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BRG_7/BRG7
corpus Pamela Puntel
Émile BERGERAT
POËMES DE LA GUERRE
1870-1871
Édition partielle
1871
LES DEUX MÈRES
POÈME DRAMATIQUE
A Monsieur A.-B. GLAIZE, le Père.
SCÈNE PREMIÈRE
L'ALLEMANDE.
Déjà dans les vergers bourgeonnent les lilas !… 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Déjà sur les étangs glissent les hirondelles !… 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Ils refleurissent, eux !
LA FRANÇAISE.
Elles reviennent, elles ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Hélas ! c'est le printemps !
LA FRANÇAISE.
C'est le printemps, hélas ! 6+6 a
L'ALLEMANDE.
5 Mon Fils était robuste ainsi qu'un jeune chêne, 6+6 a
Et je l'avais conçu dans ma virginité ! 6+6 b
Il allait, ne sachant ni la peur ni la haine 6+6 a
Et se sentant bâti pour une éternité. 6+6 b
Massif comme le bœuf, comme lui prolétaire, 6+6 a
10 Il marchait comme lui d'un seul bloc, à pas lents, 6+6 b
Lourd au sol, et rêveur ! et ses yeux indolents 6+6 b
Gênés par l'infini souriaient à la terre ! 6+6 a
Mon Fils était l'égal du plus beau des humains ! 6+6 a
Mon Fils était l'honneur de ma couche sereine ! 6+6 b
15 Et l'haleine du fer soufflait dans son haleine, 6+6 b
Et l'ampleur habitait la paume de ses mains. 6+6 a
Il est mort ! — Parmi ceux qui s'en vont de bonne heure 6+6 a
Réclamés du néant on me l'a confondu ! — 6+6 b
Mais depuis tant de jours que sa mère le pleure, 6+6 a
20 S'il existait des dieux, ils me l'auraient rendu ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
S'il existait des dieux, ils pleureraient nos larmes ! 6+6 a
Mon Fils était chétif ! Mon Fils était de ceux 6+6 b
Que l'on n'a qu'une fois !-Frêles et paresseux, 6+6 b
Les bras étaient trop longs et cassaient sous les armes ! 6+6 a
25 Comme on naît du devoir il naquit du plaisir ; 6+6 a
Il aurait vécu vieux à force de survivre ! 6+6 b
Sa démarche était chaste ainsi que son désir, 6+6 a
Son front avait la forme et la blancheur du livre ! 6+6 b
Ses fins cheveux naissaient en touffes de duvet, 6+6 a
30 Et bouclaient, jusque sur ses cils, avec paresse ! 6−6 b
Le toucher de sa peau valait une caresse 6+6 b
Et, quand on l'avait vu sourire, on y rêvait ! 6+6 a
Il avait la pensée alerte et l'âme grande ! 6+6 a
De tout noble projet son cœur était féru !… — 6+6 b
35 Ah ! pour qu'on me le prenne-ou pour qu'on me le rende, 6−6 a
Qu'ai-je fait cependant ! sinon — que l'avoir eu ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Il est mort ! — et là-bas, sous son linceul de neige 6+6 a
Sinistrement couché dans toute sa longueur, 6+6 b
Il pourrit, mon enfant !-Ah ! comme lui, que n'ai-je 6+6 a
40 Le limon dans les yeux et le ver dans le cœur ! 6+6 b
Et déjà l'envahit l'impassible nature ! 6+6 a
Les vautours ont flai leur vie en ce néant ! 6+6 b
Leur essaim est dardé sur ce torse béant ; 6+6 b
Ils planent ! Ils se sont mesuré leur pâture ! 6+6 a
45 O terreur ! leurs longs becs viennent de l'effleurer ! 6+6 a
Vautours, retirez-vous ! ce n'est pas votre proie ! 6+6 b
N'y touchez point ! craignez que la foudre vous broie ! 6+6 b
Vautours, c'est lui !… vautours, regardez-moi pleurer ! 6+6 a
Qui donc me défendra son cadavre ? — Personne ! 6+6 a
50 L'épouvante l'entoure et s'exhale de lui ! 6+6 b
Le fossoyeur lui-même au coin du bois frissonne 6+6 a
Au bruit de leur festin sinistre !… il s'est enfui ! 6+6 b
