Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
BRG_5/BRG5
corpus Pamela Puntel
Émile BERGERAT
LES CUIRASSIERS DE REICHSHOFFEN
1870
LES CUIRASSIERS DE REICHSHOFFEN
Strophes dites par M. Coquelin, la Comédie française,
le 25 octobre 1870
I
Nous combattions depuis l'aurore, un contre dix ! 6+6 a
Il fallait de leurs bois déloger ces maudits 6+6 a
Qui font mentir jusques à la mitraille 4+6 b
Et nous allions, perçant ces rideaux ténébreux ! 6+6 c
5 Après ceux-ci, ceux-là, toujours ! et derrière eux 6+6 c
Se reformait l'éternelle muraille. 4+6 b
Les turcos, fiers chasseurs aux lions familiers, 6+6 a
Comme on flaire le fauve aux senteurs des halliers, 6+6 a
Dépistaient les canons au fumet de la poudre, 6+6 b
10 Et rampants, ramassés dans l'ombre, sabre aux dents 6+6 c
Ils s'accrochaient d'un bond à leurs affûts grondants 6+6 c
Et, corps à corps, luttaient avec la foudre. 4+6 b
Par des feux inconnus les chênes foudroyés 6+6 a
Tordaient d'horreur leurs bras dépouillés et broyés 6+6 a
15 Et s'effondraient au sein de ce cratère ; 4+6 b
Et leurs rameaux, voilant ce spectacle de sang, 6+6 c
Semblaient vouloir cacher au soleil tout-puissant 6+6 c
L'œuvre de mort que réclamait la terre. 4+6 b
Dans ces débris fumants se frayant un chemin 6+6 a
20 Si serrés qu'on eût dit qu'ils se tenaient la main, 6+6 a
Ceux de la ligne allaient… Ah ! je pleure et je prie 6+6 b
Et je tombe à genoux, ô peuple, devant toi, 6+6 c
Toi qui marche, martyr d'une sublime foi, 6+6 c
A ta semelle emportant la Patrie. 4+6 b
II
25 Mac-Mahon à cheval, parmi ses généraux, 6+6 a
Laissait courir son âme en ces cœurs de héros ; 6+6 a
Mais, comme domi d'une angoisse secrète, 6+6 b
Il attendait, les yeux rivés à l'horizon… 6+6 c
Déjà les jeunes gens parlaient de trahison 6+6 c
30 Devant les vieux guerriers qui parlaient de retraite. 6+6 b
Qu'attendait-il ? Hélas ! celui qui ne vient pas… 6+6 a
(Ah ! déchirez les plans et brisez les compas, 6+6 a
Et par pudeur au moins ne lisez plus l'histoire.) 6+6 b
Grouchy, toujours Grouchy, le trainard du Destin… 6+6 c
35 Et, lasse de planer, en son vol incertain 6+6 c
Sur les drapeaux vaincus s'abattait la Victoire. 6+6 b
Tout à coup les canons se turent ; tous nos feux 6+6 a
S'éteignirent. O rêve à dresser les cheveux !… 6+6 a
Le vent jusqu'au soleil souleva la fue, 6+6 b
40 Et l'on vit, bras croisés, pas à pas, sans courir, 6+6 c
Comme si dans sa gloire elle voulait mourir, 6+6 c
Reculer… Qui donc ?… Notre armée ! 8 b
III
Les cartouches manquaient… Je veux chanter ton nom, 6+6 a
Toi qui te dis vainqueur de notre Mac-Mahon. 6+6 a
45 Est-ce toi, vieux Guillaume, au sanglant diadème ? 6+6 b
Tes canons mtrisés ? tes chevaux démontés ? 6+6 c
Est-ce le nombre ? Non, nous vous avions comptés. 6+6 c
Ou toi, forêt complice ? Est-ce la mort ? Pas même. 6+6 b
L'ombre tombait ! La lune, au sein du hurlement, 6+6 a
50 Comme un boulet perdu troua le firmament, 6+6 a
La ligne reforma ses carrés dans la plaine, 6+6 b
Et frémissante encor, l'épée en main, sans bruit, 6+6 c
Tandis que l'ennemi se massait dans la nuit, 6+6 c
