Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
BRI_2/BRI68
Auguste BRIZEUX
LA FLEUR D’OR
1874
LIVRE DEUXIÈME
A PARIS
Le vieux Collège
À la mémoire de M. Sallentin
DANS une ville, en Flandre,et tout près des remparts 6+6 a
(Car un triple fossél’enclôt de toutes parts), 6+6 a
Près des bords de la Scarpeil est un vieux collège. 6+6 b
Les cours durant deux moissont couvertes de neige ; 6+6 b
5 Mais l’air de la campagne,en passant sur les murs, 6+6 a
Vous apporte, l’été,l’odeur des pavots mûrs, 6+6 a
Des trèfles, des colzaset de toutes les graines 6+6 b
Dont ces hommes du Nordensemencent leurs plaines ; 6+6 b
Vous entendez au loinles danses des faubourgs, 6+6 a
10 Tout le long des rempartsles fifres, les tambours, 6+6 a
Et ces odeurs, ces bruits,se mêlant à l’étude, 6+6 b
Ne sont pas sans douceurdans cette solitude. 6+6 b
Aussi, lassé du monde,un jour je voulus voir 6+6 a
Les toits du vieux collège,et la cour, le parloir 6+6 a
15 , le cœur haletantsous ce ciel de fumée, 6+6 b
Je vins, enfant breton,de ma lande embaumée : 6+6 b
Ces lieux j’arrivaijeune et rempli d’effroi, 6+6 a
J’y revenais chercherce qu’ils gardaient de moi. 6+6 a
En deux jours s’accomplitce voyage facile. 6+6 b
20 Aussitôt je montaivers les murs de la ville ; 6+6 b
Et là, dès le matin,assis sur le gazon. 6+6 a
Je regardai longtempsnotre ancienne maison. 6+6 a
« Au-devant de la vieallons avec courage, 6+6 b
M’écriai-je ; acceptonsles devoirs d’un autre âge ; 6+6 b
25 Que l’enfant devienne hommeet marche à l’avenir ; 6+6 a
Mais de ce long trajetsachons nous souvenir : 6+6 a
Celui-là vit deux foisde qui l’âme naïve 6+6 b
Des âges tour à tourgarde une empreinte vive, 6+6 b
Et sous ses blancs cheveux,dans sa voix, son regard, 6+6 a
30 Montre à la fois l’enfant,l’homme mûr, le vieillard. 6+6 a
Ainsi puissé-je vivreet, depuis mon enfance, 6+6 b
Joindre l’âge qui fuità l’âge qui s’avance, 6+6 b
Dans ma pensée unirma tombe à mon berceau, 6+6 a
Sans qu’à toute la chneil manque un seul anneau ! 6+6 a
35 Quel vieillard désolé,qui, fouillant dans son âme, 6+6 b
La croyait pour jamaiséteinte à toute flamme, 6+6 b
Bien loin dans sa jeunesseenfin n’a retrouvé 6+6 a
Un reste de chaleursous la cendre couvé ; 6+6 a
D’une ancienne amitiéquelque vive parcelle ; 6+6 b
40 Un amour tiède encore ;et de leur étincelle 6+6 b
N’a senti s’animerun sang stérile et vieux, 6+6 a
Et des éclairs de joieilluminer ses yeux ? » 6+6 a
Moi-même, à ces penserssentant ma force accrue, 6+6 b
Du collège en courantje pris l’étroite rue ; 6+6 b
45 Et bientôt j’entendaisles chansons du portier 6+6 a
Et l’affreux grincementdes dents de son métier, 6+6 a
Lorsque au bruit de mes pasquelqu’un poussa la grille, 6+6 b
Et je fus entouréde toute la famille. 6+6 b
Dans la loge, parmices gens gais et dispos, 6+6 a
50 Ce furent entre nousbien des joyeux propos ; 6+6 a
Pourtant j’étais pensif,car midi sonnait l’heure 6+6 b
les jeux animaientjadis notre demeure, 6+6 b
Et la cour restait vide,et les bruyantes voix, 6+6 a
Les cris n’éclataient plusdans l’air comme autrefois. 6+6 a
55 Mais, en regardant bien,devant les vitres sombres 6+6 b
