel, | outrageant l'homme et Dieu ! 6+6 b
25 Un jour les nations | en auront conscience, 6+6 a
Et l'on s'étonnera | de cette patience 6+6 a
A souffrir qu'un tyran | donnât, le sceptre en main, 6+6 b
Le signal du carnage | à tout le genre humain ! 6+6 b
Que d'autres, cependant, | conçoivent l'espérance 6+6 a
30 De voir s'entendre alors | la Prusse avec la France ; 6+6 a
Ce lieu-commun devient | risible désormais, 6+6 b
Et Français et Prussiens | ne s'entendront jamais ! 6+6 b
Ils ne se tûront plus, | leur fureur assouvie ; 6+6 a
Mais rien ne comblera | cet abîme, l'envie !… 6+6 a
35 A ces mots, un docteur | m'interpelle et sourit : 6+6 b
« Vous envier ? quoi donc ? | » — Peu de chose, l'esprit. 6+6 b
Vainement convoité | de la race germaine, 6+6 a
Ce fruit du sol français | n'est pas de son domaine ; 6+6 a
Le Prussien anguleux | grimace en le cherchant ; 6+6 b
40 Il est bête !… plus bête | encore que méchant. 6+6 b
Voilà ce que ne peut | nous pardonner sa haine ! 6+6 a
Que l'un d'eux, par hasard | (je choisis Henri Heine). 6+6 a
De ce nouveau Colchos | ait su trouver l'accès, 6+6 b
De Prussien aussitôt | il deviendra Français. 6+6 b
45 Les autres, j'en conviens, | seront instruits, honnêtes, 6+6 a
Philosophes, savants, | musiciens… mais bêtes, 6+6 a
Bêtes jusqu'à la mort… | en un mot comme en cent, 6+6 b
Subalternes !… cela | vaut-il des flots de sang ? 6+6 b
Et, par une fortune | incroyable, inouïe, 6+6 a
50 De ses propres succès | elle-même éblouie. 6+6 a
Cette race sur toi | pose un genou vainqueur, 6+6 b
O France, et te retourne | un couteau dans le cœur !… 6+6 b
Ah ! devant cette honte, | une douleur immense 6+6 a
Étouffe la pitié, | la raison, la clémence ; 6+6 a
55 Tout disparaît devant | la patrie en danger, 6+6 b
Sinon qu'on l'assassine | et qu'il faut la venger ! 6+6 b
Loin de moi, vains travaux | où s'énervait mon âme ! 6+6 a
O mes vers, jaillissez | en paroles de flamme ! 6+6 a
Courez, volez ! soyez | le clairon, le tocsin, 6+6 b
60 La chanson du soldat, | le glas de l'assassin, 6+6 b
L'écho retentissant | des douleurs, des outrages, 6+6 a
Des grandes lâchetés | après les grands courages ! 6+6 a
Par les événements | à moi-même arraché, 6+6 b
le ne vous cherchais pas, | et vous m'avez cherché ; 6+6 b
65 Au spectacle entraînant | de toutes ces vaillances, 6+6 a
Vous avez de mon cœur | dompté les défaillances ! 6+6 a
En vain, quand il mesure | où vos coups ont porté, 6+6 b
Ce faible cœur parfois | recule épouvanté ; 6+6 b
Réchauffez ses élans | de vos mâles ivresses, 6+6 a
70 Et suivez dans leur vol | les balles vengeresses ! 6+6 a
Soyez dignes de ceux | qui, dans un jour de deuil, 6+6 b
Voyant la France morte | et couchée au cercueil, 6+6 b
D'un geste tout puissant | ont soulevé la pierre, 6+6 a
Écarte le linceul, | dessillé la paupière, 6+6 a
75 Et, dans l'enivrement | superbe de leur foi, 6+6 b
Ont crié : Lève-toi, | Lazare ! lève-toi !… 6+6 b
Ah ! ceux-là parmi tous | méritent des couronnes, 6+6 a
Non pas celles des rois, | mais celles que tu donnes, 6+6 a
Juste Postérité, | de qui l'arrêt fatal 6+6 b
80 Dresse le pilori, | fonde le piédestal ! 6+6 b
Impassibles, debout, | sans haine et sans colère, 6+6 a
Contenant les fureurs | du lion populaire, 6+6 a
Ils' ont pris les canons | par l'empire encloués, 6+6 b
Et, nouveaux Décius, | ils se sont dévoués ! 6+6 b
85 Que l'ingrat les délaisse | ou l'aveugle les nie !… 6+6 a
Ambitieux ! dira | l'impure calomnie. — 6+6 a
Ambitieux, c'est vrai… | de lutter, de souffrir, 6+6 b
De sauver le pays, | de vaincre et de mourir !… 6+6 b
Et ces grands dévoûments, | ces courages sublimes 6+6 a
90 N'auraient pas le pouvoir | de racheter nos crimes ? 6+6 a
Cette France, que Dieu | rejette à l'abandon, 6+6 b
Après le châtiment | n'aurait pas le pardon ?… 6+6 b
O France, espère mieux | du ciel et de toi-même ! 6+6 a
Tends tes muscles brisés | dans un effort suprême, 6+6 a
95 Et redresse d'un bond | ton pauvre corps sanglant 6+6 b
Sous l'exécrable fouet | d'un vainqueur insolent ! 6+6 b
Un peuple n'est vaincu | que s'il consent à l'être. 6+6 a
Tu combats pour toi-même | et non plus pour un maître 6+6 a
Soldat de la justice | et de la liberté, 6+6 b
100 Une seconde fois | sauve l'humanité ! 6+6 b
Ton sang, flot rédempteur, | de cette croix immonde, 6+6 a
Comme celui du Christ, | coulera sur le monde ; 6+6 a
Et le troisième jour, | tendant aux cieux les bras, 6+6 b
O France, comme lui, | tu ressusciteras ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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