Oh ! n'ayez pas d'enfants ! Oreilles, yeux et bouches, 6+6 a
Fermez-vous ! Que nos seins dessèchent, apaisés ! 6+6 b
55 C'est le baiser du ver que fécondent nos couches, 6+6 a
C'est la couche du ver qu'allument nos baisers ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Heureuse celle-là qui, même inconsolée, 6+6 a
Repose sa douleur sur de jeunes berceaux ! 6+6 b
Quand le chêne est tom les naissants arbrisseaux 6+6 b
60 Repeuplent lentement l'azur de la vallée ! 6+6 a
Je n'avais que lui seul, ô conjugal affront ! 6+6 a
S'éteignent avec lui ma famille — et sa race ! 6+6 b
Et sur ce sein stérile, où se plaisait son front, 6+6 a
Aucun autre ne met son front et ne m'embrasse ! 6+6 b
65 Mais de ce corps, qui gît immortellement veuf 6+6 a
De son âme immortelle, une œuvre de génie 6+6 b
Remonte inexprimée à la source infinie, 6+6 b
Et je ne sais quel monde avorte dans son œuf ! 6+6 a
Et ma chair ne peut plus le repétrir encore ! 6+6 a
70 Dans sa veine mon sang ne peut plus s'infuser ! 6+6 b
Et la gloire, ignorant cette ébauche d'aurore, 6+6 a
Au temple des soleils va me la refuser ! 6+6 b
Je ne crois plus en toi, Providence complice ! 6+6 a
Les meilleurs de tes mains sont tes premiers repris ! 6+6 b
75 Dieu, qui brises les corps pour prendre les esprits, 6+6 b
Non, que ta volon jamais ne s'accomplisse ! 6+6 a
L'ALLEMANDE.
Déjà dans les vergers bourgeonnent les lilas ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Déjà sur les étangs glissent les hirondelles ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Ils refleurissent, eux !
LA FRANÇAISE.
Elles reviennent, elles ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Hélas ! c'est le printemps !
LA FRANÇAISE.
80 C'est le printemps, hélas ! 6+6 a
SCÈNE II
L'ALLEMANDE.
Non ! non ! Il n'est pas mort ! Il respire ! Il m'appelle ! 6+6 a
Je l'entends !-Oui, mon Fils, je viens ! je t'obéis ! 6+6 b
Je pars ! J'ai mon amour pour guide ! Oh ! ce pays, 6+6 b
Je ne l'ai jamais vu, mais je me le rappelle ! 6+6 a
85 Jeune mère, dis-moi : mon Fils a succom 6+6 a
Près d'une forteresse ; une rivière est proche… 6+6 b
Mène-moi ! Montre-moi la route ! A son approche 6+6 b
Je sentirai la place où mon Fils est tombé ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
O mère ! ma patrie est grande !vos armées 6+6 a
90 L'ont, du nord au midi, couverte de mourants ! 6+6 b
Les fleuves sous vos pas ont changé leurs courants ; 6+6 b
Les collines par vous ont été déformées ! 6+6 a
Le vallon où mon Fils est mort, je le connais ! 6+6 a
Mais des autres vallons j'ai perdu souvenance ! 6+6 b
95 On y voit le taillis lugubre des genêts, 6+6 a
On y voit des créneaux la lugubre ordonnance !… 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Oui ! c'est là qu'il doit être-et là qu'il est !-Je vois 6−6 a
Ces genêts, ces créneaux tels que tu les dévoiles ! 6+6 b
Je vois aussi-là-bas,-comme un rideau de bois ; 6+6 a
100 Ce sont des peupliers qui tremblent aux étoiles ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Oui ! de blancs peupliers s'y balancent ! — et puis 6+6 a
Sur sa croix, qu'inclina l'ouragan d'une bombe, 6+6 b
Un rameau de buis vert !
L'ALLEMANDE.
Oui ! le rameau de buis 6+6 a
Comme au vent de l'obus s'incline sur sa tombe !… 6+6 b
LA FRANÇAISE.
C'est là qu'il dort !
L'ALLEMANDE.
C'est là qu'il dort !
LA FRANÇAISE.
Mon Fils !
L'ALLEMANDE.