Elle tourna les yeux vers son grand capitaine. 6+6 b
55 Mac-Mahon fit venir ses cuirassiers au pas… 6+6 a
Apprenez-moi des mots qui ne périssent pas ! 6+6 a
J'ai besoin… j'ai besoin d'une langue immortelle 6+6 b
— Vous voyez, leur dit-il, là-bas, ces mamelons ! 6+6 c
C'est là qu'on se repose !Allez ! et soyez longs 6+6 c
60 Mais, fit le colonel, la route ?… Où donc est-elle ? 6+6 b
— Colonel, répondit Mac-Mahon, la voilà !… 6+6 a
Et quand ce chef la vit, son regard se voila. 6+6 a
— Ah ! je comprends, dit-il, je n'ai plus qu'à la faire !… 6+6 b
Combien sont-ils ?… Ils sont sans nombre !… — C'est la mort ?… 6+6 c
65 — Oui ! — J'y vais, maréchal, dit-il avec effort ; 6+6 c
Voulez-vous me donner la main, car je suis père. 6+6 b
L'homme de Magenta ne la lui donna pas, 6+6 a
Mais il se découvrit, et, prenant dans ses bras 6+6 a
Celui qu'il envoyait mourir, non sans envie, 6+6 b
70 Il l'embrassa devant l'armée et devant Dieu, 6+6 c
Et, l'immortalisant par ce sublime adieu, 6+6 c
Il lui fit une mort plus belle que la vie. 6+6 b
IV
Heureux ceux qui s'en vont sur des chevaux fougueux, 6+6 a
Par le vent emportés dans les vallons en feux, 6+6 a
75 Jusque dans le trépas harceler la fortune ! 6+6 b
Comme au soleil d'hiver étincelle un glacier, 6+6 c
Sur leurs cols vigoureux les cuirasses d'acier 6+6 c
Resplendissent au clair de lune. 8 b
Qu'ils sont beaux ces guerriers, dans la mort résolus ! 6+6 a
80 Ils volent franchissant les fossés, les talus , 6+6 a
Et leur ombre autour d'eux bondit, flotte et s'allonge 6+6 b
Et l'ennemi disait : Que vont-il donc oser ? 6+6 c
Quel combat fabuleux viennent-ils proposer ? 6+6 c
Nocturnes cavaliers , font-ils la guerre en songe ?… 6+6 b
85 Ils la font ! Les voilà. Balayant le terrain, 6+6 a
L'escadron est entré dans la masse d'airain 6+6 a
Comme au lit d'un torrent les neiges en déroute !… 6+6 b
Épaississez vos rangs ! entre-croisez vos fers ! 6+6 c
Déchnez la mitraille… Ils passent au travers… 6+6 c
90 On leur a dit : « Allez. » Ils se taillent leur route. 6+6 b
Bientôt tout se fondit, et l'on ne les vit plus ; 6+6 a
Et le vallon s'emplit d'un mélange confus… 6+6 a
Le regard seul de Dieu les distinguait dans l'ombre 6+6 b
Ainsi va dans l'orage un vaisseau démâté : 6+6 c
95 Il plonge, se redresse et surnage, emporté 6+6 c
Par l'aquillon, tournoie, et sombre. 8 b
Non, ne te voile point, ô lune, éclaire-les ! 6+6 a
Tisse-leur un linceul dans tes pâles reflets, 6+6 a
Car demain, reprenant sa course coutumière, 6+6 b
100 Le soleil envîra ta place en ces tournois, 6+6 c
Honteux de n'avoir pas une seconde fois 6+6 c
Dans le ciel immobile arrêté sa lumière. 6+6 b
Ils avaient été longs, ô Mac-Mahon ! si longs, 6+6 a
Que, lorsque le soleil éclaira les vallons, 6+6 a
105 Il les trouva déserts au pied du bois paisible, 6+6 b
Et l'ennemi trom put voir dans le lointain 6+6 c
Marcher dans la rosée, à l'air frais du matin, 6+6 c
Notre armée invaincue et son chef invincible. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 6+6, 4+6
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