Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRI_2/BRI134
Auguste BRIZEUX
LA FLEUR D’OR
1874
LIVRE HUITIÈME
A PARIS
Le Livre des Conseils
I
DES ennuis maladifs | qui troublent ton printemps, 6+6 a
Oui, je veux te guérir, | toi, dont tous les instants 6+6 a
L’un à l’autre ajoutés | ne feraient pas vingt ans ! 6+6 a
Mais cette jeunesse âpre | et jamais assouvie, 6+6 a
5 Si le miel ne sature | à grands flots son envie, 6+6 a
Blasphème le bonheur | et doute de la vie. 6+6 a
Et cependant ta mère, | en t’offrant au saint lieu, 6+6 a
Sur ton front vit tracer | ce nom vivant de Dieu, 6+6 a
Qui jusqu’au dernier soir | brille en lettres de feu. 6+6 a
10 Il faut un frein d’acier | au coursier qui s’effare, 6+6 a
Des signaux au navire, | aux limiers la fanfare ; 6+6 a
Dieu pour nous est le frein, | la trompette et le phare. 6+6 a
Voyageur éclairé | par le signe chrétien, 6+6 a
Va donc sans trop attendre | et sans demander rien, 6+6 a
15 Contenu dans le mal, | excité dans le bien. 6+6 a
Déjà t’appelle au loin | quelque rêve d’épouse, 6+6 a
Un enfant, gai chevreau | courant sur la pelouse. 6+6 a
Et la patrie aussi, | cette mère jalouse… 6+6 a
Oui, si j’avais un fils, | cher et pieux trésor, 6+6 a
20 Je l’instruirais aussi, | lorsque ses cheveux d’or 6+6 a
Couvriraient ce front jeune | et virginal encor. 6+6 a
Nul n’a versé sur moi | les fruits de la sagesse, 6+6 a
Moi-même j’amassai | ma tardive richesse : 6+6 a
Ce peu que j’ai, du moins | j’en veux faire largesse. 6+6 a
25 Je ne compterai plus | mes ennuis et mes pleurs, 6+6 a
Si parfois ma pensée | a fécondé les cœurs, 6+6 a
Si ceux qui m’ont connu | sont devenus meilleurs. 6+6 a
Ainsi, continuant | sur ce nombre ternaire, 6+6 a
Rythme bardique éclos | au fond du sanctuaire, 6+6 a
30 J’instruirai jusqu’au bout | ce fils imaginaire. 6+6 a
II
Quel est donc le parfum | de ces brises d’avril, 6+6 a
Qu’en idée aspirant | les lilas du courtil, 6+6 a
À peine de la pluie | un jour nous souvient-il ? 6+6 a
Toute heure en ce lointain | rit et nous semble aisée, 6+6 a
35 Notre jeune saison | pourtant mal exposée 6+6 a
Reçut la brume froide | et la froide rosée. 6+6 a
O Jeunesse jetée | au coin d’un carrefour, 6+6 a
Pour trouver ton chemin, | errant tout alentour, 6+6 a
Et souvent par ton choix | perdue, et sans retour ! 6+6 a
40 Mille sentiers mauvais | pour une bonne voie ! 6+6 a
Et nul pour avertir | celui qui se fourvoie, 6+6 a
En disant : C’est par là | que le Seigneur t’envoie. 6+6 a
Pour lors, « Fais ce que dois, | advienne que pourra ! » 6+6 a
Et va par le sentier | que ton cœur te montra : 6+6 a
45 Du plus fort bien souvent | tout le savoir est là. 6+6 a
Non, non, je ne peux pas | troubler tes jours de fête, 6+6 a
Blanchir avant le temps | l’or d’une jeune tête, 6+6 a
Mais je dis : Sois prudent | et préviens la tempête ! 6+6 a
Une force sacrée | est déposée en toi, 6+6 a
50 Ne jette pas au vent | ce qu’envîrait un roi ; 6+6 a
Augmente ton dépôt | tel qu’un croyant sa foi. 6+6 a
Joyeux comme ton âge, | et gai comme tes frères, 6+6 a
Suis d’un pas mesuré | leurs courses téméraires, 6+6 a
À de libres élans | joins des pensers austères. 6+6 a
55 Tout aux instincts naïfs, | ne crains pas de savoir. 6+6 a
L’impassible science | est pour l’homme un devoir. 6+6 a
En face du danger | il faut périr ou voir. 6+6 a
III
La mer sous un vaisseau | boulait, épouvantable, 6+6 a
Et le patron disait, | mettant la main au câble : 6+6 a
60 « Je ne pourrai jamais | doubler ce banc de sable ! » 6+6 a
O Caps dont nous éloigne | un Génie irrité, 6+6 a
Où l’homme par trois fois | dans sa vie est jeté, 6+6 a
Le plus noir d’entre vous | a nom Virilité ! 6+6 a
Moins sauvage en Bretagne | est l’exécrable baie, 6+6 a