105 Mon Fils ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Je vous parle du mien, Femme, et non pas du vôtre ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
C'est du mien qu'il s'agit, Femme, il n'en est pas d'autre ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
De l'enfant que j'avais !
L'ALLEMANDE.
De l'enfant que je fis ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
En France, le tombeau c'est le champ de bataille ! 6+6 a
110 Et mon Fils est mort-là ! — Le point est débattu ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
En Allemagne, on dort où l'on a combattu, 6+6 b
Et mon Fils est mort-là !-Crois-tu que je m'en aille ? 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Portez plus loin vos fleurs !
L'ALLEMANDE.
Vous, plus loin votre encens ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Vous ne pleurerez pas un Français, je suppose ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
115 Éloignez-vous : c'est là qu'un Allemand repose ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Mais je l'ai vu, vous dis-je !
L'ALLEMANDE.
Eh bien, moi, je le sens ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
La mort a quelquefois des caprices funèbres, 6+6 a
Et peut-être en effet ils sont là tous les deux ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Le tombeau fait parfois des couples hasardeux 6+6 b
120 Et peut-être leurs yeux ont-ils mêmes ténèbres ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Peut-être ils sont tombés face à face au combat, 6+6 a
Ainsi que dans la terre ils dorment face à face ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Peut-être sous le sol, et tel qu'à la surface, 6+6 b
Leur sommeil reproduit l'horreur de leur débat ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
125 J'y pense : ma douleur est bien près de la tienne ! 6+6 a
L'ALLEMANDE.
J'y songe : mon cadavre est bien voisin du tien ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Allemande ! ta couche a dépeuplé la mienne ! 6+6 a
L'ALLEMANDE.
Française ! c'est ton Fils qui m'a tué le mien ! 6+6 b
SCÈNE III
LA FRANÇAISE.
Ton Fils était robuste ainsi qu'un jeune chêne, 6+6 a
130 Le mien était chétif comme un frêle arbrisseau ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Ton Fils avait l'esprit qui dirige la haine, 6+6 a
Le mien avait gardé la candeur du berceau ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Le génie au combat est vassal de la force ! 6+6 a
Plus d'un chef fut en proie au butor triomphant ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
135 La force est le gibier ; le génie est l'amorce ! 6+6 a
Goliath est tom de la main d'un enfant ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Ton Fils était habile aux armes ! Sa patrie 6+6 a
Pour ce labeur de mort te l'avait préparé ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Le tien , fils des Latins, en avait l'industrie ; 6+6 a
140 D'une vengeance amère il était alté 6+6 b
LA FRANÇAISE.
Le tien avait ses Rois.
L'ALLEMANDE.
Le tien, sa République ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Ivre de son faux droit, il marchait convaincu ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Ivre de son devoir, il marchait sans réplique ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Le tien était vainqueur !
L'ALLEMANDE.
Le tien était vaincu ! 6+6 b
LA FRANÇAISE.
145 O Femme aux cheveux blonds, me crois-tu donc si veule ? 6+6 a
Et connais-tu l'éclair qui passe dans mes yeux ? 6+6 b
L'ALLEMANDE.
O Femme aux cheveux bruns, mes bras sont déjà vieux, 6+6 b
Mais hier ils levaient une pierre de meule ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
En France, la vengeance est une vendetta, 6+6 a
150 Un meurtre s'y transmet ainsi qu'un héritage ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Eh bien, en Allemagne on en fait le partage, 6+6 b
Mille sont endettés pour un qui s'endetta ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
O Femme, aux os d'airain, redoute ma morsure ! 6+6 a
Les ciseaux de mes dents ont des secrets mortels ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
155 O Femme, aux nerfs d'acier, mes poings sont des martels ; 6+6 b
Ils ont des coups affreux qui rendent la mort sûre ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Sans doute un de ces coups par vos fils assénés ! — 6+6 a
Laisse parler ton sang ! il t'a trahi, j'espère ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Tes secrets, on les lit entre tes dents, vipère ! 6+6 b
160 Les derniers-nés chez vous les tiennent des nés ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Ose dire à présent que par sa seule force 6+6 a
Ton Fils n'a pas bri cette tête du poing ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Prouve-moi maintenant que ton enfant n'est point 6+6 b
Celui qui par la ruse a transpercé ce torse ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
165 O doute ténébreux ! Insondable secret ! 6+6 a
Qui vole à ma douleur jusques à ses blasphèmes ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
O justice qui laisse un crime sans arrêt ! 6+6 a
Les morts n'ont devant toi d'autres témoins
qu'eux-mêmes ! 6+6 b
SCÈNE IV
LA FRANÇAISE.
