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| = césure
BRB_1/BRB47
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
LAZARE
WESTMINSTER
« Westminster ! Westminster ! Sur cette terre vaine 6+6 a
Suis-je toujours en butte aux clameurs de la haine ? 6+6 a
Avant d'avoir subi le jugement de Dieu 6+6 b
Suis-je au regard des miens toujours digne du feu ? 6+6 b
5 Hélas ! Mes tristes os languissent dans mes terres, 6+6 a
Mon domaine appartient à des mains étrangères, 6+6 a
Et l'on peut voir un jour les autans furieux, 6+6 b
Enfants désordonnés de l'empire des cieux, 6+6 b
De leurs souffles impurs chasser ma cendre illustre 6+6 a
10 Et balayer mes os comme les os d'un rustre. 6+6 a
« Westminster ! Westminster ! Au midi de mes jours, 6+6 b
Le cœur déjà lassé d'orageuses amours, 6+6 b
J'ai vu la calomnie, en arrière et dans l'ombre, 6+6 a
S'asseoir à mon foyer comme une hôtesse sombre, 6+6 a
15 En disperser la cendre, et, d'un bras infernal, 6+6 b
Glisser de froids serpents dans le lit conjugal. 6+6 b
J'ai vu dans le rempart de ma gloire fameuse, 6+6 a
Au milieu des enfants de ma verve fougueuse, 6+6 a
Une main attacher à mon front l'écriteau 6+6 b
20 Qu'on met au front de ceux qui vivent sans cerveau. 6+6 b
« et puis on ébranla le chêne en ses racines, 6+6 a
On sépara le tronc de ses branches divines, 6+6 a
Le père de la fille ; — on me prit mon enfant, 6+6 b
Comme si, la pressant sur mon sein étouffant, 6+6 b
25 Mes baisers corrupteurs et ma tendresse impure 6+6 a
Avaient pu ternir l'or de sa jeune nature ; 6+6 a
On enleva ma fille à mon cœur amoureux, 6+6 b
Et, pour mieux empêcher l'étreinte du lépreux, 6+6 b
On fit entre les bras de l'enfant et du père 6+6 a
30 Passer la mer immense avec son onde amère. 6+6 a
« ah ! Pour l'homme qui porte en sa veine un beau sang 6+6 b
Il n'est pas de torture et d'affront plus cuisant ! 6+6 b
Oh ! Quels coups malheureux ! Oh ! Quelle horrible lame 6+6 a
Que celle qui s'en va percer l'âme de l'âme, 6+6 a
35 Le divin sentiment, ce principe éternel 6+6 b
Des élans du poëte et du cœur paternel ! 6+6 b
Ô morsures du feu sur les membres livides ! 6+6 a
Ô fouets retentissants des vieilles Euménides ! 6+6 a
Supplices des païens, antiques châtiments, 6+6 b
40 Oh ! Qu'êtes-vous auprès de semblables tourments ? 6+6 b
« et voilà cependant, voilà les rudes peines 6+6 a
Que m'ont fait endurer les colères humaines ; 6+6 a
Voilà les trous profonds que des couteaux sacrés 6+6 b
Ont fait pendant longtemps à mes flancs ulcérés ; 6+6 b
45 L'éternel ouragan, la bruyante tempête, 6+6 a
Qui jusqu'au lit de mort hurlèrent sur ma tête, 6+6 a
Et rendirent mon cœur plus noir et plus amer 6+6 b
Que le fenouil sauvage arraché par la mer, 6+6 b
Et le flot écumeux que la vieille nature 6+6 a
50 Autour de l'Angleterre a roulé pour ceinture. 6+6 a
« Westminster ! Westminster ! Oh ! N'est-ce point assez 6+6 b
De mon enfer terrestre et de mes maux passés ? 6+6 b
Par-delà le tombeau faut-il souffrir encore ? 6+6 a
Faut-il être toujours le satan qu'on abhorre ? 6+6 a
55 Et mes remords cachés, et leur venin subtil, 6+6 b
Et le flot de mes pleurs dans les champs de l'exil, 6+6 b
Et l'angoisse sans fin de ma longue agonie ! 6+6 a
N'ai-je pas expié les fautes de ma vie ? 6+6 a
Westminster ! Westminster ! Dans ton temple de paix 6+6 b
60 Mes pâles ossements descendront-ils jamais ? » 6+6 b
Ô grande ombre ! Ta plainte est lugubre et profonde. 6+6 a
Ah ! Je sens que durant ton passage en ce monde 6+6 a
Tu fus comme un lion traqué dans les forêts ; 6+6 b
Que, fatiguant en vain de vigoureux jarrets, 6+6 b
65 Partout où tu passas dans ta fuite divine 6+6 a
Ta noble peau s'ouvrit au tranchant de l'épine, 6+6 a
Et tes crins tout-puissants restèrent aux buissons ; 6+6 b
Partout il te fallut payer tes larges bonds, 6+6 b
Et ton cœur généreux entr'ouvert sur le sable 6+6 a
70 Versa jusqu'à la mort un sang inépuisable. 6+6 a
Mais aussi fallait-il, ô poëte hautain ! 6+6 b
Avant de fermer l'œil à l'horizon lointain, 6+6 b
De rendre aux éléments ta sublime poussière, 6+6 a
Que le glaive doré de ta muse guerrière 6+6 a
75 Dans le sein du pays et dans son rude flanc 6+6 b
Avec un rire amer pénétrât si souvent ? 6+6 b
Ah ! Pourquoi reçut-il une blessure telle 6+6 a
Qu'il en pousse toujours une clameur mortelle, 6+6 a