65 Le Baie-des-Trépassés, | blanche comme la craie. 6+6 a
Où sur des ossements, | la nuit, hurle l’orfraie. 6+6 a
Sur vous se sont brisés | Byron et Raphaël, 6+6 a
Mozart qui chantait mieux | que les chanteurs du ciel, 6+6 a
Pascal, et tout sanglant | l’audacieux Carrel. 6+6 a
70 Équinoxe de mort | pour le corps et pour l’âme ! 6+6 a
Mais l’heureux passager, | sorti sauf de la lame, 6+6 a
Voit le midi briller, | et se sèche à sa flamme. 6+6 a
Il entre dans le port, | plus triste, mais vainqueur, 6+6 a
Vainqueur de la Sirène | au chant doux et moqueur, 6+6 a
75 Connaissant tous les bruits | des orages du cœur. 6+6 a
Fraîches illusions, | adieu ! La raison pâle 6+6 a
Désormais conduira | cet esprit ferme et mâle. 6+6 a
Sillonné par la bise | et brûlé par le hâle. 6+6 a
Illusions, adieu ! | mais, sauvage âpreté. 6+6 a
80 Réactions d’un cœur | trop longtemps agité, 6+6 a
N’étouffez pas en lui | l’heureuse aménité. 6+6 a
Aux autres il faut croire, | il faut croire à soi-même ; 6+6 a
Pour qu’on nous aime, aimer, | aimer sans qu’on nous aime 6+6 a
Amoureux par nature, | amoureux par système. 6+6 a
85 S’épanouir aux vents | d’amour et de beauté, 6+6 a
C’est recueillir en soi | l’air frais de la santé : 6+6 a
Malheur à qui se clôt | dans sa félicité ! 6+6 a
Sur la roche escarpée | où ta fleur est éclose, 6+6 a
Homme heureux, ne sois pas | tel que l’aloès rose, 6+6 a
90 Fleur amère où jamais | l’abeille ne se pose. 6+6 a
Enfin à notre faîte, | et si près de vieillir. 6+6 a
N’allons pas nous corrompre | ou nous enorgueillir : 6+6 a
Chair, tu n’as qu’un moment ; | esprit, tu peux faillir ! 6+6 a
IV
Ah ! que fais-je ? Lassé | d’une si longue route. 6+6 a
95 Celui que j’instruisais, | à peine, hélas ! m’écoute ; 6+6 a
Avant d’aller plus loin, | moi-même ici je doute. 6+6 a
Pourtant, si le passé | révélait l’avenir, 6+6 a
Un jour cueillant le fruit | de chaque souvenir, 6+6 a
Je dirais sur mon seuil | à l’heure de finir : 6+6 a
100 Aux jeunes je fais place | et je sors sans envie, 6+6 a
De loin je me complais | au tableau de la vie : 6+6 a
Puissent-ils suivre mieux | la voie où l’on dévie ! 6+6 a
Je n’ai plus d’espérance, | et j’ai quelques regrets, 6+6 a
En repassant mes jours | trop souvent incomplets… 6+6 a
105 Mais les sentiers sont pleins | d’achoppements secrets ! 6+6 a
Dans tes prompts jugements, | ô jeunesse farouche, 6+6 a
Rigoriste jeunesse ! | — À ce terme où je touche, 6+6 a
Le grand mot d’indulgence | est toujours à la bouche. 6+6 a
L’absolu n’est qu’au ciel. | Dans notre monde obscur, 6+6 a
110 Tout en cherchant le beau, | n’espérons rien de pur. 6+6 a
Anges, Dieu vous garda | pour ses palais d’azur ! 6+6 a
Indulgence et pitié | pour toutes les misères, 6+6 a
Dévoûment entouré | de bornes nécessaires ; 6+6 a
La science nous dit | d’allier les contraires. 6+6 a
115 Le mal rôde, veillez ; | oui, veillez bien sur vous. 6+6 a
Craignez les médisants, | les envieux, les fous, 6+6 a
Halliers où nous perdons | quelque chose de nous. 6+6 a
Mais que votre abord franc | exhale un air de fête : 6+6 a
Pareil aux anciens dieux | dont parle le poète, 6+6 a
120 Laissez chacun rempli | d’une force secrète. 6+6 a
Équilibre partout, | car la vie est un art. 6+6 a
À mon âge, on le sait, | mais on le sait trop tard. 6+6 a
Laisserez-vous tomber | ce dire d’un vieillard ? 6+6 a
Mon dernier mal m’attend : | alors, ange docile, 6+6 a
125 O résignation, | ouvre-moi ton asile ! 6+6 a
Avant tout, évitez | le désespoir stérile. 6+6 a
Ce monde a ses grandeurs ; | l’autre, plus vaste encor, 6+6 a
À l’esprit du mourant | montre ses sphères d’or, 6+6 a
Et vers l’immensité | décide son essor. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université