Vois : l'année a sau son printemps en péril ! 6+6 a
170 Dans l'ombre des lilas naissent les violettes. 6+6 b
Rien ne pleure ou ne rit encore, c'est Avril ! 6+6 a
La nature incertaine essaye ses voilettes ! 6+6 b
La larme au bord des cils, le rire au fond de l’œil, 6+6 a
Elle essuie à l'azur le sang de sa batiste ; 6+6 b
175 Veuve et déjà promise, ainsi qu'un demi-deuil, 6+6 a
Elle risque au soleil sa robe d'améthyste ! 6+6 b
Jours que mon Fils aimait, comme il vous a trahis ! 6+6 a
– Femme, vois nos printemps, et juge ta victime, 6+6 b
Puisque, malgré l'attrait de leur beauté sublime, 6+6 b
180 C'est le mois où mon Fils partait pour ton pays ! 6+6 a
L'ALLEMANDE.
Les printemps allemands ont des retours fidèles ! 6+6 a
Et ceux qui les ont vus les gardent dans les yeux ! 6+6 b
Sur nos toits adorés, et d'aïeux en aïeux, 6+6 b
Y reviennent nicher les mêmes hirondelles ! 6+6 a
185 Des fleurs de cerisier le vallon est semé, 6+6 a
Et l'aube, en s'éveillant, y parle à l'alouette !… 6+6 b
On n'a qu'à les aimer pour s'y sentir poëte, 6+6 b
On n'a qu'à les chanter pour s'y sentir aimé ! 6+6 a
Saison qu'il chérissait, ta douceur m'est flétrie ! 6+6 a
190 –O Femme, vois ton œuvre, et juge mes tourments, 6+6 b
Puisque, malgré l'appel des printemps allemands, 6+6 b
Mon Fils les oubliait pour ceux de ta Patrie ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
En t'écoutant, je sens qu'ils se seraient aimés ! 6+6 a
De leur haine s'envole une amitié ravie ! 6+6 b
195 Ils devaient vivre à deux tels qu'ils sont inhumés ; 6+6 a
La mort tient la promesse amère de la vie. 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Ils étaient assemblés pour de touchants emprunts, 6+6 a
Car l'un avait la force et l'autre le génie ! 6+6 b
Dans l’œuvre fraternelle on eût vu l'harmonie 6+6 b
200 Des cheveux blonds mêlés avec les cheveux bruns ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Tout est fini ; la haine est semée ! elle germe ! 6+6 a
Le Rhin ne borne plus les futures moissons ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Le Rhin débordera du sang des nourrissons ! 6+6 b
La porte est trop ouverte, il faudra qu'on la ferme ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
205 L'avenir est trop noir, Mère, pardonnons-nous, 6+6 a
Comme nos Fils se sont pardonnés l'un et l'autre ! 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Vous pleurerez mon Fils, je pleurerai le vôtre ! 6+6 b
Pardonnons-nous, ô Mère, et ployons les genoux ! 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Mais s'il est quelque part un Dieu que l'on redoute, 6+6 a
210 Sur ce double tombeau mon cœur lui dit ceci. 6+6 b
L'ALLEMANDE.
Si quelqu'un nous entend il peut m'entendre aussi ; 6+6 b
Une mère a des mots que le destin écoute. 6+6 a
LA FRANÇAISE.
Maudit soit, même en enfer, 7 a
Le premier fils de la femme 7 b
215 Qui pour un labour infâme 7 b
Aiguisa le premier fer. 7 a
Qu'aux deux termes de sa race 7 a
Sa filière, dont la trace 7 a
Là se perd, et là grandit, 7 a
220 Rencontre mon anathème, 7 b
Et si c'est Caïn lui-même, 7 b
Que Caïn dorme maudit ! 7 a
L'ALLEMANDE.
