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| = césure
BRB_1/BRB52
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
LAZARE
LA NATURE
Les défricheurs
Invisibles pouvoirs, souffles impérieux, 6+6 a
Monarques qui tenez l'immensité des cieux, 6+6 a
Vents qui portez le frais aux ondes des fontaines, 6+6 b
Les ondes aux grands bois, les semences aux plaines, 6+6 b
5 Et jetez à longs flots les flammes de l'amour 6+6 a
À tout ce qui respire et ce qui voit le jour, 6+6 a
Défendez vos forêts, vos lacs et vos montagnes ! 6+6 b
Et toi, sombre empereur des humides campagnes, 6+6 b
Qui tiens étroitement, comme un Triton nerveux, 6+6 a
10 La terre toute blonde en tes bras amoureux, 6+6 a
Redouble tes clameurs, tes murmures sauvages ; 6+6 b
Dévore, plus ardent, le sable de tes plages ; 6+6 b
Hérisse sur ton front tes cheveux souverains ; 6+6 a
Et de l'abîme noir levant tes larges reins, 6+6 a
15 Pour garder les trésors de ta plaine écumante, 6+6 b
Fais voler jusqu'au ciel la mort et l'épouvante ; 6+6 b
Ô vieil océanus ! ô père tout-puissant ! 6+6 a
Tes fureurs aujourd'hui ne sont que jeux d'enfant ! 6+6 a
Que nous font les cent voix des bruyantes tempêtes, 6+6 b
20 Les mondes dans les cieux se brisant sur nos têtes ? 6+6 b
L'éclair livide et jaune et la foudre en éclats 6+6 a
N'ébranlent pas notre âme et ne l'abattent pas. 6+6 a
Nul peuple comme nous, dans son humeur altière, 6+6 b
N'a su plus fortement remuer la matière, 6+6 b
25 La mettre sous le joug, et s'en couronner roi 6+6 a
Au nom de la pensée et de l'antique loi. 6+6 a
En dépit de la mort et de son noir squelette, 6+6 b
Nous avons en tout point foulé notre planète ; 6+6 b
Elle nous appartient de l'un à l'autre bout ; 6+6 a
30 Comme l'ombre et le jour nous pénétrons partout. 6+6 a
Allons, noires forêts, vieilles filles du monde, 6+6 b
Tombez et périssez sous la hache féconde ! 6+6 b
Races des premiers jours, antiques animaux, 6+6 a
Vieux humains, faites place à des peuples nouveaux ; 6+6 a
35 Dérobons à la mer ses terres toutes neuves, 6+6 b
Domptons les fiers torrents et muselons les fleuves, 6+6 b
Descendons sans effroi jusqu'au centre divin, 6+6 a
Fouillons et refouillons sans repos et sans fin ; 6+6 a
Et comme matelots sur la liquide plaine, 6+6 b
40 À grands coups de harpons dépeçant leur baleine, 6+6 b
Partout maîtres du sol, partout victorieux, 6+6 a
Dans le haut, dans le bas, sur le plein, dans le creux, 6+6 a
Du globe taciturne, immense et lourde masse, 6+6 b
Suivant chaque besoin bouleversons la face. 6+6 b
Le poète
45 Ah ! Ce vouloir immense en un si petit corps, 6+6 a
Cette force cachée en de faibles ressorts, 6+6 a
Saisissent mon esprit de terreurs sans pareilles, 6+6 b
Et je sens que le monde en toutes ses merveilles 6+6 b
Ne nous présente pas de prodige plus beau 6+6 a
50 Et de levier plus fort que l'homme et son cerveau. 6+6 a
Et pourtant, au milieu de ce chant de victoire, 6+6 b
Dans mon âme descend une tristesse noire ; 6+6 b
Le regret comme une ombre obscurcit mon front nu, 6+6 a
Et je ne songe plus qu'à pleurer le vaincu ; 6+6 a
55 Et je m'écrie alors : — ah ! Sur l'œuvre divine 6+6 b
Verra-t-on sans respect se vautrer la machine, 6+6 b
Et comme hippopotame, insensible animal, 6+6 a
Fouler toute la terre avec un pied brutal ? 6+6 a
Où les cieux verront-ils luire leurs voûtes rondes, 6+6 b
60 Si mille pieds impurs viennent ternir les ondes ? 6+6 b
Que diront les glaciers si leurs neigeux sommets 6+6 a
Descendent dans la plaine et s'abaissent jamais ? 6+6 a
Et l'aigle, si, quittant le pays des nuages, 6+6 b
Au dieu brûlant du jour il ne rend plus d'hommages. 6+6 b
65 Et la grande verdure et ses tapis épais, 6+6 a
Et les hauts monuments des antiques forêts, 6+6 a
Les chênes, les sapins et les cèdres immenses, 6+6 b
Le plein déroulement de toutes les semences, 6+6 b
Si l'active matière et ne vit et ne croît 6+6 a
70 Que par l'ordre de l'homme, au signal de son doigt ? 6+6 a
Ah ! Les êtres diront, chacun dans son entrave : 6+6 b
L'enfant de la nature a fait sa mère esclave ! 6+6 b
Ô nature ! Nature, amante des grands cœurs, 6+6 a
Mère des animaux, des pierres et des fleurs, 6+6 a
75 Inépuisable flanc et matrice féconde 6+6 b
D'où s'échappent sans fin les choses de ce monde, 6+6 b
Est-il possible, ô toi dont le genou puissant 6+6 a
Sur le globe nouveau berça l'homme naissant ! 6+6 a
