Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRI_1/BRI28
Auguste BRIZEUX
Marie
1831
MARIE (7)
Jamais je n'oublierai | cette immense bruyère 6+6 a
Où cheminant tous deux | je disais à mon frère : 6+6 a
« Entends-tu ces regrets, | et combien il est doux 6+6 b
D'avoir aimé, bien jeune, | une enfant comme vous ; 6+6 b
5 Sur les monts, dans les prés, | quand tout fleurit, embaume, 6+6 a
Ou dans l'église obscure, | en récitant le psaume, 6+6 a
En face sur son banc | de se voir chaque jour, 6+6 b
Le cœur plein à la fois | de piété, d'amour ; 6+6 b
Les signes, les regards | tout chargés de mollesse ; 6+6 a
10 Mille pensers troublants | qu'il faut dire à confesse ; 6+6 a
Les projets d'être sage, | et, dès le lendemain, 6+6 b
Un baiser qu'on se prend | ou qu'on donne en chemin ? 6+6 b
Le sens-tu bien, mon frère ? | Et lorsqu'en harmonie 6+6 a
Deux fois par la beauté | l'âme au corps est unie, 6+6 a
15 Et qu'ensemble éveillés | notre cœur et nos sens 6+6 b
Dans un divin accord | résonnent frémissants, 6+6 b
De ces jeunes amours, | dans le cœur le plus grave, 6+6 a
Il reste un souvenir | qui pour jamais s'y grave, 6+6 a
Un parfum enivrant | qu'on respire toujours, 6+6 b
20 Et les autres amours | ne sont plus des amours. » 6+6 b
Et cependant, pourquoi | ce pénible voyage ? 6+6 a
Aujourd'hui, dans quel but ? | Et lorsque son image 6+6 a
M'est demeurée entière | et charmante, pourquoi 6+6 b
Ternir ce pur miroir | que je porte avec moi ? 6+6 b
25 Un teint brûlé du hâle, | une tempe amaigrie, 6+6 a
Un œil cave, est-ce là | mon ancienne Marie ? 6+6 a
C'était jour de dimanche | et la fête du bourg : 6+6 b
On chantait dans l'église ; | et dehors, alentour, 6+6 b
Sous le porche, la croix, | les ifs du cimetière, 6+6 a
30 Mille gens à genoux | récitaient leur prière ; 6+6 a
Parfois un grand silence, | et tout à coup les voix 6+6 b
Éclataient, et couraient | se perdre dans le bois ; 6+6 b
La messe terminée, | à grand bruit cette foule 6+6 a
Sur la place du lieu | comme une mer s'écoule ; 6+6 a
35 Alors appels joyeux, | rires et gais refrains ; 6+6 b
Les voix des bateleurs | et des marchands forains, 6+6 b
Le sonneur sur le mur | proclamant ses criées ; 6+6 a
À ses bons mots sans nombre | éclats, folles huées ; 6+6 a
Lui, d'un air goguenard, | pressait les acheteurs, 6+6 b
40 Et pour un blé si beau | gourmandait leurs lenteurs. 6+6 b
Dans l'auberge voisine | enfin l'aigre bombarde 6+6 a
Qui sonne, les binioux | à la voix nasillarde, 6+6 a
Les danseurs deux à deux | passant comme l'éclair, 6+6 b
Et jetant en cadence | un cri qui perce l'air. 6+6 b
45 Devant l'un des marchands, | bientôt trois jeunes filles 6+6 a
Se tenant par la main, | rougissantes, gentilles, 6+6 a
Dans leurs plus beaux habits, | s'en vinrent toutes trois 6+6 b
Acheter des rubans, | des bagues et des croix. 6+6 b
J'approchai. Faible cœur, | ô cœur qui bats si vite, 6+6 a
50 Que la peine et la joie, | et tout ce qui t'excite 6+6 a
Arrive désormais, | puisque dans ce moment 6+6 b
Tu ne t'es pas brisé | sous quelque battement ! 6+6 b
— Marie ! — ah ! C'était elle, | élégante, parée ; 6+6 a
De ses deux sœurs enfants, | sœur prudente, entourée : 6+6 a
55 Belle comme un fruit mûr | entre deux jeunes fleurs. 6+6 b
Le passé, le présent, | le sourire, les pleurs, 6+6 b
Tout cela devant moi ! | Qu'elles étaient riantes, 6+6 a
Ces deux sœurs de Marie | à ses côtés pendantes ! 6+6 a
C'était Marie enfant ; | je voyais à la fois 6+6 b
60 Mes amours d'aujourd'hui, | mes amours d'autrefois, 6+6 b
Mon ancienne Marie | encor plus gracieuse ; 6+6 a
Encor son joli cou, | sa peau brune et soyeuse ; 6+6 a
Légère sur ses pieds ; | encor ses yeux si doux 6+6 b
Tandis qu'elle sourit | regardant en dessous ; 6+6 b
65 Et puis, devant ses sœurs | à la voix trop légère, 6+6 a
L'air calme d'une épouse | et d'une jeune mère. 6+6 a
Comme elle m'observait : | « oh ! Lui dis-je en breton. 6+6 b
Vous ne savez donc plus | mon visage et mon nom ? 6+6 b
Maï, regardez-moi bien ; | car, pour moi, jeune belle, 6+6 a
70 Vos traits et votre nom, | Maï, je me les rappelle. 6+6 a
De chez vous bien des fois | je faisais le chemin. 6+6 b
— Mon dieu, c'est lui ! » dit-elle | en me prenant la main. 6+6 b
Et nous pleurions. Bientôt | j'eus appris son histoire : 6+6 a
Un mari, des enfants. | C'était tout. Comment croire 6+6 a
75 À ce triste roman | qu'ensuite je contai ? 6+6 b
Ma mère et mon pays, | que j'avais tout quitté ; 6+6 b
Que dans Paris, si loin, | rêvant de sa chaumière, 6+6 a
Je pensais à Marie, | elle, pauvre fermière, 6+6 a
Que ce jour même au bourg | j'étais en son honneur, 6+6 b
80 Et que de son mari | j'enviais le bonheur : 6+6 b
Imaginations, | caprices, fou délire 6+6 a
Qui glissait sans l'atteindre | ou la faisait sourire ! … 6+6 a
Il fallut se quitter. | Alors aux deux enfants 6+6 b
J'achetai des velours, | des croix, de beaux rubans, 6+6 b
85 Et pour toutes les trois | une bague de cuivre, 6+6 a
Qui, bénite à Kemper, | de tout mal vous délivre 6+6 a
Et moi-même à leur cou | je suspendis les croix, 6+6 b
Et, tremblant, je passai | les bagues à leurs doigts. 6+6 b
Les deux petites sœurs | riaient ; la jeune femme, 6+6 a
90 Tranquille et sans rougir, | dans la paix de son âme, 6+6 a
Accepta mon présent. | Ce modeste trésor, 6+6 b
Aux yeux de son époux | elle le porte encor ; 6+6 b
L'époux est sans soupçon, | la femme sans mystère. 6+6 a
L'un n'a rien à savoir, | l'autre n'a rien à taire. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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