Maudit soit dans son engeance 7 a
Celui qui des pieds de Dieu 7 b
225 Aux hasards de la vengeance 7 a
Déchaîna le premier feu ! 7 b
Quel que soit l'amas de poudre 7 a
Qui témoigne de sa foudre, 7 a
Qu'il soit Éden ou Babel, 7 a
230 Si ce larron du tonnerre 7 b
Est Abel le débonnaire, 7 b
Anathème sur Abel ! 7 a
LA FRANÇAISE.
Maudit soit le sombre prêtre 7 a
Qui des murs de son cachot 7 b
235 Gratta le premier salpêtre 7 a
Et l'approcha d'un réchaud ! 7 b
Qui fit monter dans les âges 7 a
La mer de sang sans rivages 7 a
Dont l'amour gardait les sceaux, 7 a
240 Et par son fléau funeste 7 b
A découronné la peste 7 b
Du premier rang des fléaux ! 7 a
L'ALLEMANDE.
Maudit soit dans son audace 7 a
L'homme qui d'un front altier 7 b
245 Regarda la mort en face 7 a
Et qui s'en fit un métier ! 7 b
Pasteur des plaines amères 7 a
Qui pendit le cœur des mères 7 a
A la hampe d'un drapeau 7 a
250 Et sur les cris d'agonie 7 b
Fit célébrer son génie 7 b
Par le reste du troupeau ! 7 a
LA FRANÇAISE.
Je vous garde en économe 7 a
Vous, de nos terreurs armés 7 b
255 Et d'autant mieux dénommés 7 b
Que personne ne vous nomme ! 7 a
Vous par qui vit le corbeau ! 7 a
Et s'enrichit le tombeau ! 7 a
Et reverdissent les saules ! 7 a
260 Et par qui l'homme est jaloux 7 b
De la tanière des loups 7 b
Et des ténèbres des pôles ! 7 a
L'ALLEMANDE.
Vous par qui voudrait veiller 7 a
Le front lassé qui sommeille ! 7 b
265 Par qui celui qui s'éveille 7 b
Voudrait encor sommeiller ! 7 a
Par qui son tourment sans trêve 7 a
Est dépossédé du rêve ! 7 a
Et par qui l'azur des airs 7 a
270 N'est plus qu'une larme immense 7 b
Où nagent dans la démence 7 b
Des fantômes d'univers ! 7 a
LA FRANÇAISE.
Par qui toute mère implore 7 a
Le Dieu de stérilité, 7 b
275 En voyant son fils éclore 7 a
Au mal de virilité ! 7 b
Par qui l'azur, linceul d'âmes, 7 a
Le soleil, gouffre de flammes, 7 a
La mer, abîme des vents, 7 a
280 La terre, morne suaire, 7 b
Ne font plus qu'un ossuaire 7 b
Où s'enlisent les vivants ! 7 a
L'ALLEMANDE.
Par qui frissonne en sa fièvre 7 a
Le laboureur accablé 7 b
285 Qui sent venir à sa lèvre 7 a
Le goût sanglant de son blé ! 7 b
Par qui tout pleure et tout crie ! 7 a
Sur le mont, dans la prairie, 7 a
Du premier toit au dernier, 7 a
290 Et par qui l'aigle qui passe 7 b
N'entend monter dans l'espace 7 b
Que des rumeurs de charnier ! 7 a
LA FRANÇAISE.
Soyez maudits sur vos trônes 7 a
Posés dans les ouragans ! 7 b
295 Que l'anneau de vos couronnes 7 a
Soit l'anneau de vos carcans ! 7 b
Que, semés parmi vos chaînes, 7 a
Les boulets, chers à vos haines, 7 a
Vous brisent l'ongle et l'orteil ; 7 a
300 Et que votre ombre asservie 7 b
Nous laisse égoutter la vie 7 b
Par le filtre du soleil ! 7 a
L'ALLEMANDE.
Et dans la mort fraternelle 7 a
Dormiront des cœurs moins las ! 7 b
305 Et la nature éternelle 7 a
Aura d'éternels lilas ! 7 b
Et les chœurs des hirondelles, 7 a
Se frayant à grands coups d'ailes 7 a
Cette voie où des élus 7 a
310 Flottent les essaims contraires, 7 b
Iront crier à nos frères 7 b
Que les tyrans ne sont plus ! 7 a
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