Métrique en Ligne
BRI_1/BRI38
Auguste BRIZEUX
Marie
1831
LES BATELIÈRES DE L'ODET
De mon dernier voyage écoutez un récit ! 6+6 a
À de frais souvenirs le présent s'adoucit : 6+6 a
Je côtoyais l'Odet, lorsqu'une batelière 6+6 b
Doucement m'appela du bord de la rivière. 6+6 b
LA BATELIÈRE
5 Si vous voulez, jeune homme, aller à Loc-Tûdi, 6+6 a
Voici que nous partons toutes quatre à midi. 6+6 a
Entrez, nous ramerons, et vous tiendrez la barre ; 6+6 b
Ou, si vous aimez mieux, avant que l'on démarre, 6+6 b
Vous promener encor sur les ponts de Kemper, 6+6 a
10 Nous attendrons ici le reflux de la mer 6+6 a
Et le lever du vent ; puis avec la marée, 6+6 b
Ce soir dans Benn-Odet nous ferons notre entrée. 6+6 b
LE VOYAGEUR
Jeune fille, à midi tous cinq nous partirons, 6+6 a
Mais vous tiendrez la barre et moi les avirons. 6+6 a
15 Au bourg de Loc-Tûdi je connais un saint prêtre ; 6+6 b
Enfants, nous avons eu longtemps le même maître ; 6+6 b
Aujourd'hui je recours à son sage entretien ; 6+6 a
Sans vous dire son nom vous le devinez bien. 6+6 a
À vous de me guider à ce pèlerinage, 6+6 b
20 Car pour vous, jeune fille, on ferait le voyage. 6+6 b
De grâce, mettez-moi parmi vos matelots : 6+6 a
Je n'aime plus la terre et n'aime que les flots. 6+6 a
À l'heure de midi nous étions en rivière. 6+6 b
Barba, la plus âgée, assise sur l'arrière, 6+6 b
25 Tenait le gouvernail ; à ma gauche Tina, 6+6 a
Celle qui de sa voix si fraîche m'entraîna ; 6+6 a
Deux autres devant nous, dont l'une, blanche et grande 6+6 b
Me fit d'abord songer aux filles de l'Irlande, 6+6 b
Car les vierges d'Eir-Inn et les vierges d'Arvor 6+6 a
30 Sont des fruits détachés du même rameau d'or. 6+6 a
Donc, leur poisson vendu, les quatre batelières 6+6 b
En ramant tour à tour regagnaient leurs chaumières, 6+6 b
Rapportant au logis, du prix de leur poisson, 6+6 a
Fil, résine et pain frais, nouvelle cargaison. 6+6 a
35 La rivière était dure et par instants les lames 6+6 b
Malgré nous dans nos mains faisaient tourner les rames. 6+6 b
Nous louvoyons longtemps devant Loc-Maria. 6+6 a
Cependant nous doublons Lann-éron, et déjà 6+6 a
Saint-Cadô, des replis de sa noire vallée, 6+6 b
40 Épanche devant nous sa rivière salée. 6+6 b
À côté de Tina quel plaisir de ramer 6+6 a
Et de céder près d'elle aux houles de la mer ! 6+6 a
La vieille le vit bien : « cette fois, cria-t-elle, 6+6 b
Tu tiens un amoureux, Corintina, ma belle ! 6+6 b
45 — Oui-da, lui répondis-je, et mieux qu'un amoureux : 6+6 a
Qui serait son mari pourrait se dire heureux. » 6+6 a
L'aimable enfant rougit (car déjà nos deux âmes 6+6 b
Suivaient, comme nos corps, le mouvement des rames). 6+6 b
Et l'irlandaise aussi, dans le fond du canot, 6+6 a
50 Nous sourit doucement mais sans dire un seul mot. 6+6 a
« çà, repartit la vieille, écoutez ! J'ai cinq filles, 6+6 b
Aussi blondes que vous, toutes les cinq gentilles ; 6+6 b
Venez les voir. — non, non ! Je n'en ai plus besoin. 6+6 a
