|
Je crois l'entendre encor, quand, sa main sur mon bras, |
12 |
|
Autour des verts remparts nous allions pas à pas : |
12 |
|
« Oui, quand tu pars, mon fils, oui, c'est un vide immense, |
12 |
|
Un morne et froid désert où la nuit recommence ; |
12 |
5 |
Ma fidèle maison, le jardin, mes amours, |
12 |
|
Tout cela n'est plus rien ; et j'en ai pour huit jours, |
12 |
|
J'en ai pour tous ces mois d'octobre et de novembre, |
12 |
|
Mon fils, à te chercher partout de chambre en chambre, |
12 |
|
— Songe à mes longs ennuis ! — et, lasse enfin d'errer, |
12 |
10 |
Je tombe sur ma chaise et me mets à pleurer. |
12 |
|
Ah ! Souvent je l'ai dit : « dans une humble cabane, |
12 |
|
Plutôt filer son chanvre, obscure paysanne ! |
12 |
|
Du moins on est ensemble, et le jour, dans les champs, |
12 |
|
Quand on lève la tête, on peut voir ses enfants. |
12 |
15 |
Mais le savoir, l'orgueil, mille folles chimères |
12 |
|
Vous rendent tous ingrats, et vous quittez vos mères. |
12 |
|
Que nous sert, ô mon dieu ! Notre fécondité, |
12 |
|
Si le toit paternel est par eux déserté ; |
12 |
|
Si, quand nous viendra l'âge (et bientôt j'en vois l'heure), |
12 |
20 |
Parents abandonnés, veufs dans notre demeure, |
12 |
|
Tournant languissamment les yeux autour de nous, |
12 |
|
Seuls nous nous retrouvons, tristes et vieux époux ? » |
12 |
|
Alors elle se tut. Sentant mon cœur se fondre, |
12 |
|
J'essuyais à l'écart mes pleurs pour lui répondre ; |
12 |
25 |
Muets, nous poursuivions ainsi notre chemin, |
12 |
|
Quand cette pauvre mère, en me serrant la main : |
12 |
|
« Je t'afflige, mon fils, je t'afflige ! … pardonne ! |
12 |
|
C'est qu'avec toi, vois-tu, l'avenir m'abandonne. |
12 |
|
En toi j'ai plus qu'un fils ; oui, je retrouve en toi |
12 |
30 |
Un frère, un autre époux, un cœur fait comme moi, |
12 |
|
À qui l'on peut s'ouvrir, ouvrir toute son âme ; |
12 |
|
Pensif, tu comprends bien les chagrins d'une femme : |
12 |
|
Tous m'aiment tendrement, mais ta bouche et tes yeux, |
12 |
|
Mon fils, au fond du cœur vont chercher les aveux. |
12 |
35 |
Pour notre sort commun, demande à ton aïeule, |
12 |
|
J'avais fait bien des plans, — mais il faut rester seule ; |
12 |
|
Nous avions toutes deux bien rêvé, — mais tu pars. |
12 |
|
Pour la dernière fois, le long de ces remparts, |
12 |
|
L'un sur l'autre appuyés, nous causons, ô misère ! |
12 |
40 |
C'est bien, ne gronde pas… chez ta bonne grand'mère |
12 |
|
Rentrons. Tu sais son âge : en faisant tes adieux, |
12 |
|
Embrasse-la longtemps… ah ! Nous espérions mieux ! » |
12 |