Et que la plaie en feu, difficile à guérir, 6+6 b
80 Au seul bruit de ton nom semble toujours s'ouvrir ? 6+6 b
Byron ! Tu n'as pas craint, jeune dieu sans cuirasse, 6+6 a
D'attaquer corps à corps les défauts de ta race, 6+6 a
De toucher ce que l'homme a de mieux inventé, 6+6 b
Le voile de vertu par le vice emprunté ; 6+6 b
85 D'une robuste main, hardiment et sans feinte, 6+6 a
Tu mis en vils lambeaux la couverture sainte 6+6 a
Qui pèse sur le front de la grande Albion 6+6 b
Plus que son voile épais de brume et de charbon, 6+6 b
Le manteau qu'aujourd'hui de l'un à l'autre pôle 6+6 a
90 Le pâle genre humain va se coudre à l'épaule ; 6+6 a
Le drap sombre du cant est tombé sous tes coups. 6+6 b
De là tant de dédains, d'outrages, de courroux ; 6+6 b
De là ce châtiment et cette longue injure 6+6 a
Contre laquelle en vain ta grande ombre murmure, 6+6 a
95 Cette haine vivace et qui sur un tombeau 6+6 b
Semble toujours tenir allumé son flambeau ; 6+6 b
Comme si dans ce monde, imparfaits que nous sommes, 6+6 a
Les hommes sans pitié devaient juger les hommes, 6+6 a
Et comme si, grand dieu ! Le malheur éprouvé 6+6 b
100 N'était pas le flot saint par qui tout est lavé. 6+6 b
Ô chantre harmonieux des douleurs de notre âge ! 6+6 a
Sombre amant de l'abîme au cantique sauvage, 6+6 a
Cygne plein d'amertume et dont la passion 6+6 b
D'une brûlante main pétrit le pur limon, 6+6 b
105 Laisse rougir le front de la patrie ingrate ; 6+6 a
Tandis que ton beau nom avec le sien éclate 6+6 a
Sur tous les points du globe en signes merveilleux, 6+6 b
Laisse-la négliger tes mânes glorieux ; 6+6 b
Laisse-la, te couvrant d'un oubli sans exemple, 6+6 a
110 Faire attendre à tes os les honneurs de son temple. 6+6 a
C'est l'éternel destin ! C'est le sort mérité 6+6 b
Par tous les cœurs aimant trop fort la vérité ! 6+6 b
Oui, malheur en tout temps et sous toutes les formes 6+6 a
Aux apollons fougueux qui, sur les reins énormes 6+6 a
115 Et le crâne rampant du vice abâtardi, 6+6 b
Poseront comme toi leur pied ferme et hardi ! 6+6 b
Malheur ! Car ils verront le monstrueux reptile, 6+6 a
Gonflant de noirs venins sa poitrine subtile, 6+6 a
Bondir sous leurs talons, et dans ses larges nœuds 6+6 b
120 Écraser tôt ou tard leurs membres lumineux ! 6+6 b
Et la société, témoin de l'agonie, 6+6 a
Loin de tendre la main aux enfants du génie, 6+6 a
De les débarrasser des replis du vainqueur, 6+6 b
Toujours se bouchera l'oreille à leur clameur : 6+6 b
125 Trop heureux si la vieille aux longs voiles rigides 6+6 a
Abandonne les corps aux dents des vers avides, 6+6 a
Et si son bras, plus dur que celui de la mort, 6+6 b
Pour se venger aussi ne fait pas un effort, 6+6 b
Et, frappant à son tour la victime qui tombe, 6+6 a
130 Ne poursuit pas son ombre au-delà de la tombe. 6+6 a
Vieille et sombre abbaye, ô vaste monument 6+6 b
Baigné par la Tamise et longé tristement 6+6 b
Par un sol tout blanchi de tombes délaissées ! 6+6 a
Tu peux t'enorgueillir de tes tours élancées, 6+6 a
135 De ta chapelle sainte aux splendides parois, 6+6 b
Et de ton seuil battu par la pourpre des rois ! 6+6 b
Tu peux sur le granit de tes lugubres dalles 6+6 a
Étaler fièrement tes pompes sépulcrales, 6+6 a
Les sublimes dormeurs de tes tombeaux noircis, 6+6 b
140 Tes princes étendus sur leurs coussins durcis, 6+6 b
Et tous les morts fameux dont la patrie entière 6+6 a
Conserve avec respect l'éclatante poussière ! 6+6 a
Malgré tant de splendeur et de noms illustrés, 6+6 b
Tant de bustes de pierre et de marbres sacrés, 6+6 b
145 Malgré le grand Newton et le divin Shakspeare, 6+6 a
Et le coin adoré des rêveurs de l'empire, 6+6 a
Ô monument rempli de lugubres trésors ! 6+6 b
Ô temple de la gloire ! ô linceul des grands morts ! 6+6 b
On entendra toujours des âmes généreuses 6+6 a
150 Venir battre et heurter tes ogives poudreuses, 6+6 a
Des âmes réclamant au fond de tes caveaux 6+6 b
Une place accordée à leurs nobles rivaux ; 6+6 b
Et toujours, vieux Minster, ces âmes immortelles 6+6 a
Te frapperont en vain de leurs puissantes ailes, 6+6 a
155 Et leurs cris dédaignés, leurs funèbres clameurs, 6+6 b
Dans le vaste univers soulèveront les cœurs. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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