Pour trouver mes amours je n'irai pas si loin. » 6+6 a
55 Or, sachez-le, Tina, la jeune cornouaillaise, 6+6 b
Forte comme à vingt ans, est mince comme à treize, 6+6 b
Et jamais je n'ai vu, d'Edern à Saint-Urien, 6+6 a
Dans l'habit de Kemper corps pris comme le sien. 6+6 a
« Ainsi, continuai-je, en abordant à terre, 6+6 b
60 Tina, je vous conduis tout droit chez votre mère, 6+6 b
De là chez le curé. Jeune fille, irons-nous ? » 6+6 a
Et Tina répondit : « je ferai comme vous. » 6+6 a
Mais Barba : « pourquoi rire avec cette promesse ? 6+6 b
Si demain à Tûdi vous entendez la messe, 6+6 b
65 Vous verrez dans le chœur un officier du roi 6+6 a
Dont la femme a porté des coiffes comme moi. 6+6 a
— Mes lèvres et mon cœur ont le même langage, 6+6 b
Brave femme, et je puis vous nommer un village 6+6 b
Où l'on sait si mon cœur à l'orgueil est enclin, 6+6 a
70 Et si j'ai du mépris pour les coiffes de lin. 6+6 a
— Eh bien ! Venez chez moi, vous verrez mes cinq filles, 6+6 b
Aussi blondes que vous, toutes les cinq gentilles. 6+6 b
— Jésus dieu ! Soupira Tina tout en ramant, 6+6 a
La méchante qui veut m'enlever mon amant ! 6+6 a
75 — Non, ma bonne ! Je veux te garder au novice, 6+6 b
Ce pauvre Efflam qui meurt d'amour à ton service. » 6+6 b
D'un ton moitié riant et moitié sérieux 6+6 a
Ainsi nous conversions, et par instants mes yeux, 6+6 a
De peur d'inquiéter l'innocente rameuse, 6+6 b
80 Suivaient dans ses détours la côte âpre et brumeuse ; 6+6 b
Ou, pensif, j'écoutais les turbulentes voix 6+6 a
De la mer, qui, grondant, s'agitant à la fois, 6+6 a
Semblait loin de l'Odet gémir comme une amante, 6+6 b
Et vers son fleuve aimé s'avançait bouillonnante. 6+6 b
85 Mais devant Benn-Odet nous étions arrivés : 6+6 a
Là nos heureux projets, en chemins soulevés, 6+6 a
Moururent sur le bord. Dans un creux des montagnes 6+6 b
Nous débarquons. La vieille, emmenant ses compagnes, 6+6 b
Me dit un brusque adieu ; puis, avec son panier, 6+6 a
90 Je vis Tina se perdre au détour d'un sentier. 6+6 a
Fallait-il m'éloigner, ou fallait-il la suivre ? 6+6 b
Comment, ô destinée, interpréter ton livre ? 6+6 b
Quand faut-il écouter ou combattre son cœur ? 6+6 a
À quel point la raison devient-elle une erreur ? 6+6 a
95 Doutes, demi-regrets, souvenirs d'un beau rêve, 6+6 b
Qui jusqu'à Loc-Tûdi me suivaient sur la grève ! 6+6 b
Surtout, retours à vous, qui, là-bas, au Moustoir, 6+6 a
Portez le nom d'un autre et n'aimez qu'à le voir ! 6+6 a
Et ces divers pensers de tout lieu, de tout âge, 6+6 b
100 L'un par l'autre attirés, m'escortaient en voyage, 6+6 b
Plus mouvants que le sable où s'enfonçaient mes pas, 6+6 a
Que les flots près de moi brisés avec fracas, 6+6 a
Ou que les goélands fuyant à mon approche 6+6 b
Et que je retrouvais toujours de roche en roche. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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