Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRI_1/BRI11
Auguste BRIZEUX
Marie
1831
MARIE (3)
Humble et bon vieux cu d'Arzannô, digne prêtre, 6+6 a
Que tel je respectais, que j'aimais comme maître, 6+6 a
Pour occuper tes jours, si pleins, si réguliers, 6+6 b
N'as-tu plus près de toi tes pauvres écoliers ? 6+6 b
5 Hélas ! Je fus l'un d'eux ! Dans ma douleur présente, 6+6 a
J'aime à me rappeler cette vie innocente ; 6+6 a
Leurs noms, je les sais tous : Albin, élo, Daniel, 6+6 b
Alan Du Bourg De Scaer, Ives De Ker-Ihuel, 6+6 b
Tous jeunes paysans aux costumes étranges, 6+6 a
10 Portant de longs cheveux flottants, comme les anges. 6+6 a
Oh ! Je pleurai d'abord longtemps et je gémis : 6+6 b
Pour la première fois je voyais mes amis, 6+6 b
Pour la première fois je quittais mes deux mères ; 6+6 a
D'abord je répandis bien des larmes amères. 6+6 a
15 Le travail arriva qui sut tout adoucir ; 6+6 b
Le travail ! Mon effroi ! Bientôt fit mon plaisir. 6+6 b
Le premier point du jour nous éveillait : bien vite, 6+6 a
La figure lavée, et la prière dite, 6+6 a
Chacun gagnait sa place ; et sur les grands paliers, 6+6 b
20 Dans les chambres, les cours, le long des escaliers, 6+6 b
En été dans les foins, couchés sous la verdure, 6+6 a
C'était tout le matin, c'était un long murmure, 6+6 a
Comme les blancs ramiers autour de leurs maisons, 6+6 b
D'écoliers à mi-voix répétant leurs leçons, 6+6 b
25 Puis la messe, les jeux ; et, les beaux jours de fête, 6+6 a
Des offices sans fin chantés à pleine tête. 6+6 a
Aujourd'hui que mes pas négligent le saint lieu, 6+6 b
Sans culte, et cependant plein de désir vers Dieu, 6+6 b
De ces jours de ferveur, oh ! Vous pouvez m'en croire, 6+6 a
30 L'éclat lointain réchauffe encore ma mémoire, 6+6 a
Le psaume retentit dans mon âme, et ma voix 6+6 b
Retrouve quelques mots des versets d'autrefois. 6+6 b
Jours aimés ! Jours éteints ! Comme un jeune lévite, 6+6 a
Souvent j'ai dans le chœur porté l'aube bénite, 6+6 a
35 Offert l'onde et le vin au calice, et, le soir, 6+6 b
Aux marches de l'autel balancé l'encensoir. 6+6 b
Cependant tout un peuple à genoux sur la pierre, 6+6 a
Parmi les flots d'encens, les fleurs et la lumière, 6+6 a
Femmes, enfants, vieillards, hommes graves et mûrs, 6+6 b
40 Tous dans un même vœu, tous avec des cœurs purs, 6+6 b
Disaient le dieu des fruits et des moissons nouvelles, 6+6 a
Qui darde ses rayons pour sécher les javelles, 6+6 a
Ou quelquefois permet aux fléaux souverains 6+6 b
De faucher les froments et d'emporter les grains ; 6+6 b
45 Les voix montaient, montaient ! Moi, penché sur mon livre, 6+6 a
Et pareil à celui qu'un grand bonheur enivre, 6+6 a
Je tremblais, de longs pleurs ruisselaient de mes yeux ; 6+6 b
Et, comme si Dieu même eût dévoilé les cieux, 6+6 b
Introduit par sa main dans les saintes phalanges, 6+6 a
50 Je sentais tout mon être éclater en louanges, 6+6 a
Et, noyé dans des flots d'amour et de clarté, 6+6 b
Je m'anéantissais devant l'immensité ! 6+6 b
Je fus poète alors ! Sur mon âme embrasée 6+6 a
L'imagination secoua sa rosée, 6+6 a
55 Et je reçus d'en haut le don intérieur 6+6 b
D'exprimer par des chants ce que j'ai dans le cœur. 6+6 b
Il est dans nos cantons, ô ma chère Bretagne ! 6+6 a
Plus d'un terrain fangeux, plus d'une âpre montagne : 6+6 a
Là, de tristes landiers comme nés au hasard, 6+6 b
60 Où l'on voit à midi se glisser le lézard ; 6+6 b
Puis un silence lourd, fatigant, monotone ; 6+6 a
Nul oiseau dont la voix vous charme et vous étonne, 6+6 a
Mais le grillon qui court de buisson en buisson, 6+6 b
Et toujours vous poursuit du bruit de sa chanson. 6+6 b
65 Dans nos cantons aussi, lointaines, isolées, 6+6 a
Il est de claires eaux et de fraîches vallées, 6+6 a
Et d'épaisses forêts, et des bosquets de buis, 6+6 b
Où le gibier craintif trouve de sûrs réduits. 6+6 b
Enfant, j'ai traversé plus d'un fleuve à la nage, 6+6 a
70 Ravi sa dure écorce à plus d'un houx sauvage, 6+6 a
Et sur les chênes verts, de rameaux en rameaux, 6+6 b
Visité dans leurs nids les petits des oiseaux. 6+6 b