Je voyais deux à deuxpasser de grandes ombres, 6+6 b
Des lignes se croiseret des fantômes blancs 6+6 a
Dans les angles des murss’enfoncer à pas lents ; 6+6 a
Et lorsque j’écoutais,au bas de la fenêtre, 6+6 b
60 Des bruits qu’on t en vaintâché de reconntre, 6+6 b
Des soupirs étouffés,des plaintes et des toux 6+6 a
De moment en moments’élevaient jusqu’à nous. 6+6 a
Troublé, j’ouvris la porte :une odeur douce et fade, 6+6 b
Telle que sur son liten exhale un malade, 6+6 b
65 Me saisit tout à coup ;près de me trouver mal, 6+6 a
Je vis que le collègeétait un hôpital ! 6+6 a
Hideux et tout perclus,courbés sur leurs béquilles, 6+6 b
Autour des bâtimentset le long des charmilles, 6+6 b
Plus de trente vieillards,usés d’âme et de corps, 6+6 a
70 Silencieusementerraient comme des morts ; 6+6 a
Étendus au soleil,d’autres tremblaient les fièvres, 6+6 b
Ou cherchant un peu d’airouvraient leurs pâles lèvres ; 6+6 b
Et d’autres, n’ayant plusde force pour souffrir, 6+6 a
Semblaient à cette placeêtre venus mourir, 6+6 a
75 Si bien qu’en s’appelantles deux enfants, mes guides, 6+6 b
Que n’épouvantaient plusces figures livides, 6+6 b
Seuls firent plus de bruitdans cette triste cour 6+6 a
Que les trente vieillardsqui rôdaient alentour. 6+6 a
Quelques-uns pour nous voirsoulevèrent la tête 6+6 b
80 Et, par beaucoup d’effortsredressant leur squelette, 6+6 b
Arrêtèrent sur nousun regard sans clarté, 6+6 a
Mélange de souffranceet de stupidité : 6+6 a
Toute leur vie étaitdans ce regard sincère ; 6+6 b
Mais une vie, hélas !si pleine de misère 6+6 b
85 Que mes vers ne pourraientjamais en dire assez 6+6 a
Sur tant de maux présents,sur tant de maux passés. 6+6 a
Voilà ce qu’on voyaitdans cette cour étrange 6+6 b
Et comment, jeune encor,j’appris comme tout change. 6+6 b
On m’ouvrit la maison.En montant l’escalier, 6+6 a
90 Je me mis à songerà mes jours d’écolier, 6+6 a
À cet âge l’on rit,à cet âge l’on joue : 6+6 b
Quand, les cheveux à l’airet le feu sur la joue, 6+6 b
Ici je grandissais,et par quels habitants 6+6 a
Nous étions remplacésaprès si peu de temps. 6+6 a
95 Le monde m’apparutdans toute sa tristesse. 6+6 b
Moi, loin de mon enfanceet loin de ma vieillesse. 6+6 b
Ainsi qu’un voyageurentre deux sommités, 6+6 a
Je mesurais la vieà ses extrémités ; 6+6 a
Et, voyant tant de forceautrefois dépensée. 6+6 b
100 De science aujourd’huisans profits amassée, 6+6 b
Je cherchai dans mon cœurce qu’on ne pourra voir 6+6 a
Ensemble réunis,la force et le savoir. 6+6 a
Alors l’un des vieillards,l’aumônier, sage prêtre 6+6 b
Qui d’après quelques motsme devina peut-être. 6+6 b
105 Me dit en souriant :« Si vieillesse pouvait ! 6+6 a
Ah ! repris-je aussitôt,si jeunesse savait ! » 6+6 a
Ainsi de ces deux motsde l’humaine sagesse 6+6 b
Tous les deux nous sentionsla sévère justesse, 6+6 b
Lui chargé d’un savoirinutile aujourd’hui, 6+6 a
110 Moi qui courais sans freinau même but que lui. 6+6 a
Cependant, m’abreuvantà cette amère source, 6+6 b
Et d’un pas résolu,je reprenais ma course, 6+6 b
Comme quelqu’un nourride fiel et de dégt, 6+6 a
Mais ferme et qui s’obstineà vivre jusqu’au bout ; 6+6 a
