Métrique en Ligne
BRB_1/BRB19
Auguste BARBIER
Ïambes et poèmes
1831
ÏAMBES
DÉSOLATION
I
Comme tout jeune cœur encor vierge de fiel, 6+6 a
J'ai demandé d'abord ma poésie au ciel. 6+6 a
Hélas ! Il n'en tomba qu'une réponse amère ! 6+6 b
Pauvre fou, cria-t-il, que la pensée altère, 6+6 b
5 Toi qui, haussant vers moi tes deux lèvres en feu, 6+6 a
Cherches, comme un peu d'eau, le pur souffle de Dieu, 6+6 a
Oh ! De moi n'attends plus de célestes haleines, 6+6 b
Car le vent de la terre a desséché mes plaines : 6+6 b
Il a brûlé mes fleurs, et dans son vol fougueux 6+6 a
10 Fait mon sein plus pelé que la nuque d'un gueux. 6+6 a
L'encens humain parfois a beau fumer encore, 6+6 b
Ce n'est qu'un souvenir qui bientôt s'évapore ; 6+6 b
Il retombe à la terre, et ne va pas plus haut 6+6 a
Que la voûte du temple et son froid échafaud : 6+6 a
15 L'homme enfin ne peut plus parler avec les anges, 6+6 b
J'ai perdu tous mes saints, mes vierges, mes archanges. 6+6 b
Tout ce peuple du ciel qu'aux regards des humains, 6+6 a
Un homme aimé de Dieu, poëte aux belles mains, 6+6 a
Raphaël, fit souvent descendre sur ses toiles. 6+6 b
20 Tout est mort maintenant, par-delà mes étoiles, 6+6 b
Par-delà mon soleil nul écho ne répond ; 6+6 a
Et l'on ne trouve plus qu'un abîme profond, 6+6 a
Un vaste et sombre anneau sans chaton et sans pierre, 6+6 b
Un gouffre sans limite, une nuit sans lumière, 6+6 b
25 Une fosse béante, un immense cercueil, 6+6 a
Et l'orbite sans fond dont l'homme a crevé l'œil. 6+6 a
II
Plus de dieu, rien au ciel ! Ah ! Malheur et misère ! 6+6 b
Sans les cieux maintenant qu'est-ce donc que la terre ? 6+6 b
La terre ! Ce n'est plus qu'un triste et mauvais lieu, 6+6 a
30 Un tripot dégoûtant où l'or a tué Dieu, 6+6 a
Où, mourant d'une faim qui n'est point assouvie, 6+6 b
L'homme a jauni sa face et décharné sa vie, 6+6 b
Où, vidant là son cœur, liberté, ciel, amour, 6+6 a
L'infâme a tout joué, tout perdu sans retour ; 6+6 a
35 Un ignoble clapier de débauche et de crime, 6+6 b
Que la mort, à mon gré, trop lentement décime ; 6+6 b
Un cloaque bourbeux, un sol gras et glissant, 6+6 a
Où, lorsque le pied coule, on tombe dans du sang. 6+6 a
Ainsi donc jette bas toute sainte pensée, 6+6 b
40 Comme un épais manteau dont l'épaule est blessée, 6+6 b
Comme un mauvais bâton dont tu n'as plus besoin, 6+6 a
Au premier carrefour jette-la dans un coin ; 6+6 a
Puis, abaisse la tête et rentre dans la foule, 6+6 b
Là, sans but, au hasard, comme une eau qui s'écoule, 6+6 b
45 Loin, bien loin des sentiers battus par ton aïeul, 6+6 a
Dans ce monde galeux passe et marche tout seul ; 6+6 a
Ne presse aucune main, aucun front sur ta route ; 6+6 b
Le cœur vide et l'œil sec, si tu peux, fais-la toute, 6+6 b
Et quand viendra le jour où, comme un homme las, 6+6 a
50 Tout d'un coup malgré toi s'arrêteront tes pas, 6+6 a
Quand le froid de la mort, dénouant ta cervelle, 6+6 b
Dans le creux de tes os fera geler la moelle, 6+6 b
Alors pour en finir, si par hasard tes yeux 6+6 a
Se relèvent encor sur la voûte des cieux, 6+6 a
55 Souviens-toi, moribond, que là haut tout est vide ; 6+6 b
Va dans le champ voisin, prends une pierre aride, 6+6 b
Pose-la sous ta tête, et, sans penser à rien, 6+6 a
Tourne-toi sur le flanc et crève comme un chien. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 29((aa))
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