En Armorique enfin, de Tréguier jusqu'à Vannes, 6+6 a
Il est dans nos cantons de jeunes paysannes, 6+6 a
75 Habitantes des bois ou bien du bord des mers, 6+6 b
Toutes belles ; leurs dents sont blanches, leurs yeux clairs ; 6+6 b
Et dans leurs vêtements variés et bizarres 6+6 a
Respirent je ne sais quelles grâces barbares ; 6+6 a
Et si, dans les ardeurs d'un beau mois de juillet, 6+6 b
80 Haletant, vous entrez et demandez du lait, 6+6 b
Et que, pour vous servir, quelques-unes d'entre elles 6+6 a
Viennent, comme toujours simples et naturelles, 6+6 a
S'accoudant sur la table et causant avec vous, 6+6 b
Ou, pour filer, ployant à terre les genoux, 6+6 b
85 Vous croyez voir, ravi de ces façons naïves 6+6 a
Et de tant de blancheur sous des couleurs si vives, 6+6 a
La fille de l'El-Orn, caprice d'un follet, 6+6 b
Ou la fée aux yeux bleus qui dans l'âtre filait. 6+6 b
Amour ! Religion ! Nature ! à mon aurore, 6+6 a
90 Ainsi vous m'appeliez de votre voix sonore ! 6+6 a
Et comme un jeune faon, qui court, à son réveil, 6+6 b
Aux lisières des bois saluer le soleil, 6+6 b
Brame en voyant au ciel la lumière sacrée, 6+6 a
Et, le reste du jour errant sous la fourrée, 6+6 a
95 Le soir aspire encor de ses larges naseaux 6+6 b
Les feux qui vont mourir dans la frcheur des eaux, 6+6 b
Amour ! Religion ! Nature ! Ainsi mon âme 6+6 a
Aspira les rayons de votre triple flamme ; 6+6 a
Et, dans ce monde obscur où je m'en vais errant, 6+6 b
100 Vers vos divins soleils je me tourne en pleurant, 6+6 b
Vers celle que j'aimais et qu'on nommait Marie, 6+6 a
Et vers vous, ô mon dieu, dans ma douce patrie ! 6+6 a
Oh ! Lorsqu'après deux ans de poignantes douleurs 6+6 b
Je revis mon pays et ses genêts en fleurs, 6+6 b
105 Lorsque, sur le chemin, un vieux pâtre celtique 6+6 a
Me donna le bonjour dans son langage antique, 6+6 a
Quand, de troupeaux, de blés causant ainsi tous deux, 6+6 b
Vinrent d'autres bretons avec leurs longs cheveux, 6+6 b
Oh ! Comme alors, pareils au torrent qui s'écoule, 6+6 a
110 Mes songes les plus frais m'inondèrent en foule ! 6+6 a
Je me voyais enfant, heureux comme autrefois, 6+6 b
Et, malgré moi, mes pleurs étouffèrent ma voix ! … 6+6 b
Alors, j'ai voulu voir les murs du presbytère 6+6 a
Dont, jeune, j'ai porté la règle salutaire, 6+6 a
115 Et, m'avançant à l'ouest par un sentier connu, 6+6 b
Au pays des vallons pensif je suis venu. 6+6 b
Déjà, non loin du bourg, j'entrais dans cette lande 6+6 a
Qui jette vers le soir une odeur de lavande, 6+6 a
Quand, d'un étroit chemin tout bordé de halliers, 6+6 b
120 Près de moi descendit un troupeau d'écoliers ; 6+6 b
Leur maître les suivait quelques pas en arrière, 6+6 a
De son air souriant récitant le bréviaire ; 6+6 a
Lui seul me reconnut ; cependant à mon nom 6+6 b
Je vis dans tous les yeux briller comme un rayon ; 6+6 b
125 Nous causâmes : au bout de cette promenade, 6+6 a
J'étais pour les plus grands un ancien camarade. 6+6 a
Mes amis d'autrefois, aujourd'hui dispersés, 6+6 b
Et comme moi peut-être en bien des lieux froissés, 6+6 b
Revenez comme moi vers cette maison sainte ! 6+6 a
130 Notre jeunesse encor revit dans son enceinte. 6+6 a
Toujours même innocence et même piété, 6+6 b
Et dans l'emploi du temps même variété. 6+6 b
Le soir, comme autrefois, le plus jeune vicaire 6+6 a
Sur un auteur latin au curé fait la guerre ; 6+6 a
135 D'un vers de l'énéide on discute le sens ; 6+6 b
César, surtout, César qui dans ses bras puissants 6+6 b
Étreignit l'Armorique, et, frissonnant et blême, 6+6 a
Dans les bras d'un gaulois fut emporté lui-même, 6+6 a
Sur les crins d'un coursier trné hors du combat, 6+6 b
140 Et ne dut son salut qu'au mépris du soldat. 6+6 b
Cependant la nuit tombe. Enfants et domestiques, 6+6 a
Quelques voisins, amis des pieuses pratiques, 6+6 a
S'assemblent dans la salle, et leur humble oraison, 6+6 b
Encens du cœur, s'élève et remplit la maison ; 6+6 b
145 Et la journée ainsi, pieuse et régulière, 6+6 a
Comme elle a commen finit dans la prière. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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