115 Et, seul, je visitailes études, les classes, 6+6 b
L’endroit l’on jouaitdurant le temps des glaces, 6+6 b
Et ce n’était partoutque sombres ateliers, 6+6 a
Que malades errantde paliers en paliers ; 6+6 a
Les infirmiers de loinmontraient leur face pale, 6+6 b
120 Et la maison semblaiten deuil et toute sale. 6+6 b
Après bien des détours,dans un grand corridor 6+6 a
(Dernier coin habitéqu’il fallait voir encor) 6+6 a
J’arrivai : cette chambreautrefois fut la mienne ; 6+6 b
J’en reconnus la porteet la serrure ancienne ; 6+6 b
125 Mais au dedans, hélas !on n’avait rien laissé : 6+6 a
Mon nom sur la murailleétait même effacé ; 6+6 a
Mes plus chers souvenirs,mes cartes, mes estampes, 6+6 b
Ce gracieux portraitde Vierge aux belles tempes, 6+6 b
Et qui, me souriantavec sérénité, 6+6 a
130 M’enseignait combien douceet calme est la beauté. 6+6 a
Tout avait disparu !Dans ma chambre, ô mystère ! 6+6 b
Sans oreille et sans voix,gisait un grabataire ! 6+6 b
Dans la force du malseulement ses deux yeux, 6+6 a
Ses yeux chargés de pleursse tournaient vers les cieux 6+6 a
135 Et cherchaient une imageaux lambris étendue : 6+6 b
On y voyait dans l’airune croix suspendue, 6+6 b
Et sur terre un martyrà sa claie attaché, 6+6 a
Qui regardait le Christdans le ciel bleu penché ; 6+6 a
Or, le sang répandupar la divine plaie 6+6 b
140 Comme un baume arrosaitle martyr sur sa claie, 6+6 b
Et le front de l’apôtreet le front du Sauveur, 6+6 a
Tous deux resplendissaientd’amour et de ferveur. 6+6 a
O malheureux perclus,vieillard sans espérance, 6+6 b
C’était là ton recoursdans ta longue souffrance ! 6+6 b
145 Comme le saint martyr,toi, cloué sur tes draps, 6+6 a
Tu voulais voir le Christqui te tendait les bras ! 6+6 a
Par tes sourds râlements,par tes larmes sans doute. 6+6 b
Du sang miraculeuxtu cherchais une goutte ; 6+6 b
Et tu disais : « Seigneur,penchez-vous par ici ! 6+6 a
150 Jésus, ayez pitiéde moi, je souffre aussi ! » 6+6 a
Assez, assez de cris,de tortures, de larmes ! 6+6 b
Laissons venir le sort,à présent j’ai mes armes. 6+6 b
Sortons de cette chambre !Assez, assez de pleurs ! 6+6 a
L’âme mûrit bien viteà ces grandes douleurs. 6+6 a
155 Ainsi de ce collège commença ma vie, 6+6 b
Pour la seconde foisje faisais ma sortie ; 6+6 b
Mais j’avais l’air plus graveet le pied moins léger. 6+6 a
Car je ne rentrais plusau monde en étranger. 6+6 a
La douleur ! voilà donc.Seigneur, le joug suprême 6+6 b
160 celui qui vous haitet celui qui vous aime 6+6 b
Passent également ;et vos plus chers élus 6+6 a
Sont ceux que votre main,dit-on, courbe le plus. 6+6 a
Pourtant, grâce. Seigneur !Je saurais mal conntre, 6+6 b
Au bras qui sans pitiénous poursuit, un doux mtre. 6+6 b
165 La douleur, ô mon Dieu,quand elle vient sur moi, 6+6 a
Me remplit de surpriseaussi bien que d’effroi ; 6+6 a
Toujours, quand repartson spectre, je m’étonne ; 6+6 b
Si ma tête s’inclineau bruit du ciel qui tonne, 6+6 b
La clarté d’un beau jourm’attire vers les cieux, 6+6 a
170 Et je me sens meilleurlorsque je suis heureux. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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