Que tu laisses meurtrir ta céleste mamelle 6+6 b
80 Par les lourds instruments de la race mortelle ? 6+6 b
Que tu laisses bannir ta suprême beau 6+6 a
Des murs envahissants de l'humaine cité ? 6+6 a
Et que tu ne sois plus, comme dans ta jeunesse, 6+6 b
Notre plus cher amour, cette bonne déesse 6+6 b
85 Qui, mêlant son sourire à nos simples travaux, 6+6 a
Des habitants du ciel nous rendait les égaux, 6+6 a
Éternisait notre âge et faisait de la vie 6+6 b
Un vrai champ de blé d'or toujours digne d'envie ? 6+6 b
Hélas ! Si les destins veulent qu'à larges pas 6+6 a
90 Fuyant et reculant devant nos attentats, 6+6 a
Tu remontes aux cieux et tu livres la terre 6+6 b
À des enfants ingrats et plus forts que leur mère, 6+6 b
Ô nourrice plaintive ! ô nature ! Prends-moi, 6+6 a
Et laisse-moi vers Dieu retourner avec toi. 6+6 a
La nature
95 Ô mon enfant chéri ! Toi qui m'aimes encore, 6+6 b
Et devines en moi ce que la foule ignore ; 6+6 b
Toi qui, laissant hurler le troupeau des humains, 6+6 a
Viens souvent m'embrasser, me presser de tes mains, 6+6 a
Et, roulant par les airs des plaintes enfantines, 6+6 b
100 Sur mon sein verser l'or de tes larmes divines : 6+6 b
Oh ! Je comprends tes cris, tes mortelles frayeurs, 6+6 a
Et dans tes yeux gonflés la source de tes pleurs ! 6+6 a
Je conçois ce que vaut pour l'âme droite et pure, 6+6 b
Pour le cœur déchi par l'ongle de l'injure, 6+6 b
105 Pour un amant du bon et du beau, dég 6+6 a
Des fanges de la ville et de sa lâcheté, 6+6 a
Le sauvage parfum de ma rustique haleine ; 6+6 b
Je conçois ce que vaut la douceur souveraine 6+6 b
Des vents sur la montagne à travers les grands pins, 6+6 a
110 La beauté de la mer aux murmures sans fins, 6+6 a
Le silence des monts balayés par la houle, 6+6 b
L'espace des déserts où l'âme se déroule, 6+6 b
Et l'aspect affligeant même des lieux d'horreur, 6+6 a
Où le cœur se soulage et qui parlent au cœur. 6+6 a
115 Aussi, pour rassurer ton âme, ô mon poëte ! 6+6 b
Et pour te consoler, je ne suis point muette ; 6+6 b
Bien que le livre obscur du lointain avenir 6+6 a
Ne puisse sur mon sort devant toi s'entr'ouvrir ; 6+6 a
Que, dans le mouvement d'une vie incessante, 6+6 b
120 Un bandeau sur les yeux je conçoive et j'enfante, 6+6 b
Je puis crier pourtant, et les sublimes voix 6+6 a
Qui s'élèvent des monts, des ondes et des bois, 6+6 a
L'hymne aux vastes accords, l'harmonieux cantique 6+6 b
Qui monte jour et nuit du globe magnifique, 6+6 b
125 Dans ton oreille chaste à longs flots pénétrant. 6+6 a
Viendra toujours calmer ton cœur désespérant. 6+6 a
Qu'importe que le jeu de mes forces sublimes, 6+6 b
Sur la verte planète et dans ses noirs abîmes, 6+6 b
Soit en quelques endroits empêché par des nains ? 6+6 a
130 Qu'importe que le bras des orgueilleux humains 6+6 a
S'attaquant à la terre, à ses formes divines, 6+6 b
Écorche son beau sein du fer de leurs machines ? 6+6 b
Qu'importe que, doués des puissances du ciel, 6+6 a
Ils changent à leur gré l'habitacle mortel ? 6+6 a
135 Quels que soient les efforts de l'homme et de sa race, 6+6 b
Que du globe soumis inondant la surface, 6+6 b
Il soit pour la matière une cause de fin, 6+6 a
Ou de perfection un instrument divin, 6+6 a
Ô mon enfant chéri ! — jusqu'au jour où la terre, 6+6 b
140 Comme le grain de blé qui s'échappe de l'aire 6+6 b
Et qu'emportent les vents aux champs de l'infini, 6+6 a
Aura développé son radieux épi ; 6+6 a
Jusqu'au jour où, semblable à la fleur qui se passe, 6+6 b
Par la main du seigneur effeuillée en l'espace, 6+6 b
145 Elle ira reformer un globe en d'autres lieux 6+6 a
Et fleurir au soleil de quelques nouveaux cieux, 6+6 a
Toujours, ô mon enfant ! Toujours les vents sauvages 6+6 b
De leurs pieds vagabonds balayeront les plages ; 6+6 b
La mer réfléchira toujours dans un flot pur 6+6 a
150 Et l'océan du ciel et ses îles d'azur ; 6+6 a
Comme un ardent lion aux plaines africaines, 6+6 b
Le soleil marchera toujours en ses domaines, 6+6 b
Dévorant toute vie et brûlant toutes chairs ; 6+6 a
On entendra toujours frissonner dans les airs 6+6 a
155 De grands bois renaissants, des verdures sans nombre, 6+6 b
Pour faire courir l'onde et faire flotter l'ombre ; 6+6 b
Toujours on verra luire un sommet argen 6+6 a
Pour les oiseaux divins, l'aigle et la liberté. 6+6 a
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